Le corsaire Etienne Pellot et les sauts basques à l’Opéra de Bordeaux
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- Etienne Pellot
"J'avais assisté ce jour-là à un grand dîner que mon consignataire avait donné en mon honneur. J'avais endossé ma grande tenue de ville. « Le soir, je me rendis comme d'habitude au théâtre qui était plein comme un œuf. Je le dis franchement, après mon corsaire et la mer, ce que j'aime le mieux c'est le théâtre. Et le ballet donc ! Comme cela vous impressionne quand on est resté plusieurs mois en pleine mer ! C'est à perdre la tête ! Aussi je vous avoue que je la perdis un peu ce soir-là. Quand l'opéra fut terminé, les danses commencèrent. J'étais placé derrière l'orchestre et j'ouvrais des yeux tout grands pour admirer ces gracieuses sirènes qui avaient l'air, par leurs regards et leurs gestes de vouloir nous charmer, lorsque tout à coup, je bondis sur mon siège et j'entendis des cris et des bravos dans toute la salle. On venait de commencer le saut basque. Mes marins, qui étaient dans les loges, ne se possédaient plus. On eut de la peine à leur imposer silence. Moi, j'avais mon cerveau qui battait à rompre son enveloppe. J'étais là, haletant, le corps penché, suspendu à cette danse à laquelle je ne pouvais me mêler, je devais être curieux à voir, parole d'honneur. Bientôt ma situation ne fut plus tenable ; une idée diabolique me traversa l'esprit : « Et pourquoi non?” dis-je. Est-ce que tu crains quelque chose, Pellot ? Fais comme tu ferais devant une bordée ennemie, en avant ! Et aussitôt, m'élançant par dessus l'orchestre, une contrebasse et un pupitre me servant de marchepied, d'un bond je fus sur le théâtre. J'étais si leste, à cette époque et mon action fut si rapide, que les musiciens continuèrent à jouer sans s'être aperçus de rien. Une ombre seulement avait passé au-dessus de leurs têtes et, avant que le public manifesta son étonnement, je m'écriais : « Le saut basque ça?... Laissez donc ! Pellot le corsaire va vous faire voir comment on le danse à Hendaye ! Déjà, d'une poussée, j'avais envoyé l'un des danseurs à dix pas et, prenant sa place, je me trémoussai tellement et si bien, surexcité que j'étais par toutes ces jolies demoiselles aux robes Manches si courtes et aux visages si roses, que je me surpassai, moi, l'un des meilleurs danseurs du pays basque. Aussi la salle entière m'applaudit avec fureur. « Mes gens surtout faisaient, avec leur cri particulier au pays un vacarme infernal. La police dut s'en mêler et, comme auteur du désordre, on se mit en mesure de me conduire en prison. Heureusement que, dans un moment plus calme, j'entendis une voix amie qui me criait en basque : « Sauve-toi, Pellot, sauve-toi ! Prends garde aux gendarmes ! » Cet avertissement me suffit. Je bondis comme un tigre sur la foule qui garnissait le théâtre, culbutant tout, je m'ouvris un passage à travers les coulisses ; puis je traversai tête baissée une enfilade de portes et j'arrivai enfin, je ne sais trop comment, sous le péristyle où je trouvai plusieurs de mes corsaires, officiers en tête, prêts à m'enlever si j'avais été arrêté et nous filâmes lestement à bord."
Texte tiré de "Les corsaires de Bayonne" écrit par Edouard Lamaignère en 1856, et lu par Jean-Marie Broucaret.