C'est au sein du groupe Leinua de Saint-Pierre d'Irube que Zibel Damestoy a appris ses premiers pas de danses basques. Très vite passionnée par cette expression artistique, sa détermination pour devenir professionnelle l'a menée vers la Compagnie Bilaka. Elle nous a accueilli dans leur studio de l’École d'Art de Bayonne, entre deux répétitions de leur nouveau projet Gernika.
Le studio de la Compagnie Bilaka, c'est quoi pour vous ? Votre lieu de travail, un lieu de vie ?
À vrai dire, ce studio est un peu comme notre maison. On y passe à peu près quatre heures par jour selon les créations ou préparations de spectacles prévues, et c'est ici que l'on se retrouve aussi pour nos réunions et autres célébrations. Cela fait deux ans que Bilaka s'est installée ici, juste au moment où je suis passée professionnelle. La danse est donc ma passion et ma profession aujourd'hui et elle occupe beaucoup de temps dans ma vie, du temps que je lui donne avec un immense plaisir.
Vidéo de l'entretien (en basque)
Racontez-nous comment vous est venu ce choix de carrière.
Ma mère est chanteuse lyrique donc j'ai toujours évolué dans un milieu artistique. J'ai commencé à danser au sein du groupe Leinua de Saint-Pierre d'Irube à l’âge de six ans et je ne me suis plus arrêtée depuis. Je me suis ensuite inscrite au Conservatoire mais j'ai vite réalisé que c'était un peu trop "carré" pour moi et je n'ai pas voulu continuer. J'ai intégré la Compagnie Bilaka à mes dix-sept ans et j'y ai trouvé un groupe de jeunes danseurs qui comme moi avait envie de développer sa technique de danse. Je ne les ai plus quitté. Je suis passée professionnelle à vingt ans et aujourd'hui je suis aussi à la direction. Pour moi, le choix de la danse a toujours été une évidence. Je savais que je regretterais un jour si je n'essayais pas, et ce, même si cela n'a pas été toujours évident au sein de ma famille. Aujourd'hui, c'est mon métier, et je suis très contente.
Comment va Bilaka aujourd'hui ?
Il y a beaucoup de filles dans les groupes de danses, mais lorsqu'il s'agit d'aller plus loin dans la pratique, nous rencontrons plus de garçons que de filles.
Aujourd'hui nous sommes quatre à nous occuper de la direction artistique, puis il y a le violoniste Xabi Etcheverry qui s'occupe de la musique entouré d'une dizaine de musiciens professionnels. En ce moment nous préparons notre nouveau spectacle, Gernika. En marge du groupe professionnel, nous avons beaucoup de danseurs amateurs autour de Bilaka. C'est grâce à eux et à leur travail que la culture basque est vivante. Nous proposons aussi des ateliers de sensibilisation dans les écoles et dans différentes structures. Nous allons à la rencontre des jeunes et parfois des groupes viennent au studio. Nous avons aussi une relation étroite avec le Conservatoire de danse et de musique et ensemble nous essayons de donner du travail aux jeunes danseurs et de faire évoluer leur pratique. Par le biais de ces ateliers et autres actions, l'objectif est le même, faire évoluer la danse.
Sur les photos vous êtes souvent la seule danseuse entourée de jeunes danseurs, pourquoi ?
La majorité des gens pensent que la danse est un art féminin et qu'un garçon qui danse est soit homosexuel soit qu’il ne répond pas aux normes. Cependant, lorsqu'on a commencé à rechercher des jeunes danseuses ayant envie de mener leur pratique plus loin, nous avons vite réalisé que la tâche n'allait pas être facile. Il y a beaucoup de filles dans les groupes de danses dans les villages mais lorsqu'il s'agit d'aller plus loin dans la pratique, nous rencontrons plus de garçons que de filles. Pour nous, cela s'explique par le fait que lorsqu'un garçon choisi la danse, c'est parce qu'il est bon ou qu’il est passionné. Dans les deux cas, sa motivation est grande et son entourage va le pousser dans son choix. Pour les filles par contre, le choix de la danse est une activité normale et donc il est aussi commun qu'elle décide d'arrêter pour se diriger vers une autre profession ou d'autres occupations, on ne va pas l'inciter pour qu'elle continue la danse. C'est pourquoi on a du mal à recruter des filles. Cependant, on essaie toujours de motiver les jeunes générations et on travaille depuis peu sur un petit projet avec un groupe de jeunes danseuses qui ont un bon niveau et qui sont très motivées. On garde donc l'espoir même si ce n'est pas facile tout le temps.
Comment le public reçoit-il le croisement des danses traditionnelles avec un style contemporain ?
On trouve un lien étroit entre la danse, la culture basque en général et la Terre, le réveil de la Terre, on retrouve cette même relation dans la danse contemporaine.
Je dirais que ce n'est pas facile pour tout le monde. Certains viennent voir nos spectacles sans attente particulière et dans ce cas, en règle générale, ils sont pris par l'émotion et cela se passe bien. Par contre, ceux qui viennent avec une idée en tête sont parfois déçus car le spectacle ne répond pas à leurs expectatives. C'est un sujet sensible et on en parle souvent entre nous. Pour moi Bilaka n'est pas un groupe de danse basque ; oui nous sommes des danseurs basques, il n'y a pas de doute à cela et on peut démarrer un fandango ou un aurresku à n'importe quel moment, mais notre travail consiste à s'inspirer de la culture basque pour amener son mouvement plus loin, ailleurs. Vous ne verrez pas de banako ou de fandango dans nos spectacles, nous les travaillerons peut-être pour les faire évoluer vers un ailleurs. Le public a ses habitudes et si on lui donne toujours ce qu'il attend, il n'évoluera pas. Il y a donc peut-être un travail d'éducation à faire dans ce sens, pour ouvrir de nouvelles voies.
La danse fait partie du patrimoine immatériel essentiel de ce pays. C'est important de préserver les choses du passé ?
Il est important de garder un équilibre entre la danse amateur et professionnelle, pour agir en faveur de la culture mais aussi pour la faire évoluer.
Bien sûr c'est très important et très enrichissant aussi de posséder un tel patrimoine. Après, le rôle de Bilaka ne consiste pas en sa préservation. Je dirais que c'est plutôt le travail des multiples groupes de danse basque qui font cela à merveille. C'est pourquoi je crois qu'il est important de garder un équilibre entre la danse amateur et professionnelle, pour agir en faveur de la culture mais aussi la faire évoluer. Préserver la danse basque telle qu'on la connaît est important pour moi, je peux sentir des émotions fortes sur un simple fandango et c'est bien comme ça. Puis parfois, on mixe la danse basque avec le classique ou le contemporain pour donner un genre de style néobasque. Notre travail à nous consiste plutôt à prendre l'essence de la danse et des pas, pour les emmener ailleurs. C'est très intéressant car on trouve souvent un lien étroit entre la danse, la mythologie, ou la culture basque et la Terre, le réveil de la Terre, et on retrouve cette même relation dans la danse contemporaine. Notre défi à nous se trouve là, sans pour autant tomber dans du copié/collé ou dans une sorte de show. Nous voulons offrir d'autres émotions, d'autre idées, sans rien enlever à la danse traditionnelle. Cela ne signifie pas que ce qui existe n'est pas bon, bien au contraire.
Vous travaillez sur votre nouveau spectacle, Gernika. On vous y verra danser ou diriger ?
Notre travail consiste à s'inspirer de la culture basque pour amener son mouvement plus loin, ailleurs.
Je vais être danseuse dans Gernika, c'est Martin Harriague qui est responsable de la chorégraphie et de la scénographie. C'est un travail pour lequel nous devons mettre en avant nos connaissances de la danse basque afin de nourrir l'inspiration de Martin Harriague de manière à l'influencer dans sa technique de danseur contemporain. En travaillant à ses côtés, nous nous sommes rendus compte que les pas de danse basque ne sont pas si facile qu'on pourrait le croire, car au départ il a vraiment eu des difficultés à apprendre banako, il n'arrivait pas à prendre le bon rythme. On a réalisé à ce moment-là que la danse basque demande une bonne technique et qu'elle a vraiment un style bien à elle.
La langue basque aussi joue un rôle important dans votre vie.
La famille de ma mère a ses origines à Ascain et tous les membres son bascophones. J'ai donc toujours eu un contact étroit avec la langue mais mon père ne la sachant pas, nous n'avons pas parlé en basque à la maison. Par contre, j'ai toujours souhaité l'apprendre, et c'est suite à un défi que l'on m'a lancé que je m'y suis sérieusement mise. En effet, à l'occasion du traditionnel repas de famille des fêtes d'Ascain, je répétais chaque année que je voulais apprendre, et un jour, mon oncle qui est professeur de basque m'a mise au défi de l'apprendre en un an pour parler en euskara l'année suivante. J'ai mis toute mon énergie pour gagner le pari et pendant un an, j'ai parlé en basque toute seule dans les transports et partout ailleurs, avec mes écouteurs cloués aux oreilles. Cela m'a vraiment aidé car plus tard j'ai entamé le DEUG de basque à la faculté et cela m'a permis de rester ici, de rentrer à Bilaka et de pouvoir parler en basque avec les autres membres du groupe.
Pensez-vous que le fait d'être bascophone influence la façon de danser ?
Le public a ses habitudes et si on lui donne toujours ce qu'il attend, il n'évoluera pas.
Je ne sais pas si cela influence la danse mais ce qui est sûr c'est que cela joue dans notre manière d'être. Ici, par exemple, il y a deux danseurs du Guipuzcoa et notre relation est très forte parce que nous communiquons en basque entre nous. Par ailleurs, dans certaines danses, comme les mutxiko, les pas s'annoncent en basque. Pour moi, répéter en français n'aurait aucun sens. Dans les spectacles de Bilaka, le basque a toujours sa place, dans la musique, dans le sens profond, dans la façon de faire mais aussi dans ses valeurs qui sont importantes à nos yeux, comme la solidarité, ou la militance, car danser c'est aussi militer dans un sens.
La musique occupe une place importante dans Bilaka.
Oui nous aimons unir la musique et la danse et avancer ensemble. La musique est toujours présente dans les groupes de danse, accompagnés par une txaranga ou d'autres instruments. Pour nous, la musique doit être visible, car elle a son propre rythme et ses particularités. Par ailleurs, être sur scène accompagnés par les musiciens est un privilège. Pour les danseurs l'émotion n'est pas la même qu'avec une bande sonore. Parfois ce n'est pas évident de travailler avec les musiciens car ce sont deux mondes différents mais je crois vraiment que cela apporte un plus à notre projet.
On peut dire que Bilaka ne connaît pas les frontières territoriales du Pays Basque ?
Nous allons souvent à Donostia ou à Renteria ; nous avons aussi eu des relations étroites avec la Compagnie Kukai et nous gardons des liens avec les danseurs. Le public de l'autre côté de la frontière est différent aussi, mais on dirait qu'il apprécie notre travail, c'est donc toujours un plaisir.
Comment passez-vous votre temps en dehors de la danse ?
J'aime bien chanter et d'ailleurs on chante beaucoup à Bilaka ; j'aimerais bien prendre ce chemin peut-être un jour. Par ailleurs j'aime marcher en montagne, je fais aussi beaucoup de vélo, je lis beaucoup et j'adore écouter des podcasts, j'en écoute un tas et après on se les partage entre amis. Je dirais que j'aime toutes les expressions artistiques, il n'y a pas grand-chose que je n'aime pas. Je passe également beaucoup de temps à Bilaka, pour effectuer le travail administratif, avec les médias, dans les salons d'artistes, etc. C'est marrant parfois parce qu'on est des novices dans toutes ces tâches, on apprend petit à petit.
Comment avez-vous vécu cette période Covid ?
Avec Martin Harriague on a réalisé que la danse basque demande une bonne technique, qu'elle a un style bien à elle.
Je dirais que nous sommes rentrés dans une sorte de bulle d'hyperactivité créative. Maintenant, avec un peu plus de recul, on se rend compte de la chance que l'on a eu d'avoir le groupe et de pouvoir avancer ensemble. Dans les moments difficiles par exemple, nous faisions moins de répétitions et nous les remplacions par des sorties en montagne, pour pouvoir parler ensemble, nous libérer. Le premier confinement a été particulièrement difficile et on a fait un tas de visioconférences. Puis grâce à notre statut de professionnel on a pu assez rapidement reprendre les répétitions et on n'a plus arrêté, on a aussi beaucoup communiqué. Je dirais qu'on a été quand même assez épargné. Cela a été beaucoup plus difficile pour d'autres artistes, d'autres danseurs, et lorsqu'on ne pratique plus, le corps s'en ressent. On essaie de prendre la situation du côté positif.
Comment vous imaginez-vous dans vingt ans ?
On m'a déjà dit que je n'avais pas assez de puissance dans les danses souletines, mais on ne dira pas aux garçons qu'ils lèvent moins haut la jambe que moi.
Je crois que je ne serai plus danseuse dans vingt ans, j'espère cependant faire toujours partie de Bilaka, dans la direction ou pour donner des cours, c'est possible ça à quarante ans. J'ai par ailleurs envie de reprendre des études ; avec Arthur on a pris des cours de littérature, mais on s'est rendu compte qu'on n'avait pas assez de temps pour cela. J'aime bien l'histoire, l'anthropologie, la sociologie, la littérature ou la psychologie aussi, pourquoi pas être la psy de Bilaka et ainsi regrouper toutes mes passions.
Un rêve ?
À vrai dire j'ai déjà accompli mon rêve de toujours, devenir danseuse. Mais ça pourrait être de faire le tour du monde avec Bilaka et de garder nos bonnes relations, notre amitié, sans perdre notre professionnalisme.
Pour finir vous voulez peut-être aborder un sujet que nous n'avons pas évoqué ?
J'aimerais bien compléter ce que j'ai dit par rapport au fait d'être la seule fille. En fait je voudrais dire qu'à Bilaka on ne se voit pas comme homme ou femme, on se voit comme danseur. C'est marrant de souligner qu'en basque le mot danseur n'a pas de genre. Dans notre pratique de la danse et dans notre quotidien on ne voit pas le genre. C'est le plus souvent le regard extérieur qui me rappelle que je suis la seule fille mais je ne le vis pas mal. Ce qui est le plus gênant, c'est le jugement extérieur, les comparaisons entre moi et les garçons que font certaines personnes. Par exemple, on m'a déjà dit que je n'avais pas assez de puissance dans les danses souletines, par contre on ne dira jamais aux garçons qu'ils lèvent moins haut la jambe que moi. Les comparaisons se font toujours dans le même sens et c'est pesant parfois. Je suis consciente de mes points faibles et nos corps aussi sont différents, c'est un fait. Il y a là aussi un travail à faire, des idées à déconstruire.