Ekhiñe Egiguren (1978, Donostia), est architecte de profession et poète par passion. Elle vient d’effectuer une résidence à Nekattoenea, à Hendaye, au cœur du domaine d’Abbadie, organisée par l’Institut culturel basque, la fédération des écrivains Euskal Idazleen Elkartea et le CPIE du Littoral basque. Ses sources d’inspiration ont été la nature et le patrimoine, tout comme des aventures croisées au détour des sentiers. Le temps d'élaborer son recueil de poèmes, elle nous partage son point de vue, avec un regard à la fois plus vaste, et plus aiguisé...
Faisons plus ample connaissance : êtes-vous une poète-architecte, ou une architecte-poète ?
Je n’en sais rien ! J’ai, depuis toujours, une attirance et une affection pour l’écriture, de manière très naturelle, ce pas menant de la lecture à l’écriture... Et l’architecture, c’est plutôt une carrière, choisie à l’université, qui est devenue par la suite une profession. Je n’ai aucun regret, je suis très à l’aise dans ce métier, mais au moment d’exprimer les choses, il me faut quelque chose d’autre : l’écriture et la poésie m’aident en ce sens-là. Je suis peut-être une architecte qui a besoin d’écrire !
Vous avez évoqué la manière naturelle : naît-on, ou devient-on poète ?
Il me semble que l’on devient poète. Bien entendu, les dons ou les capacités que chacun doit avoir sont là, mais il me semble que la lecture, véritable source, a beaucoup d’influence, et que dans tous les supports de création, le regard est très important.
Le besoin d’écrire : pour qui écrivez-vous ?
J’ai toujours une sorte de lecteur abstrait dans ma tête, mais je n’écris pas pour plaire, plutôt pour que la lecture soit quelque chose: une chose qui naît en moi. En ce sens, j’écris de manière très libre, et si ce n’était ainsi, je ne crois pas que j’écrirais. En plus, comme j’ai été très peu publiée, j’ai très peu de lecteurs !
Quelle place a le poète, dans le royaume du bertsolari ?
Ce n’est pas le même genre, même s’il y a de la poésie dans le bertso. Je ne suis pas bertsolari ; tant qu’à faire, je suis quelqu’un qui s’essaie à la poésie. Pour cela, je ne vois pas toujours clairement le lien entre les deux genres. En plus, on peut retrouver la poésie dans tellement de genres: dans les romans, et même dans les publicités ! Je ne crois pas que la poésie soit quelque chose d’ancré dans le bertso, ni l’inverse. Le mot est un outil. La création, un espace. Je ne ressens pas le besoin de défendre la poésie : il faudrait que je ressente une menace, et ce n’est pas le cas !
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Cela dépend du moment... A Nekatoenea, par exemple, la nature a été très importante, la relation avec elle, puisque je n’avais jamais ressenti une telle présence auparavant, étant une vraie citadine. La solitude, la nature, les paysages, ce beau domaine, son histoire... Il y a de quoi puiser ! Et pas seulement pour la poésie, mais aussi pour le bertso, la prose... pour écrire !
Et lorsque vous vous trouvez en ville, entourée de murs ?
Au final, le regard est le plus important, le regard personnel. C’est de là que jaillissent les sentiments, c’est là que chemine la pensée de chacun.
La politique a-t-elle une place dans votre poésie ?
Pas pour le moment... Qui sait ?
La poésie doit-elle avoir une touche politique ?
Tant que le poète vit en société, il va sûrement y avoir quelque chose, puisque chaque être humain est, paraît-il, un être politique. Je n’ai pas ressenti mes poèmes comme politiques, jusqu’à présent.
Vous avez l’habitude de remporter des prix, des bourses: qu’apporte ce fonctionnement à notre culture ?
À dire vrai, je vis ceci avec une pointe de scepticisme. D’un côté, il me semble important de savoir qui se trouve dans le jury, cela peut aussi être motivant, et contribuer au moment de publier. Or,le fait de gagner un prix n’est pas forcément synonyme de publication... C’est ce qui est dommage. Il ne me semble pas qu'en soi les prix soient mauvais, mais il ne faut pas leur accorder beaucoup d’importance, personnellement, je veux dire.
Les plus grands aboutissements de notre culture n’ont-ils pas été collectifs ? Comme Ez dok amairu...
Oui, ou comme la bande Lubaki. C’est vrai, mais je pense que cela fut le fruit d’une situation et d’un environnement particuliers. Mon œuvre, ma manière de procéder a toujours été solitaire.
Est-ce votre choix, cette solitude ?
Celui des autres aussi, peut-être ! Je me répète : je n’ai pas été beaucoup publiée. Donc, même pour créer un mouvement, ça ne doit pas être le bon moment pour moi... Je n’en sais rien !
Revenons à votre séjour à Nekatoenea : c’est la deuxième fois qu’un écrivain basque y est en résidence, et la deuxième fois qu’il s’agit d’un écrivain du Pays Basque sud. Est-ce une coïncidence ?
Je ne saurais dire si quelqu’un du Pays Basque nord s’y est inscrit. Durant ma résidence, je me suis bien rendue compte que la frontière que nous ne voulons pas est bien présente, puisque nous ne savons rien les uns des autres. A ce jour, par exemple, je ne sais pas quels sont les jeunes écrivains du Pays Basque nord, ce sont souvent les mêmes noms qui me reviennent... Cela relève, sans aucun doute, de ma propre ignorance. C’est, à mon avis, le premier pas à faire : faire connaissance. Je suis sûre qu’il y a des écrivains et des créateurs tapis dans l’ombre...
Dans votre blog, vous vous rendez compte à quel point la langue basque est minorisée, voire méprisée...
Oui ! J’ai rencontré une troupe de théâtre de l’extérieur, à Hendaye, qui affirmait, à ma plus grande surprise, qu’elle ne pourrait travailler en langue basque, puisqu’elle traite de sujets universels. Cela fut très dur à entendre ! Il est très difficile d’éluder les préjugés.
Cela vous-a-t-il inspiré une poésie ?
Peut-être que oui...
Votre premier poème politique ?
Je n’irai pas si loin !
Est-il aisé d’écrire au domaine d’Abbadie ? Dans cet environnement, l’esprit ne s’envole-t-il pas ?
E. E. : Le plus dur est d’aboutir dans l'élaboration du poème, jusqu'à sa forme définitive ! Tant de choses entrent en compte... Le blog, à la manière d'un filtre, m’a beaucoup aidé dans la rédaction des premières idée. Il y a tellement de sources ! Des sculptures m’ont également touché. Il semblerait que l’on soit seul au monde, là-bas, mais ce n’est jamais le cas ! C’est un lieu en perpétuel mouvement. Même s’il n’y a pas d’être humain, la nature est là : la falaise, par exemple, est une vaste métaphore. Tout comme la mer, ou bien Antoine d’Abbadie lui-même : il y a laissé un tel patrimoine... Tant de choses à lire, et à écrire...
Quel sentiment a-t-on au moment de fermer le portail, et de pénétrer dans le domaine d’Abbadie ?
On rentre dans une sorte de microcosme, dans un lieu marqué d’une histoire profonde, une promenade menant du passé vers l’avenir. Très adéquat pour l’écriture.
Où en êtes-vous avec le recueil de poèmes que vous devez publier ?
Il m’est impossible, en un mois, d'achever l'écriture. Alors j’avance, petit à petit. Mais certaines poésies, parfois, nécessitent une période de repos et d'introspection. Je suis actuellement dans ce processus. Arrivera ensuite la seconde partie de mon travail : rencontrer les élèves des écoles en Pays Basque nord, au printemps 2013.
Comment appréhendez-vous cette étape ?
Cela sera une expérience inédite pour moi. Cela me plairait de transmettre la passion de l’écriture aux jeunes. D’approcher l’écriture et la littérature de manière non académique, en expliquant le processus de création. Je ne sais pas si j’en serai capable, mais j’essaierai !
Les jeunes ont, paraît-il, une capacité de création moindre, de nos jours...
E. E. : Je ne sais pas si l’on a déjà parlé en bien des jeunes ! Lorsque j'étais plus jeune, on disait de nous que nous étions des fainéants... Aujourd’hui, il y a, me semble-t-il, certaines dynamiques qui réduisent la création. En Pays Basque sud, la télévision en est l’exemple le plus clair. Elle atrophie notre mode de pensée, pas seulement celui des jeunes, mais aussi celui de la plupart des adultes ! Il me semble que les jeunes ressentent le besoin de développer la création, mais il faut voir comment on l'achemine...
Au final, quelle place offre la société à la création ?
Peu de place, en milieu scolaire mais il en a toujours été ainsi. Par conséquent, cela reste une démarche personnelle. A la base, la création est une chose très personnelle, que chacun a en soi. Celui qui veut la travailler, le fera.
La motivation est-elle la clé ?
Oui, et la volonté mais aussi la crainte entrent en jeu... Un concours peut être motivant... Mais quand on ne le gagne pas, il ne faut pas croire que tout est mauvais. C’est ce qui n’est pas assez valorisé : donner des conseils à ceux qui ne finissent pas premiers, les aider à trouver leur chemin...
Est-il important d’avoir un écho ?
Il arrive un moment où on en a besoin. Quand on écrit, il est important d'être publié, lu... mais aussi savoir ce que le lecteur pense de votre œuvre, ce qu'il a ressenti.
Est-ce que les gens lisent ?
Les grands lecteurs sont rares. C’est un problème commun à toutes les formes de littérature. Mais il me semble que les jeunes lisent. Ceux de mon entourage, en tout cas, oui. La promotion de la lecture relève de notre responsabilité.
Écrire a-t-il encore du sens, aujourd’hui ?
Pour moi, oui ! Sinon, je n’écrirais pas...