Daniel Landart

Daniel Landart

''L'écriture a été un bon remède pour moi''

  • ICB - Xan Aire
  • 01-12-2011
  • Langue : Basque

Daniel Landart (1946, Saint-Esteben, Basse-Navarre) est à la retraite, ayant quitté son poste de directeur-adjoint à l'Institut Culturel Basque. Il vient de publier Ahularen Indarra (Elkar), revisitant ainsi son premier succès Aihen Ahula, livre qu'il a réécrit et enrichi de nouvelles aventures. Il témoigne ici sur sa vie, ses inquiétudes, ses peurs, par pur plaisir, et par besoin aussi. Ses souvenirs d'enfance et ses premiers pas dans l'imprimerie sont à l'honneur dans cette première partie, en attendant la parution dun second tome.

 

Xan Aire : Vous ne vous ennuyez pas trop, à la retraite ?

Daniel Landart : Pour faire les choses le mieux possible, j'ai exercé à mi-temps lors de ma dernière année de travail... A vrai dire, je ne me suis même pas rendu compte que je travaillais à mi-temps, puisque j'écrivais alors Ahularen Indarra. Mais cette année, ayant vraiment lâché mon poste de l'Institut Culturel Basque, je dois avouer que les deux ou trois premiers mois ont été assez difficiles. Je m'y suis fait et à présent je me trouve bien...

Vous aviez dit que vous auriez un pincement au coeur au moment de partir...

D. L. : Oui, et c'est ce qui s'est passé. Heureusement que j'effectue encore des petites missions en interne pour donner un coup de main.

C'est important ?

D. L. : Ah oui, très important ! Quand vous êtes resté vingt ans au même endroit, au sein d'une très bonne ambiance professionnelle... Moi j'y étais bien. Et cela m'est indispensable de rester dans les environs encore une année au moins... Pour le reste, je m'organise assez bien, en prenant un café avec des amis d'Ustaritz, en voyageant un petit peu. Je me suis rendu compte d'une autre chose : je suis devenu un peu paresseux. Le temps passe vite même si je ne fais pas grand-chose ! Le fait d'évoluer sans stress, probablement...

Vous aviez promis depuis longtemps une suite à Aihen Ahula... Pourquoi avoir réécrit cette première partie ?

D. L. : Parce que je me suis rendu compte que l'on pouvait écrire un même texte d'une toute autre manière... J'ai pris cela comme un jeu. J'ai écourté quelques histoires pour ajouter une quinzaine d'anecdotes. J'ai pris un réel plaisir à réécrire tout cela.

Qu'est-ce qui a changé ?
D. L. : Cela me paraît plus complet, le style est, je l'espère, plus mûr... Je voulais le rendre plus mûr, en tout cas ! Puis il y avait tellement d'anecdotes sur la prière dans Aihen Ahula, que j'ai préféré en enlever. Pourtant, c'est véridique que nous priions tout le temps ! Le lecteur actuel ne pourrait le comprendre. J'ai également modifié autre chose : le parler en "xu" (vouvoiement affectif). Nous parlions comme cela à ma grand-mère, ma mère et aux femmes, je l'avais retranscrit ainsi, mais j'ai préféré l'écourter. Sinon, le vocabulaire est local...

La prière reste très ironique, dans le livre...

D. L. : Mais pour moi, cela n'est pas ironique. C'était ainsi ! Ma grand-mère passait des journées entières à prier ! Elle était très pieuse, et chez nous, c'était comme cela.

C'était trop, peut-être ?
D. L. : Quand vous ne connaissez rien d'autre, vous ne savez pas comment cela se passe ailleurs ! Il n'y avait ni radio, ni télévision... Cela ne m'a jamais paru pesant, de prier ainsi. J'étais un peu embêté quelques fois, oui, mais je n'étais pas contre. C'était ainsi ! J'étais tout le temps malade, loin des copains du village, alors elle me faisait prier. Je raconte les cauchemars que je faisais à cause de l'histoire de Saint Léon qui s'était fait décapiter ! Mais je comprends tout à fait que cela puisse paraître un peu "dépassé" aujourd'hui.

Pourtant, votre père aimait danser et chanter...

D. L. : Et moi pas du tout ! J'ai changé pas mal de choses sur mon père, puisque mon point de vue sur lui est différent aujourd'hui. J'avais peur de mon père. On ne voit que cela sur Aihen Ahula, qu'il était sévère, rude. J'ai réfléchi sur la question, depuis : ce n'était pas mon père qui était autoritaire, c'était comme cela à l'époque, c'est une affaire de génération. Avec plus de recul, je peux affirmer aujourd'hui que j'avais un véritable acteur culturel à domicile : il était très joyeux, chantant à tue-tête, enseignant la danse aux jeunes gens du village. Il était simplement désespéré en me voyant, puisque je n'avais aucun goût pour l'agriculture... Je ne vais pas culpabiliser maintenant, mais la perception que j'avais de mon père a totalement changé. Au final, je parle plus de lui que de ma mère dans Ahularen Indarra !

Cette peur paternelle, quel mystère...

D. L. : A l'époque, il y avait cette crainte de l'adulte, et plus particulièrement du père. Pas seulement chez nous. L'autorité était reine, à commencer par le curé. Un père se devait de montrer toute son autorité. Je ne suis pas le seul écrivain à avoir relevé cela, Jean Etxepare lui même en parle : il avait tellement peur de son père, qu'il se demandait si celui-ci ne le battait pas dans sa prime enfance. Moi je ne me suis pris qu'une seule claque de toute ma vie, et le monde entier l'a su ! Cette relation de crainte et d'autorité était quelque chose de culturel, et lié à léducation. A notre époque, lorsqu'un enfant était puni à l'école, les parents prenaient systématiquement le parti de l'enseignant. Aujourd'hui, ils lui feraient un procès !

Au fil des pages, on vous voit vous éloigner de la maison natale... Vous avez connu le monde abertzale à Bayonne. Pourtant, vous étiez immergé de basque à la maison...

D. L. : Nous n'en parlions jamais à la maison ! Nous étions Basques, et puis c'est tout ! C'était quelque chose en nous, qu'on le veuille ou non, avec la langue, le chant, la danse, les livres de notre grand-mère... Je dirais que nous étions basques sans nous en rendre compte ! Cette base était là, puis lorsque j'ai commencé à travailler à l'imprimerie, j'ai fait connaissance avec le monde abertzale, j'ai eu cette prise de conscience. Je l'évoque un peu ici, mais je vais développer le sujet dans le second tome. J'étais dans le mouvement Enbata, mais à la maison, on n'en parlait pas. Ma mère me disait de faire attention, il y avait une certaine crainte, même si je n'ai jamais rien évoqué de tel avec mon père. Mon grand-père ayant fait la guerre de 1914 me disait que nous n'avions pas les moyens d'aller en guerre contre la France ! Il voyait les choses à sa manière, en disant des choses comme "moi je sais ce que c'est !"... En pensant à lui, je me suis souvent fait la réflexion suivante : qui suis-je, moi, pour faire un livre sur ma vie à cause d'une maudite bronchite... Lui qui est resté quatre années hors de chez lui, durant ses plus belles années, au milieu de mutilés et de cadavres... Saint-Esteben a perdu vingt-quatre jeunes hommes lors de la Grande Guerre. C'est tellement terrifiant que j'en parle longuement dans cette nouvelle version.

Le succès de Aihen Ahula vous avait-il surpris ?

D. L. : Oui ! Ce livre a eu deux rééditions, puis en 1981, j'en faisais une chronique à la radio, les ikastolas m''invitaient aussi Elles continuent à le faire, d'ailleurs. Je suis une personne du "Moyen-Âge" pour les enfants d'aujourd'hui ! Ils ne peuvent pas comprendre que nous vivions sans électricité, sans toilettes...

Vous soulignez d'ailleurs le choc avec la modernité...

D. L. : Et oui... Nous étions habitué au silence dans le monde agricole, nous ne connaissions que la moissonneuse-batteuse, qui venait une fois par an. Puis, à l'imprimerie... impossible de supporter le bruit des machines du matin au soir !

De quel oeil voyez-vous la modernité ?
D. L. : Il y a eu sans aucun doute une avancée, de bonnes choses, indispensables... Mais il y a aussi les mauvais côtés... La télévision en est le plus clair exemple. Notre télévision à nous, c'était notre grand-père ! En mettant la télévision au coeur de la cuisine, les gens se sont tues... Cela a d'ailleurs été néfaste pour la langue basque. La transmission a été coupée net ! Une fois, nous avions visité les alentours du monastère de Belloc et ma grand-mère, voyant des centaines de poules serrées les unes contre les autres, avait dit : "est-ce donc cela, le progrès ?". Je repense à cela en voyant les gens d'aujourd'hui avec tous leurs appareils, téléphones et autres... Au final, la communication est coupée, nous devenons serviteurs de ces machines, puisque tout cela coupe également la réflexion. Les choses vont à une telle vitesse... Je me demande si ce ne sont pas, au final, des engins pour cacher le manque d'identité ? Ou des appareils à annihiler les peurs... Je les plains !

Vous racontez également le déclin de l'imprimerie, justifié, là aussi, au nom de la modernité...

D. L. : Oui, j'ai vu les choses changer, à commencer par le comportement des ouvriers qui se métamorphosaient en prenant un peu de grade ! Lorsque nous avions fait grève pour la première fois, une heure seulement, le responsable des linotypistes me disait : "tu ne vas pas me faire ça à moi ?". Mais moi, je ne faisais pas "ça" contre lui ! Cela ma paru important de décrire le monde de limprimerie depuis l'intérieur. Les conflits, les coups bas, les mentalités... Et j'ai eu une chance incroyable de ne pas me retrouver au chômage ! J'ai vu des métiers disparaître, tout de même ! Il n'y a plus de typographie ou de linotypie, c'est l'ordinateur qui s'en charge, désormais... Toujours au nom de la modernité ! Jamais je n'aurais imaginé, à l'époque, que les ordinateurs et internet allaient bouleverser le travail de l'imprimerie. A présent, j'utilise moi-même cet engin !

La peur était perpétuelle, dans ce monde industriel ?
D. L. : Oui, il y avait toujours ce poids au-dessus de nos têtes, cette crainte de perdre son emploi, surtout... Les patrons toujours à pleurer. Je dirais que la peur était comme entretenue, et influencée par la société, aussi.

Votre sensibilité apparaît également dans ce livre...

D. L. : Oui, plus particulièrement lors de la fermeture de l'imprimerie, certains furent licenciés, et nous, sauvés. Je raconte comment j'ai fondu en larmes. Il y avait eu là une énorme tension. Mais il est vrai que j'ai cette sensibilité là, oui. Durant les enterrements, j'ai du mal à voir pleurer une personne que j'aime, j'aurais tendance à avoir la larme facile, moi aussi... Mais ma soeur est incapable de pleurer, et elle en souffre énormément ! C'est une bonne chose de pleurer, cela permet d'évacuer... Mais c'est dans notre culture, un homme ne doit pas pleurer. Mon père m'a dit que même en allant à la guerre, il ne pleura pas. Il a pleuré pour la première fois de sa vie en perdant l'une de ses filles.

Vous dites avoir eu toujours beaucoup de chance durant votre vie...
D. L. : Oui, je n'ai jamais connu de chômage... Puis quand je vois mon parcours, sans avoir le moindre diplôme ! Cest souvent grâce à notre langue que j'ai été sauvé. Je dois beaucoup à la langue basque, sans aucun doute. Mes pièces de théâtre aussi ont joué en ma faveur. Je contemple aujourd'hui le nombre d'infrastructures qui sont nées autour de la langue basque, les radios, etc. En ayant tout cela aujourd'hui, c'est dur de dire à un jeune de lutter. Nous, nous avons lutté parce quil n'y avait rien ! Mais je ne puis toutefois laisser dire que le militantisme a baissé. Nous étions deux douzaines tout au plus, maintenant il y a heureusement beaucoup de gens. Et je vénère les personnes qui travaillent sans cesse, dans l'ombre, en toute humilité.

Vous présentez toujours votre santé comme une ennemie. Au final, n'est-ce pas la peur, votre pire ennemie ?

D. L. : Maintenant, oui. Mais la fièvre nest pas seulement psychologique, mon thermomètre peut en témoigner ! La maladie et la peur sont liées, sans nul doute. J'ai eu peur pour mon travail à chaque fois que j'ai été en arrêt maladie, notamment à l'imprimerie. Désormais, la vieillesse porte en elle de nouvelles craintes. Mais j'ai toujours eu besoin de raconter tout cela. Certains n'extériorisent rien. L'écriture a été un bon remède pour moi. Comme le dit Txomin Heguy : il fait du théâtre pour ne pas aller voir un psychiatre ! Mais moi, même en écrivant, je continue à consulter mon médecin...

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