Dominika Recalt "Titika"
Extraits
"La danse m’a apporté la liberté et une reconnaissance sociale"
Dominika Recalt est entré à contre-coeur dans le monde de la danse, à 14 ans, dans le groupe de son village d’Alçay. Son maître à danser était alors Pierre Aguer Garat Arhane, joueur de tambour réputé qui accompagnait le poète et musicien Etxahun Iruri. Le frère aîné de Dominika l’avait inité aux premiers pas, avec peu de pédagogie et en le forçant à apprendre. Une expérience qu’il a mal vécue. En 1974, à 17 ans, il danse dans la mascarade, interprétant le personnage de la « cantinière ». Cette expérience lui permet de se produire de village en village, et de découvrir la Soule et le Pays Basque, en compagnie d’Etxahun Iruri. Il se souvient du Dantzari Eguna de Saint-Jean-de-Luz, cette année-là : la foule, les drapeaux basques déployés par des danseurs de toutes les provinces… Il y avait dans tout cela l’éveil d’une conscience sociale et politique. C’est grâce à cela que le petit garçon blessé commence à ressentir une certaine fierté, et à se sentir Basque. "C’était la liberté, et nous étions les rois", se souvient-il avec émotion. Il reçoit également, à l’époque, avec Jean-Pierre Bordagaray d’Ordiarp, le prix du meilleur jeune danseur dans le cadre de concours de danse appelés "primakak". En 1981, Philippe Oyhamburu lui propose de faire partie de sa troupe professionnelle et d’effectuer une tournée aux États-Unis pendant deux mois. Il laisse alors son travail pour partir et, grâce au chant et à la danse, découvrir "une vie de bohême". Le goût du chant lui vient de sa mère, qui chantait tout le temps, tandis que son père jouait de l’accordéon et de l’harmonica. Il a la sensation d’avoir été "aspiré", depuis l’enfance, par cette culture populaire.
© Département des Pyrénées-Atlantiques – Archives départementales - Collecte "Eleketa". 2014 - 19AV1341
Chant et danse : des ascenseurs sociaux
Dominika Recalt se souvient qu’il y avait des kermesses, organisées par l’école catholique pour collecter de l’argent, au cours desquelles les hommes chantaient. Dans sa famille, le chant jouait un rôle social important. On pardonnait tout à l’homme qui était un bon chanteur. Il en était de même pour celui qui dansait bien : il cite à ce propos une anecdote concernant un homme de Sainte-Engrâce qui avait tiré sur un autre homme, et dont on disait alors : « Certes, il l’a tué, mais quel bon danseur ! ». Cette qualité pouvait effacer un crime, dans l’opinion des gens. De même, celui qui incarnait avec justesse un personnage dans une pastorale ou une mascarade était affublé du nom de ce personnage tout au long de sa vie. Il devenait quelqu’un grâce à la culture. Cela persiste encore un peu. Un pauvre RMIste qui va montrer son talent lors d’une pastorale sera reconnu définitivement pour son talent. La culture populaire offre cette opportunité de bénéficier d’un « ascenseur social ». Ce n’est pas le cas de la culture officielle professionnalisée.
Dominika Recalt. Programme "Eleketa". 2014 © Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques - 19AV1340
"La danse ne doit pas être enseignée, l’enfant doit la vivre"
Dominika Recalt ne conçoit pas qu’il puisse exister des cours de danse pour les enfants. Si l’enfant aime la danse, il doit la vivre, si possible en famille, ou avec des amis, mais pas l’apprendre dans des cours où il va s’ennuyer. Et si la danse l’intéresse vraiment, il ira plus tard approfondir la danse classique, jazz ou contemporaine. L’enfant doit prendre du plaisir à danser. Il prend l’exemple de Maddi Oihenart qui a d’abord appris à chanter en écoutant les autres et qui, plus tard, quand elle a découvert qu’elle aimait profondément le chant, a entrepris de le travailler à sa manière. Il cite également la famille de Michel Etchecopar : si sa fille Maika chante, et si son fils joue du trombone, ce n’est pas parce qu’ils ont pris des cours, mais parce qu’ils ont vécu la musique à la maison. "Il faut d’abord injecter le vaccin, par le vécu", estime Dominika Recalt.
© Département des Pyrénées-Atlantiques – Archives départementales - Collecte "Eleketa". 2014 - 19AV1349
Gehiago jakin
En savoir plus
Dominika dit Titika Recalt est né à Alçay- Altzai (plus précisément Alçabéhéty-Altzabeheti) en juillet 1959 dans une famille de 4 enfants dont il est le plus jeune. Ses parents sont métayers et les conditions de vie, rustiques (pas de salle de bains, ni de WC dans la maison jusqu’au milieu des années 1970).
Titika fréquente l’école privée du village jusqu’à l’obtention du certificat d’études primaires à l’âge de 14 ans. Il passe ensuite un CAP de tourneur-fraiseur à Mauléon (1974-1977), puis travaille durant l’année 1978, avec son père, à l’usine de chaussures Etchandy. À la suite à cette expérience professionnelle, il suit pendant 9 mois une formation accélérée de menuiserie à l’AFPA de Tarbes avant de se retrouver au chômage en 1980.
À 14 ans, il intègre les cours de danse donnés au village par Pierre Aguer dit Garat Arhane, mais c'est avec son frère aîné, Jean-Pierre, qu'il apprend les premiers pas. Dès 17 ans, il participe aux mascarades, prend conscience de l'identité basque à travers notamment les rassemblements de danse. À la demande de Philippe Oyhamburu, il intègre en 1981 les Ballets Etorki. En 1982, il quitte son pays natal pour Paris (1982-1993).
À son retour au pays, Titika Recalt commence à travailler à la radio associative en langue basque Xiberoko Botza. Il signe en 1993 sa première création, l'opéra pastorale Oierkoren Trajedia donnée au col d’Ahusquy en 2006. Il souhaite apporter du renouveau à cette forme de théâtre populaire et poursuit avec l’écriture en 2009 de Belagileen Trajeria, interprétée la même année par les habitants de Alos-Sibas-Abense. Il est également l'auteur des textes de Etxebarre 007, spectacle donné en 2007 dans le village souletin du même nom.
Journaliste et comédien, il vit aujourd’hui entre la Soule et Oiarzun en Guipuzcoa où il a fondé une famille (il a un fils âgé de 7 ans). Il fait partie de la compagnie Hebentik qui œuvre à la création et la transmission de toutes formes artistiques liées à la culture de la Soule.