Claude et Jon Iruretagoyena
Extraits
"La danse m’a sauvé et m’a fait tel que je suis"
Claude Iruretagoyena a suivi une formation professionnelle qui ne l’intéresse pas. La danse le sort d’un milieu familial fermé au sein duquel le travail est la valeur principale. Elle constitue une planche de salut qui le "fait", le façonne tel qu'il est aujourd'hui. Après Batz Alai, il intègre Orai Bat, groupe plus important par l’effectif et l’activité. Il y rencontre Jean Nesprias, professeur de danse, musicien et directeur du groupe, une personnalité s’impliquant corps et âme. Claude concrétise son rêve d’enfant : celui de voir les "grands" danser et de se transporter lui même dans ce rêve de devenir danseur. Chacun a ses modèles et les modèles évoluent. Ainsi peut-on vouloir un jour quitter la danse basque pour intégrer les Ballets Malandain ou l’Opéra de Paris.
© Département des Pyrénées-Atlantiques – Archives départementales - Collecte "Eleketa". 2014 - 19AV1323-1324
Lien avec la Renaissance italienne
En 2000, Claude Iruretagoyena rencontre la chorégraphe Christine Grimaldi à l’occasion d’une représentation de la compagnie Maritzuli. Celle-ci entrevoit la Renaissance italienne à travers le répertoire de Claude. Après un premier sentiment empreint de suspicion, Claude découvre "des choses troublantes". Il comprend alors qu’il s’agit "d’un tronc commun universel" et que cette universalité se ramifie en spécificités ou spécialités.
Claude Iruretagoyena. Collecte "Eleketa". 2014 © Département des Pyrénées-Atlantiques - Archives départementales - 19AV1327
Betti Bettelu et la renaissance des sauts basques dans les années 1980
Claude parle de son maître de danse, Betti (Pierre) Bettelu, de la relation qu’il a eu avec celui qu’il considère un peu comme son grand-père (rencontré par l’intermédiaire de Thierry Truffaut). Bettelu amène une façon différente de danser. Rigoriste, c’est un passeur, un transmetteur. C’est à cette époque que la danse devient la principale activité de Claude. Betti Bettelu a largement contribué à la renaissance des sauts basques à partir des années 1980. Création de l’association Lapurtarrak avec T. Truffaut qui engagera B. Bettelu comme professeur de sauts (qui interviendra dans les écoles mais qui donnera aussi des cours du soir pour adultes). Souvenirs concernant Bettelu. Début de tentative de professionnalisation.
Claude Iruretagoyena. Programme "Eleketa". 2014 © Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques - 19AV1323, 1325
"On peut faire de la nouveauté avec des pas traditionnels"
Toutes les créations que réalise Claude Iruretagoyena ont, pour lui, un sens précis. Son intention est avant tout de faire passer une manière de s’exprimer à travers la danse basque. Celle-ci étant illimitée à ses yeux, il n’éprouve pas le besoin de la "contemporanéiser". Il est ému de voir que des milliers de personnes dansent encore "Zazpi jauziak" au XXIe siècle. En utilisant encore et toujours les pas de danse, tout en générant la surprise, il estime être dans la nouveauté, et donc, dans la création. Il s’agit de dire que cette danse ne s’est pas arrêtée dans le temps, et qu’il est possible de faire du nouveau avec elle. En danse classique comme en danse basque, les pas fondamentaux servent aux danseurs à raconter des histoires, à s’exprimer. Les sauts basques ne racontent peut être pas une histoire, comme le ballet, mais ils racontent l’unité du village, la cohésion sociale représentée par le cercle. Pour Claude Iruretagoyena, "un danseur est quelqu’un qui parle. On peut lui apprendre à parler, mais on n’a pas à lui dire ce qu’il doit dire".
© Département des Pyrénées-Atlantiques – Archives départementales - Collecte "Eleketa". 2014 - 19AV1330, 1333
Influence des maîtres à danser de l’Armée sur le répertoire traditionnel
Jon Iruretagoyena nous dit que certaines choses ont disparu à cause de l'influence des maîtres de danse de l'Armée française. Quand une chose nouvelle apparaît, le plus souvent une autredisparaît. Nous savons qu'il y a eu des changements dans la mascarade souletine à l'époque où les maîtres de danse sont revenus de l'armée, à la fin du XIXe siècle. La danse est devenue un spectacle. Un groupe de cinq danseurs, "aitzindariak" est apparu. Pour leur laisser la place, des personnages ont disparu : l'ours et l'agneau, les prêtres, les notaires, les médecins, le marchand de charbon, le marchand de fleurs... Des personnages qui ont de l'importance dans le concept et l'idée de la mascarade, du carnaval, ont disparu. Des danses particulières sont apparues, certaines directement issues de l'armée, comme la gavotte, par exemple. À l'armée, on dansait la gavotte pour devenir prévôt de danse. C'est la gavotte de Vestris. Vestris était danseur d'opéra. Il a dansé à partir de 1785. Le cas de la danse du verre, "godalet dantza", est différent. Il s'agit d'une vieille tradition qui est devenue spectacle. Aujourd'hui, elle est pour les danseurs l'occasion de montrer leur virtuosité, chacun à leur tour.
Jon Iruretagoyena. Collecte "Eleketa". 2014 © Département des Pyrénées-Atlantiques – Archives départementales - 19AV318
Lien avec d’autres types de danses
Jon Iruretagoyena nous dit qu'il existe dans deux régions de France des danses apparentées aux danses souletines. D'une part, en région provençale, et d'autre part dans la Sarthe, bien que cette tradition soit éteinte ou du moins en sommeil. Nous connaissons l’apport de l'armée et les connexions avec la danse classique. Et cela relie la danse souletine non seulement à l'histoire de la danse française, mais aussi à celle de la danse européenne. Donc, avec des danses venues d'ailleurs ainsi qu’à des danses d'une autre époque. Pour Jon Iruretagoyena, il y a une relation entre les danses souletines et les danses militaires, comme l’écrit Guilcher. Les jeunes souletins sont revenus du service militaire avec le titre de maître de danse, avec ce savoir et cette façon de danser si particulière et complexe.
Jon Iruretagoyena. Collecte "Eleketa". 2014 © Département des Pyrénées-Atlantiques – Archives départementales - 19AV1318
La danse par principe
La danse par principe Jon Iruretagoyena a découvert en Soule un terme particulier pour désigner le pas : le « point de principe ». En recherchant son origine et sa signification, il a pu établir un lien avec une méthode d’enseignement utilisée dans l’armée, que Guilcher appelle l’enseignement de la danse « par principe ». Il a retrouvé trace de cette méthode dans les écrits du maître guipuzcoan Iztueta. Il s’agit en fait d’exercices, de brèves suites de pas apprises par coeur la plupart du temps et utilisées ensuite dans les danses, soit telles quelles, soit en modifiant leur structure. Les pas de base peuvent donc être déclinés de manière différente, en multipliant les combinaisons et en augmentant les difficultés, comme dans une partition. En tant que chorégraphe, il estime n’avoir rien inventé. Il a simplement utilisé les techniques des maîtres de danse de cette époque pour mettre au point sa méthodologie.
Jon Iruretagoyena. Collecte "Eleketa". 2014 © Département des Pyrénées-Atlantiques - Archives départementales - 19AV1319
En savoir plus
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Claude Iruretagoyena, né à Bayonne en 1960, approche le monde de la danse à l'âge de 6 ans, lorsqu'il intègre le groupe Batz Alai. Koldo Zabala est son premier professeur de danse. Il rejoint ensuite Orai Bat (mené par Jean Nesprias) puis Aurrera, groupes de danse bayonnais eux aussi. A la fin des années 1970, il entre au sein du groupe de danse luzien Begiraleak et devient l'élève assidu de Betti Bettelu ou Pierre Betelu. Celui-ci le pousse, à partir de 1981, dans l'enseignement de la danse basque, au sein de Lapurtarrak jusqu'en 1985, puis de l'Institut de la danse basque jusqu'en 2000.
Parallèlement, c'est avec Juan Antonio Urbeltz (compagnie Argia de Saint-Sébastien) que Claude approfondit les techniques d'enseignement, de mise en scène et de chorégraphie. Il se révèle en 1992 avec sa première création Xirula Mirula. Sa seconde création, Ixtorio Mixtorio en 1996, donne naissance à la compagnie Maritzuli dont il est encore aujourd'hui directeur artistique, chorégraphe, danseur et costumier.
Toujours en 1996, il impulse et participe à la création du festival de folklore enfantin "Gauargi, enfants et danses du monde". Dès la fin des années 1990, il fait des rencontres (Thierry Malandain, Christine Grimaldi) qui marquent son parcours de chorégraphe et le poussent dans des recherches sur la danse traditionnelle et ses origines.
Depuis 2005, il mène des créations en association avec son fils Jon.
Jon Iruretagoyena, né à Bayonne en 1985, est immergé dans la danse basque dès son plus jeune âge. Il accompagne son père dans ses nombreuses répétitions et garde un souvenir extraordinaire du premier spectacle de danse de Juan Antonio Urbeltz, Zortziko, auquel il assiste à l'âge de trois ans.
Il commence son apprentissage de la danse dans les groupes Oinak Arin (Briscous), puis Ortzadar (Urt). Il participe comme danseur à la création Xirula Mirula (il a 7 ans) et travaille dès lors sa technique de danseur au sein des compagnies Maritzuli et Argia.
Son père et Juan Antonio Urbeltz constituent les deux références importantes de son parcours de danseur. Son troisième maître à danser est, grâce à la compagnie Maritzuli, Bruno Delavigne qui lui enseignera les danses souletines et leurs subtilités. Ce qui l'incite à faire des recherches poussées sur l'histoire de ces danses et de leurs relations avec celles de France et d'Europe. Jon propose aujourd'hui des conférences dansées sur ce thème.
Dans leurs coréalisations, père et fils Iruretagoyena partagent un souci commun de pédagogie: enseigner la danse (et non les danses), aider chacun à trouver son langage corporel, détailler les pas de base dont les multiples combinaisons permettent de créer à l'infini.