Txerri

Txerri [cochon en basque] est une vidéo qui met en scène l'arrivée d'un couple de cochons dans le village d'Irissarry. Pour le tournage, Bertrand Dezoteux a sollicité la participation des habitants de la commune. Il y a effectué des repérages puis a rencontré les personnes qui y exercent une activité pour leur présenter sa démarche, leur proposer de figurer dans la vidéo, et leur demander de faire face à l'intrusion des cochons.

Tournage de Txerri
Tournage de Txerri
Ces cochons furent absents au tournage. Réalisés en images de synthèse (3D), ils ont été modélisés et animés sur ordinateur, puis incrustés au sein des images filmées. Lors de leur périple, les animaux virtuels visitent le bourg, et sont amenés à découvrir certains aspects de la culture locale : la musique, le chant, la danse, les chasseurs, la boucherie, la pelote. La vidéo adopte le point de vue de ce couple porcin, tantôt placide, tantôt implusif. Ils nous regardent, nous les humains, comme d’étranges créatures.

Dans la quatrième dimension

Xan Aire a interviewé Bertrand Dezoteux (1982, Bayonne) alors qu’il attaquait la dernière ligne droite du film Txerri, projet couronné lors de l’appel à projet Hogei’ta. Ce court métrage a pour particularité de jouer avec la 3D, technique innovante mais difficile à maîtriser, de la confronter à un cadre bucolique d’un village bas navarrais. Le réalisateur raconte ici un parcours parsemé d’embûches et excitant à la fois.

Des villageois discutent tranquillement autour d’un verre, sur la terrasse d’un bar, à Irissarry (Basse Navarre). L’on parle de tout et de rien, les lunettes noires sont de sortie pour accueillir le soleil. Cela sent bon les vacances, l’été et ses douces fins d’après-midi… lorsque deux cochons surgissent de nulle part, hurlent leur sauvagerie avant de tout dévaster sur leur passage, renversant les tables, brisant verres et glaçons, terrorisant les gens qui se sauvent en hurlant ! Ils resteront là un moment, réquisitionnant littéralement le village, bousculés par des enfants jouant à la pelote, poursuivis par des chasseurs et leurs chiens, regardant une banda jouer, se frottant à un arbuste, s’en prenant au panier de courses de la pauvre ménagère…

Des cochons, rien de plus normal dans un cadre bucolique d’un village bas navarrais. Sauf lorsque Bertrand Dezoteux s’en mêle. La brave bête devient alors un envahisseur d’un autre monde. Ses cochons sont à l’image de ses films : des ovnis visuels, une quatrième dimension. En l’espace de quelques minutes, le spectateur dresse une large palette de ses propres émotions devant une œuvre du jeune réalisateur, tant celui-ci jongle avec les codes, les mœurs, les traditions. A commencer par le cochon lui-même, bien entendu : "j’ai voulu lui donner une certaine psychologie… En préparant ce film, j’ai rencontré des cochons pour la première fois. Quelque chose m’a surpris dans leur regard. Leurs yeux sont semblables à ceux des humains, des petits yeux profonds encastrés dans ce corps lourd… J’ai donc voulu jouer avec cette similitude, sans toutefois tomber dans l’anthropomorphisme".

De l’aveu même de Bertrand Dezoteux, ses cochons pourraient être comparés à des envahisseurs de type Gremlins, facétieux et effrayants, "chimères et voyous à la fois". L’on pense évidemment à Animal Farm de George Orwell, où les cochons vomissent toute leur tyrannie après avoir poussé l’humain hors de sa propre ferme. Mais le réalisateur ne l’a pas lu, "cela doit être un acte manqué, après tout", sourit-il. A partir d’œuvres anthropologiques, il a en revanche scrupuleusement étudié la société rurale traditionnelle, "ce monde agricole en dialogue permanent avec l’animal". Il a ainsi pu saisir l’importance du cochon dans les fermes basques, "tout un travail d’élevage jusqu’à sa mort", véritable rituel qui réunissait les voisins, ainsi que toute cette viande qui permettait de nourrir des familles entières au cœur de l’hiver.

Pour donner à la bête toute sa dimension, l’artiste a ainsi opté pour la 3D. Ce choix était d’ailleurs présent lors de la présentation du projet devant le jury Hogei’ta, mais il a fallu modifier des choses en route : "revoir les ambitions à la baisse, oui. Au départ, j’avais pour but une effervescence d’animaux, d’insectes, tous en 3D…". La technique s’est avérée compliquée à maîtriser, trop chère pour engager des professionnels, "qui travaillent souvent dans l’industrie". Bertrand Dezoteux s’est donc confronté seul à la 3D, avec l’aide de son frère et celle d’un pro, qui réalise les scènes les plus compliquées : "une minute de 3D correspond à 1700 images !". Une occasion pour le réalisateur de se permettre une observation sur le sujet : "la troisième dimension est quelque chose d’ambigu. Règne du mutant, une promesse de l’au-delà. Mais l’écran est toujours là. On semble puissant, mais tout est creux au final. Et même un peu moche, un peu dégoûtant. Le paradoxe entre une rigueur maximum, et un résultat approximatif".

Il a donc voulu confronter ce monde mécanique à un village rural, presque romantique. La 3D au service de la dimension Dezoteux. "Je n’ai pas pris le village comme un décor, mais plutôt en tant que terrain de travail. Il a donc fallu jouer sur les conditions de tournage, avec les volontaires qui n’étaient pas des comédiens professionnels. Une expérience unique". Le réalisateur a d’ailleurs souligné la gentillesse des habitants d’Irissarry, leur disponibilité. Il attaque désormais la dernière ligne droite du projet, et doit se rendre sur Paris chaque semaine pour terminer les scènes en 3D, avant d’en découdre avec le bruitage. Les jours à venir s’annoncent "excitants".

En regardant l’esquisse du film Txerri, vient naturellement la question du folklore. Est-ce un piège à éviter ? "Pour moi, le folklore n’est pas forcément péjoratif. J’ai plus tenté de trouver une distance adéquate, de m’adapter, d’essayer. Je n’ai pas demandé aux gens de faire des choses hors de l’ordinaire. Je ne leur ai pas fait endosser des costumes traditionnels, par exemple, parce qu’ils m’ont dit qu’ils n’en portaient pas d’habitude. Tout dépend du regard que l’on porte sur la culture de l’autre. Ici, le film peut paraître folklorique, mais ailleurs, il peut être perçu comme un documentaire. C’est l’une des questions posées par ce court-métrage".

Bertrand Dezoteux entend bien ne pas laisser le public indifférent. Il l’a averti dès le départ : son souhait est de renouveler le regard. Pour cela, rien de tel que de se contempler dans un miroir.

En savoir plus

Biographie

Bertrand Dezoteux est né à Bayonne en 1982. Diplômé du Fresnoy en 2008, il réalise des films qui mêlent science-fiction et documentaire, avec l’envie de chercher de nouveaux formats. Avec Le Corso, il s’essaye au documentaire animalier en 3D. Avec Zaldiaren Orena, il retrace l’exploration du pays basque par un robot Allemand pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette vidéo a été produite à l’occasion de l’exposition Dynasty au Palais de Tokyo et au Musée d’art moderne de la ville de Paris, en 2010. Elle fut présentée lors de l’exposition Entre Temps au Musée Basque à Bayonne.

Bertrand Dezoteux : "Je veux renouveler le regard"

Une interview réalisée par Xan Aire au mois de juin 2011.

Bertrand Dezoteux (1982, Bayonne), lauréat de l’appel à projet Hogei’ta, présente ici son parcours et son projet, ainsi que sa découverte tardive de la culture basque.
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