Témoignages des membres du jury

Bertrand Dezoteux et Nader Koochaki ont finalement été désignés heureux lauréats de l'appel à projet arts visuels Hogei'ta. Après de longues heures de débat, de choix, de critique, les membres du jury reviennent ici sur cette expérience particulière, insolite pour certains, avant de se rejoindre sur un point : la jeunesse est bel et bien là, créative, ambitieuse, moderne.

Ils sont encore de jeunes rameaux de la culture basque, ce vieil arbre millénaire, qui a déjà besoin de ces artistes-là pour capter la lumière, afin de respirer et d'exister encore et encore dans le tourbillon fou de la globalisation.

Olivier de Monpezat ESA Rocailles

En tant que représentant d'une école d'art, en quoi un appel à projet comme Hogeita est bénéfique pour de jeunes artistes ? Cet appel à projet est bénéfique pour les jeunes artistes car ils doivent nécessairement développer une démarche artistique professionnelle en cohérence avec leurs recherches personnelles. Hogeita leur permet de mener un projet bien doté financièrement et réalisé dans d'excellentes conditions. De plus, l'oeuvre proposée traduit un réel engagement au regard de la culture basque inscrit dans sa contemporanéité. En tant que juré, quel critère de sélection avez-vous privilégié ici ? Mon premier critère de sélection est la qualité du dossier qui doit permettre de juger du sérieux et de la pertinence de la démarche de l'artiste. A cet égard, je suis particulièrement sensible aux représentations qui renouvèlent le regard porté sur le monde. Bien entendu, l'artiste doit développer un projet qui intègre des maîtrises conceptuelles, techniques et plastiques. L'appel à projet était basé sur l'image. N'est-ce pas un peu restreindre le vaste périmètre de l'art contemporain ? Je ne trouve pas car ici, l'appel à projet artistique Hogeita présente sans ambiguité cette dimension image. En outre, c'est un champ dont l'exploration par l'art contemporain nécessite d'inventer des écritures et des dispositifs de diffusion intrinsèquement au centre de l'oeuvre. A ce propos, notre civilisation de l'image est directement questionnée par les artistes avec pour conséquence d'amener le public à s'interroger et ainsi développer son esprit critique.

Laetitia Leglise EHZ

Est-ce que le choix des lauréats fut difficile pour vous ? Nous avons été conviés à participer à ce projet en tant qu'acteur culturel en Iparralde mais limités par nos connaissances, nos compétences techniques en art contemporain pour juger ces projets dans leur complexité. Nous avions dans l'idée de mettre en avant les projets qui apportaient un regard nouveau, différent (dans le traitement, dans la forme, ou dans les thèmes abordés...); la 3D chez Bertrand Dezoteux, un projet moderne, ambitieux, un coup de coeur artistique. Chez Nader Koochaki, le projet photos/vidéos est un processus artistique doté d'ambitions sociologiques voire anthropologiques. Entre passé, culture, tradition et témoignages actuels. En quoi le projet Hogeita se rapproche-t-il de la philosophie de EHZ ? Depuis plusieurs années, EHZ essaie de mettre en avant des artistes de la scène musicale locale durant l'année (avec l'organisation du tremplin EHrZ) et pendant le festival, en programmant des artistes tels que Mursego, Napoka Iria... Depuis l'année dernière, nous avons également mis en route deux nouveaux projets IRUDIKATU et SORGIN qui traduisent une volonté de favoriser la création. Naturellement, nous nous retrouvons dans le projet Hogeita qui propose de mettre en avant des artistes et leur travaux. En quoi la culture basque est-elle jeune ? Ce que je peux dire, c'est que tous les jours je vois des jeunes, dans des gaztetxe, dans des associations, dans leur village essayer de faire une différence et proposer des évènements "non-folkloriques" avec souvent plus de détermination que les structures professionnelles. Des jeunes qui me semblent assumer une culture basque moderne en lien avec d'autres cultures aussi. Le manque d'implication des collectivités et le manque de moyens me semble aussi être un frein à l'éclosion d'une dynamique forte. Le processus de création quant à lui n'est pas en reste sur ce manque évident de moyens.

Esperanza Luffiego - Tabakalera

Comment avez-vous vécu cette expérience de juré ? L'expérience a été très intéressante et j'attends que l'ICB continue avec cette initiative, puisqu'il contribue à consolider notre tissu créateur. Des travaux des quatre coins du Pays Basque ont été présentés, avec un niveau plutôt élevé, projets graphiques et audiovisuels. Mon expérience comme juré a été difficile, puisque quelques oeuvres ont spécialement attiré mon attention. Il est très important pour un artiste de recevoir une aide pour pouvoir réaliser son projet, et cela est toujours une grande responsabilité. Mes critères parient sur le risque formel et, à un niveau plus conceptuel, sur une réflexion enrichissante de notre culture, en fuyant des topiques déjà connus. En définitive, la recherche. Dans quelques cas, la confirmation d'un nouveau regard personnel sur la réalité. Quelle est l'influence de l'image sur les jeunes artistes actuels ? Je crois que, de nos jours, surtout chez les jeunes gens, l'image est le paradigme d'accès à la connaissance et à la création, en intégrant les réseaux sociaux pour sa diffusion et interaction avec « l'autre ». Les jeunes créateurs actuels ont vécu entourés d'images. Par conséquent, il est logique que ce soit, pour eux, le milieu d'expression le plus naturel. Mais il y en a certains qui, au-delà des références communes, sont capables de construire un point de vue menant à réfléchir constamment sur la société et le monde dans lequel ils vivent. Est-ce que les différents projets proposés ici ont confirmé le choix fait par Tabakalera de se consacrer à l'art contemporain ? Certains étaient très figuratifs et complaisants avec la culture basque, en récupérant des images déjà connues. Ceux qui m'ont le plus intéressé, sont ceux qui cherchent de nouveaux chemins avec un langage personnel, en se confrontant avec ses propres références culturelles, avec les changements que le numérique provoque dans la création et la consommation culturelle. Dans ce sens, Nader Koochaki est un bon exemple. Tabakalera sera une plate-forme de production mise à une disposition pour tous ces créateurs émergents et non-commerciaux, qui nécessiteront des ressources et un environnement de création interdisciplinaire pour réaliser ses projets, spécialement audiovisuels. J'aimerais ajouter que des projets vidéos, certains d'entre eux très intéressants, n'ont pu être lauréats parce que les artistes n'avaient pas de temps pour la production et la recherche de financement extra avant novembre, qui était le dernier délai. C'est regrettable, puisque des projets comme Hegiz Hegi de Miryam Ayçager, ont été automatiquement écartés.

Eric Dicharry - CPIE

Vous représentez une organisation environnementale. Comment diable vous-êtes-vous retrouvé membre d'un jury artistique ? C’est en effet l’occasion pour l’association des Amis d’Abbadia nouvellement labellisé CPIE (Centre Permanent d’Initiatives pour l’Environnement) de faire le point sur son ancrage historique dans le domaine artistique et culturel. Le Domaine d’Abbadia accueille depuis 1997 des artistes en résidence dans l’ancienne ferme NEKaTOENEa. En coopération avec l’ICB, nous accueillerons cet automne l’écrivain Fernando Morillo du 17 octobre au 27 novembre dans le cadre du programme Hogeita. L'année 2010 est pour nous celle de l'ouverture : nouvelles disciplines culturelles, partenariats avec institutions du Pays Basque sud. C’est certainement en raison de toutes ces fortes implications dans le domaine culturel et artistique que nous avons été contacté pour participer au jury d’Hogeita. Pour le CPIE, la vision globale qui lie environnement et culture dans un sens large du terme est indispensable pour penser le monde d’aujourd’hui. Qu'est-ce qui vous a le plus surpris dans les oeuvres des lauréats ? En tant qu’anthropologue j’ai particulièrement été sensible à la qualité du dossier et au discours qui sous-tend l’approche transversale de Nader Koochaki Etxeberria. Quant à elle, la proposition de Bertrand Dezoteux qui participe au renouvellement du regard que nous pouvons porter sur la société basque est également séduisante. Confronter la société paysanne à la 3D, avec une pointe d’humour décalée qui sous-tend la démarche, ne pourra, je l’espère, laisser insensible ou indifférent le public. Ces différentes propositions artistiques nous confortent dans l’idée que l’intérêt d’une démarche comme Hogeita, qui est précisément de permettre à de jeunes artistes de pouvoir mener à bien des projets, demeure indispensable. Indispensable pour accéder à des manières singulières capables de repenser le monde basque contemporain. Manières d’accéder à un monde basque artistiquement transfiguré. Selon vous, que penserait Antoine d'Abbadie de notre art contemporain à nous ? Antoine d'Abbadie a toujours été sensible aux humanités, aux sciences, aux langues, aux architectures, aux cultures et à l’art en général. Il suffit de visiter son château et son Domaine pour s’en laisser convaincre. Je pense qu’il aurait été un fervent défenseur de l’art contemporain s’il était encore parmi nous. Un mécène qui par ses temps de crise au pluriel (financière, économique, écologique, identitaire…) nous aurait été d’une aide précieuse.

Anne-Marie Jeannou - Berinak

Votre festival Berinak est basé sur l'échange. Quelle a été la marge d'échange entre membres du jury Hogeita ? L’échange ou plutôt pour ma part une rencontre se situe obligatoirement dans une prise de temps. Le temps que je définie comme dernier luxe contemporain, le donner, le prendre, ce temps précieux pose ces moments où peuvent se construire une rencontre, un échange. Lors de cet après-midi à l’ICB avec les membres du jury Hogeita, toutes les conditions étaient présentes. Comment qualifieriez-vous les œuvres présentées par tous les candidats ? Les propositions étaient diverses et hétéroclites. Elles révèlent la perception encore un peu floue que peuvent encore avoir certains créateurs sur l’art vidéo et l’image contemporaine. Mais des recherches artistiques de grandes qualités se sont révélées... qui augurent de la construction d’un beau mouvement d’art contemporain sur notre territoire. Qu'apportent la vidéo et l'image à l'art contemporain ? Je ne parlerais pas d’apport mais de construction. L’art vidéo est un fondement de l’art contemporain à travers des points intrinsèques comme la dématérialisation, l’installation et le protocole de monstration d’une œuvre.

Pantxoa Etxegoin - ICB

Quelle a été, selon vous, la principale différence entre les deux lauréats et le reste des candidats ? Je dois d'abord souligner la candidature de trente-et-un projets, tous d'un bon niveau, ce qui est réjouissant. Le choix a été difficile, le jury était hétéroclite, mais nous sommes arrivés à tomber d'accord. Notre choix s'est porté sur Bertrand Dezoteux, pour son intéressante approche à autrui, et pour la forme moderne en trois dimensions de son film. L'anthropologue Nader Koochaki Etxeberria est, quant à lui, parti d'objets d'antan, une matière qu'il travaille pour son évolution, mais aussi pour titiller l'imagination du spectateur, à travers la photographie et la vidéo. Ce sont là deux projets différents qui appellent à la réflexion... Que donne le projet Hogeita à L'Institut Culturel Basque ? Parmi tant d'autres activités, l'ICB entend soutenir la création artistique, et donner la priorité aux jeunes d'en être les acteurs. Le label Hogeita offre donc, en multipliant les modes d'expression, de la nouveauté à la culture basque. Pour cela, nous allons multiplier les appels à projets, sans oublier les enfants et les adolescents, à qui nous voulons faire connaître la culture basque, par le biais de supports scolaires, avec le soutien d'autres partenaires. Quant à l'art contemporain, qu'apporte-t-il à la culture basque ? Il apporte à la culture basque des formes différentes qui, selon moi, sont attirantes, comme la peinture ou la sculpture, sans oublier les supports médias (vidéos, audiovisuels, etc). Ces artistes changent la culture basque, nous sortent de nos perpétuelles images, pour entrer de la réalité à l'imagination. La culture doit précisément être source d'imagination et d'inspiration. J'ai été agréablement surpris d'apprendre, dans le cadre du projet de Bertrand Dezoteux, la participation d'une centaine d'habitants d'Irissarry, qui ont fait preuve d'ouverture, de simplicité et de confiance, sans en connaître le résultat final. Une véritable cohabitation est née entre les participants. Les frontières entre l'art contemporain et les gens ne sont donc pas infranchissables. Un soupçon de curiosité suffit !