Scènes

Scènes se compose d’un ensemble d’images et se présente comme une œuvre en cours de développement. Il s’agit d’une disposition partielle des pièces d’un ensemble à construire dont les relations existant entre elles sont à imaginer.

Nader Koochaki
Nader Koochaki
Au moment de l’exposition d’un projet encore inachevé, c’est dans un langage en mouvement que l’on s’adresse au public. A travers ce travail, Nader Koochaki propose davantage une formule énonciative plutôt qu’un ensemble d’œuvres en tant que tel.

A partir du choix d’un objet, Scènes s’évertue à mettre en place une méthodologie. Une transformation de l’espace s’opère là-même par le simple repositionnement des éléments. En passant de l’instant photographique à la vidéo, il se produit une tentative de dilatation du temps. Ainsi, la photographie mise de côté, on se trouve face à une exposition devenue une installation vidéo.

Au fil du temps

Xan Aire est parti à la rencontre de Nader Koochaki Etxeberria (1983, Saint-Sébastien), au milieu de la nuit, à Irouleguy (Basse-Navarre), dans un vieux cimetière, alors qu’il tournait là une partie de son projet Scènes. Le jeune artiste a pour but de rechercher la profondeur, plutôt que la beauté.

Il n’est guère tard, mais la nuit est déjà tombée.

Le village d’Irouléguy s’est endormi dans cet horaire d’hiver. Il n’y a pas un chat.

A cette heure-ci, si elle n’est pas encore dans sa voiture, la civilisation actuelle n’a rien à faire dehors. Comme si l’humain avait inventé la lumière pour faire de l’ombre à la nature. Dans le vieux cimetière, pourtant, trois étranges personnages, silencieux, s’affairent au travail. Une lumière jaillit du front de deux d’entre eux, pendant que la bouche du troisième brille. Le jeune artiste Nader KoochakiEtxeberria se trouve parmi eux. Ils ont à faire, l’un monte des barres métalliques, pendant que les autres déchargent de lourdes caisses depuis un fourgon. Une compagne vient d’arriver pour leur donner un coup de main bienvenu. Dans le royaume de la mort, tout est sombre, désolation. Les monuments de la vie dressés là, de différentes époques, rondes puis en croix, en basque puis en français. Deux croix semblables sont voisines, plantées là, toutes blanches. Les noms de famille sont identiques. Comme trahissent deux cœurs et leurs larmes, cela pourrait être le dernier souhait d’un mari et de sa femme, reposer côte-à-côte là, pour l’éternité. Non loin de là, une croix est couchée contre un mur, comme si le temps lui avait permis de se délasser.

Une lumière orangée fend la nuit. Un jeune homme descend du tracteur. Il n’a pas le même langage des quatre personnages, mais ils devront travailler ensemble. Le jeune n’est pas là par plaisir, comme le réclament ses soupirs. Un de ses collègues est venu là, ils commencent à parler, las, contraints. Ils ont amené un groupe électrogène, que les artistes ne tardent pas à mettre en route. Les lumières se sont éclairées en vacillant… avant de s’éteindre. Le groupe ne génère pas assez d’énergie. Le ciel semble avoir convié la pluie, qui plus est. Le regard de Nader Koochaki Etxeberria s’assombrit. Les nerfs ne lui prennent pas le dessus, et le jeune réalisateur improvise une lumière de fortune avec les phares des voitures, trouve un parapluie à la précieuse caméra. Ils avaient mis une heure à monter le décor de lumière et de toile noire. Il faudra tout défaire.

Le jeune artisan monte sur son tracteur. Il semble plus enclin à collaborer, il applique à la lettre les demandes de l’artiste. De sa machine, il a soulevé la croix qui reposait contre le mur et l’a laissée là, suspendue la tête en bas. Nader demande le silence. Il pousse la croix, et commence à filmer. La pierre en mouvement, fait rare. Que de choses murmurées par le vent du sud. Les fuites des feuilles mortes, les cris de détresse des grues, les voyages mécaniques des voitures… Avant que le silence de la nuit ne les recouvre. L’artiste du Guipuzcoa a converti tous ces sujets et objets en agents de son œuvre. Tel est son perpétuel défi. Nader Koochaki Etxeberria fait de la culture et de l’art un concept précis. Ce sont des croisées de chemins. Un gros nœud : chacun tire son fil, du fil de sa vie, de son vécu. N’en déplaise à sa rationalité, le jeune homme est descendu de son tracteur pour prendre des photos, le regard brillant. Magie de l’art.

La croix est de nouveau bousculée. Elle recommence son va-et-vient paisible, telleune vieille pendule de grand-mère, faisant grincer la corde qui la soutient. Une possible image de la mort du temps qui passe, mal du XXIe siècle. Nader a déniché cet endroit en tirant le fil du temps. Voguant à gauche et à droite, effectuant des rencontres décisives. De Saint-Sébastien aux Aldudes, des Aldudes à Irouléguy. Il a baptisé ce court tournage du nom de Scènes. A chaque scène son histoire. C’est une perpétuelle réinvention, adaptation, un enrichissement. Tout comme la culture, tout comme la culture basque: c’est dans le mouvement qu’elle trouve de quoi vivre. De l’aveu de Nader Koochaki Etxeberria, Bideoerretratuaketaargazkierretratuak n’est pas un projet, sinon une vaste esquisse. Il a laissé de côté la photographie, pour ouvrir la voie à la vidéo. Mais il la fera parler de la langue et des codes de la photographie. Chacun aura sa propre interprétation, ou tout le monde trouvera la même, qui sait.

Ceci n’a pas de fin. Les lumières se sont éteintes. Le mystérieux artiste tient là sa matière. Cette œuvre sera encore approfondie par son exposition, creusée et adaptée par la réflexion du public. Il ne recherche pas le plaisir du spectateur, ne souhaite pas servir le beau sur un plateau d’argent. Il n’a pas séduit les jurés de l’appel à projet Hogei’ta de cette manière. Il veut titiller la profondeur du public, voir ce qui en ressortira. Puis le vent du sud le murmurera à Nader Koochaki Etxeberria. Ou les feuilles. Ou bien les grues. Ou bien le jeune artisan. Ceci n’a pas de fin. Dans l’attente de ce que naîtra du produit de sa création. Au fil du temps.

La croix est de nouveau bousculée…

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Biographie

Nader Koochaki Etxeberria est né à Saint Sébastien en 1983. Diplômé en sociologie, il s’éloigne du
format académique à la recherche d’autres modes d’expression et décide de se lancer dans le champ
de l’art. Il travaille maintenant dans les domaines de la vidéo et de la photographie ainsi que dans
celui de l’écriture. Il élabore des agencements culturels en appliquant la notion d’essai à son travail
et à ses méthodes. Lauréat du prix Eremuak, il mène le projet Ehizalerroak avec Ingrid Buchwald. Il a
également remporté le prix de l’artiste du Goierri en 2010. Il vit aujourd’hui à Astigarreta.

Nader Koochaki : "J’aimerais que la photo soit une croisée des chemins"

Une interview de Nader Koochaki réalisée au mois de juin 2011.

Nader Koochaki Etxeberria (1983, Saint Sébastien) lauréat de l’appel à projet Hogei’ta, présente ici son parcours et son projet, ainsi que son image du Pays Basque nord.
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