L'Institut culturel basque a 20 ans (1990-2010)
Une interview de Pantxoa Etchegoin, directeur de l'Institut culturel basque parue dans Enbata (mai 2010).
Chaque AG de l’ICB est pour le Pays Basque un rendez-vous important. Celui du 24 avril 2010 prend un relief particulier puisqu’il est celui des vingt ans de l’institution. Comment est-elle née?
Notre assemblée générale a réuni samedi dernier près de 200 personnes – associations, collectivités locales, institutions – à Bayonne. C’est une réelle satisfaction. Cela démontre qu’après vingt ans d’existence, l’ICB est toujours là, qu’il a toute sa légitimité en Pays Basque, même s’il doit toujours savoir anticiper sur l’avenir et se remettre en question.
Notre Institut a été créé en 1990 sous l’impulsion de la fédération Pizkundea qui a été, durant de longues années, le fer de lance de la culture basque. Celle-ci a participé activement au lancement du Centre culturel du Pays Basque qui a vu le jour en 1984 à Bayonne. Cette première structure ne donnant pas entière satisfaction aux associations, il avait été décidé qu’il y aurait deux structures distinctes, à savoir l’ICB dédié à la culture basque, et le Centre d’action culturelle devenu depuis Scène nationale. En même temps que naissait l’espoir de la création d’un organisme plus adapté aux besoins des associations, avait été créé un Syndicat intercommunal pour le soutien à la culture basque. 136 communes (sur 158 à l’époque) adhérèrent à ce syndicat (elles sont 146 à ce jour). Fort de cet appui déterminant, et grâce aussi à une volonté politique émanant de l’Etat, du Conseil Régional et du Conseil Général des P.-A., les statuts de l’Institut culturel basque avaient été votés au printemps 1990. La ville d’Ustaritz proposa le château Lota comme siège social de la nouvelle association et les deux premiers professionnels, Txomin Héguy et Daniel Landart, commencèrent à y travailler le 1er août. En 1992, Terexa Lekumberri avait été recrutée pour le poste de Responsable sectoriel « Langue basque et patrimoine ». Ainsi furent lancées les premières « Journées du Patimoine » à Irissarry, et en même temps, l’ICB jouera un rôle de « suppléance » dans le domaine linguistique. En effet, sollicité par les municipalités, et ce durant des années, il a assuré un important travail de traduction (panneaux signalétiques, toponymie, etc). A tel point, qu’en 2000, nous avions créé un nouveau poste entièrement consacré au développement de la langue basque. Mais nous étions bien conscients que cela ne suffisait pas et qu’il fallait un véritable organisme chargé uniquement de la langue. Aussi, avons-nous largement contribué à la création, d’abord du Conseil de la langue basque, puis de l’Office Public de la Langue Basque.
Quelles sont les principales étapes de l’ICB ?
S’il faut les résumer à grands traits, je dirais que les premières années de l’ICB étaient essentiellement consacrées aux relations avec les associations, à leur structuration dans le territoire. Tout restait à imaginer à cette époque-là. Dès les premières années de son existence, l’ICB a fait le choix de soutenir activement la littérature basque pour enfants, en créant les magazines Xirrixta et Kometa ; il a produit de nombreux supports de vulgarisation, comme l’exposition sur la langue basque, a généré des initiatives autour des musiques traditionnelles (Festival Herri Uzta, à Ustaritz). Parallèlement, il a participé activement aux travaux du Conseil de développement sur l’aménagement culturel en Pays basque. Je veux rendre hommage ici au travail mené par mon prédécesseur, Txomin Héguy, en tant que premier directeur de l’ICB.
Quand j’ai repris le flambeau en 1997, nous avons continué à privilégier le partenariat avec les associations culturelles basques, et parallèlement, nousavons commencé à mettre en place des programmes pluriannuelsqui ont permis de créer des partenariats durables, en Pays Basque et à l’extérieur, de toucher de nouveaux publics, d’organiser des échanges culturels à travers le monde, tout en y impliquant de nombreux artistes basques. Cela a été le cas pour le programme sur le chant basque « Kantuketan », puis pour « Batekmila, les mondes basques », ou encore « Eleketa », sur la collecte et la valorisation du patrimoine oral. L’ICB s’est fortement engagé pour que la culture basque soit présente dans les nouvelles technologies, et à travers le monde, essentiellement sur Internet. Il a créé un site-portail (www.eke.org) en quatre langues, qui est devenu aujourd’hui une référence, et qui est visité par des milliers d’internautes. Enfin, l’ICB a toujours été un lieu de réflexion pour le devenir de la culture basque, avec son implication dans les projets de territoire, comme récemment Pays Basque 2020.
La mission de l’ICB a-t-elle évoluée depuis la mise en œuvre de l’Office public de la langue basque ?
L’ICB a proposé pendant quinze ans un service en faveur de la langue basque, car il n’y avait pas de structure publique pour mener une politique linguistique pérenne, qui s’occuperait par exemple d’enseignement, des médias, ou encore de la présence de l’euskara dans la vie publique et sociale. Pour moi, il est impensable de séparer la langue et la culture basques, le socle de cette dernière étant l’euskara. Mais avec la création de l’Office public de la langue basque qui a en charge la politique linguistique en Pays Basque – un pas important pour l’euskara -, l’Institut culturel basque peut désormais se consacrer à l’action culturelle et artistique. Il est vrai que la création de l’Office Public a engendré pour nous des changements, en interne et en externe. Celui-ci a pris à son compte les actions en faveur de l’utilisation de la langue basque dans les services publics, ou encore le suivi des traductions techniques pour les différentes collectivités et institutions. Quant à l’ICB, nous avons su rebondir, avec un renforcement du service spectacle vivant, de la médiation culturelle, entre autres au travers des nouvelles technologies. Plus récemment, nous nous sommes engagés sur un programme-phare de collecte et de valorisation du patrimoine oral en Iparralde.
Aujourd’hui, je pense que les deux institutions sont tout à fait nécessaires. Chacun doit jouer son rôle. Pas de concurrence, mais de la complémentarité pour que la langue et la culture basques en sortent gagnantes. C’est cela l’essentiel.
Parmi les financeurs de l’ICB, le syndicat intercommunal de soutien à la culture basque joue un rôle particulier. Ce syndicat de communes, au-delà de se substituer à la collectivité territoriale Iparralde qui n’existe pas, est-il un relais sur le terrain des actions de l’ICB ?
Cela était vrai en 1990, il l’est d’autant plus aujourd’hui : au travers du Syndicat, les communes, au-delà de nous apporter une aide financière, sont primordiales pour l’ICB, car elles nous donnent une caution morale. Ces communes qui étaient encore fortement représentées cette année à notre A.G. font confiance à notre institution pour le soutien au développement de la culture basque dans leurs territoires respectifs. Je dois rajouter que les communautés de communes joueront un rôle de plus en plus important en matière culturelle. Beaucoup d’entre elles y prennent la compétence. C’est une bonne chose si l’on veut mutualiser les moyens et donner un réel rayonnement à la culture qui est pour moi, un formidable levier de développement – humain et économique - dans un territoire. Mais la place des associations culturelles ne doit pas être occultée pour autant. Celles-ci sont incontournables. Il faut donc trouver des nouvelles formes de partenariats, et des modes de fonctionnement qui permettent une complémentarité dans les savoir-faire et les compétences. Dans le cadre de ses nouvelles missions, l’ICB se propose de renforcer son rôle de pôle-ressources de la culture basque et de conseiller les communes et les communautés de communes dans l’élaboration de leurs politiques culturelles. Le Syndicat intercommunal pour le soutien à la culture basque sera l’un de nos principaux interlocuteurs.
Quelles sont les relations de l’ICB et les institutions d’Hegoalde, Euskadi et Navarre ?
C’est, je pense, un des points significatifs pour l’ICB : ces relations culturelles Outre-Bidassoa se sont renforcées, tout particulièrement avec Hegoalde. De tout temps, nous avons entretenu des relations de travail fructueuses avec les services du Gouvernement basque. Cela a commencé, entre autres, avec les enquêtes socio-linguistiques. 2002 a été une année importante, puisque nous avons signé avec le Gouvernement basque une convention de partenariat pour développer les relations transfrontalières. Celle-ci est toujours d’actualité.
Aujourd’hui, l’Institut culturel basque a de plus en plus de relations avec le Sud. Celles-ci se sont particulièrement renforcées, avec des expositions itinérantes comme « Kantuketan » ou « Batekmila – Euskal munduak » que nous avons réalisées et diffusées en Hegoalde. Autour de ces programmes, nous avons mis plusieurs actions en place, pour faire connaître les artistes d’Iparralde outre-Bidassoa, et vice-versa. Je citerai en exemple la programmation, depuis près de 10 ans, du cycle « Iparraldea Bertan », au Centre Koldo Mitxelena de Saint Sébastien, en partenariat avec la Diputation de Gipuzkoa, ou encore les relations avec Getxo, Andoain, Gernika, Azpeitia, Durango, Bilbo, etc. Ces relations sont malheureusement moins intenses avec la Navarre, même si nous avons par exemple des projets avec l’Université publique de Navarre sur le patrimoine oral. Petit à petit, nous sommes en train de développer des nouveaux réseaux. Cependant, beaucoup reste encore à faire, pour dissiper nos « frontières psychologiques ». Pour cela, nous devons davantage travailler sur des projets communs.
Sommes-nous sorti de la défiance de l’Etat vis-à-vis des objectifs de l’ICB structurellement bâti sur le monde culturel basque ?
Oui, je l’espère. Le soutien appuyé à notre institut par les différents représentants institutionnels, lors de notre AG, nous conforte en ce sens. En 2007, nous avons fait l’objet d’un rapport d’évaluation commandité par la Direction des Affaires culturelles d’Aquitaine, pour faire un diagnostic sur les actions de l’ICB, et pour redéfinir certaines de nos missions. Sur le moment, cela a été une dure épreuve. En effet, à la demande du Conseil des Élus, nous avions élaboré, avec la participation des associations culturelles, un document de référence sur le devenir de la culture basque intitulé « Devenir ensemble ». Il avait été validé par les différentes institutions publiques, pour l’intégrer dans le programme du Projet de territoire Pays Basque 2020. C’est à ce moment là que, parallèlement, un inspecteur de la culture, en la personne de André Ladousse, était nommé pour faire cette évaluation. Nous n’arrivions pas à comprendre l’objectif précis de cette mission. Certes, comme tout rapport évaluant près de 20 ans de fonctionnement d’une institution, il y a des points forts, des points faibles, sur les actions menées par l’ICB. Mais globalement, le rapport Ladousse a pointé la nécessité pour l’ICB de passer à la vitesse supérieure, de « grandir » car globalement il souligne la forte légitimité de notre institut, et surtout il nous invite, par des pistes de travail constructives, à nous remettre en question sur certaines de nos missions.
Dès lors, nous n’avons pas perdu notre temps. De nombreuses réflexions sur la redéfinition des missions de l’ICB ont été menées avec les représentants des institutions et le Conseil d’administration de l’ICB, dont notre président, Mikel Erramouspé qui s’est beaucoup investi dans la démarche. Aujourd’hui, nous sommes dans la phase de concrétisation de ces réflexions.
L’Assemblée de samedi dernier 24 avril, au-delà du quitus de l’exercice écoulé, est-elle donc la marque d’un nouveau rebond ?
Sans aucun doute. Ce qui a été décidé par notre Conseil d’administration et présenté lors de la dernière Assemblée générale, c’est que l’ICB devienne, tant pour les collectivités locales (communes, communautés de communes,…) que pour les différentes institutions publiques, un référent privilégié pour une plus grande prise en compte de la culture basque dans les politiques publiques. Il doit jouer un rôle de conseils, d’expertise, voire d’accompagnement de projets culturels collectifs. Ce qui nécessiteraun temps d’expérimentation, et une connaissance approfondie de l’environnement socio-culturel du Pays Basque. D’où le recrutement avant la fin de l’année d’un responsable de «Politiques culturelles publiques », au sein de l’ICB. Parallèlement, il continuera à soutenir l’accompagnement des acteurs culturels (associations amateurs et professionnelles, artistes, etc.), tout en étant à l’initiative de certains projets. Ainsi, un label d’action intitulé « Hogei’ta » sera lancé dans les prochains mois, pour favoriser l’émergence de créations artistiques innovantes initiées par les jeunes.
Ainsi, l’ICB compte beaucoup sur les partenariats, sur les projets partagés, pour que notre patrimoine commun soit transmis à nos jeunes générations, et reste toujours vivant. Depuis sa création, il a acquis en interne des compétences professionnelles solides qui lui permettent de se projeter, avec ambition et humilité, vingt ans...après.