Journal de bord de la seconde résidence

Claudia Llamas et Camille Riverti, deux étudiantes de l’EHESS, sont associées au projet "D’una lenga l’autra - Traversées musicales de la Soule au Limousin" afin de réaliser un suivi ethnographique du processus de création. Elles se portent ainsi en grand témoin du processus créatif, l’analysent, le décortiquent. Voici leur second journal de bord.

Jour 1, le 01.08.18

L'arrivée au château

Départ en voiture de la Ville de Bayonne vers les terres intérieures du Pays Basque, la Soule. Sur la route, Frank et Marion, chargés du projet (ICB), nous font goûter quelques structures du basque (euskaldun, le locuteur du basque signifie littéralement celui qui possède le basque). Mise en bouche des périples de cette deuxième résidence : la conversation s'oriente vers les ikastola, écoles associatives proposant un enseignement complet en langue basque. Lieu de tension car les effectifs étudiants augmentent sans que le nombre d’enseignants ne suive cette progression exponentielle. Cette fois-ci, Nicole, l’épouse du directeur artistique, est partie prenante de la résidence : elle nous est introduite comme « un regard extérieur » à la création.

Devant le château de Gotein-Libarrenx, une partie de la troupe basco-occitane nous attend : Mixel, Pierre, Maika et Bernard. Ils sont accompagnés d'une figure importante de la littérature basque : Itxaro Borda poète, écrivaine, ex-postière, et co-fondatrice de la Revue littéraire basque Maiatz. La représentation est déjà dans les esprits : « comment faire le lien entre Marcelle [Delpastre], Itxaro et nous » (Mixel).

Mixel nous reçoit avec chaleur et nous fait un tour verbal du village à renfort de gestes. Il signale le château, sa ferme, sa maison, la place où se joue la compétition de pelote. Le château et lui, c'est une histoire intime : avant d'être vendue à la commune dans les années 1970, l'immense bâtisse appartenait à une famille désargentée et proche de son grand-père. Réaménagé en gîte - où nous logerons - le château héberge cet été-là des personnes en situation de handicap : ils seront les premiers témoins et spectateurs de la création.

On découvre le château de Gotein-Libarrenx, l’ombre de son parc, ses perrons en pierre. On y pénètre, le parquet craque et grince. Déjà du matériel sonore pour ces artistes : « à enregistrer » suggère Bernard à Pierre.

Hélène arrivera plus tard à cause d’une panne de train.

La conversation : le complexe des langues

A l'ombre de la terrasse, la table est prête. Sur la table, des livres de Marcelle Delpastre, de Jan dau Meilhau, d’Itxaro, dossiers et feuilles calligraphiées par Bernard. Des biscuits, du café, de la bière limousine. Pierre, avec son micro.

S'anime une conversation entre la troupe d'artistes et l'écrivaine : les langues avant tout. Et, surtout, le « complexe de langues » (Pierre), ce sentiment d'être étranger quand on parle. Valse des langues régionales, des récits d'enfance, des accents et les discriminations, les petites hontes et les exigences puristes castratrices. Défilent des noms des grands intellectuels, Roland Barthes, Jacques Derrida, Pierre Bourdieu, René Char. Leur accent, les manèges d'effacement de certains. On critique la sacralisation fantasmée d'une langue basque unique, d'une nation unique. « Révolution, changement de propriétaire ! » s’écrie Bernard Combi.

Des langues au système câblé et centraliste il n'y a qu'un pas. « La langue donnait la lumière » (Itxaro) « c'est E.D.F. qui donne la lumière maintenant ! » réplique Bernard. On reproche aux (plus si) nouvelles technologies - la télé, l'ordinateur - de niveler les choses et d'écraser les langues.

Mixel entonne un chant basque, rejoint par Maika et Itxaro. Une chanson-chronique du XVème siècle, longue d'une vingtaine de couplets, racontant l'assassinat d'un jeune homme en contexte de rivalité entre des familles de l'époque. Le « trail » de Marie Sans (?), le chant Berterretche (Berterretxe). Ils discutent en basque puis Mixel explique.

Le déjeuner : des langues au politique

Installés à l'intérieur du château pour le déjeuner, la conversation suit son cours avec entrain. En trame de fond des langues, inévitablement, la politique. En l'occurrence, l’ETA. On évoque la violence de l'organisation, le gâchis des hommes toujours en prison, le silence sur ce milieu macho, la victimisation sélective. « Est-ce que dans toutes les victimes on inclut aussi ceux dont a justifié militairement et tactiquement la mort ? » interroge Itxaro. Les références et les dates sont communes et partagées : c'est l'histoire politique de la région. L'ambiance de la terreur se joue aussi dans l'activité de la traduction. « On ne se sentait pas autorisés à traduire nos chants en français » (Itxaro). Faut-il traduire pour élargir la portée ou ne pas traduire pour ne pas jouer le jeu de la langue dominante ?

Arrivée de Nicole pour le café, la voiture chargée du matériel de mise en scène. On décharge. Des meubles de récup', « rien à plus de douze euros » plaisante Mixel. Des tables, une structure de porte, un tabouret rembourré, deux lampes à pied, un panier rempli de petites lampes, des chaises. Le parti pris est celui de l'utilité, de la simplicité, du minimalisme. Les lampes sont importantes : elles éclaireront la scène et éviteront le recours au projecteurs.

On se met d’accord du programme de l'après-midi autour d’un itinéraire territorial. Deux lieux emblématiques : l’école associative ikastola et l’emplacement de la stèle discoïdale du chant traditionnel basque Berterretche.

La stèle discoïdale du chant Berterretche

On part en voiture. Mixel salue au klaxon les personnes sur la route. Enthousiaste, il nous parle de sa vallée, montre ici une ferme, là le buste d’un poète qui l’a inspiré car il inventait des chansons que Mixel s’imaginait très anciennes. On s’arrête à un croisement de trois routes, entre deux collines. Quelques maisons, les montagnes à l’horizon. La stèle discoïdale est posée sur le bas-côté. Mixel la mouille avec de l’eau : un personnage s’en dégage, le jeune homme assassiné de la chanson. Père et fille s'y mettent à deux voix. Berterretche résonne dans la vallée.

Un peu plus loin, deux hommes s’arrêtent de travailler et écoutent. Applaudissent. La cinquantaine, bottes en caoutchouc jusqu'aux genoux, pelles à la main. Les artistes s'approchent et discutent avec eux, on les rejoint. Ils parlent basque. L'un d'eux reconnaît Maika : il adore une de ses interprétations qui passe à la radio. Maika la lui chante en direct.

Il se souvient d'une tragédie locale : dans les années 70, en contexte de pastorale représentant Berterretche, deux jeunes filles trouvent la mort. Fiction et réalité se mêlent. Requête pour l’arrêt de la pastorale : on la joue malgré tout, les rancœurs s'attisent au village. Au dessus du muret l’homme pointe du doigt une vieille maison de la colline d’en face : son ancienne école. Il explique qu’enfant il regardait par-dessus le muret, au cas où, si l’école aurait - par miracle ! - brûlé dans la nuit (violence ? car bascophone ? non exprimé mais suggéré). « On a tous un peu rêvé que les écoles brûlent » ajoute Bernard.

On est tous invités à prendre le café. Passionné de cloches. Prise de conscience : il a prêté ses cloches pour une pastorale dont Itxaro était l'auteure ! Rires. Notre hôte nous raconte l'histoire de l’acquisition d'une magnifique série du XIXème siècle. Ils sortent la collection de cloches de deux paniers, comme un trésor. Des cloches grosses, des cloches petites, avec anse, sculptées, pointées, portant un morceau de bois à l'intérieur, un os. Cloches pour animaux (joayac ?), pour l'église (campana), pour les mascarades (xinxa). Ils les font résonner. Polyphonie.

L'ikastola

Notre parcours nous conduit à l’ikastola, l'école associative bascophone locale. C'est leur œuvre, une œuvre collective construite par Itxaro, Mixel et des militants basques dans une ancienne ferme. Enfant Maika y a appris un an. Hélène est arrivée. On se met à discuter. Itxaro raconte son processus d’écriture intégratif. Guichetière à la poste, elle intègre les histoires que les gens viennent y déverser, prend parfois des notes sur le vif.

Bernard et Itxaro chaussent leurs lunettes et lisent un poème de Marcelle Delpastre à deux voix (français et occitan). Mixel lève les mains et les tourne silencieusement (à la façon des applaudissements des indignés espagnols ?). En fin de poésie il sonne la petite cloche du mur de l'école. Rythme. Ça évoque tour à tour une séance de méditation, du yoga, ou un ring de boxe.

Pastiche de pastorale

Sur le chemin de retour, on passe devant le stade municipal où est installée la scène et les gradins pour le théâtre villageois, la pastorale, qui « raconte du local ». La pastorale est dans l’air : la résidence a lieu pile poil dans l’intermède entre les deux représentations annuelles. Elle fait partie du bagage local : Mixel, Nicole et Itxaro en ont écrites, Maika y a joué.

La tentation est forte. Mixel se gare, grimpe sur la scène. Suivi par Itxaro, ils improvisent une pastorale expresse (pour qui, les ethnographes ? pour eux ? Bernard ?). Ils en exposent le squelette narratif. Les voilà, bâtons en main, marchant et déclamant. Les bâtons tournoient, défient, sont posés. Tour à tour ils font défiler les rôles, les « chrétiens » (les gentils), les « turcs » (les méchants), le metteur en scène, son interaction avec l’orchestre. Ouverture, défi, bataille et mort du héros. Ils montrent les manières de faire, de déclamer, de marcher et parodient les acteurs trop exaltés. Assis un peu plus loin, sur les gradins, Maika, Hélène et Pierre les accompagnent de leur voix en chantant et font office de chœur. Un condensé de théâtre en dix minutes. Echos et contre-échos avec la représentation théâtrale en cours...

Après ce long périple, arrivée au château. La partie de pelote basque, sur la petite place devant, concentre les attentions. Jeunes corps sportifs, rythme de la balle frappée sur le mur. Les parents de Nicole, et grands-parents de Maika, sont là, fidèles spectateurs du sport régional.

Répétition nocturne

Première répétition dans les conditions du spectacle : sur le parvis, avec des petites marches, le château en arrière-plan, ouverture sur le jardin. Mise en scène de l’intérieur d’une maison : deux tables, des meubles bas, des lampes, des tableaux de famille contre le mur. Devant l’emplacement du public, une arche avec une ampoule suspendue en guise de porte d’entrée ferme la scène. Ambiance nocturne, on teste les lumières. Nicole orchestre l’espace et place les artistes. A chacun sa chaise, son tabouret, sa caisse. On ne se déplace pas inutilement : contre-écho de la pastorale où la marche est la base du jeu de l’acteur. Juste à côté, un groupe de résidents, discutent avec des animateurs du planning de la soirée.

Jour 2, le 02.08.18

Le matin, Mixel, premier arrivé, nous rejoint dans l’immense jardin pendant que nous prenons des notes. Il raconte l’histoire de cette prairie qui hébergea une pastorale ; le festival Xiru qu’il organise depuis une trentaines d’années ; des sculptures pour « remettre les arbres debout par l’art ».

Conversation : une ébauche d’ordre

Autour d’une table à l’ombre d’un arbre, réunion entre les artistes. On essaye de mettre les choses en place pour le spectacle. Quand allumer ? Quand arriver et d’où ? Maika, sur les pas de sa mère Nicole, prends les devant. Elle préfère commencer par « les mots de Delpastre » que par « les sons de Vivi [Pierre Vissler] ». Elle choisit les emplacements des « blocs », des aphorismes de Bernard. D’une voix grave et théâtrale elle s’exclame : « ah non ! on n’en veut plus de Delpastre ! » quand Bernard, insatiable, accumule les textes. Mais, en fin de compte, si quelqu’un doit décider, « c’est Nicole », la metteuse en scène.

Une journaliste prend place autour de la table : envoyée par Radiokultura, radio bilingue franco-basque, elle souhaite faire des entretiens aux artistes. Elle prend entre ses mains une feuille calligraphiée par Bernard, Mixel avertit avec humour : « ça c’est cher ».

Sur une feuille blanche, Mixel note l’ébauche de la structure qui se dessine. Pour chaque scène, un « bloc » articulé autour d’un poème, d’une chanson. Tuilages entre « les fruits de la terre », « le tracteur », « ivresse », « final en polyphonie musicale »… Un chien aboie sans cesse au loin. Instruments, poèmes et chansons tournoient : Bernard avec son balafon portatile en bois joue pour proposer « et ça qu’est-ce que vous en pensez ? ». « On essaie » : Maika et Mixel le suivent à la voix et à la flûte. Est-ce que l’harmonium ne va pas détonner ? Mixel pointe un endroit où superposer deux morceaux. Bernard, à propos de cet instrument indien : « le problème avec les indiens c’est qu’ils ont tout fait en dièse. C’est emmerdant avec les flûtes de Mixel ». Mixel sort une des flûtes tel Marry Poppins, plus ou moins longues, plus ou moins épaisses. Il en trouve une qui « est accordée avec pas grand monde à part avec Bernard ».

Répétition sur le parvis

Focus sur le chant de la Saint-Jean, chant basque réinventé par Mixel. Rythmé pour danser en chaîne à la façon d’un branle. On décide de le répéter sur scène. On se déplace sur la terrasse à l’arrière du château où est installée cette fois-ci la scène. Les répétitions suivent la trajectoire du soleil pesant et des ombres. A genoux sous la structure de porte, Bernard, les bras en l’air, supplicant. Bernard, Hélène, Maika, en arc de cercle derrière lui chantent et dansent. Affaire de coordination : il faut que les voix des uns et les gestes des autres soient « calés » au mot près insiste Maika car « nous, on danse ». Ajout d’un nouveau bloc, autour du poème de Serge Pey, sur la liberté : « Graffiti ». Bernard scande au son d’un tambour, Mixel ajoute un hautbois bombarde, au son bourdonnant, très libre elle aussi.

Après le repas, session de sélection d’aphorismes dans le salon du château, bien installés au fond de petits fauteuils bas et rembourrés. Les aphorismes, ces formules denses et concises, sont collectionnées avec passion par Bernard. Il faut trier, éliminer de la matière. Mixel, dossier sur les genoux, les récite un par un. Face à lui, Maika et Hélène, juges, donnent leur verdict. Oh, oui, non, diverses catégories pour un consensus pas toujours facile. Nicole arrive au beau milieu : « T’inquiète Nicole, on n’a pas beaucoup avancé sans toi ! » l’accueille Hélène en rigolant.

Répétition dans le jardin

Installation de la scène dans le jardin en quête d’ombre. La troupe est au complet : Pierre nous a rejoint. Les résidents, curieux, s’approchent. Mixel leur montre ses instruments et prend le temps d’expliquer ce qu’ils sont, leur nom, leur son, leurs notes.

D’abord, la scène du tracteur de Bernard. Il fait écouter le son du tracteur qu’il a composé « style le manège enchanté ». Que veut-il faire avec ce son ? Maika et Hélène insistent pour qu’il expose sa vision des choses. C’est pour « ridiculiser la technique » avec un bruit un peu « imbécile » (Bernard). Ensuite, les sons de Pierre. Il fait écouter les extraits qu’il a sélectionnés, ceux de la première résidence en Limousin et ceux de la veille. Résonnent les voix des habitants rencontrés, des conversations tenues. Réactions, modulations, ajustements : « trop tôt », « trop long », « lourdingue pour le début ». Problème principal : excès de matière. Excès de matière commune et propre à chacun, littéraire de Delpastre, sonore de Pierre, les aphorismes de Bernard, le long chant Berterretche…

Travail en petits groupes. Distribution de l’espace et des activités. Mixel et Bernard, sur la table, autour des aphorismes. Maika et Hélène répètent en duo « le premier pas me fût donné… ». Pierre, les oreilles dans ses enregistrements. Les blagues fusent à son sujet : « Faut aller débrancher Vivi car il va péter un plomb » (Benard), renchéri par Mixel « il est en train de chauffer ».

Tentative de structuration des scènes. Différents espaces de négociation tantôt collectifs, tantôt duaux. « A moi il me tarde de voir le spectacle entier » dit Nicole car « on sent qu’il y a plein de chose mais on ne voit rien ! ». Question de méthodologie, tension entre l’oralité et l’écrit. On s’organise « soit sur papier, soit en faisant » (Mixel). Mais la liste du matin-même est momentanément égarée. « Moi je ne sais pas ce qu’il y a sur le papier » (Nicole) / « moi je sais mais j’ai pas le papier » (Mixel) / « On est bien mal barrés ! » (Nicole).

L’après-midi se poursuit, d’improvisations en répétitions.

Dîner dans le bar du camping

Mixel Maika et Nicole connaissent bien les gérants du bar. Anniversaire de Pierre, on trinque ! « Et dire qu’après on va faire un filage… » (Maika). En terrasse, autour d’une table, division de genre : les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. Après les premières tentatives de coordination, les différences entre les approches artistiques des uns et des autres sont saillantes, mises à l’épreuve. « On ne fait pas la même chose » dit Maika, traçant une ligne de partage entre les musiciens d’un côté, Hélène et elle de l’autre. Le par cœur des comédiennes, l’improvisation des musiciens.

Le repas se finit en musique. A la façon des bertsulari, Mixel improvise des couplets au chant de la Saint-Jean (narrant les aventures de ce projet artistique ?). Maika et Hélène ont les mots de la fin « la Nonchalante, la Nonchalante, on va pas s’quitter comme ça… Ils disent c’qu’ils veulent, nous on s’en va… ».

Jour 3, le 03.08.18

Répétition matinale

Ce matin, deux reporters de France 3 Aquitaine munis d’une grande caméra assistent à la répétition. Dans le jardin, journalistes et ethnographes tournoient autour des artistes. Surcharge du matériel technologique (rivalité ?). Accumulation progressive de présences gravitant autour de la scène : le regard extérieur de Nicole, les ethnographes, Radiokultura, les journalistes. Demande de deux interviews pour la télévision : Maika et Bernard choisis. Bernard car « c’est l’invité » disent les reporters, le représentant du Limousin, « une espèce rare » ajoute Maika.

Répétition avec Nicole

Débat sur les mots enregistrés par Pierre : polémique au sein de l’équipe. Les mots d’autres personnes, si enregistrés et rediffusés, leur sont-ils attribuables ? Au nom de qui fait-on écouter les enregistrements ? Question de la place des personnes dans le projet et dans le spectacle final. Pour Maika, « ce qu’on dit sur scène il faut le porter ».

Les hommes, musiciens, instruments, improvisateurs, anarchiques versus les femmes, la voix, le texte, structurent, organisent ?

L’enchaînement se construit. « Ets aites », un poème mis en musique d’Itxaro, « qu’est-ce qu’on va faire après ? ». Maika se concentre sur l’architecture globale du spectacle, sur le propos soutenu tout du long. Nicole supprime des éléments, le « tour du village final ». Consignes spatiales : la scène est une maison, on y entre via la porte - figurée par l’arche - et on y reste. Bernard franchit des murs imaginaires, Nicole proteste : « moi la maison je me l’imagine ! ». Pas d’histoire, mais une maison, un ancrage, un premier (le premier ?) territoire.

Nouveau filage.

Le spectacle

C’est le grand soir. Scène installée sur le parvis du château. En face, une centaine de chaises en plastique, en file. On attend du monde. En préliminaire, apéro en terrasse pour les artistes et les bénévoles de l’association Abotia. Ambiance conviviale, les gens se connaissent. Peu à peu les invités arrivent, le public se remplit. A la dernière minute, dans la salle des instruments, Bernard note la liste et l’ordre des scènes, redoutant peut-être de ne pas s’en souvenir.

Le spectacle commence. Maika et Hélène entrent dans la scène par la structure faisant office de porte d’entrée de la maison. Public silencieux, attentif. Tout de suite, Bernard se démarque. Sa performance suscite des rires dans le public, des applaudissements. A la fin de la danse de la Saint-Jean, la structure de porte menace de tomber, rattrapée de justesse par Mixel. Nicole, assise au milieu du public, lève les bras au ciel, affectée. Hélène ouvre la séquence suivante et joue avec l’imprévu, levant les yeux sur cette porte imprévisible, feignant l’inquiétude.

Impact de la performance de Bernard sur le public. Décalage entre la marge d’improvisation de Bernard et celle des autres artistes qui se tiennent davantage à ce qui a été répété au cours de la résidence. Comment gérer les différences de jeu entre tous ? Une scène en particulier semble impacter le public : « Graffiti ». Bernard y interprète le texte de Serge Pey qui dénonce les injustices du monde. Il déclame le texte, puissant, fort, criant parfois, volume dans la voix. Il dépasse les limites de la scène, s’approche du public, se penche sur eux. En donnant des intenses coups de tambour. Dans le public certains semblent impressionnés, une dame se bouche les oreilles. D’autres paraissent intrigués, amusés, sourire aux lèvres. Dans la scène suivante, Maika et Hélène chantent tout en douceur, comme pour apaiser l'électricité et caresser les oreilles du public. Cf Nicole la veille, au bar : avec Bernard « il n’y pas besoin d’autre chose, c’est tout ». Sa présence est en quelque sorte déjà suffisante. C’est l’invité, véritablement, (cf entretien du matin France 3), celui qui s'occupe d’incarner la différence, dans la langue, dans le jeu sur scène.

Claudia Llamas, Camille Riverti