Le tir à la corde

Laissez traîner une corde au milieu d'un groupe d'enfants, très vite un, puis deux autres s'en saisiront pour tirer, et les renforts successifs s'ajouteront d'un côté et de l'autre, de manière à équilibrer l'exercice.

Soka-tira
Soka-tira
C'est donc une épreuve bien naturelle. On fera référence au battage de blé, unique occasion de l'année, qui réunissait une vingtaine de bonshommes  en pleine force de l'âge. Et il y avait toujours, à disposition, la grosse corde qui servait à arrimer le foin ou les gerbes de blé. Cela a donné par la suite, l'occasion de constituer des équipes de quartier ou de village, qui se défiaient à l'occasion des fêtes. Avec le souper à la clé.

Comme les jeux de balle, le tir à la corde semble avoir été un exercice de base. Des fresques de Saqqarra, en Egypte, le représentent, on le retrouve dans les pays du nord de l'Europe, les Chinois même, s'y adonnaient au XIIème siècle. On pouvait ainsi comparer la force des clans, des tribus, des entités seigneuriales, ce n'était donc pas une épreuve anodine.
Dans la Grèce antique, elle faisait partie des Olympiades, si bien que les Jeux Olympiques modernes le comptèrent comme épreuve officielle de 1900 à 1920. mais il était difficile de concilier les techniques et les poids, le tir à la corde disparut donc de la scène internationale.

Une fédération internationale

Il fallut attendre 1964 pour voir se créer TWIF, la Fédération Internationale du tir à la corde. Sous l'impulsion de l'Anglais G.Hutton, elle définit les règles essentielles de ce jeu qui devient donc un sport.
Voici les principales dispositions :
- aires de tir : le gazon et tapis en caoutchouc,
- la taille de la corde: 100 à 120mm de diamètre, 33m de longueur,
- les catégories de poids (équipes de 8 tireurs) : Super-plumes (480kg), Plumes (520kg), Légers (560kg), Mi-moyens (600kg), Moyens (640kg), Mi-lourds (680kg), Lourds (720kg, et au-delà),
- la manière de saisir la corde, la possibilité pour le dernier tireur d'enrouler la corde autour de son corps, les semelles des chaussures, sans pointes ni crampons,
- le rôle et la place des entraîneurs et des soigneurs.
Pour la petite histoire, à l'instar des boxeurs, les tireurs n'ont pas le droit de se peser tout nus, histoire de gagner quelques grammes.

A partir de là, on peut comparer les performances. La seule compétition de prestige, sans limite de poids  perdure à Saint-Palais, où certains éléments tournent autour de 140kg.

Les équipes basques dans le concert mondial

Iparralde, le Pays Basque Nord, va adopter ces règles; ce sera surtout l'apanage de Napurrak d'Espelette, le plus constant dans l'effort de recherche, même si récemment des clubs comme Souraïde ou Briscous ont entrepris avec bonheur une approche très sportive de l'épreuve.

Il a bien fallu « s'y mettre », décortiquer les techniques de ceux du Sud, s'entraîner, car les valeurs naturelles ne suffisaient plus. Trouver aussi des chaussures avec une semelle adhérente. Cela a été une révolution sportive, mais aussi intellectuelle: on n'est pas les plus forts parce qu'on est intrinsèquement les plus costauds, mais bien optimiser cette force. C'est la différence entre un jeu et un sport.

Si l'on observe les photos des années 50, on voit des hommes tirer debout à la « va comme-je-te-pousse », tournés vers l'avant, vers l'arrière, pieds nus, chaussés de sandales (la semelle à plat, le pied à côté !) ou encore avec de mauvais godillots. La différence sur l'image actuelle est saisissante : tireurs parfaitement parallèles, penchés en arrière, pratiquement couchés.

Il y avait beaucoup de chemin a accomplir, les premières confrontations avec des Biscayens comme Nuarbe ou Motrico, préparés professionnellement, tournèrent à la déroute. Quelques poignées de secondes sur le tapis, et on était prêt à reprendre le bus du retour !

Il a d'ailleurs fallu attendre ces dernières années pour voir des équipes basques figurer en bonne position dans le concert mondial. Les Britanniques entre autres sont très forts, dans un domaine où, comme à la hache, on pensait bien être les meilleurs. Les entraînements se font toutes les semaines, on court, on soulève de la fonte, et, surtout, grâce à un système de mât et de poulies, on soulève sans cesse, un énorme bloc de fer et de béton, à 3m au dessus du sol. Cela permet de contrôler la traction, de tirer, d'arrêter, de repartir, de relâcher. Cela donne ensuite des luttes âpres et magnifiques, dans une épreuve que l'on pourrait penser très simpliste.

Chaque équipe de huit tireurs, se campe pieds au sol, et penchée en arrière, tentera dans un premier temps de contenir la traction adverse. Cela paraît simple. En fait, c'est un effort collectif, il faut donc coordonner les efforts de tous. Pour cela, un entraîneur se déplace le long de la cordée, et tel un chef de rame, imprimera le rythme, ordonnera de tenir ou de tirer d'un coup, ou encore d'arracher. A lui, de juger à lil et aux indices fournis par les vibrations de la corde, le bon moment. Il faudra entraîner les adversaires sur 2,50m, sans toucher le sol avec les fesses, ou la cuisse avec le coude : les juges peuvent disqualifier pour faute technique. Sur herbe, on peut rester longtemps, 5 ou 10 minutes, le talon enfoncé, guettant la moindre faiblesse de l'adversaire. Sur un tapis, la technique prévaut à l'inertie, il suffit de perturber la coordination des adversaires, le « décrochage » intervient assez rapidement. On dispute deux manches, les équipes changeant de côté; en cas d'égalité, le temps mis tranchera. Pour simplifier, on organise parfois dans ce cas, une « belle ».

Le caractère collectif, la dureté de l'effort, l'incertitude de la victoire qui tarde à basculer d'un côté ou de l'autre font que le tir à la corde demeure l'épreuve reine de toute confrontation.