Voyage dans l'Argentine d'aujourd'hui

"C'est dans les centres basques que la culture reste vivante. Les plus anciens possèdent un trinquet et un restaurant où la cuisine basque est une référence : celui du centre basque français de Buenos Aires est cité dans les guides comme faisant partie des trois meilleures tables de la capitale. Tous ont une librairie, des cuisines et des salles de cours ou de réunion qui se transforment, les jours d'affluence, en salle à manger et en piste de danse. Le tournoi de mus, le groupe de danses, la chorale ou les conférences "Connaissance du Pays Basque" dispensées par les nombreux et très actifs universitaires d'origine basque sont des institutions qui permettent de maintenir des liens par des rencontres régulières. Phénomène nouveau, près de 600 personnes étudient avec ferveur la langue de leurs ancêtres. C'est la génération des moins de trente ans qui effectue aujourd'hui ce retour aux sources".

Kepa Etchandy, novembre 2004

Le rêve de tout migrant est de retourner au pays. Rêve bien souvent sans lendemain On essaie alors d'en conserver une image en l'embellissant, parfois même en la mythifiant. Ce besoin d'identité, de repères, de racines est perceptible chez tout émigré devenu immigré. Il s'exprime avec une force particulière chez les Basques d'Argentine.

"Un pays riche peuplé de gens pauvres"

Buenos Aires, le 26 janvier 2002 : à Buenos Aires et dans les principales villes des vingt-quatre provinces argentines, des dizaines de milliers de manifestants descendent dans la rue.

Photo: Kepa Etchandy
Photo: Kepa Etchandy
Ils frappent bruyamment des casseroles pour protester contre le blocage de l'épargne, contre la corruption des politiciens et, globalement, contre la crise sans précédent qui secoue l'Argentine en banqueroute.

Des hommes, des femmes, des enfants, des employés, des chômeurs, des retraités expriment leur ras-le-bol et leur détresse en criant : «qu'ils s'en aillent tous !».

 

 

 

 

Photo de l'exposition "Euskaldunen Argentina"
Photo de l'exposition "Euskaldunen Argentina"
La dictature militaire (1976-1983), l'hyper-inflation (1989-1991), les réformes libérales de Carlos Menem (1989-1999 : privatisation du secteur public au profit de multinationales, parité entre le peso et le dollar), la pression très forte du Fonds Monétaire International sur le gouvernement argentin pour le remboursement de sa dette publique et la crise monétaire, économique et sociale de 2001-2002 ont affaibli considérablement la société argentine.

Aujourd'hui, l'Argentine semble retrouver peu à peu une certaine confiance et les campagnes émergent plus facilement de la crise que les villes. Malgré des mesures économiques draconiennes et une lutte contre la corruption depuis l'accession au pouvoir en 2003 du président Nestor Kichner, la situation reste très fragile : 21 % de la population est au chômage, 20% est exclu des services minimum de l'Etat (eau, électricité, scolarité). Certains descendants de Basques affrontent mieux la crise grâce aux biens acquis par leurs grands-parents ou arrière-grands parents. Cela entraîne la panique des marchés financiers mondiaux, l'appauvrissement des classes moyennes, l'effondrement de la classe ouvrière, de nombreuses contestations populaires (les piqueteros, mouvement de chômeurs en lutte pour des aides publiques et du travail, la «révolte des casseroles») et des pillages de magasins.

Etre Basque en Argentine

L'identité basque ne cesse, depuis les années 1930, d'affirmer sa singularité.

Le mouvement nationaliste basque, présent en Argentine dès le début du XXe siècle, organise en 1935 la première journée de la patrie basque ou aberri eguna. La guerre civile d'Espagne et la défaite des Républicains provoquent, à la fin des années 1930, l'arrivée de réfugiés du Pays basque d'Espagne. Le comité inmigración pro vasca, installé en 1941 par le président d'ascendance basque Ortiz, va permettre leur accueil.

Ce flux de population favorise des initiatives nouvelles en faveur de la langue et de la culture basques :

  • 1988: Naissance d'Eusko Kultur Etxea ou Eusketxea, sous l'impulsion du centre Laurak Bat. Conférences, publications dont le premier numéro des Cahiers ou Cuadernos Eusketxe /Eusketxe azi-idazkiak en 1993

  • 1983: Fundacion Vasco Argentina Juan de Garay. Recherches historiques et généalogiques, conférences, expositions artistiques, publication Los Vascos-Euskaldunak, distinctions honorifiques annuelles

  • 1993: Instituto Vasco Argentino de Cooperación y Desarollo, institut basco-argentin pour la coopération et le développement mis en place par le gouvernement de la Communauté Autonome Basque

  • 1942: Éditions Ekin spécialisées dans les dictionnaires et ouvrages en langue basque

  • 1943: Institut Américain des Etudes Basques. Publication de 1950 à 1993 dun bulletin trimestriel de travaux scientifiques

  • 1944: Société Euskaltzalea. Cours de basque, concours de traductions, diffusion du journal Euzko Deia

  • 1949: Euskararen Eguna, journée de la langue basque

  • 1955: FEVA, fédération des centres basques d'Argentine. Apparition des premières semanas vascas

  • 1972: Première semana nacional vasca à Villa Maria, dans la province de Cordoba... et dans le monde


Les neuf centres basques d'Uruguay ont aujourdhui leur propre fédération (FIVU) ainsi que les trente-huit d'Amérique du Nord (NABO). Depuis 1995, les centres basques organisent des congrès mondiaux. A leur demande, la Société d'Études Basques Eusko Ikaskuntza a mis en place un réseau d'internautes baptisé Euskosare pour développer des liens et des échanges entre tous les Basques de la planète. La Société d'Études Basques possède également une publication électronique Euskonews&media dont une rubrique, KOSMOpolita, est dédiée à la présence basque dans le monde.Avec l'extension de la diaspora basque vers d'autres pays, de nouveaux centres apparaissent à partir de 1950.

HABE, organe d'apprentissage de la langue basque, dispense des cours d'euskara aux centres basques par le biais d'internet. Des rencontres sportives (pelote) ou culturelles (festivals de musique et de danse, fêtes basques, tournois de mus) permettent aux Basques du monde entier de se rencontrer et de partager leur culture.

L'Argentine, eldorado des Basques ?

Le mythe de l'Eldorado argentin repose sur quelques réussites éclatantes.

La figure emblématique est incarnée par Pierre Luro de Gamarthe (1820-1890), fondateur de la ville de Mar del Plata, surnommé hogoitahameka «trente et un» (au mus, jeu de cartes très pratiqué par les Basques, le 31 est toujours vainqueur). Les Basques ont donné à l'Argentine des présidents, intellectuels, hommes politiques et financiers.

Toutefois, si l'émigration basque en Argentine a enfanté d'extraordinaires réussites, elle a pourvu pour le plus grand nombre les différentes couches sociales, des métayers ou des ouvriers les plus modestes aux grands propriétaires terriens ou capitaines d'industrie.

Les phénomènes d'émigration et d'immigration des Basques méritent d'être encore mieux connus. Euskal Argentina, l'Association pour la Maison de la Mémoire de l'Emigration, l'association franco-argentine des Béarnais «renouent des liens et les développent entre les Basques et les Béarnais émigrés en Argentine et dans les Pays du Rio de la Plata et ceux restés au pays». L'Université de Pau et des Pays de l'Adour est à l'initiative dun programme de recherche sur l'«émigration et présence basco-béarnaise aux Amériques ». L'ensemble de ce mouvement participe à une véritable prise de conscience de l'importance du phénomène migratoire entre les Pyrénées-Atlantiques et l'Amérique et plus particulièrement l'Argentine.

"L'Argentine des Basques" contribue à la (re)connaissance et au réveil de cette mémoire effacée par la distance et le temps.

Le retour

Une minorité de Basques est rentrée « au pays ». Il existe quelques traces architecturales du retour des «Américains» à Bayonne, Ustaritz, Saint-Jean-Pied-de-Port... Certaines de ces maisons ont un caractère assez ostentatoire qui montre que l'on a « réussi ».

Les témoignages sont unanimes : le retour de l'émigré au pays natal ne peut, ne doit se faire que si l'on a « fait fortune ». Sinon il est vécu par la personne et son entourage comme un échec.

Ainsi, le stéréotype du Basque d'Argentine et plus généralement du Basque d'Amérique, correspond souvent à «l'oncle dAmérique » ou maintenant au grand-oncle voire arrière grand-oncle qui a travaillé dur pour faire fortune.