Correspondances
Extraits de lettres de trois frères à leur maison natale
Ferrando Batita, et Pierre Errecart, trois frères d'une fratrie de quatre nés à la maison Abotia à ISPOURE, entre 1890 et 1894, émigrent séparément en Argentine de 1910 à 1913 et envoient une cinquantaine de lettres à leur frère aîné et à leur famille entre 1920 et 1956.
Batita, «major d'homme» ou régisseur d'exploitation agricole, évoque son travail. Le 16 décembre 1923, il signe déjà «Bautista».
« Cette année est très bonne, les blés poussent bien, nous en avons semé 34 ha qui dans huit jours seront bons à être battus et les 20 ha de maïs ont pris un bon départ. Avec Graciana, nous trayons 30 vaches à nous deux, nous faisons toutes sortes de travaux pour y arriver, tout a beaucoup changé par rapport à autrefois, les loyers ont augmenté, celui qui veut acheter doit payer cher et celui qui vend doit le faire à bas prix ».
Le 15 juillet 1929, Pierre parle de décès et de naissance ainsi que de la venue du député Ybarnégaray « ... notre mère est donc décédée, ces nouvelles font de la peine, mais que faire quand vient l'heure, il n'y a pas de remède, comme c'est la coutume là je pense que vous avez fait donner des messes de notre part, j'enverrai le prix des messes quand quelqu'un viendra d'ici au pays. Pour parler d'un autre sujet, j'ai appris avec bonheur que ta femme avait eu une fille. Je ne sais pas si tu l'as su mais je dois te dire que j'ai vu Ybarnégaray ici : à plusieurs Basques nous lui avons offert un dîner mais il était très occupé et il a passé peu de temps avec nous ».
Le 22 janvier 1931, il décrit le travail des 3 frères et s'enquiert de la construction du fronton dIspoure : « ... moi, je fais toujours le même travail (chauffeur de taxi à Buenos Aires). Bien qu'actuellement on ne gagne pas beaucoup, on a une bonne vie. Il semble que Ferrando soit content, il trait 4 vaches, il travaille mais gagne bien sa vie. Batita par contre n'a pas de chance cette année avec les récoltes, je pense qu'il t'écrit lui même. ... tu m'as écrit que le nouveau fronton d'Ispoure était en construction, je l'avais lu dans les journaux ici, mais envoie-moi des détails, comment ils le construisent, est-ce un trinquet ou une place libre, quels sont les pilotaris actuels ».
Le 30 Septembre 1931, Pierre évoque son travail et la situation économique en Argentine : « ... ici il y a une très grande misère, beaucoup de gens sont sans travail, les salaires ont été réduits de beaucoup, il faut quand même être content d'avoir du travail, notre activité connaît la crise et à force de travailler, on arrive tout juste à payer les frais, on ne peut faire rien d'autre, parce que les choses vont mal pour tous. ... nous avons toujours les nouvelles par ceux qui arrivent du pays mais envoie-les tout de même en détail... ».
Le 28 décembre 1935, il précise à son frère de la maison natale que Batita ne parle plus beaucoup le basque « ... Chez Batita ils disent qu'ils nécrivent pas parce qu'ils parlent peu le basque et qu'ils l'ont presque oublié ».
Pierre signe « Pedro » le 26 Juin 1938 et parle de la situation politique en Europe : « pour parler de politique en Europe, beaucoup de vacarme mais moi je crois qu'il ne se passera rien et je pense qu'ici nous sommes au fait de vos nouvelles plus que vous même. A mon avis, ce ne sont que des marchandages malsains entre gouvernements et fabricants d'armes et de canons ; l'Angleterre est particulièrement impliquée et l'Espagne aussi, la production y tourne à plein régime et ils font en sorte que cela dure pour faire du négoce ».
Le 15 janvier 1946, il parle de la situation d'après-guerre : « ...Je pense aussi que vous en avez enduré pendant la guerre, quand les Allemands ont occupé la France. Ici certains ont eu des nouvelles, dont des mauvaises , qu'il ny a pas de vêtements, ni de nourriture et que ce qu'il y a est très cher. Mais à présent je pense que si les bateaux viennent jusqu'ici, ils emmèneront beaucoup de marchandises, car bien que tout soit ici aussi devenu cher on trouve de tout en quantité ».
Le 15 mai 1946, Pierre écrit qu'il envoie, de la part des 3 frères, des vêtements et des tissus : « ... donc, comme tu dis qu'il y a beaucoup de misère dans le pays et qu'on ne trouve pas ce que l'on veut, on envoie des vêtements et de la nourriture dans des caisses. Jusqu'à maintenant, comme il y avait peu de bateaux, il fallait attendre son tour. Ici on dit qu'avant d'arriver à bon port, de nombreuses caisses se perdent et qu'on vole beaucoup dans d'autres caisses. De ce fait, nous aussi nous envoyons, de la part des 3 frères, une caisse avec quelques vêtements : au total 19 pièces et 5 mètres de tissu pour les femmes, on ne peut pas envoyer plus à la fois. Il est interdit d'envoyer du fil et des aiguilles mais j'ai mis en cachette 3 bobines de fil et des aiguilles dans la petite poche d'un pantalon, en ce qui concerne les mesures vous allez vous arranger. Si vous les recevez, écrivez-nous et par la suite nous vous enverrons une autre caisse pour l'hiver. Ecrivez-nous ce dont vous avez besoin de plus urgent, en nous donnant grosso modo quelques mesures ».
Dans sa lettre du 28 septembre 1946, Batita fait ses excuses car il n'écrit pas bien en basque : « A présent vous allez m'excuser d'écrire mal en basque, parce que je l'ai complètement oublié... ».
Le 7 juillet 1948, Ferrando parle de la situation économique : « Ici, jusqu'à présent, nous n'avons pas beaucoup souffert car nous étions loin de la guerre, mais maintenant les choses se compliquent et le coût de la vie augmente car les gens produisent moins. Mais ce problème concerne le monde entier, il faut prendre les choses comme elles arrivent ; nous, nous ne pouvons y porter remède »
Extraits de lettres de Christoph Bernard à ses parents (1911 et 1914)
Celui qui signe Christoph est appelé «Cristobal» en Argentine et «Tristan» par sa famille du Pays Basque. De parents métayers, Christoph est placé domestique à Saint-Etienne-de-Baigorry dès son plus jeune âge. Il est le seul des 9 enfants à émigrer en Argentine vers 1910. Selon sa plus jeune soeur, les lettres qu'il écrit de Chascomus sont rédigées par quelqu'un d'autre.
Le 22 mars 1911, il demande à ses parents d'envoyer ses deux frères en Argentine : « quand Beñat rentrera du service militaire si vous voulez envoyer avec lui l'autre frère qui a fait sa communion, à partir de maintenant il se trouve dans le meilleur âge, n'ayez pas peur qu'il soit trop jeune, jusqu'à ce que l'autre frère revienne du service militaire vous pouvez l'envoyer à l'école, cela lui servira par la suite ».
Quelques jours plus tard, le 27 mars 1911, il renseigne son frère Beñat sur les conditions de travail en Argentine : « mon cher frère les lieux ici ne sont pas comparables avec ceux de là-bas pour des gens travailleurs ici aussi il faut travailler mais il y a d'autres facilités et en plus le salaire est différent, tu arrives ici et tout de suite tu gagnes 50 ou 60 francs de là sans rien connaître au travail et après à mesure que tu apprends à travailler ton salaire augmente ».
En septembre de la même année, il conseille ses parents sur les vêtements à emporter : « ce n'est pas la peine d'emporter trop de pantalons et de caleçons mais des chemises et des tricots et ce genre de vêtements aussi costauds que possible, et pour moi aussi si vous voulez envoyer quelques chemises j'en serai très content parce que ceux d'ici sont beaucoup moins costauds, un tricot ou autre aussi ».
A cause de la guerre, aucun des ses frères ne rejoindra Christoph.
Le 15 juillet 1914, il dépeint à son père (sa mère est morte vers 1912) une situation économique difficile: « Ici c'est une mauvaise année et il y a bon nombre de personnes qui sont dans une misère terrible ; beaucoup s'en vont d'ici vers d'autres endroits puisqu'il n'y a pas suffisamment de travail ».
Après 1914, la famille de Christoph ne reçoit plus ses lettres