Denis Laborde (1959, Bayonne, Labourd) est ethnologue, directeur de recherche au CNRS, directeur d’études à l’EHESS, et membre de la commission culture à la Fondation de France. Collaborateur de longue date de l’ICB, il a désormais pour projet un centre de recherche des musiques du monde sur Bayonne. Il revient ici sur un parcours personnel aussi riche que chaotique, empreint d’ironie.
Avez-vous grandi dans une famille impliquée pour la culture basque ?
Absolument pas ! J’ai grandi à Anglet, mon père travaillait dans l’entreprise familiale de charpenterie, à Biarritz. Ma mère est angloye, fille d’un père gascon, et d’une mère venue ici lors de grands mouvements migratoires de la guerre de 14. Mon père était très impliqué dans la vie sociale sportive locale. L’Aviron Bayonnais, L’Anglet Olympique… Très extraverti, il donnait beaucoup de temps pour ses clubs. Et moi aussi, j’ai grandi là-dedans…
Cela vous plaisait ?
Oui, j’étais bon, donc j’aimais cela ! Mais j’ai eu quelques soucis de santé, et j’ai dû y renoncer. Ma mère m’avait heureusement inscrit au Conservatoire de Bayonne, où j’ai intensifié ma pratique du piano. J’ai parallèlement effectué mes études au lycée Villa Pia, où la composante basque de mon identité a fait surface. Du côté de mon père, ma grand-mère était une enfant de l’assistance publique, de Paris, qui a été placée dans une famille de St Pée sur Nivelle. Ce qui fait qu’elle parlait mieux basque que français ! Même si à moi, on ne m’a jamais parlé basque…
Pourquoi ?
Parce que c’était la langue du secret. Je découvre maintenant une configuration familiale un peu compliquée, avec des évènements qui se sont déroulés dans ces générations d’un monde hyper catholique du Pays Basque intérieur, qui n’était pas tout-à-fait dans les normes… Ma grand-mère parlait beaucoup de tout cela avec des amis qui venaient la voir. J’étais témoin de ces conversations, qui se déroulaient en basque, et je comprenais que l’on y disait des choses auxquelles je ne devais pas avoir accès. Je n’ai pas fait d’effort pour comprendre cette langue. C’était quelque part la langue du déni. Et mon père était dans la même dynamique que sa mère. Les seuls moments où il me parlait basque, c’était quand je jouais à l’Aviron, sur le terrain ! Cela lui sortait bizarrement pendant les entraînements, les matches.
Et vous ne lui avez jamais demandé pourquoi ?
A ma grand-mère, surtout, parce que c’était elle qui transmettait le flambeau de cette langue. L’explication officielle était que le basque ne servait à rien ; il fallait que je sois bon en français pour « avoir une situation »… C’est le schéma classique, mais je crois qu’il y avait des mécanismes plus profonds, cachés dans son histoire personnelle.
Des traumatismes ?
Oui, des traumatismes liés à l’école, où elle ne parlait pas bien français. Elle parlait spontanément basque, c’était la langue de la maison. Je ne l’ai jamais entendue jurer en français ! A l’école, elle a dû subir les punitions, mais trouvait cela normal, parce que c’était pour leur réussite sociale. Mais cela reste fascinant ! J’ai mis du temps à me demander pourquoi cela avait été si facile, pour les instituteurs, de faire intégrer cela à des enfants. Cette domination culturelle aussi forte…
Et quelles sont vos conclusions ?
On les retrouve dans ma thèse, La mémoire et l’instant (2005, Elkar)! J’y ai pris ma revanche ! Mais je porte en moi la douleur de ne pas parler basque. Cela me manque énormément, et me bloque aussi dans mon rapport aux autres langues. J’ai vécu pas mal en Allemagne, travaille énormément en anglais… Depuis le temps, je devrais parler ces langues couramment ! Je sais, au fond de moi, c’est la langue basque qui manque. J’ai redécouvert cela au lycée, avec des gens du Pays Basque intérieur qui étaient dans ma classe. Des Aldudes, d’Arnéguy, de Soule… J’essayais, avec eux, de faire ressortir quelque chose de basque ! Puis je passais aussi presque toutes mes vacances à Ahusquy, où cela ne parlait que basque… J’ai donc eu des ancrages très forts, mais ponctuels, et pas forcément cohérents. Ce n’était pas nécessairement en quête d’une identité basque. Parce que j’avais également mon parcours dans la musique qui était très fort, et je sentais que ces deux monde n’allaient pas forcément bien ensemble.
Mais pour quelle raison ?
C’est une question de domination culturelle assez claire. En Iparralde, l’idée de faire de la musique était liée à une certaine forme d’excellence, certes relative, mais qui est tout de même un marqueur, puisqu’il s’agit de musique classique. Je me souviens, en 1977, lorsque j’ai eu un prix du Ministère de la Culture au Conservatoire, de Jean Haritschelhar qui, bizarrement, avait tenu le discours de la cérémonie. Il y avait revendiqué des institutions et un statut pour la langue basque, ce qui était en décalage dans le contexte ! Mais cela avait éveillé ma curiosité : pourquoi ne pourrait-on pas parler basque et être musicien ? Je me suis malgré tout installé à Paris, pour des études de musique classique, au Conservatoire National Supérieur de Musique. J’ai suivi un cursus d’écriture. J’ai pourtant essayé le piano, mais ils n’ont pas compris que j’étais génial !
Comment vous sentiez-vous, dans ce monde si particulier ?
En décalage ! Quand j’étais au Pays Basque, je me sentais musicien, et vice-versa. Mais, en même temps, le Conservatoire était mon monde. J’ai dirigé des orchestres, des chœurs, et passé un Certificat d’Aptitude pour enseigner dans les Conservatoires. Je suis resté très longtemps à Cergy-Pontoise, en banlieue parisienne.
Et la culture basque, dans tout cela ?
Cela n’existait pas du tout !
Il fallait y renoncer ?
Oui, complètement. Toutes les références étaient parisiennes, allemandes, italiennes, et puis cela débouche sur des cursus internationaux. Alors, pour ma part, j’ai complètement oublié le Pays Basque. J’ai enchaîné sur une carrière de chef d’orchestre en musique contemporaine, ce qui était très exaltant. Puis voilà que le Ministère de la Culture, dirigé par Jack Lang, me contacte pour institutionnaliser un ensemble vocal, de chambre choral-contemporain, dans le but d’irriguer le territoire français en concert de qualité, et d’en faire aussi des marqueurs d’une excellence, pour des tournées à l’étranger. Et c’est là que j’ai débuté un travail réflexif, avec une crise identitaire assez caractéristique de l’entrée à l’âge adulte, vers 23, 24 ans. J’ai commencé à interroger ma grand-mère. Et j’ai refusé la proposition du Ministère. Je me suis mis à apprendre l’euskara, et à suivre des études d’anthropologie. Malheureusement, je ne parle toujours pas basque. Je devine plus que je ne comprends, à part à l’écrit, où je me débrouille. Et, bizarrement, lors de ces lectures, c’est comme si la musique d’enfance revenait.
Vous vous y sentez bien, alors…
Ah oui ! Je considère l’euskara comme mienne, alors que je ne la parle pas. Je n’ai qu’une crainte : que l’on s’adresse à moi en basque ! Et, paradoxalement, lors du championnat de bertsolari, par exemple, je me sens à la maison.
Mais cette singularité basque ne vous a rien apporté dans le monde musical parisien ?
Rien du tout. C’est vraiment deux mondes séparés. Ou c’est peut-être moi qui les ai séparés. Il y en a qui arrivent à gérer tout cela… Mais moi, non. Vers 24 ans, je suis allé au Musée des Arts et Traditions Populaires, dirigé par Maguy Andral, qui connaissait un peu le terrain, au Pays Basque, pour y avoir enquêté. C’est grâce à elle que j’ai mieux connu Jean Haritschelhar. Et j’ai préparé un diplôme en Sciences Sociales, tout en interrogeant ma grand-mère. Avec ma femme, Martine, qui m’a accompagné partout, nous avions dans l’idée de réaliser une monographie sur la basse vallée de la Nivelle. Nous avons enregistré des chants, dans le but de connaître les pratiques familiales et domestiques. Ma grand-mère ne comprenait vraiment pas pourquoi je m’intéressais à tout cela ! C’est par mon regard qu’elle a pu le contempler autrement. Nous avons rencontré des personnages incroyables : un dénommé Txistu, à St Pée ; Brigitte Delpech, à Sare, qui avait bien connu Barandiaran. La famille Laduche, à Ascain, où cela a été plus difficile : ils chantaient énormément, mais entre eux. J’étais en même temps déçu, mais très compréhensif. Puis j’ai rencontré le bertsolari Fermin Mihura, et cela a tout changé. J’étais fasciné par la pratique du bertsolarisme, et j’ai laissé tomber notre monographie pour écrire ma thèse évoquée précédemment.
Par quoi étiez-vous fasciné, exactement ?
Par le tour de magie de cette performance. En même temps que Mihura, j’ai connu Jean-Louis Laka, avec qui j’ai également eu des échanges très forts. J’ai commencé à m’informer, et me suis rendu compte que les gens s’intéressaient beaucoup à l’aspect poétique, parce que, malheureusement pour eux, ils parlaient basque ! C’est devenu une chance pour moi de ne pas parler l’euskara, parce que je repérais ainsi des choses que les euskaldun ne percevaient pas. Je me suis beaucoup intéressé à la musique. Xanpun, avec qui j’ai énormément parlé, me disait que le bertsolarisme n’était pas intéressant, parce que trop spontané : « ça vous vient comme l’envie de roter », disait-il ! Je me suis rendu compte qu’il y a eu un saut de génération, avec des bertsolari comme Xanpun, Xalbador, Mattin, qui ont grandi là-dedans, et se sont totalement approprié cette langue si particulière du bertsolarisme. Mais ils l’ont tellement habitée, qu’ils ne se sont plus posé la question de la structure formelle. Puis il y a des gens comme Laka, ou Mihura, qui n’ont pas exactement cette démarche-là : c’est plus du militantisme, pour que le bertsolarisme continue à vivre. C’est d’ailleurs cette génération-là qui a assuré une étape pédagogique fondamentale. Mihura, lui, a débuté le bertsolarisme à trente ans, avec un complexe gigantesque par rapport à la génération précédente. C’était quelqu’un de très gentil, timide, introverti, qui passait un temps fou à améliorer ses performances de mémoire en inventant des petits trucs.
Des repères de mémoire ?
Oui, d’une part pour que les rimes lui viennent plus facilement, et d’autre part, pour travailler l’image du bertso au moment où il improvise. C’est étrange, parce que l’on retrouve ces schémas chez les rhéteurs romains, comme Quintilien ou Cicéron, pour garder le fil de son idée. A cette époque, on ne maîtrisait pas toujours l’écrit, alors on usait de telles stratégies pour ne pas se perdre en route. C’est une association entre la mnémotechnie et la structuration formelle du discours. C’est cela que l’on retrouvait chez Mihura. Or, je ne pense pas qu’il ait lu Cicéron, et c’est ce côté instinctif qui m’a fasciné. En Hegoalde, je n’ai pas retrouvé de personnage aussi atypique, parce que là-bas, les bertsolari voient le bertso écrit. Ce qui peut amener une certaine coupure vis-à-vis du public. Malgré tout, grâce au bertsolarisme, j’ai pu entrer en dialogue avec des gens qui s’intéressent à l’action située, ou, en d’autres termes, l’engagement dans l’action. Comment prête-t-on attention à l’environnement pour s’y ajuster, ou pas ? C’est l’un des ressorts fondamental de la communication sociale. Et il m’était plus facile d’aborder ce point avec une personne moins spontanée, comme Mihura, plutôt qu’avec Xanpun.
C’est bizarre qu’une pratique comme le bertsolarisme trouve une place dans la société actuelle…
Tout est bizarre, au Pays Basque ! Mais c’est vrai que dans les canons esthétiques, médiatiques actuels, cela serait voué à disparaître. C’est juste un moment de communion intense, de partage collectif. On se rassemble autour de la langue, puis il y a un moment de concentration intense. Le silence de treize mille spectateurs, au moment où Maialen Lujanbio improvise, c’est fabuleux ! Le déclenchement des applaudissements à la fin, comme catharsis de cette tension de l’écoute, c’est magnifique. Je me dis qu’un peuple qui est capable d’écouter d’une manière aussi intense ne peut pas disparaître.
Vous évoquez là deux moments précis sans paroles…
C’est la dramatisation de la prise de parole. Pour parler, il faut savoir se taire, et c’est ainsi que l’on construit un dialogue. On a pris l’habitude de dire que le bertsolari évoque tout haut ce que tout le monde pense tout bas… Mais tout le monde comprend, dans le silence, cette part de vécu basque qui ne peut pas toujours se dire, mais que l’on partage. La présence très intense des prisonniers politiques, par exemple. Quant aux applaudissements, ils font partie de l’improvisation. Ce n’est pas une sanction, mais plutôt une manière de dire : « nous improvisons avec toi ; si nous n’étions pas là, tu n’improviserais pas ». C’est une construction collective, ce qui fait du bertsolarisme un art éminemment social.
On commence à parler d’identité… Pourtant, c’est plutôt dur d’en parler aujourd’hui, non ?
Ah non, il n’y a que cela ! Sarkozy, Valls en parlent très bien… Apparemment, l’identité Rom ou basque ne leur posent pas problème… Eux savent ce que c’est !
Et nous, euskaldun, en sommes-nous capables d’en parler ?Oui, mais très mal ! L’identité est un mot-outil, et on lui fait dire ce que l’on a envie. Les Basques sont des terroristes, par exemple. On peut s’en servir pour dénaturer, ou pour justifier des actions. Nous sortons de deux siècles de construction de l’Europe des Nations, où chacune a essayé de se construire une identité en repérant des traits culturels particuliers. La France d’après-révolution, par exemple, autour de valeurs démocratiques, où, pour donner à chacun sa chance, il fallait éliminer toutes les différences. Chaque nation a aussi écrit son histoire pour justifier son identité. Et la nation basque n’a pas échappé à cela ! Il fallait un drapeau, on s’est doté d’emblèmes… pour montrer que c’était cela, l’identité basque. En même temps, on est très mal à l’aise par rapport à la langue. Et je ne crois pas que la pelote, le bertsolarisme soient spécifiquement basques. On les retrouve ailleurs, sous des formes différentes. Par contre, il existe une manière basque de vivre les relations sociales. De faire exister la pelote ou le bertsolarisme comme un moment de rencontre social qui est propre aux gens d’ici. Je me souviens des paroles du chanoine Lafitte, lorsque je lui avais évoqué mon intérêt pour les chansons traditionnelles basques : « j’espère que vous ne vous attendez à rien d’original ! ». Il m’avait dit que la plupart des chants sont des troupes napoléoniennes qui ont laissé cela ici, et dont nous nous sommes appropriés. Il exagérait un peu, mais cela a orienté mon approche de l’identité vers un angle plus constructiviste. Au lieu de considérer que l’identité réside dans des objets, voir que la forme relationnelle à l’objet est plus importante. Le lien à l’objet, et surtout le lien entre les personnes par rapport à l’objet, fait un désir d’identification commun que l’on va appeler culture basque. L’identité basque est dans le désir partagé de faire de certaines choses des marqueurs communs.
Et la langue, dans tout cela ?
La langue est le premier des marqueurs d’une identité.
Mais pourquoi n’arrive-t-on pas à une volonté commune cohérente, par rapport à la langue ?
Déjà, c’est une langue difficile… Ou plutôt différente. Quoi qu’il en soit, il n’y a aucune valorisation sociale de l’euskara. Elle n’est jamais perçue comme un atout, que ce soit dans le monde économique, alors que cela pourrait être un plus. Dans ce registre, l’alsacien est enseigné partout, parce qu’elle permet de trouver du travail de l’autre côté de la frontière, par exemple. Puis la non-valorisation de la langue basque est l’outil par excellence des politiques français pour empêcher tout développement de cette région. Ils font semblant de dépenser beaucoup d’énergie avec toute sorte d’outils, alors que rendre la langue officielle serait le plus efficace. Le rapport à la langue est fondamental, et l’Etat l’a très bien compris. Parler basque reste un acte militant. Mais cela n’empêche pas qu’il y a un manque de confiance chez les euskaldun. Cependant, il faudra bien comprendre qu’il sera fondamental d’utiliser aussi l’euskara comme une langue de communication, pour montrer à tout le monde qu’elle existe. Un usage décomplexé, et plus pragmatique de la langue : si elle ne vit pas ici, elle ne vivra nulle part, et c’est aussi cela qui la rend spécifique. Puis on reproche aux euskaldun leur fermeture, alors que s’il y a des polyglottes ici, ce sont eux ! Il n’est pas rare de voir un euskaldun parler trois, quatre langues… Mais un cadre institutionnel reste un facteur essentiel, déterminant.
Mais que faire, en attendant ce cadre ?
Il faut bien voter…
Il faut voter abertzale ?
C’est vous qui voyez… Je me prononce en fonction de ce qui est important pour moi dans les programmes des gens. Et si j’estime que la langue est une chose importante, il me semble que je vais déjà aller vers ceux qui osent faire des tracts bilingues. Plutôt que vers ceux qui se disent être en faveur de la langue basque… mais leurs signes d’encouragement sont tellement minimes, qu’il s’agit plus d’alibis que d’autre chose. Je crois d’ailleurs que les institutions ont leur importance, sont capables de rassembler plus large. Mais en attendant, le meilleur moyen de faire pression à ce sujet, c’est de parler la langue.
Est-ce aux abertzale de représenter une communauté linguistique ?
On aimerait que cela soit autre, que l’UMP y soit très sensible. Mais il faut bien constater la réalité. Les institutions n’ont pas suivi l’évolution des mentalités. Le drame, c’est d’assimiler la revendication de la langue basque à des partis abertzale, mais il faut aussi prendre compte que ce sont les seuls qui prennent cela comme un enjeu vital.
Il reste tout de même un travail pédagogique à faire…
Oui, il faudra persuader, à défaut de convaincre, que la langue basque continue à exister est important pour l’humanité ; que cela se passe ici, et qu’ils ont la possibilité de faire quelque chose.
En quoi est-ce important pour l’humanité ?
C’est une richesse d’un monde encore divers. Je trouve important qu’il y ait encore des signes de distinction, que tout ne soit pas uniformisé, même si cela ne me gêne pas de travailler en anglais sur beaucoup de plans personnels. Mais au niveau de l’interaction, des échanges, de la vie, c’est intéressant de se confronter à une variété culturelle, donc linguistique.
Nous sommes là dans un paradigme écologique ?
Oui. Ce sont les paradigmes de l’UNESCO, ce qui a l’avantage de toucher plus de monde, de constituer des groupes de travail, et appliquer des politiques mondiales, ce qui peut inciter les institutions à évoluer. En même temps, le danger, c’est que, pour l’UNESCO, il s’agit là d’un intérêt qui relève plus d’un inventaire mondial, plutôt que de la richesse des interactions au niveau local. Par contre, on se focalise beaucoup sur la langue, mais il ne faut pas oublier une chose : la création artistique, qui est fondamentale à la culture. Je cite d’ailleurs Paul Veyne, dans mon livre : une culture est bien morte quand on la défend, au lieu de l’inventer.
A ce propos, vous avez un projet de centre de recherche…
J’ai dans l’idée d’implanter sur Bayonne un centre de recherche sur les musiques du monde. J’espère ainsi apporter plusieurs problématiques. D’abord, celle qui consiste à questionner "les musiques du monde" à partir d'un territoire (basque) où la musique tient une place très importante dans la vie sociale. Ensuite, je dois dire qu'il existe peu de centres de recherche sur ce thème dans le monde alors que c'est un problème mondial, et je dois dire aussi que les centres de recherche qui existent sont souvent désarticulés de la société, ce qui n’arrange en rien une méfiance générale vis-à-vis des institutions. J’aimerais donc connecter le projet à des outils déjà présents: recherche, enseignement, diffusion, pôle de documentation, rencontres avec les publics les plus divers, invitations de chercheurs, résidence d'artistes, organisation d'activités extra-scolaires... Enfin, il y a une problématique dont on parle peu, celle de toutes les personnes du monde universitaire ou du monde artistique, qui sont parties d’ici, qui rêvent de revenir et qui sont persuadés qu'il n'y a pas de place pour eux au Pays Basque ou qui pensent ne pas avoir l’énergie nécessaire pour créer des choses nouvelles ici. Tout ce monde meurt d’envie de revenir, mais n’en voit pas la possibilité. La semaine dernière, à Tours, j'ai rencontré une musicienne de très haut niveau qui vit et exerce à Paris, qui vient de Biarritz et ne sait pas comment offrir au Pays Basque son talent et les compétences qu'elle a acquises. Elle avait les larmes aux yeux quand j'ai évoqué avec elle ce projet d'Institut. C'est un témoignage supplémentaire: avec un projet comme ce centre de recherche, j’aimerais ouvrir une brèche qui serve à décomplexer ce monde, à ouvrir un champ des possibles pour que ce pays prenne conscience de sa richesse humaine.