Xabier Elosegi (1937, Tolosa, Guipuzcoa) est un chercheur pour qui les maisons de Sare n'ont plus de secret, comme en témoigne son livre paru en 2005. Il a adapté, avec Erramun Bachoc et Pantxoa Michelena, le Bosquejo etnografico de Sara de Barandiaran, traduit en euskara et en français par Kattalin Totorika, Jon et Jesus Aizpuru, présenté au Biltzar des écrivains à Sare, le 25 avril 2011.
Xan Aire : S'il vous fallait conter votre maison natale...
Xabier Elosegi : Je suis né en plein centre ville. Nous avons été élevés dans un appartement, ce qui veut dire que nous étions souvent dehors, dans la rue. A l'époque où je suis né, Tolosa était plutôt une grande ville, avec quinze, voire seize mille habitants. Ma famille était déjà bien ancrée dans la ville depuis trois ou quatre générations. Mon père était Basque et, comme sa famille, défenseur de leuskara ; ma mère, née en Argentine, de parents basques, était venue vivre au pays durant l'enfance. Elle ne maîtrisait pas l'euskara, mais se débrouillait du mieux qu'elle pouvait. Cependant, dans notre foyer, nous parlions espagnol aussi bien avec nos parents qu'entre les sept frères et sœurs, puisque nous étions six garçons et une fille. La langue espagnole teintait également la rue. Mais grâce à mon père et aux domestiques, nous n'avons pas perdu l'euskara, même si c'était pour nous une deuxième langue.
Depuis lors, vous avez donc tissé une intimité avec l'euskara...
X.E. : Cela a été le cas de certains frères et sœurs, oui. J'ai été un défenseur de la langue depuis toujours. J'ai d'ailleurs bien été aidé par tous les livres de la maison familiale. Ainsi que par mon père. Je me souviens, comme si c'était hier, il avait acheté le premier livre en euskara de la collection Kuluska ; il nous l'avait présenté tel un miracle ! C'était le temps du franquisme... Plus tard, à treize ou quatorze ans, je m'étais offert, avec mon argent de poche, un livre de messe totalement rédigé en euskara. Nous avions, par ailleurs, un oncle, totalement immergé dans le monde de la science, un grand ami de Barandiaran. L'entourage de notre grand-père aussi était cultivé et défenseur de la langue : Bonifazio et Karmelo Etxegarai, Arturo Campion... Je veux dire par là que nous avions pléthore de références dans notre famille, au sein du foyer, qui ont eu une grande influence dans ma propre vie.
Comment un enfant de la rue peut, un beau jour, s'intéresser autant à la maison basque ?
X.E. : Je ne sais pas exactement. C'est quelque chose qui est arrivé sur le tard. Mais durant mon enfance, j'ai tissé un lien étroit avec la ferme, puisque chaque année, nous passions l'été dans des petits villages comme Gaztelu (Guipuzcoa). Durant deux ou trois mois, nous étions immergé dans le monde paysan, à travers les étables, à ramasser les œufs... De là est né, au plus profond de nous, un amour pour ces fermes. Même si je ne saisissais pas encore le sens de la maison pour les Basques.
Quel en est le sens, précisément ?
X.E. : Je dirais que même aujourd'hui, la maison est le Pays Basque, et que le Pays Basque est la maison. Huit ou neuf dixième de la population vit aujourd'hui dans une zone urbaine. Mais c'est une population qui ressent en elle un certain lien avec la maison. Il relie la maison au nom de famille. Dans le passé, c'étaient deux choses qui faisaient un. Et les gens y font encore attention, ils savent que leur patronyme a sa source dans telle ou telle ferme. C'est une croyance qui relie la maison au Pays Basque. Mais attention. Nous avons longtemps rêvé d'une maison où l'on vivait en basque. Nous avons prouvé depuis qu'une maison pouvait parfaitement être basque de l'extérieur, mais qu'au sein du foyer l'euskara n'y avait aucune place. C'est le cas en Navarre ou en Alava, dans une majeure partie de la Biscaye, ou dans un coin comme Amikuze. Le culte de la maison y est présent, mais ils ne sont pas du tout Basques.
Pourquoi avoir choisi Sare pour vos recherches ?
X.E. : Je n'ai pas débuté par Sare. Je vivais avant à Ascain, et avais déjà débuté mes recherches. C'est à cette époque que j'ai appris à connaître les vieux cadastres, documents de grande valeur, initiés à l'époque de Napoléon et abouties vers 1940. Un cadastre détermine les parcelles de chaque commune, en y attribuant la toponymie, fournissant des renseignements sur l'utilisation de la terre ou sur le nom des propriétaires, ainsi que leur statut social. La particularité du cadastre est d'identifier les personnes par leur prénom, nom de famille et nom de la maison. Même les Français avaient saisi l'importance du nom de la maison au Pays Basque. Puis nous avons déménagé d'Ascain à Sare. J'ai alors lu un article de deux habitants de Cambo, MM. Poupe et Bru, sur les maisons de Sare. Leur point de départ était une copie d'un document de 1505. C'est de là qu'est née l'envie d'identifier les noms de maisons basques, et de les répertorier géographiquement, entre autre.
Vous en avez fait un livre, finalement...
X.E. : Ce n'était vraiment pas mon but au départ ! Mais je m'étais engagé dans un tel travail... Aujourd'hui, Sara, etxeak eta deiturak lau mendez (XVI-XIX) est là, pour qui veut le consulter. Chaque maison a sa fiche avec son nom, sa date, les patronymes des personnes qui l'ont habitée. Je propose également des origines et significations des noms de famille, une liaison entre patronymes et noms de maisons... J'y ai passé des centaines d'heures. Mes premières sources sont les certificats de naissances, baptêmes, mariages et décès. J'ai copié aux alentours de 8000 exemplaires. Puis j'ai consulté toutes les études effectuées sur Sare. J'en ai profité pour corriger certaines erreurs, ce qui est très important d'un point de vue historique, mais aussi pour l'avenir. Mais je voudrais souligner que le livre Bosquejo etnografico de Sara de Barandiaran m'a bien aidé dans mes recherches.
C'est l’œuvre que vous avez traduite en euskara et en français, que vous présenterez lors du prochain Biltzar des écrivains de Sare...
X.E. : Oui. Cest l'oeuvre ethnographique majeure de Barandiaran, que lui-même appelait pourtant bosquejo, ou esquisse ! Un immense travail ! D'un grand intérêt, même aujourd'hui. Il a agi en tant quethnologue, bien entendu, pour construire cette œuvre. Même s'il a effectué plusieurs études dans d'autres villages, celui de Sare est de loin le plus complet. Il a tout traité de manière méthodique, durant son séjour de treize ans, de 1940 à 1953. On l'appelait "apez ttikia", le petit curé. Il était très apprécié des habitants, parce qu'avec lui, la confession était simple et rapide ! Les gens avaient peur de cet exercice... D'autre part, il a traité avec une vingtaine de personnes, toutes bien plus âgées que lui, qui avaient aux alentours de 90 ans. Elles lui racontaient l'époque où elles étaient jeunes, et c'est grâce à cela qu'il a pu en tirer une photographie. Une photo qui raconte une histoire.
Pourriez-vous résumer cette histoire ?
X.E. : Il a été jusqu'à la cartographie, la géologie, et la maison, évidemment : les constructions, la religion, les superstitions, la météorologie... Cette histoire, c'est la terre, l'agriculture, les bergers, la contrebande, les légendes, les narrations, les contes. Cela a également une valeur linguistique. Son œuvre a été conçue et pensée en espagnol, mais des expressions typiques de Sare y apparaissent. Il en ressort un véritable dictionnaire, très riche, relié à des modes de vie. C'est d'une valeur sans précédent. Il a en plus réalisé lui-même les illustrations. Puis il y raconte également l'occupation allemande à Sare, qu'il a lui même vécue. Il parlait allemand, et a été un précieux traducteur au village. Les Allemands, fervents amateurs de sciences, s'intéressaient à son travail.
Il y avait donc plusieurs raisons de traduire cette œuvre...
X.E. : Il était indispensable de traduire l'ouvrage de Barandiaran, puisque la majorité des saratar ne le connaissent pas. C'est pour cela que l'ancien maire de Sare, Jean Aniotzbehere, avait déclaré vouloir le traduire en français, et l'Institut Culturel Basque a promu la traduction en euskara. Mais nous voulions traduire cette œuvre en une langue basque compréhensible, ne serait-ce que pour les habitants de Sare. Nous avons également saisi l'occasion de rectifier certaines erreurs de Barandiaran, puisque certaines choses, au niveau linguistique, lui avaient échappé.
A-t-il réalisé ce travail par crainte d'une perte de la transmission orale ?
X.E. : Je ne crois pas qu'au moment même de la réalisation de cet ouvrage, il ait pensé à l'avenir. A son époque, la transmission était totale, c'était un mode de vie des catacombes ! On voit ici que Barandiaran vivait pour son mouvement scientifique et culturel. Il a dû toutefois constater, bien plus tard, que ses recherches pouvaient être liées à la transmission. Ce qui augmente encore plus la valeur du document sur Sare. Heureusement qu'il l'a fait ! Mais c'est nous qui, aujourd'hui, effectuons ce genre d’œuvre en pensant à l'avenir.