Sa passion pour les langues amène d’abord Urtzi Etxeberria (Itsasondo, Guipuzcoa) à étudier l’anglais puis le basque. Après avoir terminé ses études de linguistique à l’Université du Pays Basque, il se rapproche du Centre de recherche sur la langue et les textes basques IKER de Bayonne, où il occupe aujourd’hui le poste de directeur. Dans son bureau du Château Neuf, nous avons parlé de son travail, de l’Ethnopôle basque mais aussi de sujets qui lui tiennent à cœur.
Urtzi Etxeberria, expliquez-nous le travail du Centre de recherche IKER.
Nous étudions la langue dans sa structure mais aussi dans ses aspects sociolinguistique et littéraire.
IKER est un Centre de recherche où l’on étudie la langue et les textes basques ; il est composé de trois ramifications que sont le CNRS, l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA), et l’Université de Bordeaux Montaigne. Le socle de notre recherche est la langue basque dans le sens linguistique du terme. Nous étudions donc dans un premier temps la langue dans sa structure, mais aussi dans ses aspects sociolinguistique et littéraire. L’équipe d’IKER est composée de huit chercheurs, un professeur émérite, et nous accueillons aussi des élèves en master ou en licence de basque. Nous comptons aussi deux professeurs chercheurs à Pau. En tout, douze personnes travaillent ici et il y a aussi trois ou quatre autres personnes qui nous aident dans nos recherches. Nous recevons enfin des élèves qui préparent un doctorat ou un master, venant du Pays Basque ou de l’étranger.
Vidéo de l'entretien (en basque)
Quelle est la spécificité de ce centre de recherche ?
C’est vrai qu’IKER est une structure unique en son genre dans l’hexagone, on trouve rarement un centre de recherche exclusivement dédié à une seule langue. On peut dire que c’est le fruit du travail acharné effectué par l’équipe de Jean Haritschelhar à Bordeaux Montaigne à une certaine époque.
Originaire d’Itsasondo (Guipuzcoa) vous dirigez aujourd’hui le centre IKER ; racontez-nous votre parcours.
J’étudie la signification du langage, c’est-à-dire l’interprétation ou la compréhension d’une phrase par celui qui l’écoute.
Comme dans beaucoup de parcours, le hasard a façonné le mien. Très jeune déjà, j’aimais étudier les langues et j’ai entamé des études d’anglais à Gasteiz. En quatrième année, on m’a proposé de faire un doctorat en linguistique et j’ai accepté sans trop savoir où j’allais. J’ai ensuite passé ma thèse, je suis resté un an à l’étranger, et en 2005, j’ai obtenu une bourse de post doctorat proposée par le Gouvernement Basque pour participer à des recherches, ici, au centre IKER de Bayonne. C’était près de chez moi et dans un endroit qui me plaisait bien, j’ai donc accepté la proposition. Puis en 2006 je me suis présenté à un poste au CNRS ; je pense que ce jour-là, les étoiles étaient bien alignées au-dessus de ma tête car j’ai été choisi ! Depuis je me plais bien ici, l’ambiance est bonne et travailler dans ce que l’on aime n’a pas de prix.
Quel est votre domaine de recherche actuellement ?
Nous travaillons aussi sur un domaine qui relie la sémantique et la pragmatique avec des adultes et des enfants autistes.
J’étudie la signification du langage, c’est-à-dire l’interprétation ou la compréhension d’une phrase par celui qui l’écoute, dans le domaine de la sémantique pragmatique. Par exemple, j’analyse notre compréhension des particules comme inor/ezer selon un contexte donné. Ces derniers temps, on étudie cela par le biais d’expériences. Au lieu de poser directement des questions, on plonge la personne dans une situation particulière par le biais d’une vidéo, puis on l’interroge sur sa compréhension des mots utilisés. On choisit de préférence des gens sans connaissances particulières en linguistique afin que les résultats ne soient pas influencés par leurs acquis dans ce domaine. Les résultats sont toujours intéressants pour nous. Nous travaillons aussi sur un autre domaine qui relie la sémantique et la pragmatique avec des adultes et des enfants autistes. Nous analysons les niveaux de compréhension, d’interprétation, les ambiguïtés, les métaphores ou encore leur interprétation de l’ironie.
On étudie beaucoup la langue basque au-delà de nos frontières ?
Le basque suscite un intérêt certain dans le milieu de la recherche. D’une part pour son coté historique et mystérieux, d’autre part pour les possibilités de comparaisons qu’il offre dans différents domaines de recherche.
Oui bien sûr. À vrai dire, la première question que l’on nous pose lorsque l’on évoque le basque concerne le mystère de l’origine de notre vieille langue. Mais ce n’est pas notre domaine de recherche. En ce qui nous concerne, nous étudions le langage comme quelque chose qui se trouve dans notre cerveau. Par conséquent, les capacités d’un enfant d’ici ou celle d’un enfant né en Éthiopie sont les mêmes. Dans ce contexte donc, l’origine ou la nature même du basque n’est pas notre sujet d’étude, nous analysons et nous comparons notre langue avec d’autres langues afin de comprendre ce qu’elle apporte de particulier. Nous présentons nos études, nos comparaisons et nos conclusions dans de nombreuses conférences à travers le monde et il est vrai que le basque suscite un intérêt certain dans ce milieu. D’une part pour son coté historique et mystérieux, d’autre part pour les possibilités de comparaisons qu’il offre dans différents domaines de recherche.
IKER est membre de l’Ethnopôle basque. Quel est votre implication ?
L’Ethnopôle est un label où l’on étudie les différentes expressions de la langue et de la culture basque, comme la danse, la musique, l’art, etc. Concernant notre travail, nous organisons des conférences ouvertes à un large public afin de faire connaître et montrer que nos recherches au sein d’IKER touchent aussi des sujets d’intérêt général. Ce label nous offre aussi la possibilité de demander de nouveaux projets de recherche ou d’apporter notre savoir dans différents travaux.
Que pensez-vous du patrimoine immatériel ?
Le patrimoine immatériel est pour moi quelque chose d’essentiel pour savoir d’où l’on vient et quels sont les chemins que l’on pourrait prendre.
C’est pour moi quelque chose d’essentiel, tout d’abord pour savoir d’où l’on vient et quels sont les chemins que l’on pourrait prendre, mais il ne s’agit pas que de cela ; le patrimoine immatériel est important pour garder les choses, pour créer une sorte de réservoir. Nous avons au laboratoire plusieurs projets concernant la langue basque, comme par exemple Norantz, un projet où l’on a étudié l’évolution du basque. Pour cela on a enregistré des bascophones d’environ soixante-dix ans, puis on a pris des gens de plus en plus jeunes et on a constaté les changements et l’évolution dans les façons de parler et les expressions. Ce sont des études qui nous servent dans nos recherches mais qui sont utiles pour mieux connaître notre patrimoine linguistique. Avec une autre étude, nous avons aussi recueilli les formes utilisées en basque dans des zones où notre langue avoisine le gascon ou le béarnais. Ce travail est important en soi mais il servira aussi à se rappeler plus tard que cela a réellement existé à une époque. Par ailleurs, notre époque de globalisation nous rappelle qu’il est urgent de recueillir ce genre d’information car j’ai bien peur que l’on regrette un jour de ne pas avoir collecté tout le matériel existant à temps et que par conséquent il ne disparaisse à jamais. Je ne veux pas être négatif mais conserver tout cela est pour moi très important. Au laboratoire, nous faisons de grands efforts dans ce sens, nous collectons, archivons et créons des bases de données avec tous nos travaux. Il y a quelque temps, un projet a été créé sous le nom de Basque Archive afin de recueillir et de conserver toutes les données, pour celles et ceux qui auront un jour besoin de les connaître ou les étudier.
Les chercheurs ont-ils des similitudes avec les chasseurs de trésors ? Parlez-nous du Dauphin.
La découverte du Dauphin a été une belle aventure. En 2008, Xabier Lamikiz, chercheur en Histoire de Gasteiz a appelé Rikardo Etxepare, mon prédécesseur au poste de directeur d’IKER pour lui dire qu’il était tombé sur un vrai trésor. En faisant des recherches aux archives nationales de Londres, celui-ci a découvert des caisses remplies de courriers rédigés en basque datant de 1757 qui provenaient d’un bateau français nommé Le Dauphin qui reliait le sol français au Québec. Au moment de la découverte, nous avons fait le déplacement à Londres avec plusieurs chercheurs. Il y avait un tas de boîtes pleines de courriers aux enveloppes encore intactes, on les ouvrait une à une et on pouvait lire des messages écrits il y a des centaines d’années qui ne sont jamais arrivés à destination, et n’ont jamais été lus par leurs destinataires. C’était un véritable trésor en effet. Les détails de cette découverte et de ces courriers ont été publiés ensuite dans la revue Lapurdum. Ce fut une belle expérience, et ce n’est pas fini, car il y a différents projets en cours autour de ces lettres. En effet, cette découverte a confirmé que l’on écrivait en basque à cette époque mais pas que, elle a aussi permis d’en savoir plus sur la langue basque, sur les événements que se racontaient les divers membres d’une famille, et aussi sur diverses références de cette époque. C’est une découverte riche et très intéressante.
Comment se porte le milieu de la recherche en Pays Basque ?
Nous comparons notre langue avec d’autres langues afin de comprendre ce qu’elle apporte de particulier.
Gagner sa vie en tant que chercheur n’est pas chose facile. J’ai eu beaucoup de chance de trouver du travail dans le secteur car les postes sont rares des deux côtés de la frontière. Il y a des possibilités de travailler dans les universités ou pour la Fondation Ikerbasque au Pays Basque sud, mais les postes y sont assez rares. Il y a aussi le concours annuel du CNRS, avec peu de postes à la clé et des candidatures venues du monde entier.
Malgré cela, je crois que le secteur de la recherche est en bonne santé. Je pense par exemple aux rencontres IKER Gazte organisées tous les deux ans par UEU, l’Université d’été du Pays Basque, où se retrouvent les jeunes chercheurs issus de tout le Pays Basque pour y présenter leur travail. IKER a participé à la dernière édition qui s’est déroulée à Bayonne il y a deux ans et ce fut un vrai succès ! Cela prouve que l’envie est là, qu’il y a du monde qui s’intéresse à la recherche et tout cela est positif, même si parfois on ne sait pas trop où cela nous mène, si on va trouver du travail, etc. L’envie est bien là et je trouve que c’est un bon signe.
La frontière de la Bidassoa est-elle un obstacle ou un avantage pour les chercheurs ?
Je dirais que ce n’est pas un obstacle, officiellement du moins. Aujourd’hui, les choses sont plus faciles, il existe des programmes entre les universités, comme par exemple entre Bordeaux et l’Université du Pays Basque, il y a aussi la possibilité de faire des masters communs, choses qui n’existaient pas il y a peu de temps. Mais il est vrai que l’on trouve encore des frontières. En ce qui nous concerne, nous avons toujours eu des liens directs avec le département linguistique de Gasteiz et ses chercheurs, sans aucune sorte d’obstacle. La difficulté vient souvent lorsqu’on doit mettre tout cela par écrit, c’est là qu’est la frontière. Je ne dirais pas que c’est un réel obstacle, mais il est vrai que l’on rencontre certaines difficultés.
Peut-on encore approfondir les études sur la langue basque ?
Oui sans aucun doute, il reste des milliers de choses à faire. Beaucoup de travail a déjà été abattu certes, mais c’est encore très peu. Il y a une quantité de sujets que l’on aimerait étudier.
Avec la Covid, on parle beaucoup du monde scientifique ces derniers temps. Quel est votre avis sur ce débat houleux ?
Lorsque l’on étudie des formes comme inor ou ezer, c’est-à-dire de la recherche qu’on pourrait appeler fondamentale, on pourrait parfois débattre de l’intérêt de ces recherches pour le monde ou la société en général.
Lorsque je fais des recherches autour d’un sujet précis, je ne vais pas dire que mes résultats sont définitivement vrais ou qu’ils ne le sont pas. Ce que l’on fait, c’est étudier un sujet, lancer une hypothèse puis on essaie de prouver que notre hypothèse est bien réelle, et si c’est le cas, on propose des conclusions dans ce sens. Cela ne veut pas dire que ce que l’on avance est absolument certain. Il se peut qu’une personne arrive afin de poursuivre vos recherches et qu’elle trouve une explication différente à la vôtre. Cela arrive très régulièrement, et heureusement, cela prouve la bonne santé de la recherche. Je crois donc que c’est un peu ce qui se passe aujourd’hui avec le débat de la Covid. Je ne suis pas bien placé pour dire que certains possèdent la vérité et que d’autres sont des menteurs. Ce que je constate par contre c’est que la Covid met en évidence le besoin d’investir dans la recherche. On peut se rendre compte de la quantité de vaccins produits un peu partout dans le monde par différents groupes de chercheurs. Je crois que cela aurait été impossible il y a quelques années, donc dans un sens, on est préparé à cela.
Mais il est vrai que cette question est difficile, moi je parle depuis mon domaine de recherche que l’on ne peut pas mettre au même niveau que la recherche autour de la Covid. La Covid tue des personnes, inor et ezer ne font de mal à personne. Je veux donc croire que les chercheurs qui travaillent autour de la Covid ne disent pas de mensonges, qu’ils travaillent sur des conclusions précises, démontrées et prouvées, c’est ce que je veux penser. Mais il est vrai qu’il y a des intérêts énormes autour de cela, il y a beaucoup d’argent à la clé. Le fait d’être le premier laboratoire pharmaceutique à trouver un vaccin implique des retombées énormes. Ce n’est pas notre cas, on ne devient pas riche avec notre travail... Je veux croire en l’honnêteté des scientifiques, et j’espère que c’en est ainsi autour de la Covid aussi.
Vous arrive-t-il de lire sans chercher à analyser un texte ?
Être un chercheur ne signifie pas être quelqu’un de bizarre.
Oui bien sûr, lire un bon roman est toujours un bol d’air pour moi aussi. J’apprécie de faire des choses qui ne me demandent pas une attention en continu. Il est vrai que des fois, quand je suis dans un sujet d’étude assez prenant et que je lis un roman en basque, il m’arrive de souligner les tournures utilisées par l’auteur. Mais les chercheurs ont aussi cette capacité et ce besoin de prendre des moments de détentes, sinon la vie serait d’une autre couleur et d’une autre façon.
Y a-t-il un sujet particulier que vous aimeriez bien étudier ?
J’ai déjà évoqué mon travail avec des personnes atteintes d’autisme et j’avoue que cela a éveillé un réel intérêt en moi. Lorsque l’on étudie des formes comme inor ou ezer, c’est-à-dire de la recherche qu’on pourrait appeler fondamentale, on pourrait parfois débattre de l’intérêt de ces recherches pour le monde ou la société en général. Lorsque je fais ces recherches autour de l’autisme, je peux voir ce que mon travail pourrait apporter de concret à des personnes, et cela me comble en effet. J’ai commencé depuis trop peu de temps pour m’avancer sur des résultats mais je suis vraiment content avec ce nouveau travail.
Quels sont vos passe-temps en dehors de la recherche ?
Il y a des moments où je m’immerge totalement dans un travail et c’est un vrai plaisir de pouvoir y consacrer son temps. Mais j’ai aussi une vie à côté de ça, avec un tas de choses que j’aime faire, comme lire, aller en montagne, faire du vélo, partager des moments avec mes enfants, la famille, les amis, etc. Être un chercheur ne signifie pas être quelqu’un de bizarre. Il est vrai que l’on me demande souvent ce que je fais, et ce n’est pas toujours facile de répondre à cette question. Mais oui, les chercheurs ont aussi une vie, heureusement, et on aime cette vie.
Pour finir, Urtzi Etxeberria a-t-il un rêve qu’il aimerait réaliser ?
Un de mes rêves serait de laisser un monde à moitié normal à nos enfants, pour qu’ils puissent vivre heureux.
Je ne suis pas un grand rêveur, mais il est vrai qu’un sujet m’angoisse un peu en ce moment, à savoir quel genre de monde on va laisser à nos enfants suite à cette crise de la Covid. Certains disent que ce sera derrière nous dès l’an prochain, d’autres disent le contraire... Un de mes rêves serait donc de laisser un monde à moitié normal à nos enfants, pour qu’ils puissent vivre heureux.
J’ai aussi d’autres rêves comme voyager, découvrir de nouveaux endroits, mais je crois que des petits bonheurs me comblent plus que des grands rêves. Et ce qui m’angoisse vraiment c’est de savoir ce que l’avenir nous réserve. J’aimerais bien que le monde tel qu’on l’a connu puisse continuer d’exister aussi pour les générations futures.