Txomin Ezponda (1937, Jaxu) est le dernier représentant d'une lignée d'improvisateurs à laquelle appartenaient des bertsularis tels que Mattin, Xanpun, Alkhat ou encore Mendiboure. Il nous a confié ses souvenirs et ses réflexions sur cette pratique du bertsularisme qui semblait condamnée à disparaître en Pays Basque nord, et qui, grâce aux écoles d'improvisation, séduit aujourd'hui plus que jamais les jeunes.
Txomin Ezponda (Dominique Ezponda Lagan) est né dans une famille d'agriculteurs de Jatxu (Basse-Navarre) en 1937. A 23 ans après avoir fait son service militaire durant la guerre d'Algérie, il travaille au Boucau comme livreur. Sa réputation de bertsulari lui permet de décrocher un emploi de commercial qu'il occupera 28 ans jusqu'à son départ à la retraite.
Il commence sa carrière d'improvisateur en 1955 à St-Jean-Pied-de-Port aux côtés du célèbre Fernando Aire « Xalbador ». En 1983 il remporte le championnat de bertsularis de Navarre. Dans l'ambiance joviale, festive et conviviale des joutes de lépoque, il s'est régulièrement produit avec des improvisateurs d'Iparralde tels que Mattin, Xanpun, Alkhat ou Mendiboure.
Alors que ces mêmes bertsularis pensaient que l'art de l'improvisation versifiée et chantée viendrait à disparaître après eux en Pays Basque nord, cette tradition s'est finalement maintenue grâce à la création dans les années 1980 d'écoles d'improvisateurs. Aujourd'hui en Iparralde, le bertsularisme n'a jamais connu autant de succès auprès des plus jeunes. En témoigne la tenue d'un XVIème concours des jeunes bertsularis d'Iparralde dont la finale s'est déroulée le 6 juin dernier.
Txomin Ezponda nous a accordé un entretien au mois de mars 2009 dont nous avons sélectionné quelques passages (remarque : les passages ont été traduits du basque au français l'entretien s'étant déroulé en euskara).
J'ai commencé à improviser vers 15-16 ans. Dans les petites exploitations agricoles de l'époque beaucoup de travaux se faisaient avec l'aide bénévole des voisins, que ce soit le ramassage du maïs, le fauchage de la fougère, le battage du blé, l'entretien de la vigne Et le soir les participants se retrouvaient autour d'un bon repas...
A cette occasion, j'ai connu, alors que j'avais 15 ans, un berger qui s'appelait Bernardo et qui avait pour habitude de chanter des bertsus à la fin du repas. Cela m'avait plu. Mais pour commencer à improviser je n'avais pas de manuel, de livre, comme il peut en exister maintenant ! Lorsque nous étions de sortie entre amis à St-Jean-Pied-de-Port, lors de dîners, nous nous mettions à improviser à trois ou quatre. Evidemment cela n'était pas parfait ! Aujourd'hui il y a des écoles et des maîtres pour cela mais à l'époque il fallait se débrouiller tout seul.
Un jour je devais avoir environ 18 ans - alors que je participais au « libertimendua » (rite de carnaval) à St-Jean-Pied-de-Port avec le groupe de danse de Uhart-Cize, les bertsularis Mattin et Xalbador devaient se produire dans la ville. Mattin n'avait pas pu venir pour une raison que j'ignore et Xalbador se retrouvait donc seul. Il n'est pas évident pour un bertsulari de se produire tout seul ! Après avoir salué le public en bertsus il demanda s'il y avait quelqu'un dans le public pour lui donner la réplique. Mes amis du groupe de danse m'ont alors littéralement propulsé sur scène en me prenant par les bras et en disant à Xalbador, « lui il sait improviser » !!! Et me voici tout intimidé aux côtés du grand Xalbador ! J'ai moi aussi salué le public en bertsus et au bout de 10 minutes j'étais l'objet d'autant, si ce 'de plus d'applaudissements que Xalbador. Le bénéfice de l'âge !
Je devais avoir 24-25 ans, lorsque j'entendis une émission en euskara animée par Maite Barnetche sur la Radio Adour-Navarre. Tous les dimanches, elle lançait un appel aux bertsularis. Elle donnait un thème je me rappelle, il s'agissait du bouillon de poule et il fallait écrire 3-4 bertsus et les envoyer à la radio. J'avais pris cela comme un jeu et y avais participé. Ils avaient chanté les bertsus à la radio le dimanche suivant. A la suite de cela, j'ai reçu un jour de septembre une invitation de la radio pour participer à la commémoration des 100 ans du décès de l'improvisateur Otxalde à laquelle étaient conviés tous les bertsularis dIparralde. Je m'y suis rendu avec plaisir.
La commémoration commençait par une messe. Y participaient des bertsularis de renom tous disparus aujourd'hui : Mattin, Xanpun, Errexil, Zubikoa, Aintziart...
Lors du repas qui suivit je me présentais à Maite Barnetche qui me présenta elle-même à Michel Labéguerie, sénateur et député qui était alors président de l'association Euskaltzaleen Biltzarra, organisateur de la journée et meneur de joute ! Maite Barnetche me présenta en ces termes : « C'est lui dont je vous avais parlé et que j'ai invité, nous avons au moins un jeune bertsulari parmi nous ! » . Ce à quoi Labéguerie lui réplique : "il me vient une idée : il y a une pierre célébrant la commémoration d'Otxalde à découvrir à la mairie. Lors de son inauguration vous la saluerez avec Xalbador". Il me présenta ensuite à Xalbador qui se souvenait avoir improvisé avec moi quelques années auparavant!
A l'époque il y avait peu de bertsularis et l'euskara était en train de se perdre. Des bertsularis comme Xalbador et Mattin pensaient qu'ils n'auraient pas de successeurs. Ils ont d'ailleurs composé des bertsus à ce sujet. Heureusement, ils se sont trompés ! Ce jour-là à Briscous, j'ai donc pris confiance en moi je me suis retrouvé sur scène avec les autres bertsularis.
Suite à la rencontre de Briscous et au coup de pouce de Michel Labéguerie, je n'ai cessé d'improviser en public. Je me souviens en particulier d'un grand rassemblement d'agriculteurs à St-Palais auquel participaient près de 500 convives. Labéguerie voulait absolument que j'y aille et j'y suis allé. Ensuite j'ai toujours été sollicité ; les gens aimaient entendre un jeune bertsulari. Je me suis ainsi produit plus d'une fois, et avec plaisir avec Mattin, Xalbador et Xanpun...
Plus tard sont apparus d'autres bertsularis tels que Mendiboure, Alkhat, Arrosagarrai et plus tard Michel Xalbador, le fils de Xalbador. Il n'était pas évident pour ce dernier de se produire alors que son père improvisait encore. S'il avait eu un autre nom, Michel Xalbador aurait commencé comme nous à improviser plus tôt en public et il aurait ainsi pu se perfectionner plus facilement. Difficile d'être le fils de Xalbador (surtout lorsqu'on ne possède pas le même don que son père). Michel lui-même savait que son père était un « monument ». Xalbador n'était pas allé longtemps à l'école mais il était intelligent ; il aimait l'euskara et c'était une personne cultivée. Une maîtrise extraordinaire de la langue, un esprit vif, une manière de dire les choses simplement mais de manière pertinente, au bon moment et au bon endroit, c'était tout cela Xalbador.
Pendant des années, le milieu de l'improvisation n'est resté réservé qu'aux hommes.
Oui, les femmes n'osaient pas improviser en public. Mais il y a de tous temps eu des femmes improvisatrices, même si elles n'étaient pas nombreuses. Des femmes improvisant des bertsus ou les écrivant. C'est vrai aussi que les Basques sont un peu macho... Et pourtant les femmes nous sont bien supérieures que ce soit dans le bertsularisme ou pour d'autres tâches les lendemains de fêtes ! Les femmes ont autant de talents que les hommes. Du temps de ma jeunesse on ne voyait pas de femmes dans les bars à la sortie de la messe. Les femmes ne fumaient pas non plus. J'en ai connu qui fumaient en cachette à la maison. Mais pas dans la rue ! Aujourd'hui les femmes sont libérées de ces contraintes et c'est tant mieux.
Oui elles le sont, avec talent et pour longtemps. J'ai vu des femmes bertsularis se produire avec brio lors du dernier championnat de bertsularis d'Iparralde. Pourquoi en serait-il autrement ? Nous avons besoin d'elles !
« Lorsque j'ai commencé, être bertsulari n'était pas considéré comme un métier ou comme une activité pouvant être rémunérée. Plus d'une fois nous avons improvisé pour un repas ; plus d'une fois ! Mais il est vrai que, pour lors, en Pays Basque sud, on commençait à rémunérer les bertsularis. Aujourd'hui encore, un bertsulari est trois ou quatre fois mieux rémunéré en Hegoalde qu'en Iparralde. Pourquoi ? Parce que le public répond présent. Il y a des rentrées financières. Aujourd'hui le bertsularisme s'est développé et l'euskara est plus reconnu. Grâce au travail de tous. On peut aujourd'hui vivre de l'improvisation.
A l'époque, les rassemblements de bertsularis étaient surtout de grandes fêtes. Nous nous retrouvions avec plaisir pour rire et chanter, dans la bonne humeur, en prenant notre temps. De kermesses en fêtes. Aujourd'hui c'est devenu un travail. Les bertsularis sont là à l'heure, comme les joueurs de pelote ! Et plus d'une fois ils doivent se produirent dans deux lieux distincts dans la même journée !
On voit qu'ils ont appris l'improvisation dans des écoles. Nous n'avons pas eu cette chance. Nos bertsus sont plus classiques.
Il y a des jeunes de 15-16 ans qui produisent des bertsus de très grande qualité. Ils ont été formés à cet art. Le bertsularisme a connu ces dernières années un bouleversement du point de la vue de la formation et de la transmission. C'est un grand pas en avant. Nous n'avions pas à 30 ans l'assurance et l'aisance des bertsularis qui ont 18 ans aujourd'hui. Et ça c'est l'apport des écoles d'improvisation.
Oui c'est vrai. Que voulez-vous, j'ai perdu tous mes compagnons bertsularis de l'époque. Comme dernièrement mon ami Ernest Alkhat (1951 2008). Après avoir passé tant d'années à improviser ensemble, je me retrouve quelque part veuf Je n'ai pas la même motivation Nous étions très soudés et il est difficile de remplacer la perte d'un tel ami. Du moins à un certain âge. Ne me restent de tous ces amis improvisateurs que des photos. Je les regarde souvent. Je suis le seul survivant de cette génération. Je n'ai plus envie d'improviser en public mais je continue de donner des cours et de prodiguer des conseils aux jeunes bertsularis.