C'est en rénovant sa maison de Saint-Pée-sur-Nivelle que Ttitto Aguerre (Uhart-Cize, 1974) a commencé à réfléchir à comment redonner vie à une boiserie vieille de 400 ans. Cette première expérience va décider le sculpteur à laisser derrière lui les écrans des bureaux bayonnais pour se lancer à corps perdu dans le travail du bois et de la matière et ainsi donner corps aux idées qui surgissent dans son atelier.
Vous avez remplacé l'ambiance des bureaux par les odeurs de l’atelier ; racontez-nous votre parcours.
Avant de parler du poste que j'ai occupé au sein de l'Office Public de la Langue Basque, je voudrais rappeler les huit années que j'ai passées en tant que directeur de l'association Uda Leku à Bayonne. En effet, après ma formation initiale dans l'animation socio-culturelle, je me suis occupé d'organiser les vacances pour des enfants bascophones pendant plusieurs années. J'ai ensuite passé huit ans à l'OPLB en tant que chargé de mission. Après cela, j'ai décidé de me rediriger vers un projet qui me tenait à cœur, celui de devenir sculpteur. J'ai alors quitté la capitale pour commencer à travailler le bois à mi-temps à la coopérative de meubles Alki d'Itxassou. En parallèle je me suis consacré à la sculpture. C'est toujours ma situation à ce jour, je travaille chez Alki à mi-temps, et je me plonge entièrement dans la sculpture, dans ma tête et dans mon cœur.
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Comment s'est déroulé ce changement de cap ?
Il n'y a pas de hasard, je crois que les choses arrivent les unes après les autres, comme elles doivent arriver. Cette maison où nous nous trouvons aujourd’hui a plus de 400 ans. Quand nous sommes arrivés avec ma compagne, nous avons d'abord vécu dans une partie non rénovée de celle-ci. Puis vers l'an 2000, lorsque nous avons décidé de restaurer la maison, nous avons fait beaucoup de choses avec l'aide de nos familles. J’ai beaucoup appris grâce à un oncle menuisier. Tout d’abord à travailler le bois mais aussi à réfléchir comment le travailler. Le travail manuel requiert d'abord du mental. Je me suis fait la main et j'ai réalisé beaucoup de choses, des portes, des meubles de cuisines, etc.
Le choix des matériaux dépend du sujet que je souhaite traiter.
Puis, lorsque nous avons enfin fini de restaurer la maison, (comme beaucoup de gens qui passent deux ans, tous les week-ends, la nuit, les vacances, à travailler à la rénovation de leur maison), il y a une longue période durant laquelle je n'ai pas touché un clou. Plus tard, j'ai ressorti quelques vieux bouts de bois que j'avais écarté, sans trop savoir pourquoi. J'ai pris un bout de porte qui avait passé 400 ans dans la pierre, la terre et la chaux. Lorsque je me suis mis à le nettoyer, j’ai fait une découverte très esthétique grâce à un beau châtaignier clair-obscur. En guise de tête de porte, il y avait deux formes d'oreilles dans les coins, avec chacune un trou. J'ai mis le tout à la verticale et j'ai refait deux autres trous comme pour laisser passer plus d'air. Lorsque je l'ai placé debout, j'ai compris que c'était fini. Puis j'ai repris un autre bois, à moitié brûlé de l'intérieur après être resté au coin de la cheminée, avec sûrement une flamme qui s'était consumée dedans.
Sculpter est un état de conscience particulier, il y a une partie qui se fait consciemment, mais cela va au-delà.
La forme brûlée était assez géométrique et j'ai voulu poursuivre le travail entrepris par le feu, jusqu'à réaliser que cela allait au-delà du simple exercice de nettoyage. J'ai enfin coupé en deux la pièce en bois et là, deux personnes me sont apparues. J'ai compris qu'au-delà du nettoyage, il y avait comme un dialogue entre la matière et moi. Cette sensation me comblait. Quand vous avez ressenti cela, vous voulez répéter cette sensation, la pousser plus loin. Sculpter est un état de conscience particulier. Je ne dis pas que l'on est inconscient mais il y a une partie de la pratique qui se fait consciemment. Ensuite, j'ai pris un tronc avec l'intention d'aller chercher une forme. J'ai commencé à tailler dans le bois à la tronçonneuse, mais c'était une catastrophe, émotionnellement et esthétiquement parlant, jusqu'à déclencher un certain dégoût. J’ai alors compris que je ne devais pas travailler comme ça.
Pour moi, sculpter, c'est croiser des idées, c'est nouer des liens.
Curieusement, j'ai passé quatre ou cinq ans à travailler dans mon premier bureau, c'est à dire dans mon cerveau : Qu'est-ce que je veux créer ? Comment ? Puis j'ai beaucoup dessiné, pour avoir sous les yeux ce que j'avais dans la tête et me confronter à mon idée, la diriger, l'enrichir et la découvrir. J'ai passé beaucoup de temps à réfléchir et dans mon cas, c'était en langue basque, avec tout ce que m'apporte ma langue et cette façon de voir le monde. Ce n'est qu'au bout de cinq ans que j'ai commencé à me confronter aux matériaux. Je cherche d'abord à me faire plaisir en sculptant. Chaque artiste est en quête de quelque chose, personnellement, je recherche d'abord le plaisir.
Artisan, créateur ? Comment définissez-vous le sculpteur ?
Pour moi, sculpter, c'est croiser des idées et nouer des liens, c'est exprimer une idée par le biais du travail, c'est à dire le langage que vous utilisez, l'esthétique, les lignes, les formes et la matière d'une œuvre. J’ai remarqué qu'une même forme n'exprimera pas la même chose selon la matière choisie. La taille ou l'emplacement d'une sculpture ont aussi de l'importance et bien sûr la lumière, un élément si essentiel. C'est la lumière qui souvent crée la forme. Sculpter, c'est un peu additionner tous ces éléments. En ce qui me concerne, je dois aussi ramener tout ce travail à un mot, un titre. Ce mot doit exprimer ce que j'ai voulu dire et transmettre aux visiteurs d'une exposition.
Comment choisissez-vous les matériaux pour vos œuvres ?
Le choix des matériaux dépend du sujet que je souhaite traiter. Si je veux exprimer quelque chose d’agréable, je ne vais pas utiliser de l'acier rouillé, encore moins s'il s'agit d'exprimer de la douceur. Je choisirai plutôt du tilleul, un bois clair et comme enrobé d'un drap doux. En revanche, si je veux un rendu plus brillant, je choisirai un fer que j'adoucirai ou que je rendrai étincelant. Choisir le matériau peut aussi dépendre de comment on souhaite travailler la lumière, surtout si l’on cherche un rendu particulier au final. On peut démarrer la création d’une pièce en associant la lumière dès le commencement. Le matériau a vraiment son importance.
Transmettre votre intérêt pour la sculpture est important pour vous.
J'ai proposé des rendez-vous autour de la sculpture dans les écoles mais également à l'occasion d'expositions importantes où j'ai animé des espaces de médiations. J'attache de l'importance à la relation que peut avoir un enfant ou un adolescent face à la matière.
Les adultes ont un millier de filtres, les enfants beaucoup moins et cela les rapproche de l'essence même des choses.
Les adultes ont un millier de filtres et d'influences. Les enfants en ont beaucoup moins. Il est donc intéressant de travailler avec les jeunes car ils ont une innocence que les adultes ont perdue. C'est cette innocence qui les rend plus proches de l'essence même des choses.
Que pensez-vous du patrimoine immatériel ?
Le patrimoine immatériel est un sujet que nous partageons tous et pour lequel chacun doit aussi apporter quelque chose. Je le compare à la flamme d'un feu. C'est le feu qui procure la chaleur mais si tu ne surveilles pas la flamme, le feu risque de s'éteindre. Il est important de réaliser cela.
Qu'en est-il du milieu des arts visuels au Pays Basque ?
Je dirais que nous ne sommes pas au même niveau au Nord et au Sud. Nous ne jouons pas dans la même catégorie. Toutefois je dois reconnaître qu'un effort est fait pour la promotion des arts visuels au Pays Basque nord. Je citerais notamment le dispositif mis en place par la Communauté Pays Basque.
Il y a très peu d'espaces vraiment dédiés aux arts visuels au Pays Basque nord
Mais dans l'ensemble, il y a très peu d'espaces vraiment adaptés. Si ce n'est celui que vous animez personnellement. Pour moi, il manque un grand espace qui aurait le rôle de phare et qui apporterait de la visibilité aux différents lieux plus humbles autour de lui. Cet espace serait connecté à Donostia ou Bilbao. Le musée Guggenheim est devenu en quelque sorte la Mecque des arts visuels au Pays Basque, comme une place ouverte pour atteindre un autre Monde. Je souhaite qu’un jour Bayonne joue son rôle de capitale et crée cet espace adapté et audacieux destiné aux arts visuels
Quelles sont les relations entre les sculpteurs du Pays Basque ?
Quand j'ai commencé à sculpter, j'ai constaté que d'autres travaillaient aussi, célèbres ou pas encore. Je me suis intéressé au travail de certains d'entre eux et suis allé leur rendre visite. Il y a différents niveaux de relations. On se rencontre soit pour mieux se connaître, soit pour partager quelque chose avec cette personne. Mais en général, le sculpteur est quelqu'un qui travaille dans l'ombre, il n'est pas celui que l'on croise tous les week-ends à se raconter au bistrot du coin. Je dirais que chacun est sur son chemin et nous nous croisons de temps en temps, mais sans plus.
Beaucoup de gens considèrent le Pays Basque comme une terre d'inspiration.
Oui, je pense que c'est à la fois grâce à ce qui nous fait basque mais aussi grâce à ce qui nous entoure. Je fais là une comparaison avec le Japon. Je pense que les Japonais ont une relation avec la nature qui est assez proche de la nôtre, ce qui rend nos interprétations assez similaires. L'environnement, la montagne, la mer, les paysages verdoyants, tout cela a une influence.
Le sculpteur travaille dans l'ombre, on ne le croise pas tous les week-ends au bistrot du coin.
Je suis sûr qu'il y a une connexion, que notre environnement y fait beaucoup. Un jour, je me suis aventuré à dire que les sculpteurs du Nord ou du Sud ont une façon de travailler qui est différente et j'ai essayé de l'expliquer par la différence de notre environnement. Ici, les montagnes sont plus douces, plus propres et mon travail est par conséquent plus dans l'arrondi. Au Sud les montagnes sont plus abruptes et les paysages moins vallonnés et pour moi, cela se voit dans le travail d'autres sculpteurs. Cette idée vaut ce qu'elle vaut, mais c'est ce que j'ai remarqué.
Des projets à venir ?
Cet été 2023, je vais exposer une quinzaine de jours dans une Galerie de Biarritz. C'est une collaboration que j'ai démarrée assez récemment et là aussi, j'apprends, j'écoute ce qu'on me dit, les conseils et les recommandations, mais c'est toujours moi qui décide. Puis, en août, je vais exposer au centre culturel Larreko de Saint-Pée-sur-Nivelle. Il s’agira d’une exposition importante dans laquelle nous pourrons voir une grande partie du travail réalisé au cours des quinze dernières années et plus particulièrement au cours de ces trois dernières années. Il y aura environ cent quarante-cinq pièces, dont une trentaine récente. Je me sens dans un bon moment, j'ai réussi à me procurer de bons matériaux et j'ai trouvé un bon nom pour ce projet. Ce sera le bon moment et le bon endroit pour partager mon travail.
Un rêve ?
Biziki sinple egonen naiz, baina urte batzuen buruan erraten baldin badut, senar, aita eta lagun zintzoa izan naizela, nahiko beteko dut ametsa eta entzuten baldin badut “Brikola zenbait egiten zituen eta batzuk aski politak egiten zituen”, horrekin nahiko.