Ses études d’abord, puis une impressionnante carrière professionnelle ont longtemps éloigné Sabine Cazenave (Orthez, 1962) de sa terre natale. Professeure d’arts plastiques dans un premier temps, son amour des belles choses et sa passion pour l’art la conduisent à devenir conservatrice dans différents grands musées de l’Hexagone. Aujourd’hui, l’envie de mettre ses compétences au service de son territoire l’a ramené à ses origines. À la tête du Musée Basque et de l’histoire de Bayonne depuis fin 2019, elle nous parle de ses projets au sein de la maison Dagourette et de l’attachement qu’elle porte à ses racines basques.
Quitter le Musée d'Orsay pour venir au Musée Basque. Quelles ont été vos motivations ?
Je ne suis restée que trois ans au Musée d'Orsay, c'est assez court ; je dirais plutôt que mes motivations principales viennent de ce que j'ai fait avant et surtout de l’époque où je me suis occupée de chantiers de travaux. Ici, des travaux sont prévus dans le quartier et il y a aussi des prévisions de travaux au Musée Bonnat ; c’est donc cette compétence qui m'a vraiment motivé. Ensuite je m'étais toujours dit qu’à la fin de ma carrière je ferai quelque chose pour mon territoire. J'ai eu l'occasion de revenir à deux reprises mais je ne me sentais pas capable de faire quelque chose d'utile, alors qu’aujourd’hui je sens que c’est le bon moment pour apporter mes compétences. Pour mener à bien un projet dans un musée, il faut avoir six à huit ans devant soi, pour d’abord prendre ses marques et démarrer un travail ; j'ai donc pensé qu'il était temps. Honnêtement, si ce poste au musée n'avait pas été vacant, je serais restée à Orsay un ou deux ans de plus sans problèmes. C'est évidemment très différent comme travail mais c'est aussi très complémentaire, si l'on s’intéresse aux régions bien évidemment. Si l'on ne s’intéresse pas aux cultures régionales on ne vient pas au Musée Basque et de l'histoire de Bayonne. Après, les bases de la conservation restent les mêmes où que vous exerciez votre travail et la base de la restauration de musée reste aussi la même partout. Donc ma motivation est essentiellement familiale, territoriale et un désir de faire quelque chose d'utile dans ma région d'origine.
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Quel est votre projet pour ce musée ?
Nous sommes dans un musée ethnographique mais je dirais un peu comme à l'anglo-saxonne. Parce qu'il s’appelle Musée Basque et de l'histoire de Bayonne, il a plutôt tendance à être un musée de société. Ce sont des musées où il y a un versant ethnographique comme il y a ici, avec des objets qui attestent de faits civilisationnels mais il y a aussi des œuvres d'art en général. Dans les musées américains ils mêlent les deux alors qu’en France c'est moins courant ; c'est donc assez particulier au Musée Basque et c'est une bonne idée. L'idée, c'est donc de tirer un peu le musée vers ce côté musée de société avec une envie de mettre sur un pied d'équité les objets du génie populaire, généralement anonymes, et des œuvres d'art qui elles ont la particularité d'être des constructions intellectuelles. Dans la salle où nous nous trouvons, cela me gêne un peu que les œuvres d'art ne soient regardées que comme des illustrations de faits religieux ou sociaux ; souvent elles sont rentrées ici non pas comme des œuvres d'art mais parce qu'elles illustraient une place de village, une fête Dieu ou tel ou tel autre fait de la civilisation basque. Mon projet, c'est qu'elles soient regardées à la fois comme des témoignages de choses qui sont souvent disparues mais aussi comme des œuvres pour elles-mêmes. Pour les objets c'est un peu la même chose mais avec le processus inverse ; souvent ils ne sont regardés que comme des objets qui perdent peu à peu de leur sens parce que les gens ne les voient plus agis dans les campagnes. Quand on les a installé ici entre les années vingt et quarante, ces objets étaient en fonctionnement ; à Barcus chez mes grands-parents, j'ai vu des charrettes comme celle que l'on expose ici. Aujourd'hui, les jeunes gens qui voient une charrette comme cela pensent qu'elle sort du néolithique. Donc, il faut faire en sorte que ces objets qui sont en train de devenir muets ne le deviennent pas pour les générations futures. Notre travail va donc consister à contextualiser les œuvres et les objets, les uns par rapport aux autres mais aussi par rapport au réel, c'est à dire le travail de collecte du dit, des sons, des images... Beaucoup de choses existent déjà bien évidemment, à l'Institut culturel basque, dans les différentes sociétés sachantes comme Euskaltzaindia par exemple ou à l'INA aussi ; je suis d'ailleurs en train d'acheter les droits de films qui ont été réalisés entre les années vingt et quatre-vingt, qui permettent de comprendre, quand on les pose à côté d'un objet ou d'une œuvre, en quoi ces objets-là sont des archétypes de la civilisation basque, cela redonne un contexte à l'ensemble des objets qui sont ici. C'est notre travail pour les dix années qui viennent, parce qu'autrement j'ai peur que le fil soit non seulement distendu mais sans doute rompu.
Certains objets risquent de devenir muets. Si vous donnez à comprendre par des témoignages ou des images, à quoi l’objet servait, ce dernier ne meurt pas. Si vous mettez le même objet à admirer dans une vitrine, sans expliquer le contexte et l'utilisation, vous le tuez.
J'ai cinquante-six ans, je sais ce qui a changé à partir des années soixante, certes cela a commencé à changer avant, mais c’est là que tout s'est accéléré, il est donc important que l'on puisse très vite reprendre la collecte de ce qu'il s'est passé des années quarante-cinq aux années deux milles. Si on ne le fait pas maintenant, ce sera dispersé et ce sera perdu. Par exemple, l'un des facteurs de changement au Pays Basque a été le clivage entre l'arrière-pays et la côte. Il y a un tas de choses qui attestent de cela à partir des années soixante soixante-dix, jusqu'aux années deux milles. Il faut par exemple collecter ce qui atteste d'une forme de développement des loisirs sur la côte, comme certains restaurants, certains commerces ; si on ne le fait pas maintenant, il sera trop tard. Les objets que l'on voit ici ont tous été collectés, hormis les œuvres, dans le dernier quart du XIXe et dans le premier quart du XXe siècle. Cela veut dire que l'on n'a pas collecté les années trente, quarante, cinquante, ni rien jusqu’aux années deux milles. On est déjà en 2020. C'est à cela que sert un musée, à ne pas perdre le fil. C'est un vecteur tendu entre le passé, le présent et un futur dont on ne sait pas de quoi il sera fait. C'est cela le projet d'un musée et c'est le projet de ce musée. Il y a une dimension territoriale, une dimension de collecte, d'acquisition, et il y a une dimension de présentation.
Comment voyez-vous la fusion avec le Musée Bonnat ?
Il faudra raconter les années 80, 90 au Petit Bayonne, il faudra raconter les problèmes, la réconciliation.
Il n'y a pas de projet de fusion avec le Musée Bonnat, mais il faut savoir que le Musée Bonnat et le Musée Basque sont finalement dos à dos et face à face. C'est vrai qu'il y a un projet d'extension du Musée Basque dans la caserne de pompiers classée aux monuments historiques qui se trouve dans la rue Jacques Lafitte. Il y aurait donc la possibilité de mettre les deux musées face à face, dans un quartier comme le Petit Bayonne avec une histoire très forte et ce depuis le néolithique, un quartier très important, le cœur de Bayonne. C'est un site géologique extraordinaire situé entre deux rivières, et les musées se situent tous les deux dans ce cœur historique de la ville, dans ce Petit Bayonne. Ce serait dommage de ne pas saisir cette chance pour un quartier à l’histoire extrêmement populaire, au bon sens du terme, et qui peut rester un pôle d'attractivité de la ville. C'est un quartier qui a un retentissement particulier dans le développement de la ville. De plus, les deux musées sont complémentaires, l'un est un musée des beaux-arts, l'autre un musée de société et je suis persuadée que, autant le public de proximité c’est à dire des basques qui ont envie de retrouver qui ils sont, ou que ce soient des touristes qui vont vouloir découvrir qui nous sommes, qu’ils entrent par le Musée Basque ou le Musée Bonnat, ils feront les deux. C’est un quartier que beaucoup de villes nous envient, il a une histoire qu’on devra raconter ici, il faudra raconter les années quatre-vingt, quatre-vingt-dix au Petit Bayonne, il faudra le faire. Je pense que ce sera peut-être mon dernier travail avant de partir. Vous savez, pour qu’on puisse raconter une histoire sans qu’elle ne blesse qui que ce soit, il faut qu’il se soient passés trente ans. On y arrive. Quand je parle avec des militants, même si ce n’est pas toujours très facile parce que je ne suis pas bascophone, je leur explique que moi aussi j’ai vécu ces années quatre-vingt, différemment, et il est évident qu’il faudra raconter tout cela ; il faudra raconter les problèmes, la réconciliation, et il faudra raconter aussi pourquoi et comment on parle encore et toujours basque au Pays Basque parce que ce n’était pas gagné pour notre génération.
Quelle est votre définition de l'identité basque aujourd'hui ?
Pour moi, cela ne peut pas se résumer à la langue ; évidemment je sais que cela passe par la langue, mais cela ne peut pas se résumer exclusivement à cela, car autrement je ne me sentirais pas basque, hors je me sens basque. Ce n’est pas une posture, parce que c’est plus facile à dire qu’à expliquer. Pourquoi je me sens basque ? Parce ce qu’il y a beaucoup de choses que l’on transmet par autre chose que la langue.
L'identité basque ne peut pas se résumer à la langue, beaucoup de choses se transmettent au-delà de la langue.
J’ai malheureusement grandi dans une famille où il y avait des basques et des gascons, mais je dis heureusement aussi car il y avait deux religions, des appartenances politiques extrêmement différentes et il y avait deux cultures nationales. Il y avait une culture espagnole et une culture française ; je pense que c’est une richesse personnellement. On ne m’a pas légué la langue car la langue de la rencontre de mes parents était le français, puisque mes parents étaient sous le coup de la loi Ferry qui interdisait aux enfants de parler le basque et le béarnais en dehors de la famille. Quand ils se sont rencontré, l’une parlait le basque et l’autre le béarnais, donc dans leur relation ils parlaient en français. Je suis de cette génération qui n’a pas appris le basque à l’école, mais quand je constate ce que l’on m’a légué comme culture, je suis bien obligée de constater que cela passe aussi par autre chose que la langue. Par exemple vous avez constaté que j’ai un accent, alors que j’ai passé plus de trente-cinq ans de ma vie loin d’ici. Donc cela veut dire que quelque chose de ma langue et de la langue de mes parents transparaît. Ce reste d’accent que j’ai, je le dois à ma mère qui était souletine. Je suis beaucoup plus basque que gasconne, j’en suis persuadée, parce que dans ma famille, il y avait des fratries de filles, les femmes avaient plus d’importance que les hommes. Je ne vous parle pas de tous les us et coutumes, tout ce qui fait société, les chants, la danse, etc. Cela passe aussi par le culte des ancêtres par exemple, ou encore, les français sont des gens de civilisations écrites alors qu’au Pays Basque on est des gens de civilisation orale ; cela a été un grand atout dans mon parcours, aimer parler et parler en communiquant quelque chose aux gens, et non pas parler pour parler. C’est quelque chose qui peut paraître naturel ici, mais qui ne l’est pas du tout quand vous travaillez dans un grand musée comme Orsay.
Votre définition du territoire basque ?
Si la civilisation basque est si vivante, c’est parce qu’il y a aussi du dit, du chanté et du dansé, avec bien évidemment la musique en toile de fond.
Pour moi c’est très clair que dans le projet de territoire que je dois défendre vis-à-vis des administrateurs du musée, un syndicat mixte avec des compétences du Département, de la Communauté d’agglomération et une compétence de la Ville, il est clair que le territoire va jusqu’en Soule, ce qui est peut-être moins évident que d’aller en Hegoalde (Pays Basque sud) pour les gens d’ici. Je pense que la suture au sud est déjà faite, cela ne veut pas dire que c’est fait une fois pour toute et il est évident qu’il faut continuer à travailler avec nos amis du sud. Mais je pense aussi qu’il faut absolument travailler avec le Pays Basque intérieur, au-delà d’Ustaritz, c’est à dire le Pays de Cize, la Basse-Navarre et avec la Soule. C’est très important parce que c’est peut-être là que le lien avec un passé proche peut se recouturer car l’impact urbain n’a pas été le même. Il faut aussi redonner à chacune des petites villes qui font le territoire basque en Iparralde un rôle à jouer et une importance. Il faut donc assurer à ces petites villes les moyens culturels d’exister, tant sur le flanc du patrimoine, que des œuvres d’arts ou sur le flanc du vivant. En effet, je pense que si la civilisation basque est si vivante, c’est parce qu’il n’y a pas que des arts plastiques et du patrimoine, il y a aussi du dit, du chanté et du dansé, avec bien évidemment la musique en toile de fond. Tout cela joue un rôle très important et il faut pouvoir équilibrer cela sur le territoire et que cela puisse s’exprimer, pour que les choses restent vivantes.
Que pensez-vous de l'offre des musées au Pays Basque ?
Faire rentrer les choses vivantes au musée, c’est le meilleur moyen qu’elles y entrent en bonne santé.
L’offre est beaucoup plus riche au sud, c’est évident, et cela tient à l’histoire récente de l’Espagne, qui n'est pas la même qu’en France. Il y a eu ces trente dernières années en Espagne un développement extraordinaire qui fait que la plupart des musées sont des musées neufs alors que les musées français ont cent-cinquante ans d’histoire. C’est plus facile d’être un média neuf qu’un média ancien, quel que soit le média. On travaille avec le sud, même si personnellement je n’ai pas encore réellement commencé, mais ils savent que j’ai envie de travailler avec eux et je pense qu’ils sont convaincus que je le ferai, que ce soient avec des musées ethnographiques, c’est à dire nos partenaires naturels ou des musées d’art contemporain. En effet, le Musée Basque a la chance d’avoir dans ses statuts une relation forte à l’art contemporain. En 1922 les fondateurs de ce musée ont eu l’idée saugrenue mais tellement géniale de dire que le meilleur moyen de maintenir ce musée vivant c’était d’y faire entrer des artistes vivants quelle que soit la nature de ces arts vivants, et j’ai bien envie de continuer dans ce sens. C’est très important de ne pas attendre que les choses soient mortes pour les faire entrer au musée, les faire rentrer vivantes, c’est le meilleur moyen qu’elles y entrent en bonne santé. Quand on parle des artistes ce qui est important pour moi c’est d’arriver à déceler leur spécificité basque, ce qui en fait des artistes différents des autres artistes sur le territoire français. Très honnêtement, compte tenue de la façon dont on forme les artistes en France ou en Espagne, je ne suis pas sûre d’y parvenir. Par contre, qu’il y ait des gens qui ont quelque chose à dire de ce que nous sommes, qu’ils soient basques ou non d’ailleurs, j’en suis persuadée.
Trouvez-vous que les artistes contemporains ont la place qu'ils méritent au Pays Basque ?
Il y a énormément de dimension esthétique dans tous les aspects de la civilisation basque.
Je pense que non et que cela est dû à l’histoire des musées qui sont devenus de vieilles institutions. Par exemple, le Musée Basque a été créé en 1922, un siècle bientôt, et la tendance des musées c’est d’engranger des choses du passé. On fait entrer les gens vivants généralement d’une manière temporaire dans un premier temps pour laisser la place à davantage de gens tout simplement ; puis quand on considère qu’ils commencent à faire société, à dire quelque chose de spécifique sur notre culture, car notre travail consiste à faire perdurer cette culture, là on les fait rentrer au musée. C’est donc rare qu’un très jeune artiste rentre au musée, généralement c’est plutôt âgé de soixante à quatre-vingt ans. En tous cas ici on essaie de les faire rentrer vivants, c’est déjà un énorme progrès ! Je crois que les gens ne mesurent pas assez l’importance de recueillir en même temps que les œuvres des artistes, la mémoire de ces artistes et la mémoire des gens qui font les choses, car cela change très vite. Si on ne veut pas qu’une œuvre soit orpheline, il faut pouvoir aussi rentrer en même temps des documents, des archives, qui vont continuer à faire parler les œuvres après la disparition des artistes. Sinon on peut faire dire n’importe quoi à une œuvre. On ne leur fait pas une place assez grande, mais en ce qui nous concerne, le Musée Basque est plutôt assez bien placé à ce niveau et nous allons très prochainement accueillir des artistes contemporains.
Qui visite le Musée Basque aujourd'hui ?
Aujourd'hui, les jeunes gens qui voient une charrette pensent qu'elle vient du néolithique.
Malheureusement ce n’est plus un public local et c’est bien dommage car cela contribue à accélérer la perte de sens que les jeunes peuvent avoir. Je suis entrée en basquitude par la culture et non par la langue, je rencontre aujourd'hui des jeunes ici qui sont entrés en basquitude par la langue mais qui ne connaissent absolument pas leur culture, ils sont complètement acculturés. Pour moi ils ne sont pas plus basques que moi, ils parlent la langue certes, et c'est pourquoi je ne peux pas dire que l'euskara soit le seul vecteur, je ne peux pas entendre cela. L'un des objectifs du Musée c'est de faire en sorte que le public de proximité revienne. Pour cela, il faut que les gens aient le sentiment de ne pas visiter tous les vingt-cinq ans un musée qui n'a pas changé. Il faut donc proposer des expositions temporaires qui les intéressent et il faut aussi créer de l’impermanence dans les expositions permanentes. Si vous donnez le sentiment que vingt ans plus tard les choses n'ont pas changé, les gens ne reviennent pas.
Que doit offrir un musée aujourd'hui ?
Il doit déjà offrir des expositions temporaires qui fassent venir les gens pour qu'ils continuent ensuite la visite avec les expositions permanentes. D'ailleurs dès cet été, le billet est couplé, c'est-à-dire qu'il donne accès aux expositions temporaires ainsi qu'à l'ensemble du musée. Puis, quand les gens réaliseront que les expositions permanentes ne sont pas exactement comme dans leurs vieux souvenirs, il faudra qu'on leur explique que l'on effectue des changements tous les lundis. Il y a aussi quelque chose de paradoxal parce que les gens sont très attachés à certains objets qu'ils ont vu dans leur enfance et il faut qu'ils les retrouvent ; si vous leur enlevez, ça ne va pas du tout.
Un musée sert à ne pas perdre le fil entre le passé, le présent et un futur dont on ne sait pas de quoi il sera fait.
Enfin, dans un musée ethnographique de société, il faut animer la saison culturelle avec les sachants. Il faut donner la parole à toutes les sociétés qui préservent, que ce soient des ballets, musiciens, danseurs, des bertsolari des conteurs, que ce soient des sociétés savantes comme Euskaltzaindia ou toute autre société savante. Pour cela, nous avons créé une saison avec eux et tous les jeudis soirs, chacun leur tour, ils auront leur lieu au musée. En contrepartie, je leur ai demandé de venir s'appuyer sur les collections. Par exemple, si vous parlez du bertsolarisme, il faut venir voir les œuvres où l'on voit un improvisateur en action, entouré de public, tout en organisant au rez-de-chaussée une conférence pour expliquer certaines choses. Cette manière de faire s’était perdue dernièrement, les gens venaient aux conférences et ils repartaient sans visiter le musée. En fait, la culture c'est une économie solidaire.
Trouvez-vous que le tourisme culturel est suffisamment pris en considération face au tourisme des plages ?
Je ne pense pas. Je ne suis pas désespérée, je pense que c'est en cours. Étant donné que ce territoire était le réservoir de loisirs y compris pour les gens d'Hegoalde et ce depuis très longtemps, même sous Franco, et que cela s’est amplifié ces trente dernières années, on peut dire que le tourisme de proximité, que ce soient des aquitains, des occitans ou nos collègues du Guipuzcoa, venait d'abord pour les plages, le soleil, les invariants du petit bourg typique blanc et rouge disparu avec l'industrialisation des vallées jusqu’à Bilbao ; ici nous étions un peu le réservoir de tout cela. Donc je peux entendre que l'on ait envie de venir ici pour retrouver cela et que ça suffise, mais je pense que c'est derrière nous. Parce que cela est en train de changer, même un peu trop vite à mon goût et je pense qu'il y a moyen de conserver ce paysage tout en lui permettant d'évoluer et sans tout bétonner. Puis, il faut aussi comprendre le paysage pour le conserver ; si les gens viennent chercher du paysage, du sport, de la fête, il faut leur expliquer que tout cela est fragile et que si on veut le conserver il faut développer d'autres aspects qui permettent de répartir harmonieusement tous ces gens qui affluent vers nous sur l'ensemble d'un territoire à conserver. J'avoue que c'est une réflexion qu'il faut avoir, on ne peut pas en faire l'économie, hors, il y a souvent une fuite en avant qui ne laisse pas réfléchir à toutes ces choses-là.
Que pensez-vous du patrimoine immatériel ?
Il y a une question que je me pose tous les jours : « Pourquoi les musées existent-ils encore ? »
Je pense que c'est peut-être ce qui nous a sauvé, c'est peut-être en cela que la langue est si importante et que cette spécificité là nous a séparé des autres et donc nous a permis de perdurer jusqu’à aujourd'hui. Je pense aussi qu'il est très important de collecter les gens qui ont vécu les années soixante, soixante-dix quatre-vingt ; il faut se dépêcher pour avoir des témoignages et savoir ce qui a changé et ce qui est resté. Après, il faut aussi faire des études sur la manière dont le chant, la danse, la musique évoluent tout en continuant à véhiculer ces choses du passé. Nous, nous avons décidé de les faire rentrer au musée. Par exemple je vous disais tout à l'heure que certains objets avaient le risque de devenir muet ; si vous réactivez la salle des sonnailles, les cloches que l'on mettait aux brebis au moment des transhumances ou quand elles étaient en semi-liberté et que vous donnez à comprendre à quoi servaient ces cloches par des témoignages, des images, ou en les comparant au système de géolocalisation dont on se sert aujourd'hui, vous donnez à comprendre à quoi cela servait et donc l'objet ne meurt pas. Si vous mettez le même objet à admirer dans une vitrine, sans expliquer le contexte et l'utilisation, vous le tuez. Donc c'est là que les images, les films, les paroles des gens et les aller-retours entre hier et aujourd'hui sont très importants, et c'est tout cela qu'il faut collecter. Je pense malgré tout que l'on ne peut pas faire un musée qu'avec de l'immatériel, les gens ont besoin des objets.
Pour finir, voulez-vous formuler et répondre à une question que je n'ai pas posé ?
Il y a une question que je me pose tous les jours : « Pourquoi les musées existent-ils encore ? ».
La culture c'est une économie solidaire.
Comme je disais tout à l'heure, c'est un vieux média, qui date de 1789, c'est à dire de l'époque où on a rendu les richesses au peuple, on lui a donné accès au savoir que seuls les riches avaient, en leur redonnant les objets. Ici, on n'est pas très riche, on n'a que deux musées mais ils sont très fréquentés par rapport à leur taille. Mais je me demande pourquoi les gens ont besoin des objets, pourquoi ils ne se satisfont pas de regarder des archives de l'INA par exemple ? En fait, c'est parce que l'objet atteste effectivement que les choses ont réellement été là, plus encore que l'image, le film ou le témoignage, c'est comme une relique. Mais si on ne veut pas que celle-ci meure, il faut la faire parler, il faut un environnement. Il y a aussi une dimension nostalgique forte car sinon pourquoi les gens regardent les cloches ? Donc si vous avez du virtuel et la cloche à coté c'est mieux. Tous ces objets réunis ici ont aussi une dimension esthétique, ils ne sont pas que des reliques, certains appellent cela le génie populaire mais c'est vrai que nos grands-parents ou arrières grands-parents, même s'ils n'avaient pas la prétention d’être des artistes, ont mis un soin particulier à fabriquer ces objets. Si l'on observe la civilisation basque, on constate qu'il n'y a pas beaucoup de peintres, c'est parce que souvent l’esthétique est apportée à chaque petit objet du quotidien. Il y a énormément de dimension esthétique dans tous les aspects de la civilisation basque. Quand vous regardez un danseur de saut basque, on peut s'interroger sur le fait qu'une personne qui a aujourd'hui trente ou quarante ans trouve encore une satisfaction esthétique à exécuter ces sauts. C'est quasiment magique ici. Donc je crois qu'il faut effectivement pouvoir le voir en vrai. Quand je parle d'objets je parle aussi d'objets immatériels, si vous n'avez jamais vu un danseur de sauts basques, il faut le voir en vrai.