Pier Paul Berzaitz (1951, Musculdy, Soule) est un chanteur et un auteur connu. En plus d’avoir écrit et composé ses propres chansons, il a également créé des pastorales. Ces dernières années, il s’est attelé à des spectacles de plus grande envergure. Le dernier en date est Amaiur, dont la première représentation a eu lieu le 21 juillet à Amaiur (Navarre), avant d’être joué les 10 et 11 août au château de Mauléon.
Durant votre enfance, pensiez-vous être un jour chanteur ?
Chanteur non, je ne crois pas... Dans ma famille, du côté de mon père, on n’était pas chanteur, ou auteur de chanson. Chez ma mère, c’était autre chose. Elle m’a parlé d’un Irlandais musicien, venu ici en tant que bûcheron, dont l’arrière petit-fils pourrait être le père de ma mère... J’ai pris goût à la chanson à l’église, mais aussi à la chapelle de Saint-Antoine, où j’ai entendu pour la première fois chanter et parler de manière différente : on y croisait beaucoup de Bas-Navarrais. Concernant la musique, un oncle faisait la saison à la carrière de talc, à Luzenac. Il rentrait toujours avec un cadeau pour nous, les enfants, et c’est ainsi qu’il m’offrit un petit accordéon. Ma mère vit que j’y prenais goût. Puis un autre oncle m’apporta une mandoline des États-Unis. Au collège de Mauléon, on enseignait la musique. J’ai d’ailleurs appris à jouer un peu de piano, mais comme il n’y en avait pas dans les maisons du coin, j’ai donc appris la clarinette. C’est comme cela que j’ai eu l’occasion et le bonheur de jouer de la musique durant mon service militaire.
Dans le domaine de la chanson et de la musique, quelle est la part de l’inné, et celle de la transmission ?
À l’époque, la chanson basque n’était pas aussi vigoureuse que maintenant. Nous apprenions peu de chansons traditionnelles. Mon envie de chanter trouve racine dans cette frustration.
À l’époque, la chanson basque n’était pas aussi vigoureuse que maintenant. On l’entendait dans les noces, les fêtes, ou au bar du quartier. Mais nous apprenions peu de chansons traditionnelles. À l’école et au collège, pas du tout. Pourtant, les prêtres étaient Basques... Mon envie de chanter trouve racine dans cette frustration. Nous, fils de paysan, au collège, nous n’étions pas vêtus comme les autres. Nous parlions basque entre nous, et nous étions écartés. Pas méchamment, mais à cet âge, on prend les choses très à cœur. En allant à l’université de Pau, c’était une autre musique !
Vos études se sont déroulées dans la fièvre de 68...
Oui, et nous étions une poignée de Basques à vouloir chanter dans notre langue. Nous avions une analyse minimale des chansons basques, puis nous écoutions de la même manière les Beatles ou les Rolling Stones ! C’est en 1971 que j’eus ma petite révélation, sur la place d'Ordiarp, où s’était déroulé le "Festival de la chanson basque moderne"... Quel joli titre ! Je vis alors Laboa, Irigarai, Artze... Quelque chose s’éveilla en moi. Je pensai que c’était la meilleure voie à suivre. Je fis la connaissance de Beñat Sarasola vite après. Nous avions à peu près le même parcours, la même frustration ! Et nous avons continué ainsi. Je n’ai jamais rien regretté, en voyant, en plus, le chemin parcouru par la langue basque. Un beau chemin, une langue qui jaillit sur la place, dans le monde, comme disait Etxepare. C’est une chose que je n’ai pas vécu étant petit, alors je prends cela comme une petite victoire.
C’est également une petite victoire de la chanson ?
J’ai toujours pensé qu’un pays n’est jamais mourant s’il vit à travers l’art.
Oui, le chant et la poésie, et probablement la danse aussi, ont offert une sacrée parure. Le chant basque a laissé de belles traces, avec tant d’œuvres, d’auteurs et de genres différents ! Comme je vis à Pau aujourd’hui, je peux dire à quel point les gens de l’extérieur ressentent une richesse, de la création et de la ferveur. Un ami musicien, qui est de Lourdes, s’étonne toujours de l’énergie donnée par les jeunes ! Pourtant, moi j’aurais tendance à dire que c’est morne, ou que ce n’est pas assez... Mais j’ai toujours pensé qu’un pays n’est jamais mourant s’il vit à travers l’art. Ce n’est pas forcément assez, mais quand l’art manque, cela se ressent.
L’art transporte-t-il l’identité ?
Bien entendu. En sachant que, en plus de cet art, nous avons notre langue. C’est l’euskara qui nous fait Basques, et rapproche les personnes entre elles. Ce n’est pas du séparatisme, mais de la chaleur, comme si nous étions en famille, entourés d’un monde rude. La langue nous rapproche et nous rend meilleurs.
Pourquoi avez-vous ressenti, un beau jour, le besoin de créer ?
Beñat Sarasola me disait toujours que je devais rester dans la chanson souletine ; qu’en constituant un répertoire, il y avait quelque chose à faire. Vite après, Benito Lertxundi rendait les chansons de Soule populaire. À cette époque, je voulais penser quelque chose de nouveau ; Beñat et moi nous étions plutôt rebelles, et je voulais vivre cela totalement. Je ne voyais donc pas mon parcours en chantant Maitia nun zira, éteignant ainsi le feu que j’avais en moi. Je voulais garder une certaine unité, et je me sentais beaucoup mieux dans notre style qui était nouveau.
La chanson doit-elle revendiquer ?
La chanson est quelque chose de fort. Elle dénonce la situation particulière d’une société, c’est un témoignage.
Maintenant que je prends de l'âge, je pense que la chanson est quelque chose de fort. Elle dénonce la situation particulière d’une société, c’est un témoignage. On peut écouter le cœur d’un chanteur, d’un être humain. Pour cela, avec les nouvelles chansons de notre groupe Guk, il y avait du militantisme certain.
Vous avez amené un sacré sursaut, avec votre groupe Guk
Un peu, oui... Nous étions en faveur du Pays Basque, mais nous revendiquions également la possibilité de vivre au pays. Il y avait un exode rural impressionnant. Cela attristait grandement Beñat Sarasola, et il disait tout le temps que nous devions prouver qu’il était possible de vivre ici ; que l’herbe n’était pas plus verte ailleurs. Là oui, je trouvais un sens à notre travail. Une chanson a tellement de force... Comme la chanson de Bereterretxe, dont les gens, les jeunes, chantent encore la douzaine de couplets par cœur, six siècles plus tard ! Une chanson, quand elle est bien écrite, est éternelle. Les chansons telles que Txoria txori de Mikel Laboa sont universelles. Elles ont une tendresse, une philosophie. Dès que j’entends Txoria txori, je m’envole vers la place d’Ordiarp, en 1971, et je revois et réécoute Laboa la chanter. Je me souviens de tout, des gens présents ce jour là, à tel endroit de la place... C’est cela, la force du chant.
Vous, vous avez créé Baratze bat...
Oui, j’ai obtenu quelque chose, dans une moindre mesure. Une dame âgée de la côte me raconta que lorsqu'elle entendit Baratze bat lors du mariage de sa petite-fille, elle fondit en larmes... Une chanson apporte de l’énergie, et prolonge cette émotion. À tel point que cette émotion, parfois, ne se perd jamais.
Même si ces chansons connues courent le risque d’être chanté n’importe comment...
Une fois, dans ma voiture, j’écoutais une émission dans une radio française. Le journaliste était à Saint-Jean-Pied-de-Port. Dans un bar les paroles de Txoria txori étaient inscrites. La patronne expliqua qu’il s’agissait d’une chanson espagnole, elle ne savait pas trop d’où exactement. Le journaliste lui demanda ce que voulait dire "Hegoak ebaki banizkio"... Elle répondit "Hegoa, c’est le vent du sud !". Je ne sais pas si Joxean Artze, auteur de ce texte, pourra entendre cela... Comme il a un grand cœur, il lui pardonnera... mais c’est quand même un petit crime ! Maintenant, si dans un match de rugby, ils chantent Txoria txori n’importe comment, peut-être que cela vaut mieux que de ne pas la chanter du tout. Je n’ai pas trop d’intégrisme sentimental. Après tout, la chanson est aussi un outil.
Durant les dernières années, votre message n’est-il pas tissé autour du métissage ?
C’est vrai... C’est peut-être l’âge qui apporte ce genre de changement ! J’ai toujours pensé que le Pays Basque est notre pays, et lorsqu’il a été dans des situations difficiles, je crois qu’il fallait dénoncer cela. Notre génération a connu une frontière stricte et brutale, qui n’existe plus aujourd’hui. En tenant compte de ce changement, il me semble que la population des deux côtés respire mieux, même si un obstacle en amène un autre. Mais on ne peut pas toujours utiliser les mêmes choses. Mon message serait plutôt celui de vivre ensemble, et de ne pas penser que nous sommes les plus grands et les meilleurs dans ce vaste monde... Oui au Pays Basque, mais il est aussi possible de vivre avec l’autre, cette ouverture peut être forte. Elle n’amène pas la perte d’une certaine identité, elle l’enrichit.
N’y a-t-il pas le risque de perdre l’euskara en chemin ?
Ce risque est perpétuel, mais enfermer une langue ou une chanson dans un coffre à double tour, c’est la dernière solution. Si une personne qui n’est pas Basque voit qu’elle n’aura jamais accès à notre travail, notre langue, notre vision du monde... elle sera contre nous. Par contre, si nous laissons tout cela ouvert, si cette personne y perçoit une voie de liberté, d’émancipation, d’intégration, elle s’approchera de nous, et nous allons aussi y gagner. Peut-être qu’une personne qui n’est pas Basque peut aussi sauver l’euskara.
Est-ce que le groupe Guk aurait un sens en 2012 ?
Peut-être que certains thèmes évoqués sont entrés dans l’histoire. Je ne vois plus tant de gens quitter leur foyer, je dirais même qu’ils sont de plus en plus à emprunter le chemin inverse. Je ne ressens plus ce thème de la même manière. Ni cette idée d’un Pays Basque. Je ressens mieux l’idée que notre pays soit plus ouvert ; mieux montrer aux gens de l’extérieur notre ouverture, plutôt qu’une singularité insaisissable. Nous devons mieux apprendre à vivre ensemble, au sein de la culture basque. L’affaire de la langue a été notre schéma particulier, mais mieux vaut donner envie à quelqu’un qui est contre l’euskara, ou qui ne la sait pas, plutôt que d’en faire un ennemi.
L’ouverture, le vivre ensemble... Vous avez néanmoins choisi une violente confrontation pour thème de votre nouveau spectacle Amaiur...
Symboliquement, j’ai toujours pensé, toujours entendu aussi dans ma famille, que la Navarre était le cœur du Pays Basque.
C’est exact... Amaiur a été une blessure, le dernier souffle du règne de la Navarre. Il y avait des Navarrais, dont des garaztar ; des Souletins étaient aussi présents, un parent du capitaine du château de Mauléon y trouva la mort. Également des Béarnais, des soldats de la famille d’Albret... Cela n’a pas été une affaire exclusive des Basques, mais d’un point de vue symbolique, la Navarre perdit alors sa liberté et sa référence qui durèrent dix siècles. Même si je ne suis pas un féru d’histoire, je sais à quel point la Navarre était un pays libre, où l’on parlait quatre ou cinq langues, dont un type de provençal. Aujourd’hui encore, dans la région de Lizarra (Estella), certaines familles parlent encore l’occitan du Béarn, puisque le roi était Henri II d’Albret. Beaucoup de gens ont parcouru ces chemins, il y avait aussi beaucoup de Juifs. C’était une terre vaste et riche, ouverte aux idées nouvelles. C’est à mon avis regrettable qu’elle ait dû reculer sous la domination castillane. C’est une idée qui est vue différemment par d’autres, ce que je respecte. Aujourd’hui encore, certains Navarrais voient cette blessure de la Navarre, et ont souvent la question suivante : mais où étaient les gens du Guipuzcoa ou de Biscaye à l’époque ? Et l’Histoire nous dit qu’ils étaient aux côtés du roi d’Espagne... Le Pays Basque n’étant pas construit comme aujourd’hui, s’ils voulaient être libres dans ces lieux, ils devaient se ranger aux côtés du roi d’Espagne lorsqu’une guerre éclatait. Il me semble néanmoins qu’il reste certaines choses de cela, même si c’est inconscient. Cinq siècles, c’est long, mais pas si loin dans le temps... Symboliquement, j’ai toujours pensé, toujours entendu aussi dans ma famille, que la Navarre était le cœur du Pays Basque. Or, de nos jours, je suis triste de voir que l’euskara a disparu au sud de la Navarre. Et cette identité basque, on la retrouve plus en Guipuzcoa, ou en Biscaye. Ce serait mieux si elle était partout !
Pourquoi avoir choisi ce thème pour votre création ?
Cela a été une demande des habitants d’Amaiur. Je ne connaissais pas forcément ce village. J’avais déjà entendu le poème de Lauaxeta, Amaiur gaztelu baltza. Je savais que c’était un endroit particulier du Pays Basque. Après un concert, voici deux ou trois ans, des villageois vinrent à ma rencontre, m’évoquant les 500 ans de l’annexion de la Navarre en 2012. À cette occasion, ils voulaient faire quelque chose de spécial à Amaiur. La première idée fut de faire une pastorale. Mais je leur dis qu’il valait mieux laisser la pastorale en terre Souletine. Non pas qu’ils en soient les propriétaires exclusifs, mais en tant que Souletin, cela m’aurait été difficile de créer une pastorale à Amaiur. Un peu plus tard, je leur proposai de monter un spectacle particulier, avec leur troupe de danse. Pour évoquer cette histoire de la Navarre. Ce n’est certes pas une reconstitution, n’ayant pas les moyens de le faire, surtout aujourd’hui. Le but a été d’en faire une évocation poétique, à travers l’art.
Les gens de Mauléon se sont aussi impliqués...
C’est une très grande expérience que de tisser quelque chose entre Mauléon et Amaiur.
À peine avions-nous débuté le projet, que les membres de l’association des Amis du château fort de Mauléon vinrent me voir, avec l’idée de changer leur spectacle de son et lumière qu’ils font depuis cinq ans, pour faire connaître le château de Mauléon. Ils étaient intéressés par l’idée d’accueillir le spectacle Amaiur. C’est quelque chose de particulier, puisque les membres de cette association sont, pour la plupart, originaires d’Aragon. Eux sont nés ici, mais les générations précédentes étaient venues en Soule, étant des fabricants d’espadrilles. La plupart sont donc d’origine espagnole. J’étais un peu inquiet, ne sachant pas comment ils prendraient ce projet Amaiur... Mais c’est là que l’on voit tout ce que l’on peut faire ensemble, si l’on explique les choses. Travailler avec des Navarrais a été très positif pour eux. Lorsque nous avons fait notre première réunion ici, tous ensemble, les habitants d’Amaiur ont apporté leur drapeau. C’était un moment très touchant... En particulier pour les gens d’ici, une émotion et un respect. De mon côté, j’ai ressenti que c’était aussi comme cela que l’on construisait un pays, qu’on le rendait plus grand. C’est une très grande expérience que de tisser quelque chose entre Mauléon et Amaiur. J’avais averti tout le monde que le spectacle serait en langue basque, qu’il faudrait respecter cela, ou qu’ils devraient faire appel à quelqu’un d’autre. Il n’y a eu aucun problème. Humainement, cela a été une expérience très enrichissante. Nous n’avons pas vu tout cela avec des œillères.
Pourquoi faire des spectacles de la sorte ? Les pastorales ne vous comblent plus ?
La pastorale est une belle chose, la fine fleur de la Soule, qui a beaucoup de succès. Moi, je laisse la vie me guider. Il y a deux ou trois ans, je ne savais pas qu’il y aurait cette histoire d’Amaiur à monter aujourd’hui. Peut-être que demain, ce sera une pastorale, si j’en ai les moyens et l’envie... Mais je veux surtout donner du sens. Amaiur, que ce soit pour le lieu ou le symbole, est rempli de sens.