Philippe Oyhamburu (1921) a toujours été un inlassable ambassadeur de la culture basque. Il s'est attaché durant toute sa vie à faire connaître le chant, la musique et les danses basques au travers notamment des Ballets Oldarra, et du groupe Etorki dont il fut le créateur. Il a récemment publié ses mémoires en tant qu'instigateur et chef de choeur de l'ensemble Etorburu (1995-2008).
Plus connu sous le surnom de "Poupou", Philippe Oyhamburu est l'une des personnalités contemporaines qui a marqué le paysage culturel basque d'Iparralde (Pays Basque nord). "Euskaldun berri", ayant appris le basque à l'âge adulte, c'est un véritable personnage qui fut tout au long de sa vie musicien, écrivain et chorégraphe. En tant que membre des groupes "historiques" Olaeta et Oldarra d'abord (comme accordéoniste, danseur puis metteur en scène), puis à la tête des ballets et choeurs Etorki, deuxième compagnie professionnelle dans l'histoire du Pays Basque (après l'ensemble Eresoinka).
Dans l'ouvrage publié récemment à compte d'auteur De Tbilissi à Getaria en passant par New-York (1995-2008) Philippe Oyhamburu revient sur ses mémoires à la tête du choeur "Etorburu" dont-il fut aussi le créateur. Un prolongement du premier tome de ses souvenirs, "De Biarritz à Tbilissi en passant par Bogota - Chroniques des années saltimbanques (1942-1994)".
Il nous a accordé un entretien au mois de mars 2009 dont nous avons sélectionné quelques passages (remarque : les passages ont été traduits du basque au français, l'entretien s'étant déroulé en euskara).
(La famille de Philippe Oyhamburu partit vivre en Uruguay, à Montevideo, alors qu'il n'avait que trois ans. Ils y vécurent huit ans.)
Philippe Oyhamburu : J'ai vécu enfant à Montevideo. Et chose importante, je ne suis pas allé à l'école jusqu'à l'âge de huit ans!
Qu'est-ce que cela vous a apporté?
P.O. : Je ne sais pas, peut être un amour de la liberté, le goût du bonheur. En tous cas cela a marqué ma vie, je n'ai commencé ma scolarité qu'à Paris vers 8 ou 9 ans.
(Les parents de Phillipe Oyhamburu voulaient l'envoyer à l'école chez les soeurs à Montevideo, mais il pleura tant à l'idée de s'y rendre que, finalement, ils se résignèrent à le garder à la maison. Il y apprit à lire, écrire et à dessiner.)
Donc jusqu'alors, libre. On apprend aussi en suivant un cheminement différent des autres ?
P.O. : Oui, la liberté c'est dès le début quelque chose qui m'est apparu essentiel. Nous étions toujours dans la rue. Nous parlions en français avec nos parents et dans la rue hablamos el castellano de Montevideo, el mismo castellano que Buenos Aires. C'est quelque chose qui bizaremment m'a marqué. Ma mère était bien plus "artiste" que mon père natif de Biarritz, fils d'ouvrier qui avait réussi sa carrière mais qui n'était pas cultivé... Ma mère était plus instruite, son père était peintre... Ma mère, elle, avait un goût artistique...
P.O. : L'amour du Pays Basque est né en moi à Hendaye. Nous vivions alors à Paris mais mon père avait son frère et sa soeur qui vivaient à Hendaye. Demeurant au Pays Basque, ces derniers étaient plus intéressés par la langue basque et sa connaissance que mon père qui lui était tout le temps en déplacement. En 1937 les premiers réfugiés de la guerre civile commencèrent à venir à Hendaye de Fontarrabie et d'Irun. Un jour j'interpellais un des jeunes réfugiés: "Tu eres espanol?", il me répondit : "No, soy vasco como tu". J'avais alors 15-16 ans. Lui en avait 7... Pendant la guerre nous avons vécu à Biarritz. J'y ai connu Michel d'Arcangues, le fils du marquis d'Arcangues, les familles Sota et Urresti mais aussi beaucoup de réfugiés, biscayens pour la plupart. Je me rappelle d'un chanteur nommé Basterretxea, je ne sais pas ce qu'il est devenu. Il ne parlait pas français et je l'avais invité à la maison parce que je voulais apprendre le basque... Ensuite j'ai connu Monzon et Manu Sota; nous étions les trois très amis. Manu ne savait pas le basque mais avec Monzon nous ne parlions qu'en basque. Alors, avec le temps, j'ai petit à petit appris le basque. Pour toujours!
P.O. : Ma mère voulait que j'apprenne le piano Mi Mi Do Mi Mi Ré Mi Ré Do... Cela ne m'a pas plû et j'ai arrété. Ensuite je me suis acheté un accordéon, et sans connaître le solfège, j'ai commencé à jouer des airs de tango, de Charles Trenet... Je vivais alors à Paris. Alors que la seconde guerre mondiale avait commencé, en septembre 1939, j'étais à Hendaye: c'est là que j'ai entendu pour la première Jean Sebastien Bach et que j'ai commencé à aimer cette musique. Mon père ayant laissé son travail nous sommes revenus vivre dans sa ville natale, Biarritz. Et là j'y ai connu le txistulari Jontxu Hillau, le txistulari Michel D'Arcangues, qui jouait aussi de la guitare; c'est alors que naquit en moi l'amour de l'euskara, mais aussi de la musique et de la danse.
Comment vous êtes-vous décidé à rentrer dans le groupe "Olaeta"?
P.O. : Dans la vie il y a toujours une part de hasard et de nécessité. Le hasard aura été de croiser la route de Jontxu Hillau. Un baigorriar vivant à Biarritz et un excellent txistulari. Un jour il me dit: "Viens au groupe Olaeta, viens au groupe Olaeta!" … Moi que non, j'aimais ma liberté vous savez.... Ensuite, j'ai accepté et j'ai rejoins le groupe comme accordéoniste.
Ce fut votre première expérience artistique?
P.O. : Oui, j'ai ensuite appris la danse avec un enseignant du groupe Olaeta. Dans le groupe ils parlaient le biscayen et moi je n'étais pas bascophone! J'ai commencé par être accordéoniste et puis je suis devenu danseur. Et cela a été difficile de passer d'une discipline à l'autre.
Comment vous êtes-vous impliqué dans les débuts d'Oldarra?
(Le groupe Olaeta prend le nom d'Oldarra en 1945, un nom suggéré par le Père Piarres Laffite)
P.O. : Comme chef de choeur. C'était jusqu'alors une fonction que remplissait le Père Aranburu. Un jour, voyant que le choristes ne participaient que peu aux répétitions il décida brusquement de tout laisser tomber! La plupart des choristes étaient alors fils d'ouvriers. Ils me demandèrent de prendre sa succession ce que je fis petit à petit.
Sans connaître la musique, vous commencez à sélectionner les barritons, à travailler les voix... Comment?
P.O. : Je m'étais fait l'oreille auparavant! A Paris, avant le début de la guerre, en 1937, et 1938 le groupe Eresoinka se produisait avec 101 chanteurs, danseurs, txistularis et musiciens. Je les avais vus à la salle Pleyel en 1937. Puis ensuite au "Palais de Chaillot" en 1939. C'était un choeur exceptionnel, vraiment.
Les meilleurs y figuraient ?
P.O. : Ils ne faisaient que cela, en professionnels, pensez donc, ils avaient commencé leur tournée à Sare, puis s'étaient produits à Paris, à Bruxelles, en Hollande, en Angleterre... Tout cela avant que la guerre ne commence.
Vous avez mêlé la danse traditionnelle et contemporaine; avez-vous toujours été accepté en tant que créateur ?
P.O. : Non et en voici un exemple! J'avais fait donner les danses du Gipuzkoa avec des habits du XVIIIème siècle. Que n'avons-nous pas entendu alors de la part de certains Basques... De la même manière nous avons intégré des femmes dans des danses traditionnellement interprétées par des hommes. Petit à petit et de plus en plus... Aujourd'hui en Gipuzkoa, Biscaye ou en Soule cette mixité Homme/Femme est commune et admise, ces danses sont interprétées en couple. Nous étions des précurseurs, et il n'est pas bon d'être trop en avance sur son temps, on nous l'a reproché !
Vous aimez être précurseur, provoquer ?
P.O. : Non. J'ai toujours eu autre chose à l'esprit. J'ai toujours recherché la beauté. Ceci afin que le public se rende compte que oui, décidemment, en Euskadi, nous possédons de véritables trésors culturels. S'il existait aujourd'hui un groupe à l'image d'Eresoinka, un groupe se produisant dans le monde entier, alors personne ne nierait cette richesse, cette particularité et l'existence même d'Euskadi.
P.O. : Il y a de belle créations. Comme par exemple celle de Jon Maia, "1937, les sentiers du souvenir"... Le drame de Gernika, l'itinéraire de ces enfants de biscaye envoyés par leurs parents en Russie, en Angleterre, en France… Jon Maia en a fait une histoire émouvante. Ici aussi en Pays Basque nord il y a d'excellents créateurs comme Mizel Théret. D'autres me plaisent moins. On peut toujours "raconter" mais il faut garder sa spécificité "euskaldun", c'est ce qui est compliqué. Urbeltz a adapté un tango sur scène, pourquoi pas, mais dans ce cas là il faut dire clairement que l'on fait un spectacle de danse international! Rester basque et en même temps monter d'un échelon dans la création, c'est toute la difficulté.
La culture basque vit notamment grâce aux subventions. Qu'en pensez-vous ?
P.O. : L'argent est évidemment important, mais que fait-on de cet argent? La plupart des nations possèdent, par exemple, leur cinéma national, nous non. Combien de films sortent dans les salles en euskara? Quelques uns ou très peu, certain très bon, qui ne sont pas diffusés. Moi je ne les vois jamais sur la télévision basque. Si nous ne possédons pas une littérature et un cinéma de haut niveau, comment pourrons nous sauver l'euskara? Il est publié, dit-on, beaucoup de livres en euskara. Mais qui les lit? Il y a un problème. Les jeunes apprennent le basque mais à 18 ans ne le pratiquent pas. L'emprise de l'espagnol est tellement grande côté sud... Ils ne le pratiquent pas. Il nous faut une littérature, accessible mais dans le même temps de haut niveau. Nous sommes confrontés à des difficultés mais je pense que nous parviendrons à sauver la langue basque. J'ai cru un temps qu'elle disparaîtrait mais j'ai changé d'avis. La jeunesse est là. Je me plains souvent que les Basques du Pays Basque sud s'expriment mal en euskara mais il y en a aussi qui s'expriment fort bien, à la télévision notamment. Cette forme de basque sera conservée. Comment faire, par contre, faire en sorte que les autres formes de parler soient conservées et que les Basques soient conscients de leurs richesses linguistiques, c'est une autre question.