Peio Labeyrie (1983, Bayonne, Labourd) est un visage familier du monde de la culture et de la danse. Le jeune responsable de la nouvelle troupe Etorkizuna Kontzeptuak livre ici une profonde analyse de la danse basque. Cette compagnie artistique veut être un symbole de la nouvelle génération, son lieu de rencontre. Ravel Jauna, leur première création, a été donnée pour la première fois le 13 octobre 2012 à la salle Harri Xuri de Louhossoa.
Xan Aire : On croise plutôt les gens de votre âge à Euskal Herria Zuzenean ou Zpeiz Mukaki...
Peio Labeyrie : J'ai participé à EHZ durant huit ans. Avant Zpeiz Mukaki, il y avait Zpeiz Banako, où j'ai également pris part ! Puis la vie a fait que je ne pouvais plus être à droite et à gauche tous les week-end, mais je garde quand même un œil sur ces deux projets...
Zpeiz Banako avait apporté une nouveauté... Quel souvenir en gardez-vous ?
Ce fut vraiment un projet entre amis, entièrement. Neuf jeunes hommes de vingt ans, qui avons dansé presque tous ensemble depuis l'adolescence... Nous voulions montrer notre culture d'une autre manière, comme nous la sentions et la vivions. Or, la danse restait, selon nous, un peu vieillotte, et nous avons donc essayé, à notre niveau, de la secouer un petit peu. Sans oublier que la danse était, pour nous, prioritairement un art de la rue. Quoiqu'il en soit, nous avons vécu de beaux moments grâce à la danse...
Liez-vous la danse au collectif ?
Oui, de toute manière, la danse est faite pour être partagée. Puis il me semble que l'on prend le plus de plaisir dans un bon groupe, une bonne ambiance. La danse basque a cette connotation collective.
Les milliers de pas appris ne vous ont pas lassé de la danse, apparemment...
Non, pas du tout ! Nous avons débuté, pour la plupart, poussé par nos parents, comme au sport... Mais nous avons eu la chance d'intégrer un bon groupe, et c'est ce qui a fait que nous avons prolongé l'aventure. Nous étions au bon endroit pour monter des projets, avec Claude Iruretagoiena ou Patxi Perez, par exemple. Mais la réalité fait que les troupes se retrouvent réduites à un moment donné, puisque leurs membres sont contraints à partir...
C'est ce que vous avez pris en compte à Etorkizuna Kontzeptuak ?
Oui, c'est aussi pour cela que nous voulions monter cette compagnie. A partir d'un certain âge, peut-être lorsque le danseur commence à donner le meilleur de soi-même, on est contraint à partir. Cela arrive surtout pour aller faire ses études loin d'ici. C'est alors que certains se retrouvent sans amis dans leur troupe, et celui qui désire poursuivre la danse doit vraiment avoir la chance de se trouver au bon endroit, au bon moment. C'est pour combler ce vide que nous sommes nés, afin de donner une opportunité à celui ou celle qui veut poursuivre et apprendre la danse. Puis il faut savoir que dans les groupes de danse de villages, on se retrouve souvent à enseigner la danse, et on n'a guère l'occasion d'approfondir son apprentissage personnel. Par conséquent, le plaisir de la danse se limite à un répertoire, qui n'est d'ailleurs pas toujours révélateur de ce qu'est la danse basque. On n'évolue plus ! Pourtant, au Pays Basque, nous avons un vaste répertoire, nous sommes aussi touchés par les cultures extérieures, il reste donc beaucoup de choses à apprendre...
Etorkizuna konzeptuak est-elle une passerelle pour surmonter un vide ?
Oui, et c'est aussi une nouvelle génération. Jusqu'à aujourd'hui, les troupes étaient tissées autour d'un chorégraphe, et c'est ce dernier qui gérait les choses. C'est plus un constat qu'une critique : chacun a travaillé de son côté, au final ! Il me semble que c'est à notre génération de revoir, de refaçonner cela. Soyons un groupe de musiciens et de danseurs pour montrer ce que nous voulons. C'est aussi nous qui allons construire l'avenir...
Ce que vous évoquez là ne serait-il pas plutôt du ressort d'IDB la Fédération de Danse Basque ?
Comme son nom l'indique, il s'agit d'une fédération, et son rôle est plutôt de gérer les groupes de danse, non pas de créer une troupe ou un lieu de danse. Mais nous avons vraiment la volonté de travailler avec la Fédération de Danse Basque, et d'impliquer tous les acteurs.
L'un de vos objectifs est d'assurer les échanges entre Etorkizuna Kontzeptuak et les troupes de danse...
C'est un grand objectif, oui. Nous voulons finalement donner de la matière aux danseurs : qu'ils ramènent chez eux, dans leur troupe, ce qu'ils ont appris avec nous. Celui qui travaille avec nous prend d'ailleurs le compromis de rester dans son groupe initial. Nous voulons construire l'avenir de la danse basque ensemble.
Etes-vous réellement ouverts à tous les danseurs ?
Il y a là deux volets : celui du niveau et de l'implication. C'est sûr qu'il faut un certain niveau, que la plupart des danseurs de dix-huit ans ont, finalement. Mais à cet âge, il y a tout de même l'occasion d'apprendre plus, et c'est là que le facteur d'implication intervient. C'est pour cela qu'il est important d'offrir l'opportunité d'apprendre à ceux qui en ont envie. S'il le faut, nous commencerons par équilibrer les niveaux, et nous verrons mieux ce que cela donne dans quelques années.
Vous inscrivez-vous dans la durée ?
Notre premier projet, soutenu par la mairie de Saint-Pierre d'Irube et l'Institut culturel basque, se porte sur trois ans, et il est clair que nous voulons travailler de manière durable. Combler un vide, nous y développer, et nous adapter le plus possible à la volonté des danseurs.
Vous avez un partenariat avec le Malandain Ballet Biarritz : que vous apporte-t-il ?
Son expérience du monde de la danse et de la scène. La danse basque est apprise de manière populaire, sans grand lien avec le corps, finalement. On ne retrouve pas ce lien dans beaucoup de troupes... C'est beaucoup de : « regarde comment je fais, et fais pareil que moi ». L'aide de Malandain nous est de toute manière bénéfique, afin que nous goûtions un peu de professionnalisme nous aussi. Puis cela donne du poids au projet, de la crédibilité.
C'est en assurant la qualité que vous rassemblerez plus de public ?
Au final, nous voulons attirer les jeunes danseurs basques. Puis être une vitrine durable. De très beaux projets ont été conçu entre jeunes, mais de manière très ponctuelle. Il est aussi important d'être durable vis-à-vis des enfants, leur montrer qu'il peut y avoir d'autres objectifs dans la danse. De la vie, finalement.
Mais cela va-t-il attirer plus de spectateurs ?
Je n'en sais rien... On verra, la chose est somme toute nouvelle. Un chemin entre les amateurs et les professionnels... Mais on ne peut pas demander aux amateurs de produire beaucoup de spectacles. C'est là que nous avons quelque chose à surmonter. Étendre notre vitrine vers de nouveaux espaces. L'un de nos problèmes, c'est aussi celui de l'argent. Notre ressource économique est principalement l'argent public, il s'agit de voir jusqu'à quel point cela est possible. Du moment qu'un danseur s'implique, c'est aussi une contrainte financière. Sans compter qu'une chose est lié à tout cela : que montrons-nous, par exemple, aux gens de l'extérieur ? Les congrès des entreprises à Biarritz sont animés de spectacles de flamenco. Pourquoi ne pas leur montrer un spectacle basque bien élaboré ? Qui montre notre culture. Au final, la plupart des groupes de danse actuels se produisent dans les campings devant les touristes, contre une somme d'argent dérisoire. Il s'agit donc, désormais, de montrer réellement ce que nous sommes dans un spectacle profond, qui sera rémunéré à sa juste valeur. Le plus important est de percer une voie, parce qu'ensuite, on entraîne les autres avec nous, et tout le monde avance ensemble.
S'agit-il d'un manque d'autorité de notre part ?
Oui, et de la part des danseurs, également. La clé est de se faire respecter. Nous méritons, je crois, de nous produire dans des conditions dignes de ce nom.
Quel relation aurez-vous avec le folklore ?
Nous voulons étudier notre tradition, et faire vivre notre culture. Développer et vivre ce que nous avons appris de la tradition. Nous ne voulons rien renier, mais faire attention à la manière de présenter les choses, tout en assurant notre liberté.
Pourquoi avoir choisi Ravel pour thème de votre première représentation ?
Dans notre mode de gestion, nous voulions débuter par la base : les musiciens et danseurs qui participent décident. Lorsque nous étions en pleine réflexion, le 75ème anniversaire de la disparition de Ravel a été évoqué. Le contenu nous a paru intéressant, surtout le fait d'exprimer l'identité basque de Ravel, que nous connaissons peu, au final. Dans sa musique-même, on ressent des rythmes basques, par exemple. Il a toujours revendiqué que sa mère était Basque, et il a développé un sentiment basque à son époque, son contexte. Cela a été notre point de départ.
Ravel est aussi universel ?
Oui, ce qui peut nous aider, afin de montrer notre culture, de l'étendre, toujours avec profondeur.
Comment sera organisé le spectacle Ravel Jauna ?
Nous avons travaillé avec trois chorégraphes, Maider Oyarzabal, Bittor Corret et Christian Larralde ; chacun a pu donner son avis sur le sujet donné. Le spectacle est d'ailleurs composé en trois actes. Dans l'un, par exemple, nous avons adapté un morceau de Ravel aux instruments de musique basques. Pour en arriver là, nous avons dû approfondir le thème porteur. J'espère que nous montrerons et partagerons une facette méconnue de Ravel, que nous toucherons les gens. Nous limitons très souvent Ravel à son Boléro. C'est quelque part ce qui arrive à la danse basque : le fandango, le banako, puis c'est tout, cela s'arrête là...