Peio Berhokoirigoin (1956, Gamarthe, Basse-Navarre) est une figure connue du théâtre populaire basque. Il a goûté très tôt aux planches, sans oublier la rue et les places. La troupe Iduzkilore, dont il fait partie, a inauguré en décembre 2016 la pièce Telesforo ez da Bogart : quatre nouvelles dates ont déjà rejoint les douze représentations initialement programmées...
L’euskara devait probablement être interdite dans l’école de votre enfance, comme partout à Garazi...
Je confirme ! Les enfants affichaient généralement deux attitudes : celles et ceux qui continuaient à parler basque, et passaient leur temps à genoux dans un coin, et les plus sages, qui parlaient bravement français... Bon, je n’ai pas beaucoup obéi à cette règle, puisque l’euskara était notre langue maternelle, et que nous la vivions pleinement à la maison !
Dans une ambiance baignée de théâtre, imitiez-vous vos maîtres et maîtresses ?
Non, mais c’est vrai que le théâtre était important. Ama aimait beaucoup aller aux représentations : à St-Jean-Pied-de-Port, il y avait des comédiens comme Ugutz, Mixel Brust... J’y étais dès l’âge de dix ans, et grâce à notre mère, le théâtre m’a plu immédiatement : j’ai commencé très tôt à vénérer les comédiens de l’époque.
De quel type de théâtre s’agissait-il ?
Nos classiques : Matalas, Herriko Bozak... Des œuvres de Piarres Larzabal et Telesforo Monzon, auxquels s’est ensuite ajouté Daniel Landart. Les représentations avaient lieu au Vauban, qui était une des plus belles salles.
Qui organisaient tout cela ?
Je ne m’en souviens pas du tout. Mais il y avait un monde fou : 500 places, toutes complètes. Les spectateurs arrivaient tôt pour dénicher les meilleurs sièges ! Les retardataires rebroussaient souvent chemin, par manque de place !
Un tel engouement ne tombe pas du ciel...
Il n’y avait pas de télévision : certains aimaient le sport, d’autres le théâtre... C’est d’ailleurs notre mère qui nous a poussés à devenir comédien. Mixel, mon frère, a débuté à 18 ans dans la troupe Hiruak Bat, composée de jeunes d’Ainhice-Mongelos, Gamarthe, et Lacarre. J’ai commencé à donner un coup de main à 16 ans, puis souffleur à 17 ans ; j’ai également eu mon premier rôle à 18 ans.
Cette progression était-elle une règle ? On ne pouvait pas débuter en tant que comédien ?
Cela se faisait naturellement, on intégrait petit-à-petit l’ambiance, avec de plus en plus de responsabilités au fil de l’âge. C’était particulièrement intéressant de faire souffleur, car mine de rien, on entrait plus profondément dans la pièce de théâtre : on y prenait goût, et apportait une aide précieuse, car les trous de mémoires étaient nombreux ! Les filles commençaient plus tôt comme comédiennes : certaines dès 15 ans, puisqu’il en manquait souvent. Daniel Landart était alors notre metteur-en-scène, et je me suis beaucoup investi dans le théâtre grâce à lui... La première de ses œuvres que nous avons jouée a été Bai ala ez, à St-Jean-Pied-de-Port, puis dans beaucoup d’autres communes par ailleurs. Il y avait pas mal de troupes, et toutes avaient du succès.
D’où sortaient toutes ces troupes ?
De Garazi, Oztibarre, Irrissarry, Les Aldudes, nous-mêmes... Un peu plus tard, Bordaxuri à Hasparren... Il y en avait une douzaine en tout, et beaucoup de spectateurs. Nous étions des groupes d’amis qui aimaient se retrouver, ce qui donnait une complicité générale, autant entre nous qu’avec les spectateurs dans les salles de théâtre.
Vous avez évoqué des zones du Pays Basque intérieur, particulièrement Garazi : un secteur nourri de carnaval, qui devait aussi avoir une influence au sein de la culture théâtrale, non ?
L’apport du carnaval est effectivement indéniable : il s’agit de théâtre de rue. Malheureusement, je n’ai pas pu vivre la cavalcade de Garazi, puisque j’étais parti de la maison natale dès 18 ans. Mais à Ustaritz, j’ai participé au carnaval durant 25 ans, lors de mardi gras, et le jugement de Zan Pantzar. Cela fait aussi 25 ans que je suis Olentzero au quartier d’Arrauntz, et nous sortons chaque année dans la rue avec les enfants, enseignants et parents de l’école publique bilingue, ainsi que les chanteurs et musiciens... Nous allons de maison en maison. Mine de rien, nous baignons les enfants dans une certaine culture, ce qui n’est pas anodin vis-à-vis de l’avenir. C’est très important de penser à la suite des jeunes : savoir passer le relai. C’est ce qui a eu lieu à Ustaritz.
Il y a malgré tout eu une époque où le théâtre faisait pâle figure...
Je dirais que le carnaval a été un peu plus maintenu, généralement : c’est un peu plus facile de les organiser, notamment lorsqu’ils sont autour du jugement de Zan Pantzar. En un mois, on peut présenter quelque chose de très convenable. Il est vrai que les troupes de théâtre plus classique on eu tendance à disparaître : même si à notre époque, nous étions environ une douzaine, les troupes de jeunes ont été à peine deux ou trois, mais se repeuplent dernièrement, ce qui n’est vraiment pas mauvais signe. Les formations composées d’adultes, telles qu’Iduzkilore, sont moindres : une ou deux en Pays Basque nord, guère plus. Quelle est la préoccupation des troupes amateurs ? Un besoin en metteur-en-scène : on en trouve peu, hormis des professionnels. Cela suppose un coût, ce qui est logique, et plus de temps investi à travailler une pièce : de cinq à six mois, nous sommes désormais passés à 9 mois. Le système actuel a donc ses bons et mauvais côtés. Nous sommes moins aujourd’hui, alors qu’à l’époque, Bordaxuri et Xirrixti-Mirrixti étaient comme en concurrence : elle n’était pas réelle, mais cette double référence était un moteur, on apprenait aussi les uns des autres, on s’empruntait des idées. C’est peut-être cette ambiance-là qui manque le plus de nos jours.
Les auteurs n’ont guère été plus nombreux...
Il n’étaient pas nombreux, mais assez prolifiques : Larzabal énormément, Monzon, Landart... Nous jouions leurs œuvres, et n’avions aucune relation avec le Pays Basque sud. J’ai déjà joué la même pièce deux fois... Et croyez-moi que pour les autres troupes, c’était la même chose ! Mais certaines pièces fonctionnent toujours, c’est pour cela qu’elles sont classiques ; leur apport a été grand, et c’est aussi pour cela qu’il me paraît important de participer aux hommages de ces auteurs, pour que leur œuvre reste connue. Par la suite, de nouveaux dramaturges sont apparus : Antton Luku, Pantzo Hirigarai, Mattin Irigoien : ils étaient plutôt différents les uns des autres, mais ont bien heureusement beaucoup travaillé avec les jeunes, assurant aussi une grande qualité !
Mais est-ce que les jeunes ont toujours besoin d’un ou une auteur(e) ?
Toujours, oui : il est rare de voir des pièces écrites par eux-mêmes. Sauf durant le carnaval, où ils se sont débrouillés par eux-mêmes pour écrire notamment des jugements. Mais des dramaturges pour du théâtre en salle manquent clairement : cela ne me paraît pas un travail aisé, qui demande une certaine adresse, et de la confiance pour oser. Ces derniers temps, on se tourne vers les écrivains du Pays Basque sud, même s’il y a moins de culture théâtrale là-bas. Cela a été notre choix pour notre dernier travail, Telesforo ez da Bogart : il s’agit d’une pièce écrite par Xabier Mendiguren, mais qui n’a jamais été jouée jusqu’à présent.
Malgré une récompense acquise...
C’est effectivement bizarre : elle a remporté le prix Kutxa en 2003, mais est restée au fond d’une armoire jusqu’aujourd’hui. Le fait qu’une troupe d’Iparralde la prenne en main est symboliquement beau, même si nous n’étions pas forcément tous d’accord dans le groupe...
Pourquoi donc ?
Elle était assez difficile à lire, et pas forcément destinée au public d’ici. On sentait que la pièce était écrite par un citadin, et qu’elle respirait le monde urbain : on y percevait le bruit des voitures, la fumée, les night-clubs... Pas vraiment d’odeur de fumier, quoi ! (rires) Mais notre objectif a été de toujours offrir un théâtre divers : nous avons débuté par le drame Iduzkilore, puis la comédie Hazparneko Anderea, et là, nous souhaitions vraiment autre chose. Vu le résultat de notre première, je crois que nous avons réussi notre coup...
En quoi est-elle différente ?
La pièce a tout d’abord un lien direct avec le film Casablanca : même si tout le monde le connaît bien en Pays Basque sud, le film n’est guère populaire ici, ce qui n’empêche pas la compréhension de notre travail. Par ailleurs, trois histoires différentes s’enlacent durant la pièce, et c’est la première fois que nous nous essayons à une telle complexité : il y a l’histoire d’une troupe de théâtre, qui est plutôt comique ; des extraits de Casablanca y sont aussi repris, et la troisième histoire raconte comment des réfugiés basques ont fuit la Seconde Guerre Mondiale par le bateau Alsina, parmi lesquels se trouvaient Telesforo et Josefa Monzon ! Xabier Mendiguren a habilement tissé tout cela, et Inazio Tolosa, notre metteur-en-scène, savait vraiment où il souhaitait aller. Pour les dix comédiens que nous sommes, cela a été un réel défi à relever : nous avons pris du plaisir à travailler certains passages, d’autres étant cependant plus pénibles... La veille de la première était assez tendue, mais nous avons surmonté tout cela !
Avez-vous finalement adapté le texte ?
Nous avons introduit l’allocutif pour plus de familiarité, ainsi que réduit le texte : de deux heures, nous sommes passés à une heure vingt. Si la pièce avait initialement été écrite pour cinq comédiens, Inazio Tolosa l’a adaptée pour dix.
Aviez-vous une certaine pression vis-à-vis du succès de votre pièce antérieure, la comédie Hazparneko Anderea ?
C’est vrai que nous l’avons jouée 23 fois ! Mais au bout du compte, un tel succès garantit un public, même pour les pièces ultérieures.
A titre de comparaison, combien de fois jouiez-vous au maximum une pièce de votre jeunesse ?
Une quinzaine de fois tout au plus. Sauf Xirrixti-Mirrixti gerrenean plat, jouée une trentaine de fois ; il s’agissait également d’une comédie.
La comédie attire plus de monde... Vous n’avez donc pas eu la tentation de ne jouer que ce registre-là ?
J’ai souligné auparavant la volonté d’une chose différente, et je crois que nous voulons en faire une marque de la troupe Iduzkilore : par cette diversité, prendre le spectateur par surprise, attiser sa curiosité, ainsi que la dynamique de notre groupe. Je crois que les gens nous font confiance, et que nous avons un public. J’adore voir comment les spectateurs restent avec nous après les représentations, à blaguer et rire : il n’y a aucune distance, et c’est une ambiance qui manque au sein de la culture actuelle.
Qu’en pensent les professionnels que sont vos metteurs-en-scène ?
Je sais qu’Ander Lipus est resté bouche-bée, en contemplant de quelle manière nous remplissions les salles avec Hazparneko Anderea ! Il nous disait que là-bas, ils arrivaient à 50, voire 30 personnes par représentation... Mais nous avons constaté de nous-mêmes qu’il n’y a aucune culture théâtrale en Hegoalde. Particulièrement en Guipuzcoa, où le bertsolarisme fait bouger le monde. Il n’y a que le concours de théâtre d’Azpeitia qui attire du public...
Vous y avez d’ailleurs été auréolé du titre de meilleur acteur masculin, en 1983... Vous auriez assez d’expérience pour être metteur-en-scène...
Cela m’a déjà été demandé pour une autre pièce. On a également déjà pensé à une collaboration à deux, avec Maialen Fauthoux... Mais passer après Manex Fuchs et Ander Lipus, c’est un sacré défi ! Nous avons préféré mettre un peu d’argent, et confier la mise en scène à Inazio Tolosa. On ne navigue pas sur des sommes immenses : entre 15 000 et 20 000 euros, en un an et demi, tout compris (la technique, la mise en scène, le matériel...).
Il s’agit d’une somme considérable, pour des jeunes...
C’est vrai, et nous mêmes, c’est en gagnant le concours proposé par les structures de l’ICB et Hameka que nous avons pu toucher un peu plus d’argent. D’autre part, je sais que Pantzo Hirigarai offre la mise en scène des pièces qu’il a écrites, ou que Jean-Pierre Indaburu à Irissarry, Jean-Louis Negelua aux Aldudes donnent de leur temps... Le système d’avant a encore de quoi apporter, surtout avec les jeunes.
Le théâtre populaire peut-il durer sans être structuré ?
Je crois que oui, sous condition de penser à la transmission. Notre première fonction est de donner le goût du théâtre aux jeunes, en euskara, tel que l’a pu le faire Ugutz avec nous, par exemple. C’était notre première école... et nous ne percevions pas tout cela comme inaccessible. Je sais que Manex Fuchs s’émerveillait devant Xirrixti-Mirrixti... Les jeunes comédiens actuels aussi se régalent, et donneront envie aux autres de leur âge, ainsi qu’aux enfants qui sont en passe de devenir adolescents. Sans oublier le travail effectué par Antton Luku au lycée : il est impossible qu’aucun de ces jeunes n’aient envie de se lancer à l’avenir ! Nous avons vraiment été mal en point, mais je reste optimiste.
Un écosystème tel que fabriqué par le bertsolarisme n’a-t-il jamais été imaginé pour le théâtre ?
Il me semble qu’il y avait, à notre époque, une continuité entre le carnaval, dans la rue, et le théâtre en salle. De nos jours, on organise des stages en Hegoalde : une troupe professionnelle comme Artedrama s’y est attelée, et je sais que beaucoup de jeunes y sont inscrits. Un travail profond y est accompli, et c’est ce qui nous manque actuellement en Iparralde.
Que nous manque-t-il ?
Apprendre la mise en scène, au moins les bases, sans être trop contraignant. Certaines personnes d’Hegoalde sont prêtes à s’y mettre, et nous avons les outils adéquats ici, qui ne sont pas forcément toujours bien employés. Il s’agirait en plus d’une passerelle intéressante entre le Pays Basque sud et nord. D’autant que l’on trouverait du monde pour être acteur.
Si l’on structure et subventionne tout cela, que restera-t-il de l’ambiance et de la philosophie zirtzil ?
Je n’ai aucune crainte que les zirtzil seront présents lors du prochain carnaval ! Mais c’est effectivement une question fondamentale : jusqu’à quel point faut-il financer le théâtre, et la culture en général... Au sein d’Iduzkilore, nous avons fait le choix de ne pas dépasser certaines sommes. Certains investissements pour des pièces de théâtre ou de danse sont incroyables... Même pour des carnavals, d’ailleurs ! La culture doit être populaire, et dire les choses, particulièrement dans notre cas, en voyant ce que le théâtre, par exemple, peut donner à la langue basque. Il manque des moments pour évoquer tous ces sujets-là, régulièrement et entre nous tous.