C'est dans sa « tanière » à Hasparren que Pantxix Bidart (Hasparren, 1971) nous a gentiment accueillis. C'est ainsi qu'il appelle la salle de musique qu'il a installée chez lui. Il y passe des heures à composer et à réaliser ses projets. Les deux accords appris dans sa jeunesse lui ont permis de monter rapidement sur scène pour ensuite vivre de la musique, sans pour autant perdre sa liberté en chemin.
Sur la route, jamais sans ma guitare pourrait être un bon titre pour ce portrait ?
Oui mais je dirais plutôt utilisé au passé plus qu'au présent. Aujourd'hui, je passe la plupart de mon temps ici, seul, dans un monde isolé. Je sors moins, même si j'ai encore des relations avec l'extérieur. Mais il est vrai que j'ai passé une époque à voyager avec ma guitare, en Europe, au Québec, en Grèce. Un jour, je n'avais pas d'argent pour rentrer chez moi. J'ai chanté Izarren hatsa au pied de l'Acropole et j'ai réussi à payer le billet.
J'ai commencé la musique sans y connaître grand-chose. Nous apprenions deux accords et ça suffisait pour faire un concert.
La guitare a toujours été là, dans ma vie. J'ai commencé il y a 30 ans et aujourd'hui, je redécouvre l'instrument. J'ai grandi à l'époque du punk, même si je préfère le hard rock. Quand j'ai débuté, je jouais dans des groupes de punk et de hard rock, sans savoir grand-chose de la musique ; comme beaucoup d'autres de cette génération, on jouait deux accords et ça suffisait pour faire un concert. Quand je vois les jeunes aujourd'hui, il me semble que la plupart sont plus qualifiés, beaucoup passent d'abord par l'école de musique avant de créer un groupe. Dans mon cas, je n'ai pas appris à jouer de la guitare, j'ai détourné l'instrument à ma façon. Depuis, j'ai eu l'occasion de jouer avec de grands guitaristes dans différents projets et j'ai découvert que je n'étais qu'un rocker qui savait juste jouer avec les power chords. J'ai une sorte de complexe avec la guitare et je travaille dessus maintenant. Je ne serai jamais un grand guitariste, mais elle est toujours à mes côtés.
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Comment est née cette envie de chanter ?
La musique et le chant ont toujours été présents dans ma vie. J'avais à peine deux ans, quand à l'occasion d'un repas de famille je suis monté sur la table et j'ai commencé à chanter Pottoka mendian devant tout le monde. C'était mon premier concert. Puis à la maison, dans la voiture, mes parents ont toujours chanté, des chansons du répertoire basque bien sûr, mais aussi de chanteurs français comme Renaud ou Brassens. Tout petit déjà, quand nous allions le dimanche à Dantxarinea, je rêvais d'une de ces guitares espagnoles qui pendaient dans les rayons. Mais mes parents pensaient que c'était un caprice et ils ne me l'ont jamais acheté. À dix-sept ans, j'étais en classe avec Kittu Lazkarai et Bixente Hiriart. Ensemble nous avons créé l'association ZTK et bien d'autres initiatives dans le domaine de la musique. J'ai aussi enfin acheté ma guitare et dès que j'ai su jouer deux accords, nous avons commencé à faire des concerts. D'abord avec des groupes comme Istripot ou Mister Saguak, puis tout s'est enchaîné. Nous allions de concert en concert. À l'époque, il y avait des concerts de rock partout, nous faisions les bars, les gaztetxe et les fêtes de village. Comme beaucoup, je jouais en même temps dans trois ou quatre groupes. Et ce, durant six-sept ans.
Ensuite, où vous ont mené ces deux accords ?
Je suis parti quelque temps en Bretagne et j'ai eu là-bas un véritable déclic. En fait, j'ai commencé à chanter. Je faisais les premières parties d'un groupe de théâtre, mais je jouais surtout du folk acoustique. C'est à ce moment-là que j'ai eu une sorte de révélation.
En effet, les différentes formations dans lesquelles je jouais comme le groupe le BBAX, ont toutes terminé leur chemin. Je crois que la crise du Covid a poussé un système à l’extrême et je crois bien qu'elle nous a également emportée avec elle. Nous avons depuis peu lancé un autre projet de polyphonie composé de six chanteurs, avec Marie et moi-même originaires du Labourd, Claudine Harancet et Kattin Inchauspe de Soule, Ander Barrenetxea de Hernani et Ibon Errege de Bilbao. Nous formons donc un groupe de polyphonie basque que nous appelons A!. En ce moment, nous cherchons le son du groupe, car en polyphonie, il est important de trouver le son spécifique à l'ensemble du groupe.
En polyphonie, il est important de trouver le son spécifique à l'ensemble du groupe.
Par ailleurs, je suis récemment allé à Astaffort pour participer aux sessions de formation pour artistes organisées par le chanteur Francis Cabrel. Ce fut une très belle expérience car j'y ai rencontré des Occitans, des Corses et surtout des musiciens très forts, de mon point de vue. Avec un artiste occitan qui joue du piano, de la guitare et de l'accordéon, nous avons décidé de monter un projet ensemble, dans un format simple.
Vous jouez sur scène et en coulisse vous transmettez la musique.
Oui, je travaille dans la transmission parce que je crois qu'il faut partager ce que l'on sait. Je visite des écoles et nous organisons des ateliers de chant à Macaye ou Ayherre. Ces cinq dernières années, j'ai aussi participé au projet Musikeskolak, un projet lancé en Navarre par Gotzon Barandiaran. Ils ont lancé ce projet parce qu'ils se sont rendus compte que les jeunes n'avaient pas beaucoup de liens avec la chanson basque. Nous allons donc, tels des missionnaires, nous présenter et parler musique aux jeunes.
Je crois vraiment qu'il y a de la place pour tout le monde, si on le souhaite.
Le projet a commencé en Navarre, puis il a été réalisé dans la Communauté Autonome Basque et maintenant au Pays Basque Nord. Nous sommes une quarantaine de chanteurs basques qui participons comme Paskal Irigoyen, Maia Hiribarne-Olhagarai, Eñaut Elorrieta, Thierry Biscarry etc.... D'école en école, nous essayons de semer quelques graines parmi les jeunes, en espérant qu'elles donnent un jour de nouveaux fruits à notre patrimoine basque
Vous travaillez seul et en groupe, qu'est-ce qui vous va le mieux ?
On m'a souvent demandé de faire un disque seul et on m'a souvent proposé de faire quelque chose de simple, sans trop crier etc... Ceux-là, je ne les écoute pas, je fais ce que je veux. Après j'aime jouer au sein d'un groupe, pour la notion de partage d'échange, la contribution de l'autre. C'est ce qui m'intéresse. Par exemple, dans le nouveau groupe de polyphonie que nous sommes en train de monter, nous avons des voix souletines, un chanteur de Bilbao qui bouge dans le monde de la musique improvisée, puis il y a le propriétaire d'une cidrerie à Hernani. C'est un mélange très intéressant, pour voir ce que chacun apporte et ce que nous partageons. Travailler seul, ce n'est pas pareil. Par exemple, dans mon album eHe en solo, avec Mathieu Haramboure, j'ai eu du mal à me positionner. Je dis que ce disque est à moi parce qu'il est écrit par moi, mais il est vrai que Mathieu a beaucoup participé dans différents domaines. Ce disque est à moi, mais ce n'est pas tout à fait le cas, car il a été fait à deux.
Autrefois, des concerts étaient organisés un peu partout et aujourd’hui ils ont laissé la place aux vides greniers et autres marchés de Noël.
J'ai réalisé que dans un projet comme celui-ci, il faut vraiment savoir ce que vous voulez et être capable de diriger. Moi je ne sais pas faire ça. Il en ressort que je n'ai pas géré le projet et que je ne sais pas gérer une équipe. C'est pour ça que je préfère travailler en équipe. Cependant, je n'exclus pas de sortir un bel album en solo un jour. Mais je dois avant tout bien travailler la guitare. Ensuite, nous verrons.
Vous aimez combiner la musique avec différents arts.
J'ai beaucoup travaillé avec le conteur Koldo Amestoy sur un projet qui combinait paroles et musique. Je dis toujours que Koldo est très musicien dans son exercice. Il associe facilement les mots à la musique. Il a ce don. Nous avons aussi offert des récitals de poésie avec Itxaro Borda. J’ai également fait du cirque et j'ai participé à des performances avec Uztaro. Avec ce même collectif d'artistes, nous avons aussi sorti un clip vidéo pour le disque. Ils ont choisi une chanson et ils ont fait leur proposition artistique. Il n'y avait aucune recommandation ou condition particulière de ma part. Je les ai laissés entièrement libres. Et quand j'ai vu le résultat, j'ai été vraiment ravi. Je les ai remercié car ils ont vraiment fait un beau travail.
Le patrimoine immatériel est important pour vous ?
Lorsque je me rends dans les écoles et que je fais chanter les enfants, je vois combien ça leur coûte de chantonner une mélodie simple. Quand je commence à chanter, ils éclatent souvent de rire. Ce sont adolescents et c'est un âge compliqué, mais je crois qu'il y a autre chose. Je leur explique alors qu'ils se mettent à rire peut-être parce qu'ils ont honte, ou par peur de ne pas y arriver, parce que le lien naturel qu'ils ont avec la musicalité a été rompu. Je leur rappelle que c'est dans le ventre de la mère ou dans les bras d'un proche que nous ressentons cette vibration pour la première fois. En effet, il me semble qu'on nous a coupé ce premier contact avec la sensibilité et qu'il est important de le rétablir.
Il me semble qu'on nous a coupé ce premier contact avec la sensibilité et qu'il est important de le rétablir.
Quand avec les élèves, nous obtenons enfin tous ensemble une note, je leur fais alors sentir la vibration et la force collective qui en résulte. Je raconte ça pour exprimer l'importance qu'a à mes yeux le patrimoine immatériel. Il est essentiel pour renouer avec cette sensibilité et bien sûr avec toute la culture qui gravite autour. À côté de cela, j’ai un peu de mal avec cette tendance à l'égalité à tout prix qui s'étend de nos jours. Moi, je ne veux pas être comme les autres. Je suis content d'être différent. Je suis comme vous certes, mais nous sommes différents et c'est là que notre rencontre est intéressante. Sinon, nous serions des clones, tous masqués, tous pareils, tous avec quatre doses dans le bras et tous avec le même "bonheur". Moi ça ne m’intéresse pas. Je pense que c'est la culture et le patrimoine immatériel qui nous rendent différents. Il faut prendre soin de cela.
Vous avez aussi travaillé sans votre guitare, par envie ou par nécessité ?
Je dis souvent que j'ai fait une crise de la quarantaine. Il y a une dizaine d'années, j'étais dans une compagnie avec laquelle les choses ne se sont pas bien passées, même si nous avons fait de belles choses à l'époque. C’est un mauvais souvenir pour moi. Ma première fille venait de naître à l'époque et j'ai compris que je ne voulais pas l’accueillir dans un tel état d'esprit négatif. Je souhaitais profiter de cette nouvelle paternité. C'est alors que j'ai décidé de tout arrêter. Je pensais que la musique n'était plus faite pour moi. J'ai donc commencé à me questionner sur ce que je pouvais faire comme métier. J'ai toujours eu des liens étroits avec mon village. Nous nous plaignons souvent que la dynamique populaire disparaît, qu'il n'y a plus de commerce. Alors j'ai décidé d'ouvrir un magasin.
Il y a d'énormes festivals et une tendance à organiser des macro-concerts, moi, je suis heureux devant un public de quarante personnes, je rentre chez moi avec le sourire.
Je voulais un commerce social et où l'on parlerait basque car j'ai parfois l'impression que les basques, nous passons beaucoup de temps dans notre microcosme à débattre sur des grandes théories, mais à côté de ça, on ne trouve pas de commerces où l'on puisse s'exprimer dans notre langue. Et j'ai commencé à vendre du fromage. Je trouve que chaque fromage est en quelque sorte un bout de patrimoine immatériel, avec une histoire, un mode de fabrication qui lui sont propres. J'ai pris du bon temps à penser le magasin dans tous les détails. Ça a bien marché au début, mais ensuite je me suis ennuyé. Je ne suis pas bon dans la durée. J'ai fini par fermer le magasin au bout de quatre ans. J’avais fait ma part. Grâce à cette expérience, j'ai pu vivre en direct mon village et j'ai pu constater combien il a changé, combien l'aspect humain, de voisinage qu'il y avait à une époque s'est perdu. Aujourd’hui lorsque j'entre dans un magasin, je sais que ce n'est pas toujours facile pour eux. Je sais combien c'est compliqué. Mon regard a changé.
Que pensez-vous du milieu culturel et musical au Pays Basque ?
Récemment, j'ai fait une sorte de formation dans une structure culturelle officielle française et le responsable de la structure nous a accueilli avec ces mots : Vous devez savoir qu'il n'y a pas de place pour tout le monde, ce n'est pas un problème, c'est un fait. Avec cette phrase, il nous faisait comprendre que des quinze personnes présentes à la formation, toutes n'auraient pas l'occasion de pouvoir présenter leur travail, que beaucoup disparaîtraient avant. Bref, ils ont tant de places pour tant d'artistes. La visibilité de notre travail repose sur ce simple calcul. Je crains qu'ici aussi, certains agents culturels du Pays Basque aient assumé ce système et cet état d'esprit.
Je pense que l'on crée beaucoup dans le domaine de la culture. Il y a une offre incroyable. Nous éditons des disques en grand nombre, même si derrière, peu d'artistes vendent leur CD.
Je pense que l'on crée beaucoup dans le domaine de la culture. Il y a une offre incroyable. Nous éditons des disques en grand nombre, même si derrière, peu d'artistes vendent leur CD. Ensuite, il faut faire de la promotion pour vendre des disques et c'est une partie du travail que je ne sais pas faire.
Il y a aussi un autre facteur. Autrefois, des concerts étaient organisés un peu partout et aujourd’hui ils ont laissé la place aux vides greniers et autres marchés de Noël. Personnellement, je pense qu'il y a énormément d'espaces pour organiser des concerts au Pays Basque et que l'on pourrait facilement envisager une sorte de réseau afin d’assurer une dizaine de représentations dans les sept provinces. Ensuite, si cela fonctionne, les scènes peuvent se multiplier et même si le public n’est pas au rendez-vous, l’artiste aura eu l'occasion de faire découvrir son travail. Je pense que c'est le minimum que l'on puisse faire pour les artistes. À mon avis, c'est simple à réaliser, bien évidemment s'il y a une vraie volonté dans ce sens. Mais je crois bien qu'il n'y en a pas. Ici aussi, il y a d'énormes festivals et une tendance à organiser des macro-concerts, avec des groupes incroyables. Bref, un désir d’organiser de grandes choses. Mais moi, je suis heureux devant un public de quarante personnes. Je rentre chez moi avec le sourire. Je crois vraiment qu'il y a de la place pour tout le monde, si on le souhaite.
Un rêve ?
J'aimerais réaliser un projet musical en famille. Il va falloir patienter un peu, car l'adolescence n'est pas l'âge idéal pour chanter avec les parents devant un public. Je me vois bien préparer une dizaine de chansons et partir avec Marie, nos deux enfants et tous mes instruments faire un genre de mini- tournée, en guise de voyage, pour chanter çà et là en famille. Je ne sais pas vraiment si c'est un rêve, une utopie ou un projet à venir, mais j'ai cette idée en tête.