Mixel Etxekopar

Mixel Etxekopar

"Je ne suis pas entré consciemment dans le monde de l’art"

  • ICB - Xan Aire
  • 23-02-2015
  • Langue : Basque

Mixel Etxekopar (1963, Gotein-Libarrenx, Soule) est un artiste que l’on ne présente plus. Cet enseignant de métier a traversé bon nombre de domaines artistiques au son de sa txirula, guidé par l’improvisation. A l’occasion du festival Xiru, où ils inaugureront le spectacle Txorieri, il nous ouvre ici les portes de son jardin, peuplé de poésie et d’inquiétudes.

Même si vous êtes un artiste très populaire, il reste difficile d’imaginer dans quel environnement vous avez grandi...
C’est bizarre, parce que je suis en train d’effectuer en ce moment-même le lien entre mon enfance, et ce qui m’éveille dans l’art. Je sais, par exemple, d’où a démarré à peu-près le spectacle Txorieri, mais ce n’est qu’à présent que j’en ai réellement conscience. Et c’est agréable. Je suis né et j’ai grandi dans le quartier de Libarrenx, dans une ferme située en plein bourg. On jouait à la pelote contre un mur, et nous nous occupions simplement. Tout cela pour dire que je ne suis pas entré consciemment dans le monde de l’art. A la maison, aux alentours, tout le monde chantait, et c’était normal ! En se promenant dans les bois, ou bien en allant à la montagne, avec mon oncle... Ma grand-mère aussi m’emmenait au château de Libarrenx, où bon nombre d’oiseaux allaient se coucher au crépuscule. Je les contemplais bouche-bée. Quand ma grand-mère voulait me faire quitter les lieux, il paraît que je hurlais ! On grandit au sein d’un monde, sans se rendre compte de son influence. Puis, dès 14 ans, je fréquentais déjà les mascarades et pastorales, à jouer de la txirula, puisqu’à l’époque, on manquait cruellement de musiciens. Plus tard, il a fallu que je côtoie des artistes comme Bernard Lubat, Beñat Axiari... pour me rendre compte que la txirula, voire le simple fait de siffler ou encore le monde de mon enfance ne sont que poésie. 

La poésie avait-elle une place aisée au sein du monde agricole ?
Elle y avait une place, mais une place consciente, je l’ignore. Puis moi, j’étais un rêveur, que ce soit à la maison, entre amis, ou à l’école. Toujours en train de siffler. “Xorieri mintzo zen”... Même aujourd’hui, au milieu d’une réunion, mon esprit va s’envoler, et je peux aussi me mettre à siffler ! 

En contemplant votre parcours, on a l’impression que quelque chose vous a manqué, au sein de la culture basque souletine...
Cela a été quelque chose d’enrichissant, dès le début. Notamment en fréquentant un phénomène comme Etxahun Iruri. Mais si quelque chose m’a manqué, particulièrement durant l’adolescence, cela a été la langue. A Libarrenx, autour de l’industrie de l’espadrille, se croisaient les “Espagnols” (les Navarrais et Aragonais), les Français, et les euskaldun. Trois langues, mais une dominante : le français. Le fait de voir Etxahun improviser m’impressionnait autant que me frustrait. C’était une frustration positive, qui me donnait envie d’aller de l’avant, puisque je n’avais même pas le niveau de parler basque avec mes copains. D’autre part, si je devais souligner un autre manque, je dois avouer qu’il m’a été indispensable de sortir de la Soule. Grâce à la musique, deux fenêtres se sont ouvertes à moi : l’une vers le vaste monde, l’autre vers le Pays Basque sud, qui n’était à nos yeux que l’Espagne, point final ! C’est Etxahun qui nous a attirés vers le Pays Basque. Puis il y a eu le vaste monde : des musiques et cultures d’origines diverses, le concept de festival. C’est avec Lubat que j’ai découvert cela en interne, puisqu’il m’a invité au festival qu’il montait dans sa commune. Un concert en pleine forêt, et les gens qui payent pour y aller... J’étais ébahi, d’autant que l’on me demandait de reproduire ce que j’avais toujours fait durant mon enfance : siffler... Mais cette fois-ci, entouré de musiciens de renom ! C’est à cette époque que nous avons créé Xiru, laboratoire où nous avons expérimenté une création à partir de ce que nous sommes et de notre patrimoine. Cela m’a bouleversé, même si Etxahun avait laissé en moi certaines choses... 

Que vous a-t-il laissé ?
En dehors de l’importance de la langue, sa flexibilité à improviser. Il pouvait nous enseigner, lors de répétitions de pastorales, une chanson – sans notes, les mains dans les poches, tout à l’oreille et à la mémoire ; nous, à peine âgés de dix ans, complètement ahuris – mais un mois plus tard, il se pointait en ayant changé les paroles et la mélodie ! Puis on découvrit, en Soule, d’autres chanteurs euskaldun : Etxamendi ta Larralde, Lete, Iriondo, Lertxundi... On ne comprenait absolument rien, mais restions tout-de-même émerveillés. Puis à Gotein, avec sa population locale si particulière, un mélomane fit venir un quartet d’Argentine : c’était tout aussi éblouissant. Il me semble que cette époque-là a eu une influence au moment de créer Xiru, vers 1990. 

Dans quel esprit avez-vous créé ce festival ?
Au début, il s’agissait d’une rencontre entre txirulari ou assimilés. On se connaissait peu : les txirulari des vallées voisines, à peine ; ceux du reste du Pays Basque, pas du tout ! Nous avons donc invité des artistes monstrueux comme Fermintxo Garaikoetxea, Leon Bilbao, ainsi que des Béarnais, des Catalans... Puis nous nous sommes rendu compte que la txirula ne pouvait pas être un but, mais bien une clé qui ouvrirait autre chose. Voilà comment notre festival a changé, pour devenir le format que nous connaissons aujourd’hui, tout en gardant le même nom, en liant la musique et la création, même si nous travaillons toujours la même terre. Puisqu’à mon avis, nous ne créons pas à partir du néant. 

De quel œil avez-vous contemplé l’évolution de Xiru ?
En plus de la rencontre en elle-même, nous avons évolué au sein d’une Soule qui a perdu l’euskara au fil du temps. Comme j’étais déjà enseignant à l’époque, j’ai voulu partager l’expérience de Xiru avec les enfants. Nous sommes toujours dans la même dynamique aujourd’hui. Puis les filles du groupe Amaren Alabak nous ont aussi accompagnés : elles ont aujourd’hui 27 ans, le festival en a 26... Nous les avons vues grandir, elles nous ont vus vieillir. Pour nous, Xiru était une chose nouvelle ; pour elles, c’est de la préhistoire. Au sein de cette édition 2015, nous pourrons voir nos enfants s’y produire, et cela fait du bien de penser que la transmission, aussi humble soit-elle, reste active. Mais nous n’avons pas non plus à être des missionnaires. 

Même si Xiru est devenu un rendez-vous habituel, n’espériez-vous pas quelque chose de plus populaire ?
C’est un rendez-vous fidèle : quand vient le printemps, arrive Xiru, entre la mascarade et la pastorale. Franchement, il n’est pas facile d’évoluer à travers ces chemins-là, et nous avons déjà débattu à continuer ou non l’aventure. Mais voilà, une fenêtre est ouverte, afin d’effectuer des choses simples : il faut voir Xiru comme un outil. Malgré tout, je pense à ce chanteur bas-navarrais se rendant à Xiru, qui demanda son chemin à des habitants, profitant au passage de savoir s’ils comptaient aller au festival. Ceux-ci répondirent : “Non, non, Xiru, c’est pour ceux qui sont impliqués culturellement ; ce n’est pas pour nous”. Nous partagerions volontiers le festival avec plus de monde, mais organiser trois jours reste déjà une lourde tâche. Puis nous avons préservé une organisation au niveau de Gotein : cela a aussi son importance. 

Laquelle ?
Comme évoqué précédemment, Gotein reste assez particulière, après avoir vécu cette créolisation : le seul spectacle que verra mon voisin dans l’année, sera à l’occasion de Xiru. En plus de cela, les habitants ont la possibilité de participer à l’organisation du festival. C’est une chose qui a évolué : avant, au moment d’évoquer la programmation artistique, j’étais seul à parler, tandis que les autres s’exprimaient peu ; désormais, il faut voir le chahut – positif – qu’il y a entre nous ! Nous apprenons des uns des autres, humblement : la pastorale, à côté de nous, c’est Ikea ! 

Mais le voisin en question n’ira pas voir la pastorale ?
Non. Gotein propose ainsi des situations bizarres. Lorsque nous avons fait la pastorale, le voisin était là, le bâton à la main. Mais, même depuis, il n’est pas allé voir celle des autres villages. D’autres habitants de Gotein iront peut-être acclamer un artiste de la télévision sur Pau, mais c’est tout... 

Alors ils iront encore moins voir une mascarade...
C’est cela. Et, vu la situation critique dans laquelle se trouve l’euskara, nous n’allons pas en monter une de sitôt ! Même si la créolisation a été riche, elle a été effroyable au niveau de la langue. A part les enfants de l’ikastola, la plupart ne comprennent même pas l’euskara. Nous n’avons même pas d’école bilingue... Les habitants n’en veulent pas ! C’est plutôt brutal. Malgré tout, nous avons 25 enfants à l’école de danse : à part les noms de pas, les cours sont en français. Les parents ne veulent rien savoir de l’euskara. 

S’agit-il de complexes, de haine ?
Un mélange des deux : il y a là une schizophrénie assez tortueuse. C’est lié à cette volonté de se civiliser : la civilisation regarde toujours vers le haut, ou, dans notre cas, en descendant vers la France... Lors des fêtes, sous l’effet de l’alcool, certains vont dire qu’ils veulent apprendre l’euskara... comme ils veulent apprendre à jouer du violon. C’est-à-dire que même s’ils n’y parviennent pas, cela ne changera pas tellement leur vie. Cela m’est très douloureux à vivre. Même au sein de Xiru, lorsque nous souhaitons organiser des choses uniquement en euskara, cela reste très difficile. Pourtant, il me semble toutefois qu’il s’agit-là d’une thérapie. 

Nous retournons là au jardin de la poésie...
Oui, et dans l’édition de cette année, plus que jamais, avec le spectacle Txorieri. Encore une affaire sortie tout droit de l’improvisation. Le compositeur François Rossé, qui voulait organiser un concert sur Bordeaux, m’appela un jour : j’étais très content, mais quand je lui demandai plus de détails, il me répondit “on verra plus tard !”. Il va sans dire que sa réponse me plut beaucoup : ce moment où l’on doit perdre l’équilibre m’est fabuleux, que ce soit en école de bertso comme dans ce genre de spectacle improvisé. Le concert de Bordeaux se déroula si bien, que François Rossé m’a attiré vers un monde que je connaissais peu : celui des conservatoires, et de l’Europe de l’est. Je l’ai quant à moi attiré vers le Pays Basque, en Hegoalde, tout comme dans les grottes d’Isturitz, où je me suis retrouvé à jouer de la flûte taillée dans l’os. Nous avons toujours quelque chose sur le feu, et voilà que se dresse devant nous le défi Txorieri, en compagnie de l’orchestre Incarnatus de Tolosa. François Rossé a beaucoup aimé le fait de connaître en interne un projet en euskara. Etant lui-même Alsacien, il connaît notre situation. Tout en sachant qu’à ses yeux, l’improvisation reste la musique classique d’Europe. Nous nous sommes tous très bien entendus. 

Vous avez même fait une résidence...
Oui, humblement, grâce à cet orchestre pirate de Tolosa. Ils sont incroyables : avec peu de moyens, ils ont été partout, que ce soit à Baigorri, ou avec Mikel Laboa, voire Imanol... Migel Zeberio, leur directeur, est un type à connaître absolument. Il n’a émis aucune réserve lorsque nous sommes allés à leur rencontre : ils ont dit oui à tout. Les séquences de la résidence ont été fabuleuses, et grâce à cela, nous produirons également la pièce à Tolosa, en mai. Et je serai là, avec les txirula et les oiseaux de mon enfance. 

Quelle différence faites-vous entre cette résidence, et le projet Züek heben ?
Les deux ont des choses en commun, vu comment s’est déroulée la résidence de Tolosa : au milieu des gens. L’ambition du projet Züek heben est de constituer un atlas géo-poétique du Pays Basque. Nous sommes quatre membres à rester, durant trois jours, dans une commune : Joanes Etxebarria, Pierre Vissler, Galtxet, et moi-même. Nous fixons certains rendez-vous en amont, avec quelques habitants euskaldun de la commune où nous nous rendons, mais l’improvisation offre également d’incroyables rencontres. La plupart du temps, nous fixons notre camp de base dans un bar, et nous enregistrons les conversations avec les gens que nous y croisons. A la fin de la résidence, nous donnons une petite représentation, qui est aussi à moitié improvisée. Nous offrons aux habitants un voyage à travers eux-mêmes, mais c’est toujours nous qui apprenons le plus, lors de telles résidences. Notamment au niveau de la langue : s’il y a bien une musique basque, c’est celle en euskara. La première, l’unique, l’ultime. Et il est aussi incroyable de voir comment les gens ont cette capacité à poétiser la vie. Même s’ils n’en sont pas forcément conscients. 

Avez-vous un délai pour boucler cet atlas ?
Non... Avec l’idée d’une publication en tête, nous avons commencé l’aventure, et ce serait bien que les générations futures l’aboutissent. Nous avons parcouru cinq communes, et cela a été plus long que prévu... De Barcus à Usurbil, en passant par Hendaye. Là, une rencontre incroyable : un Egyptien ayant appris l’euskara, au beau milieu du vieux pont de Santiago. Je regrette un peu d’avoir donné le spectacle final dans une salle culturelle, après être resté dans deux bars d’Hendaye : même si nous avons bénéficié de conditions techniques optimales, nous nous sommes éloignés de la source, puisqu’il ne s’agissait pas du tout du même public. 

Quelle était l’ambiance lors du dernier Xilaba, championnat de bertsolari du Pays Basque nord ?
Mon premier but était lié à un défi personnel, mais il s’agissait aussi du fruit d’une chose collective : si, il y a vingt ans, on m’avait dit que des jeunes et une vieille branche comme moi se rencontreraient au sein d’une bertso-eskola, je n’y aurais pas cru. Et le fait de chanter dans le championnat-même, encore moins ! Cela a été agréable de connaître Xilaba depuis les coulisses, de contempler toute sa théâtralité. Mon seul regret reste de ne pas avoir coïncidé avec un ovni tel que Sustrai Colina lors des joutes à deux. Mais dans toute cette affaire, le plus important était pour moi de préserver la lumière allumée en Soule par les bertsolari Xan Alkhat et Ramuntxo Christy.

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