Mikel Dalbret (1941, Sousse, Tunisie) a tout laissé pour devenir peintre. Il dessine le monde de son regard acéré, du pinceau de la liberté, puisant la couleur dans sa profonde intimité. Du 30 août au 23 septembre, avec le soutien de l’ICB, il exposera ses dernières toiles à Larraldea, à Saint-Pée-sur-Nivelle.
Xan Aire : Si nous interrogeons vos peintures, que révèlent-t-elles sur vous ?
Mikel Dalbret : Pour moi, la peinture est, depuis le début, un mystère. Et je suis peu à peu en train d’élucider ce mystère. Je me rends compte que notre manière d’être, la mienne, celle d’un humain, est très compliquée, et des choses incroyables sortent, de temps à autre, de mon fort intérieur. Mes peintures révèlent les images qui sont en moi. Je suis souvent étonné devant le résultat : je ne savais pas que cette image était en moi.
Cela veut-il dire que, lorsque vous débutez une toile, vous ne savez pas où vous allez ?
Jamais. Mon œuvre est, de plus en plus, une création soudaine. Je me jette devant un espacé vierge ou vide. Cela fait 37 ans que j’ai débuté la peinture en tant que professionnel : il y a donc beaucoup de travail derrière moi. De toute manière, pour arriver à la création soudaine, pour l’insuffler, il faut beaucoup de travail. Mais je me rends également compte que les choses se répètent. Ce ne sont pas toujours des œuvres identiques, c’est plus une affaire de style.
Pourquoi les choses se répètent-elles ?
Cela vient aussi de mon mode de travail : je ne fais jamais de croquis. Ainsi, on ne sait rien de son travail, au départ. On est son premier spectateur : on doit accepter ou renier ce que l’on vient de créer. Je jette toujours ce que je renie, comme je le rejette de mon fort intérieur. C’est dans la phase d’acceptation que les choses peuvent me paraître répétitives. Dans l’art, on n’est jamais sûr de rien. Mais la vaste route du début se restreint, et il peut sembler plus facile de cheminer dans cette étroitesse. Car, au départ, on est en proie aux influences extérieures, et, ainsi, on n’a pas forcément de tendance propre à soi. Les œuvres intimes viennent plus tard. C’est ainsi que nous avançons, à la recherche de la clé d’un mystère.
Mais cette clé, vous ne voulez pas la trouver…
Je ne trouverai jamais la clé de la peinture. Je ne la veux pas. Lorsque l’on la découvre, c’est fini : on peut délaisser ses pinceaux, et aller à la pêche ! Il faut préserver une envie quotidienne, une motivation, et la faire perdurer, là est aussi le mystère. On tente de comprendre la peinture, l’art… Mais c’est un trop grand mystère. Pourquoi diable avons-nous besoin de créer ? De créer instantanément… Devoir matérialiser nos réflexions, c’est prodigieux ! En y réfléchissant bien, nous n’en n’avons pas besoin, pour vivre.
Vivre ce mystère peut-il être une souffrance ?
Je veux toujours écarter la souffrance le plus loin possible. Vivre dans le doute est le plus difficile. Néanmoins, pour créer, il faut un doute perpétuel… Cela peut paraître paradoxal, mais sans incertitude, on ne peut pas avancer. La peinture, je la veux et j’en ai besoin : c’est mon oxygène. C’est un élément de mon épanouissement : c’est pour cela que je ne recherche pas à être un artiste maudit. Pour aider mon travail, j’ai besoin du plaisir là, à mes côtés.
Vous prenez tout de même des risques ?
Oui, c’est ma manière d’être. Si mon chemin est risqué, tant mieux ! On gagne ou on perd. C’est l’aventure, l’adrénaline.
Quand avez-vous accepté d’être un artiste ?
J’ai d’abord effectué des études d’officier de marine marchande, puis d’ingénieur informatique. J’ai décroché un poste de haut niveau à Paris. J’ai alors délaissé les voyages, avant de me rendre compte que j’étais dessinateur depuis toujours. Quoi qu’il en soit, un enfant est toujours dessinateur, dans un premier temps : il dessine. Le temps décide, par la suite, que l’on soit dessinateur ou peintre. Je suis plus un dessinateur, cela se voit dans mon œuvre. Même si dans ma famille, on ne savait rien de l’art, j’ai toujours eu tendance à dessiner. Lorsque j’étais ingénieur à Paris, j’ai acheté une boutique dans la ville voisine de Saint-Germain-en-Laye, pour y vendre de vieilles peintures. Dans le même temps, j’ai appris à restaurer les toiles. C’est ainsi que j’ai appris à peindre. Et, en 1976, je choisissais de devenir peintre. Je délaissais un travail très intéressant pour m’engager dans une totale folie ! Un mystère… J’ai eu la chance, au départ, de connaître un petit succès, et je croyais alors avoir les munitions nécessaires pour tracer ma route. Mais je pense, encore aujourd’hui, que c’est une folie. Je ne savais pas du tout où je m’engageais ! J’ai connu un parcours abrupt, mais c’est un choix que j’assume depuis le début.
Comment avez-vous vu évoluer votre œuvre ?
D’abord, il était important d’entrer dans les « tripes » de la peinture : c’est ce que j’ai appris en restaurant les toiles, de la main d’un maître. Il est impératif de maîtriser les techniques, tout autant que de connaître l’histoire de l’art, d’ailleurs. Quoi qu’il en soit, à un certain moment, il m’a été vital de quitter Paris. Il m’était impossible de respirer. C’est un lieu idéal pour étudier, mais pour y vivre, non. Il y a trop de « parasites » pour vouloir avancer. C’est ainsi que je suis arrivé à Biarritz, en 1985. Je me rendais vite compte que mes créations de Biarritz étaient très différentes de celles de Paris. De Biarritz, je suis parti à Sare, et c’était encore différent. De Sare à Zugarramurdi, de Zugarramurdi à Ciboure : mes créations diffèrent toujours selon le lieu, et je ne sais pas pourquoi ! Je peux seulement dire que la construction de mon travail se fait toujours de la même manière.
C’est-à-dire ?
Le cercle est la première pierre de mon travail. En arrivant au Pays basque, la stèle discoïdale m’a été fondamentale : cela a vraiment été une rencontre touchante. J’ai appris le symbolisme du cercle, et aussi du carré, grâce au travail de Jose Miguel Barandiaran. D’ailleurs, le Père Marcel Etchehandy m’a beaucoup aidé. Au fil de mes dessins, le symbolisme basque a pénétré mon œuvre, de manière consciente. Pourtant, j’avais en moi cette tendance, mais sans un sens précis. C’est au Pays basque que j’ai débuté à travailler avec un sens. J’y ai acquis une plénitude. Je sais désormais pourquoi le cercle et le carré sont les pierres angulaires de mon travail.
Le fait d’apprendre l’euskara a-t-il eu une influence sur votre œuvre ?
Oui, que je le veuille ou non. Le fait de s’immerger dans la société basque, en tant que militant, a son influence. Un événement précis a été déterminant dans mon parcours : les obsèques de Betti Betelu. Ils ont enterré ce maître-danseur à Arcangues, et j’y ai pris une sacrée gifle. Je n’avais jamais rien vu de tel : à l’intérieur de l’église, la txalaparta, les chants, les élèves de Betti tout en blanc, avec des fleurs. L’Aurresku. Même si c’était une messe, je vivais cela tel un acte païen. Vraiment. Ensuite, ils placèrent le cercueil au centre de la place publique, recouvert de l’ikurrina. Ils envoyèrent le son des mutxiko : la famille de Betti commença d’abord à danser autour du cercueil, puis tout le monde suivit. Des haut-parleurs, la voix de Betti Betelu guidant les mutxiko. Incroyable ! Je crois que rien de tel ne peut advenir dans une autre société. Après avoir vécu cela, je décidai de devenir euskaldun. J'avais avant cela déjà pris des cours de basque mais c'est cet événement qui m'a véritablement déterminé à vivre en euskaldun. Cela a été la deuxième de mes décisions les plus importantes, quinze ans après avoir fait le choix d’être peintre.
Vous définissez-vous en tant qu’artiste basque ?
C’est aux gens de le dire, moi je ne le peux pas. Mais si je parle l’euskara, je suis euskaldun : cela me suffit. Je peux vraiment affirmer que la langue basque est tout un monde. Au Pays basque sud, on me voit comme un artiste basque. Mais ici en Iparralde, c’est très différent. Si l’on n’est pas né ici, c’est plus difficile. Même si je suis ici depuis 28 ans, même si j’ai effectué la plupart de mes expositions ici, que j’explique l’importance du symbolisme basque dans mon travail, la singularité qu’il apporte à mon œuvre… Malgré tout cela, mon statut d’artiste basque n’est pas évident, ici. Même si j’ai été en garde à vue pour avoir appris l’euskara, dans un de ces coups de filet fous de l’époque, on prend les types de mon genre à part en Pays basque nord. Comme perpétuelle personne de l’extérieur. En Iparralde, j’ai entendu que mon œuvre n’était pas basque. Mais cela m’est vraiment égal.
Est-il facile d’être peintre au Pays basque ?
Non. C’est très difficile d’y vivre, l’espace est étroit, et le public, lui aussi, assez restreint. Le Pays basque sud apporte plus, tout de même. Sinon, pour que l’art soit un métier, c’est vraiment difficile. Finalement, la société est normale, ici. Banale, non, mais normale, oui. Par contre, ma vie est ici, sans nul regret, ni doute. Je n’ai jamais eu envie d’ « envoyer balader » le Pays basque. Je fais passer naturellement l’identité basque dans mes peintures. Si l’on peint un danseur ou un pilotari, et que l’on dit que c’est basque, cela m’est d’une sottise sans nom. Mon monde basque est là, avec la liberté du surréalisme, et la lutte du symbolisme. Il n’est pas apparent, mais je ne recherche pas cette évidence : je préfère la recouvrir, et la suggérer.
Pensez-vous au public, à la critique, au moment de créer ?
Jamais. La solitude est votre compagnon. Si l’on n’aime pas la solitude, mieux vaut ne pas être peintre ! L’espace de l’atelier, le moment, est très particulier. La solitude m’y est indispensable, pour animer la curiosité. Puis, à un moment, donné, je dois décider si la peinture est aboutie, ou non. Là, je dois être seul. Ou bien je laisse une toile, dans un coin, et je la reprends, quelques mois plus tard, lui apportant un regard neuf. Si je la renie, la plupart du temps je l’efface. Ou alors, je considère qu’elle s’est bonifiée avec le temps, tel un vin âgé, et je la signe.
Pourquoi vous vient le besoin de les montrer ?
Pour partager. L’exposition offre des moments agréables. On peut y lier des relations intéressantes. Si une personne veut absolument acquérir une de mes œuvres, c’est assez touchant… On sent que l’on n’a pas perdu de temps ! Le partage est certainement le plus important.
Vos prochaines expositions sont très différentes l’une de l’autre…
Oui, la première est à Ciboure, à la chapelle des Récollets, vers le 15 août. C’est une exposition collective de peintres. J'y ai exposé mes photos il y a trois ans. Je ne suis pas un véritable photographe, mais mes seules photographies sont prises dans les ports.
La seconde exposition est à Larraldea, à Saint-Pée-sur-Nivelle, du 30 août au 23 septembre. Larraldea, c’est un lieu aisé pour exposer. Il y a une ambiance particulière. Et il y a peu d’endroit pour exposer. De toute manière, le chemin que j’ai emprunté n’est pas le meilleur moyen d’avoir du succès.
Pourquoi cela ?
Il n’est pas très facile d’entrer dans mon œuvre. Puis le monde des artistes est très sinueux… Il y a des modes, établies par l’argent, et la spéculation. Aujourd’hui, nous vivons dans un tel monde, mais demain, on ne sait pas… Il faut un peu de succès commercial, ce n’est pas une mauvaise chose. Mais cela peut également être périlleux, surtout pour la création, pour sa propre créativité. Si l’on a la motivation, le plaisir et l’envie, on peut arriver à quelque chose. C’est sur le long-terme, en persévérant, qu’une œuvre peut se bonifier.