Marina Beheretxe

Marina Beheretxe

"Je suis persuadée que Vivaldi est venu au Pays Basque et qu'il y a même dansé !"

  • LaukitikAt
  • 29-04-2019
  • Langue : Basque

C'est très jeune que Marina Beheretche (Bayonne, 1985) a réalisé tout le bonheur que peuvent procurer et offrir quelques notes de musique. Issue d'une famille bien connue de la scène musicale basque, c'est le violon qui s'invite dans sa vie pour l'accompagner sur son chemin d'artiste. Après plusieurs années passées à parcourir les scènes classiques avec l'Orchestre de Chambre de Toulouse, elle décide de revenir au Pays où elle est, depuis 2015, violoniste solo à l’Orchestre Symphonique du Pays Basque. Elle enseigne aussi au Conservatoire Maurice Ravel et participe à des projets musicaux qui, à son image, n'ont rien de classiques !

Le nom Beheretxe a t-il quelque chose de particulier pour apporter son lot d'artistes à chaque génération ?

Je ne sais pas… Ce qui est vrai c'est que je suis née dans un environnement musical. Avec mon père et mon grand-père tous deux musiciens à la maison, j'ai toujours vécu dans cette ambiance artistique. Ma mère aussi aime beaucoup la musique même si elle n'est pas musicienne. J'ai donc en effet grandi ainsi. 

Vidéo de l'entretien (en basque)

Vous avez d'abord essayé les baguettes ou l'accordéon avant de choisir votre instrument ?

Oui, un jour j'ai essayé les baguettes et la batterie, mais j'ai su très très jeune que je voulais jouer du violon. Mes parents m'ont dit que j'avais seulement trois ans lorsque j'ai clairement exprimé pour la première fois ce désir de jouer du violon et je crois que cette idée ne m'a plus jamais abandonnée. J'ai donc commencé dès sept ans les cours au Conservatoire, ici, à Bayonne et depuis je n'ai plus jamais arrêté. C'est ma vie, une très grande partie de ma vie.  

Votre entourage familial vous a aidé à faire ce choix professionnel ?

Chez moi, on n'écoutait pas du tout de musique classique, on écoutait beaucoup de rock, de la musique traditionnelle et beaucoup de musique du Monde. Mais c'est moi qui ai introduit le classique à la maison. Par contre j'allais voir beaucoup de concerts avec mes parents, je restais près de mon père sur scène, j'ai grandi dans cette ambiance. Mais j'avais moi aussi de mon côté une petite flamme déjà à l'intérieur, j'ai fait mon petit chemin.

On dirait que vous aussi, vous aimez jouer de villages en villages. 

Lorsque les premières notes résonnent le public ressent le plaisir que nous prenons à jouer et que nous voulons transmettre. Là, les barrières tombent, il reste juste la musique, le plaisir.

Souvent la musique classique a une mauvaise image, les gens pensent que c'est trop compliqué à écouter, que ce n'est pas une musique pour eux. Moi je crois, au contraire, que le classique est fait pour tous. Alors, dans la série de concerts que l'on a offert de places en places avec Philippe de Escurra, notre objectif était de faire connaître cette musique à tout le monde. Ensuite, il est vrai que l'on ne peut pas proposer n'importe quoi, certains morceaux sont difficiles, il faut faire des choix car nos oreilles ne sont pas habituées. Par contre, d'autres pièces sont plus faciles et par conséquent plus agréables. Avec Philippe, nous avions choisi des morceaux de compositeurs basques, Itsasi ou Guridi, mais aussi des compositeurs français, allemands... Mais toujours des morceaux appréciés par les basques, par exemple autour de la danse ou des musiques festives.

Puis, lorsque les premières notes résonnent je crois que le public ressent le plaisir que nous prenons à jouer et c'est ce plaisir que nous essayons de transmettre. À ce moment-là, je crois que les barrières tombent, il reste juste la musique, du plaisir. 

Vous avez aussi été à l'initiative d'autres projets en collaboration avec des artistes basques, comme « Lau sasuak »

En effet, durant ma courte vie, j'ai déjà eu la chance de partager beaucoup d'expériences, dans la musique classique, le rock, la pop, la musique traditionnelle. J'ai aussi beaucoup partagé avec des danseurs et il est vrai que j'aime beaucoup la musique traditionnelle, ses sonorités. Mais, là aussi, c'est dommage de voir que ces mondes sont séparés. Je crois, au contraire, qu'il est possible de les unir pour faire naître de jolies choses. 

© LaukitikAt (ICB | cc-by-sa-nc)
© LaukitikAt (ICB | cc-by-sa-nc)

C'est en prenant un verre avec un ami que les « Quatres Saisons » de Vivaldi ont résonné en moi ; et c'est à ce même moment que j'entendais les sons basques. En effet, la fameuse œuvre de Vivaldi nous évoque les animaux, la nature et elle a des sonorités qui me rappellent des instruments basques comme la txirula pour les sons d'oiseaux, la txalaparta pour le tonnerre, le pandero etc... Dans un autre morceau, je reconnaissais clairement le rythme du fandango. Je suis persuadée que Vivaldi est venu au Pays Basque et qu'il y a même dansé !

Les quatres Saisons de Vivaldi évoquent les animaux, la nature, avec des sonorités qui me rappellent la txirula pour les oiseaux, la txalaparta pour le tonnerre, J'ai aussi clairement vu le rythme du fandango. Je suis persuadée que Vivaldi est venu au Pays Basque et qu'il y a même dansé !

L'idée m'est venue ainsi. Pour la concrétiser, la présence de Mixel Etxekopar me paraissait indispensable. Au début, il n'a pas eu peur mais il m'a dit que j'étais folle pour avoir un tel projet. Je lui ai répondu que je ne le ferais pas sans lui ; il a été d'accord pour essayer. Mixel est une personne très ouverte, avec des idées merveilleuses. Nous avons ensuite créé le groupe avec Paxkal et Paxkaline à la txalaparta, Patrick au pandero. Nous sommes aller chercher un violon soliste à Bordeaux, un musicien qui joue aussi de la musique Klezmer avec par conséquent ce son traditionnel aussi, mais différent. Nous avons enregistré à Banca, au Pays basque, dans une petite église, en direct. Pour nous le son du direct était important pour l'ambiance, les bruits du public. Dans ce disque nous avons donc la personnalité de Vivaldi : nous n'avons pas enlevé une seule note. On y retrouve également les jolies couleurs du Pays Basque ainsi que les couleurs de la musique Klezmer, dans certaines improvisations. C'est cela qui est intéressant dans ce travail : tout mélanger pour créer quelque chose d'agréable.

Quelle a été la réaction des musiciens qui vous entourent concernant ce projet ?

C'était assez dur au début, ils se demandaient à quoi bon ce projet, quel en était l'objectif, ils pensaient que c'était bizarre, voire kitsch. Puis lorsqu'ils ont entendu le travail, ils ont trouvé que c'était bon, que les choix étaient bons et que le résultat était fin. C'était notre objectif. 

Vous avez souvent l'occasion de traverser la Bidasoa avec votre violon ?

À dix-sept ans, j'ai passé une année à Musikene, l’École Supérieure de Musique de Donostia-Saint Sébastien. J'avais fini le cursus du Conservatoire à Bayonne mais je devais encore passer mon bac ; j'ai donc décidé de poursuivre mes études de musique à Donostia cette année-là. Sinon, je joue de temps à autre en Hegoalde avec le projet « Lau Sasuak » par exemple, qui plaît beaucoup au public d'outre Bidasoa, c'est un plaisir pour nous.

© LaukitikAt (ICB | cc-by-sa-nc)
© LaukitikAt (ICB | cc-by-sa-nc)

Mais il est vrai que je n'y joue pas très fréquemment ; si je compare avec le nombre de concerts que je donne en Iparralde, en France ou dans d'autres pays, c'est trop rare malheureusement. À chacun son public, car il est vrai que le public et les goûts du public varient selon les endroits. Les influences culturelles varient et par conséquent, les goûts aussi. Ici par exemple, le public apprécie beaucoup la musique de Piazzolla, ses tangos, alors que de l'autre côté, beaucoup moins. Par contre « Lau Sasuak » est très demandé là-bas et beaucoup moins ici. Cela varie vraiment selon l'endroit où l'on se trouve.

Mais cela n'est pas une mauvaise chose, car en musique classique il existe des styles pour tous les goûts. Une vie n'est pas assez longue pour tout écouter et tout jouer ! C'est ce qui m’intéresse car moi j'aime tout, j'aimerais pouvoir jouer tous les styles, à une seule condition : jouer avec des musiciens qui prennent du plaisir et qui aiment le partager avec le public. Pour moi c'est le plus important ; c'est pourquoi je joue aussi du rock. J'aime enregistrer en studio, jouer avec des artistes qui font de la musique actuelle, des improvisations. J'aime tout à condition que cela procure du plaisir. Pour moi, il n'y a pas un style de musique plus important qu'un autre. J'aime tout mais il faut qu'il y ait ce petit truc qui se passe.  

On dit souvent que la musique classique est élitiste. C'est toujours vrai ?

Là aussi, cela dépend de l'endroit où l'on se trouve. Ici, par exemple, c'est une réalité, c'est difficile. On n'a qu'à observer le public qui vient au concert pour constater qu'il est en grande partie constitué de personnes d'un certain âge. D'ailleurs on se demande souvent ce qu'il va se passer lorsque celui ci ne sera plus là. Qui alors viendra nous voir ?

Pour nous, musiciens, le public peut applaudir entre les mouvements, ou commencer à crier aussi !  je préfère des cris de joie à des applaudissements froids. 

C'est pourquoi on travaille avec les plus jeunes, on propose de faire écouter la musique classique dans les salles de classe et on constate que le jeune public en raffole ! C'est plus tard que l'on perd cette sensibilité. Ce travail avec les jeunes générations, avec les enfants est très important car c'est notre public de demain !

Puis, il y a des personnes qui viennent voir un concert par curiosité et qui ressortent absolument enchantées ; mais il est encore difficile de les faire revenir. Ils demandent comment ils doivent s'habiller, l'heure à laquelle il faut arriver, comment il faut se comporter, bref ils se compliquent l'existence. Il faut aussi avouer que parfois, au sein du public classique, certains ont des habitudes qui compliquent un peu les choses. Mais en ce qui nous concerne, nous les musiciens, le public peut applaudir entre les mouvements, il peut commencer à crier aussi… Personnellement, je préfère des cris de joie à des applaudissements froids. C'est à nous musiciens à faire changer cela. Il est vrai que certains organisateurs de concerts classique suivent ce genre de règlement, et c'est à nous de dire au public de rester simple de profiter de la musique comme ils le désirent, de prendre du plaisir, car pour nous, c'est comme cela qu'il faut les vivre !  

Que pensez-vous du Patrimoine immatériel ? Que faut-il garder, ou écarter ?

Pour moi notre culture est très importante, notre langue, nos danses, la musique etc… Mais aussi notre façon de faire et il me paraît primordial de les faire vivre. De plus en plus de gens viennent s'installer ici ; cela ne me pose pas de problèmes en soi mais je crois que nous devons leur montrer notre mode de vie singulier. Nous avons un certain esprit ici, un mode de vie agréable, une façon d'accepter les gens, particulière. La langue aussi est primordiale, c'est à nous de la parler bien évidemment. Mais je crois que les nouveaux venus doivent aussi l'apprendre. Lorsqu'on va en Angleterre, on apprend l'anglais, c'est une évidence. Alors pourquoi pas le basque lorsqu'on vient ici ? 

Au-delà de l'interprétation, l'envie de composer vous effleure l'esprit ? 

La langue basque est primordiale, c'est à nous de la parler bien évidemment. Mais je crois que les nouveaux venus doivent aussi l'apprendre.

Il faut beaucoup de temps pour composer de la musique, pour penser, pour s'ennuyer ou plutôt pour se centrer, car l'inspiration vient lorsqu'on se consacre à l'écriture ; passer du temps est nécessaire. Il est vrai que j'ai déjà composé certains morceaux. Dans ma liste de projets, j'ai écrit un jour que pour mes trente ans, j'aurais enregistré un disque avec mon violon et mes propres chansons. J'ai trente-trois ans et il ne s'est pas encore réalisé, peut-être pour mes quarante ans ? Nous verrons bien. J'ai bien quelques compositions et j'aime bien cela mais le temps me manque pour m'investir plus en ce moment, ce n'est pas une priorité. Pour moi les choses ne sont pas fixées, la vie est longue est il y a beaucoup de choses à accomplir, mais chaque chose en son temps.

Avez-vous un projet rêvé ?

En fait, je désire une chose à un certain moment et autre chose un peu plus tard. J'aimerais aller au Canada, par exemple, ou aux États-Unis, pour voir autre chose. Je voudrais aussi enregistrer un disque avec mes amis où il y aurait des morceaux mélangeant de la musique traditionnelle et de la musique classique ; j'aimerais donner des concerts un peu partout dans le monde. J'ai beaucoup de projets, mais chacun en son temps.

Vous avez passé beaucoup de temps loin du Pays Basque.

Je suis restée huit années à Toulouse, dont quatre à l'Orchestre de Chambre de Toulouse. C'est un orchestre particulier formé d'instruments à deux cordes uniquement. J'étais la seconde soliste et par conséquent j'avais de grandes responsabilités. C'est à ce moment que j'ai appris mon métier, la scène, les répertoires, à devenir artiste.

© LaukitikAt (ICB | cc-by-sa-nc)
© LaukitikAt (ICB | cc-by-sa-nc)

Nous avons beaucoup tourné en France, et j'ai eu l'occasion de jouer avec de grands musiciens comme Gautier Capuçon, Anne Queffelec et beaucoup d'autres. Et je n'avais que vingt ans ! Nous donnions en moyenne une centaine de concerts par an, en Slovaquie, Espagne, Belgique etc... C'est beaucoup ! C'était une expérience formidable mais qui ne me laissait aucun espace pour faire autre chose, pour jouer avec d'autres musiciens. Par ailleurs, je désirais revenir au Pays Basque. Par conséquent j'ai pris le risque de tout laisser tomber à Toulouse, pour revenir au Pays, prendre le temps et mettre en place un nouveau projet ici. J'ai alors créé un quatuor avec des amis, et nous avons participé à divers concours avec des artistes de grand renom. Une autre très bonne expérience.

Et aujourd'hui, j'enseigne le violon au Conservatoire de Bayonne et je suis soliste à l'Orchestre Symphonique du Pays Basque.  

Comment se porte la musique classique au Pays Basque ?

Ici, la musique classique n'est pas celle qui attire le plus grand public, c'est normal car elle n'est pas vraiment présente dans notre culture. Pour moi, ce n'est pas un problème. C'est à nous, de la faire connaître et de montrer que les styles peuvent se mélanger. Au Conservatoire, par exemple, il y a une section de musique traditionnelle, de théâtre en langue basque etc. Dans mon cours j'ai des élèves bascophones et je leur parle donc en basque. Pour moi c'est important de montrer que l'on peut faire ces activités en basque, cela peut permettre au classique d'atteindre un plus large public.

Comment vit une violoniste au Pays Basque ?

J'ai des élèves bascophones et je leur donne cours en basque. C'est important de montrer que l'on peut faire ces activités en basque, cela peut permettre au classique d'atteindre un plus large public.

Elle vit, et en ce qui me concerne, mieux qu'à Toulouse. Là-bas, ils apprécient beaucoup la musique classique, l'opéra, le contemporain, la musique baroque etc... Ici, par contre, il y a un peu de classique, et il y a la musique traditionnelle, le rock etc. Il y a un choix plus large, avec plus d'opportunités. Moi je suis mieux ici.

Vous aimez aussi évoquer votre passion pour la musique au-delà de votre métier.

Oui j'ai proposé une chronique autour de la musique classique sur Gure Irratia pendant deux ou trois ans. J'expliquais un thème puis je faisais écouter des morceaux en relation avec celui-ci, je racontais les motivations d'un compositeur le choix des notes etc... Mais là aussi, le temps m'a manqué pour poursuivre l'expérience ; je reprendrai, peut-être, un jour. Avoir ce genre de relation avec le public est primordial pour moi, que ce soit avec les jeunes ou un public plus âgé, peu importe si l'on procure du plaisir… J'espère en tout cas !

Pour finir vous voulez, peut-être, répondre à une question qui n'a pas été posée ?  

Non je ne sais pas, je peux, peut-être, jouer un morceau ? 

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