Marie Landelle (1988, Angers, Maine-et-Loire) est directrice adjointe, responsable du Pôle d’Archives de Bayonne et du Pays Basque depuis 2013. Cette institution, longtemps revendiquée, encore méconnue, occupe une fonction clé dans la sauvegarde et la diffusion du patrimoine en Iparralde.
Quel était l’environnement linguistique et culturel de votre enfance ?
Je viens d’une région qui n’a pas d’identité culturelle locale forte : l’Anjou est ce que l’on appelle un peu pompeusement le berceau de la royauté française. Je ne me considère pas comme angevine avant tout : ce n’est pas ce que j’ai souligné à Paris, par exemple, lors de mes études. C’est d’ailleurs une attitude que j’ai découverte au Pays Basque… J’ai donc suivi un parcours scolaire des plus classiques, uniquement en français, apprenant quelques autres langues au passage : l’anglais, l’espagnol, le latin.
Mais vos spécificités culturelles locales n’étaient pas travaillées à l’école, lors de sorties scolaires, par exemple ?
J’ai eu la chance d’avoir des classes de patrimoine, mais plutôt dans la visée de rendre le programme d’histoire plus concret. Quelques figures locales ont été abordées : « le bon roi » René d’Anjou, les Plantagenêt, le château d’Angers, ceux de la Loire… C’était très classique, mais j’ai bien aimé tout cela… Après le lycée, j’ai effectué une classe préparatoire pour entrer à l’Ecole des Chartes, à Paris, qui forme aux métiers du patrimoine, et en particulier aux archives, très axée sur l’étude des sources historiques.
A 18 ans, vous saviez déjà que vous vous destineriez aux archives ?
(Rires) Cela m’a paru limpide depuis toujours, ou presque ! Une fois à l’Ecole des Chartes, j’ai même pris la spécialité archives : étude des institutions, des documents, des écritures anciennes, latin classique et médiéval… Tout ce qui permet de traiter un document pour pouvoir écrire l’Histoire aujourd’hui. Après une thèse sur l’histoire sociale du XVIIIe siècle, j’ai repassé un concours pour devenir conservateur du patrimoine : on a par la suite accès à une formation beaucoup plus professionnalisante à l’Institut National du Patrimoine, avec beaucoup de stages, et un débouché sur un poste de fonctionnaire d’Etat.
Poste que l’on ne choisit pas forcément ?
C’est un choix imposé ! On nous soumet une liste ferme, et il faut s’arranger entre candidats… Selon les contraintes personnelles et familiales de chacun, les ambitions, et les réputations des lieux de travail, plus ou moins fondées…
Vous avez donc hérité de Bayonne…
Pour être tout à fait honnête, ce n’était pas mon premier choix ! Presque tous les candidats étaient originaires du nord de la Loire, et les postes du sud ont été un peu compliqués à traiter… J’avais d’abord choisi Tours, par proximité à Angers et Paris, mais lorsque j’ai vu que cela serait difficile, je me suis dit que c’était l’occasion de sortir de mon cocon… Je me suis renseignée sur Bayonne, auprès d’Anne Goulet, à l’époque directrice du Centre Départemental d’Archives de Pau : le contact est bien passé, les missions me paraissaient intéressantes… Je me suis lancée !
Aviez-vous des a priori ?
Pas du tout ! A part la météo, que je soupçonnais capricieuse pour être venue au Pays Basque en vacances avec mes parents… Mais je n’avais jamais mis un pied à Bayonne. J’ai d’ailleurs découvert l’historique de son Pôle d’Archives, sa récente construction, les revendications antérieures une fois en poste ici.
On ne vous divulgue pas ce genre d’informations ?
Les postes sont présentés de manière très neutre, pour se renseigner de soi-même.
Qu’est-ce qui vous a donc marquée ?
Sur un plan personnel, j’ai dû me retrouver très vite directrice par intérim : la personne en place, qui a eu l’occasion d’adopter un enfant, est partie en congé parental trois jours après mon arrivée ! Sur un plan plus général, une chose frappe l’esprit assez clairement : le département est vraiment en deux parties. D’autres administrations ont aussi une antenne à Bayonne, et les gens se définissent soit du Béarn, soit du Pays Basque… Jamais des Pyrénées Atlantiques ! Je n’avais pas du tout cette vision des choses au départ, mais c’est très important de le comprendre, surtout dans notre domaine de travail : rien que pour notre organisation, il est primordial de saisir pourquoi des documents vont à Pau, d’autres à Bayonne… Nos équipes en ont l’habitude, et sont d’une grande aide.
Quelle est la fonction du pôle de Bayonne, par rapport à celui de Pau ?
Les administrations anciennes ou contemporaines ayant un siège à Bayonne ont systématiquement leurs archives ici. Le document le plus ancien de notre pôle provient du diocèse de Bayonne : il s’agit d’un recensement de ses vallées, en latin, de la fin du Xe siècle. Mais c’est la forte demande des communes du Pays Basque, appuyée par les revendications civiles, qui sont à l’origine de la genèse du pôle de Bayonne. Les communes restent propriétaires de leurs archives, mais nous en confient la conservation. Toutes n’ont pas les moyens de disposer de conditions optimales ; en prime, nous offrons la consultation publique des documents dans un cadre fiable. Une douzaine de communes avait conventionné préalablement à la construction de ce pôle, ainsi que la Chambre de Commerce et d’Industrie de Bayonne, qui dispose d’ailleurs d’un très beau fonds ancien.
Avez-vous le sentiment, par votre rôle, de participer à la reconnaissance du Pays Basque ?
Les communes des alentours ne souhaitaient pas aller sur Pau : elles désiraient avoir facilement accès à leurs archives. Je crois que notre première fonction est d’assurer un service public de proximité. Notre mission comporte aussi un volet contrôle technique et scientifique : il s’agit de nous rendre dans les mairies, dans le cadre d’inspections, qui aboutissent surtout à des discussions constructives sur la gestion des archives. On peut également prévoir des dépôts chez nous, et même avoir une démarche plus directive si nous constatons un danger de perte. Après, je suis aussi consciente de notre dimension symbolique : rien que de comporter la mention « Pays Basque » dans notre nom, implique une reconnaissance spécifique. Nous mettons également des ressources à disposition de personnes qui œuvrent pour la reconnaissance du Pays Basque en tant que tel. Nous participons aussi au programme Eleketa de l’Institut Culturel Basque : ce recueil de témoignages en langue basque implique aussi la présence d’une identité culturelle qu’il est nécessaire de documenter, et de prendre en compte même à l’échelle européenne, puisque nous évoluons dans une région transfrontalière. De toute manière, nous ne demandons jamais aux personnes de justifier de leur recherche : nous sommes un service public avec un maximum de transparence.
Parce que vous avez des contraintes ?
Il existe un code du patrimoine, qui s’applique de la même manière à tous : nous pouvons avoir des documents sujets au secret médical, aux procédures judiciaires… pour lesquels nous devons respecter des délais de communicabilité.
Est-ce que l’EPCI unique change quelque chose pour vous ?
Compte-tenu des importants mouvements qui auront lieu, notamment suite aux transferts de compétences, nous devrons rester vigilants pour qu’il n’y ait pas de perte de documents : cela signifierait perte d’efficacité pour l’administration, et perte de mémoire pour le territoire. Mis à part cela, nous n’attendons pas de grand bouleversement concernant notre fonction, ou notre existence.
Vous avez évoqué le transfrontalier : avez-vous des relations concrètes à ce niveau-là ?
Depuis l’année dernière, nous avons des relations avec les archives générales et royales de Pampelune : nous leur avons prêté des documents pour une exposition sur les trésors princiers de Navarre. Nous avons depuis mis en place un programme d’échange professionnel : ils sont venus en novembre ici, et certains membres de notre équipe iront là-bas en avril. Durant ce même mois, nous exposerons à Pampelune notre montage sur les jardins et villas de la côte basque, que nous avons adapté en mode trilingue et itinérant. Un projet d’exposition commune est aussi en train de sortir de terre, que nous espérons réaliser pour 2018, avec la Navarre, le Guipuzcoa, et l’Aragon.
Avez-vous entendu parler de Mintzola ?
Oui, mais nous n’avons pas eu l’occasion de nouer de liens concrets avec des structures comme Mintzola, ni Eresbil. Une journée est cependant prévue dans les prochaines semaines, dans le cadre du programme Bilketa (avec les médiathèques locales), afin de mieux connaître le travail concernant le patrimoine oral.
Mais vous êtes déjà partenaires du projet Eleketa de l’ICB…
Effectivement, et ce dans le cadre convention territoriale Pays Basque. Nous sommes d’ailleurs partenaires du programme équivalent en gascon, avec l’Institut Occitan. L’ICB est donc à l’origine du projet Eleketa, qui depuis 2009, est sous pilotage des archives départementales, pour lesquelles l’intérêt de cette collecte orale était évident. Notre fonction entend apporter une pérennité à ce patrimoine si spécifique, et c’est pour cela que nous sommes complémentaires à l’ICB, qui se charge de l’enquête de terrain et du premier traitement des enregistrements. Un protocole a été soigneusement défini, pour que nous arrivions à un inventaire de recherche le plus normalisé possible au sein de notre cadre, et ainsi le mettre sur notre site internet.
Vous ne pouvez cependant pas divulguer les enregistrements en ligne…
Non, mais ils sont consultables dans nos pôles. La diffusion est une question assez complexe : ces archives-là entrent dans le code du patrimoine et ses délais de communicabilité, évoqués précédemment. A l’heure actuelle, on ne peut pas diffuser en intégralité les enregistrements sur internet, et nous n’avons d’ailleurs pas les moyens humains pour cela. Ce qui n’empêche pas d’inclure des extraits lors d’expositions, par exemple, ou bien sur le site de l’ICB, après notre vérification : nous en sommes responsables.
Comment faites-vous, sans comprendre la langue basque ?
Personnellement, je ne pourrais pas y procéder, mais nous avons des bascophones dans notre équipe, qui sont en mesure d’accomplir ces vérifications ponctuelles. Dès la construction du pôle de Bayonne, il a paru intéressant d’avoir des personnes bascophones dans des postes stratégiques : responsable médiation culturelle, responsable service éducatif… Nous proposons par exemple des ateliers en basque pour les classes ici, ainsi qu’en occitan à Pau.
Pourquoi votre site internet n’est-il pas au moins bilingue ?
C’est vrai qu’il devrait être au moins trilingue… Je suppose que la ligne déterminée par le département a conduit à des sites institutionnels uniquement en français. Mais nos supports de communication les plus récents sont aussi déclinés en basque et occitan, tout comme nos expositions.
Mais un site internet unilingue n’est pas compréhensible, par exemple, pour les chercheurs d’Hegoalde…
Cela peut effectivement freiner la consultation, limiter le public. D’autant que nos outils de recherche internes sont aussi uniquement en français. Nous nous inscrivons dans la norme des archives départementales de France, et une position prise qui n’a pas été revue jusqu’à présent. On pourrait envisager des expérimentations dans les sites transfrontaliers, même si cela supposerait davantage de moyens.
Vous êtes en fait calqués sur la législation française : les langues comme l’euskara sont reconnues dans le domaine du patrimoine, mais le cadre administratif reste uniquement en français…
C’est exactement cela, avec les freins que cela suppose localement, ainsi qu’en transfrontalier.
Peut-être comptez-vous apprendre la langue basque ?
Je me familiarise avec le vocabulaire auquel je suis confrontée régulièrement, que ce soit dans la signalétique, ou mon domaine professionnel. Je ne suis pas assez disponible pour l’instant, même si le Conseil Général propose des cours, et que cela m’intéresse !
Vous occupez aussi un poste important : cela pourrait faire réfléchir du monde, si jamais…
Cela interpellerait probablement certaines personnes, mais je crois être à un stade où je me pose encore beaucoup de questions sur ce qui m’est accessible sans la compréhension de la langue. Nous échangeons beaucoup avec les collègues, et le regard que nous, personnes de l’extérieur, apportons, peut aussi être intéressant à ce niveau.
Est-ce que la présence de patrimoine oral est plus importante ici qu’ailleurs ?
Les départements ayant un gros programme de collecte orale sont souvent dans des régions avec une langue spécifique. La Bretagne a été assez précurseur dans ce domaine, par exemple. Le deuxième volet de notre partenariat avec l’ICB repose d’ailleurs sur la sauvegarde des fonds anciens filmiques et sonores, qui étaient en danger : les bandes magnétiques sont assez instables, et le fait d’en numériser une partie a été très important. Il s’agit de documents aux mains de particuliers, d’associations, de radios… Le fonds le plus conséquent a été celui de l’Abbaye de Belloc, qui est magnifique (notamment au niveau du chant), et désormais consultable ici.
Mais la civilisation change : comment faire intéresser les plus jeunes à tout cela ?
La divulgation du patrimoine est un défi quotidien ! Nous sommes dans une culture de l’immédiateté, du jetable… Alors que dans notre domaine, la notion du temps est différente… On pense souvent aux plus jeunes, mais rendre le patrimoine intéressant aux adultes n’est pas plus aisé ! Il s’agit pourtant de leur propre histoire… Les expositions ont aussi pour but d’ouvrir les portes des archives au public, qui a une image assez vieillotte et poussiéreuse de ces lieux… Les ateliers pour le jeune public sont aussi primordiaux : il nous arrive d’ailleurs de nous déplacer en Pays Basque intérieur… Puis des outils plus interactifs, comme des applications pour tablettes, sont inévitables de nos jours, et ludiques, liées aux expositions. Les journées du patrimoine restent incontournables : les gens osent alors s’aventurer dans des lieux comme les archives, et n’hésitent pas à revenir par la suite. Ils sont rassurés de voir un service public, et qu’ils n’ont pas besoin d’être chercheur pour pouvoir profiter de cet endroit.
Vous avez tout de même une relation intéressante avec les établissements scolaires…
Nous accueillons chaque année 2000 élèves dans le département, ce qui n’est pas rien ! Notre service éducatif est très actif, et un lycée comme Etxepare vient chaque année ici avec ses quatre classes de seconde effectuer des ateliers en basque. Deux enseignants de l’Education Nationale sont mis à disposition deux heures par semaine pour pouvoir travailler et créer des outils avec notre équipe, à partir de notre fonds. Nous avons toujours des échanges très riches avec les enfants : il me semble que c’est fondamental pour l’avenir de tous.