Maika Etxekopar (1987, Gotein-Libarrenx, Soule) est comédienne, chanteuse et musicienne. Elle sait aussi danser. Révélée au sein du groupe de chanteuse Amaren Alabak, elle fait partie, depuis deux ans, de la troupe Le Petit Théâtre de Pain, comme comédienne professionnelle. Ces derniers mois, avec les compagnies Artedrama et Dejabu, ils offrent l’œuvre la plus célèbre de Shakespeare aux quatre coins du Pays Basque : Hamlet, gaur eta hemen.
Il fallait voir cette jeune comédienne, un dimanche après-midi, dans une salle obscure de Ciboure, après son travail, saluer le public : la tête un peu basse, mais le regard en feu, impressionnée par les bousculés, s’abreuvant d’applaudissements. Et il fallait voir Maika Etxekopar, le jeudi suivant, dans les rues de Bayonne, la tête droite et l’œil doux, murmurer au vent froid venu de l’est, qu’elle n’imagine pas forcément son avenir dans le théâtre.
Peut-être parce que cette souletine est une artiste omnivore. Elle est immergée dans l’art depuis toute petite : de son barde de père, Mixel Etxekopar, elle reçut le chant ; et de sa mère amatrice de bohémiens, la danse. Elle ne pouvait donc pas y échapper... « Ils n’avaient pas d’ambition spéciale à mon égard. Ils m’ont transmis le monde artistique et basque comme si de rien n’était, doucement. Nous suivions mon père partout, et je me suis aussi nourrie en le voyant. Mais j’ai la sensation d’avoir vécu une enfance somme toute banale ». Avec, entre autres, le sport, et particulièrement le basket, « sacré à Gotein ».
Néanmoins, elle avoue que ce monde particulier lui fut un poids, à un moment donné. Cette rupture ne fut pas pour s’en éloigner, mais pour l’approfondir. « J’avais besoin de m’épanouir moi-même. Quelque part, l’art signifiait pour moi un monde d’adultes, et je voulais apprendre à l’aimer par la pratique. Par exemple, c’est là que j’ai vu, ce que faisait mon père comme de l’extérieur, pour la première fois ». C’est là que lui surgissent les premiers concours de chants basque, les premières saveurs de la scène. Egalement « tranquille et sans pression », de la main de son père.
Le poids le plus insignifiant fut peut-être l’école… « J’étais une élève très sage, pas du tout rebelle ! Mais je m’y ennuyais, et, au fur et à mesure des années, je vivais tout cela comme étant à l’armée ». Par faim artistique, elle fit le choix d’aller au lycée d’Orthez, où le théâtre avait une place et du temps considérables, même si tout se déroulait en français. « J’étais la seule bascophone, et j’y ai découvert un autre monde. Les Béarnais n’employait leur langue que pour s’amuser, pas du tout comme nous. Depuis, j’ai vus des amis dévoiler plus d’attachement et d’inquiétude envers leur culture ».
Pendant ce temps-là, la Soule créa Amaren Alabak, après une demande de Jean Mixel Bedaxagar pour le spectacle AndereGatik, en 2004. Les six jeunes filles, en plus de leur province, firent vibrer le Pays Basque entier. Vêtues de noir, sur leurs tabourets, entraînées par le succès, elles voguèrent de place en place. "Nous avons grandi avec Amaren Alabak. Au début, nous allions partout avec nos parents... Puis l’une d’entre nous décrocha son permis de conduire, et nous avons volé de nos propres ailes ! C’était vraiment quelque chose que les autres jeunes de notre âge n’ont pas vécu". Après un nombre incalculable de représentations, deux disques et une participation des plus remarquées au film Gartxot, les choses ont quelque peu changé, comme le veut la vie : quitter la Soule, pour les études d’abord ; le travail après. « Cela a été un autre rythme pour nous, mais nous continuons ensemble, nous restons très attachées, le chant étant un ciment des plus fermes ».
Des six membres du groupe, Maika est la seule vivant encore en Soule. « Mais de par mon métier, je suis moi-même souvent dehors ». Après être passée par Toulouse et Paris pour les études, aujourd’hui comédienne professionnelle de la compagnie Le Petit Théâtre de Pain (PTDP), les occasions de profiter de sa terre natale se sont amoindries, comme pour bon nombre de jeunes locaux. « Il y a cette réalité-là. Mais cette tranquillité et cette mélancolie me plaisent. Puis, en Soule, il faut la terre pour s’y épanouir : elle offre quelque chose qui n’a pas été construit par l’argent. Y vivre comme en ville, cela me paraît, quelque part, hypocrite. Je me demande si on ne lui fait pas plus de mal ainsi, en lui accordant une vie artificielle ».
Donner du sens à ce que l’on fait, voilà ce qui semble préoccuper Maika. C’est d’ailleurs ce qui l’a touchée lors de la pastorale Ederlezi. « A côté de la pastorale classique, cela n’a pas été quelque chose de gigantesque ; nous n’avons pas fait participer un village entier, mais cela a eu le mérite d’évoquer profondément le sujet des bohémiens. Ils l’ont bien prise en Soule, cela a ouvert des portes. Puis, par-dessus tout, cela a été une création. Cela m’est primordial : je me fiche de la forme ». Ils sont en train de préparer une autre pastorale alternative – pour la qualifier d’une certaine manière –, intitulée Eleanor. La pastorale classique apparaît telle « une vieille dame obèse » aux yeux de la jeune fille. « Je la contemple et, en dessous de beaucoup de choses, je trouve quelque chose que j’aime. Mais si on pouvait l’alléger quelque peu… ». Elle voit la pastorale plus que vivante : puissante, et aurait dans l’idée d’y adapter une histoire, un livre précis. Une femme auteure de pastorale. Un jour, peut-être.
Cela n’est pas pour tout de suite. Ces deux dernières années, Maika n’a pas chômé, particulièrement au sein de la troupe du PTDP. La plus jeune du groupe, dernière recrue, avec tous ses doutes et complexes. « Tout s’est déroulé très vite, après avoir reçu un formidable accueil, j’ai été immédiatement immergée. Tout est basé sur le travail collectif, les conseils, les remarques ; oser, et apprendre à se tromper aussi ». Malgré tout, elle ressent encore un manque au fond d’elle. « J’évolue beaucoup par intuition. A côté de la panoplie d’outils des autres, je sens la mienne vide. Occuper l’espace, avoir le corps plus libre, être frais au bout de 80 représentations de la même pièce… Je n’ai pas encore franchi le cap de prendre des risques. J’ai immédiatement assuré des ateliers dans les écoles, mais, là aussi, j’ai été guidée par mon instinct, même si je suis plus armée aujourd’hui ».
Elle pense que le fait d’être adroite et formée au chant lui a donné un avantage, pour pouvoir intégrer la compagnie aussi vite. Le fait d’être euskaldun aussi. Après les pièces Cabaret et Le Siphon, elle évolue, ces derniers mois, au sein de l’œuvre Hamlet, gaur eta hemen. Même si cela semble bizarre, il s’agit là de la première pièce en basque pour Maika. Elle y a aussi trouvé un groupe habité d’une grande complicité. “La création Errautsak fut un déclic pour les compagnies PTDP, Artedrama et Dejabu : ce pont leur a ouvert de nouvelles perspectives ». Jusqu’alors, chacun travaillait dans son coin, d’un côté et de l’autre de la Bidassoa, avec une frontière d’abord sculptée dans les mentalités. Cette peur de ne pas se comprendre. Durant ces trois dernières années, les échanges et les coopérations se sont systématisés. Le dernier fruit de ce mariage à trois est donc Hamlet.
Ils ont opté pour le pari d’adapter ici et aujourd’hui l’œuvre mythique de Shakespeare. C’est la riche plume de Xabier Mendiguren qui a été choisie pour le travail d’écriture en basque. « Même si c’est une œuvre de 1602, nous avons réussi à en sortir une pièce jeune et vivifiante. Il y a eu un perpétuel va-et-vient entre les comédiens, mais aussi entre la troupe et l’auteur. Notre Hamlet est aussi né de la scène. Les improvisations ont une grande force dans notre manière de faire, chaque comédien a essayé chaque rôle, puis c’est le metteur-en-scène, Ximun Fuchs, qui a eu le dernier mot, après nous avoir contemplés et scrutés attentivement ».
Des six heures de l’œuvre initiale, ils n’en n’ont gardé qu’une heure et demie. « En donnant de la force au jeu, et en se centrant sur les idées philosophiques, nous avons réussi quelque chose ». Montrer comment les doutes surgissent devant le fait de passer à l’acte, comment le fantôme du père peut suivre le jeune le plus ardent. « Finalement, la fatalité de la difficulté à éviter de se mentir à soi-même, de s’escroquer soi-même ». Malgré toutes les adaptations subies durant l’histoire, des comédiens basques se sont unis pour émietter le monument Hamlet. « Il y a des passages très divers, plutôt extrémistes : soit très dynamiques, soit très figés. Violents, aussi drôles que déchirants. Depuis la scène, nous ressentons le public bousculé. Même après-coup, lorsque l’on évoque la pièce ». Cela même si certains ont éprouvé des doutes envers des choix effectués pour l’adaptation. To be, or not to be.
Ils ont voulu porter la complicité du spectateur le plus loin possible. « Il fait partie de la pièce, il est l’un d’entre nous. C’est aussi pour cela que, si jamais quelqu’un nous l’avait demandé, il nous aurait été difficile d’ajouter des sous-titres en français ou en espagnol. Il y a des passages trop dynamiques pour cela. Puis nous aussi, en tant euskaldun, avons besoin de tels moments en notre langue, avec nos codes et singularités. Nous avons ressenti ce besoin-là, en tant que comédiens, ainsi que de la part du public ». Le besoin flagrant de lieux hégémoniques de la langue et culture basques, aujourd’hui et demain, ici. « Quand nous avons travaillé la pièce, cela a été très enrichissant, ayant exclusivement évolué en euskara : cela est devenu une langue de travail, en apprenant de nouveaux mots techniques, par exemple. Même si le basque unifié me paraît vraiment étranger ; peut-être plus que le français ».
La sensation qu’une route se creuse dans le monde du théâtre basque. « Un réseau est en train de se tisser dans le théâtre professionnel basque. C’est primordial. Le fait d’évoluer ensemble, d’apprendre les uns des autres… Voilà ce qui semble être un parcours durable ». Ainsi que l’objectif de donner envie aux amateurs. D’ailleurs, le PTDP privilégie les pièces en euskara en Pays Basque. « Il est vrai que Le Siphon, par exemple, ne sera joué que six fois ici. Ce n’est pas forcément le même circuit que Hamlet, mais il est important de faire vivre les différents parcours ». Hamlet aussi a d’ailleurs généralement fait salle comble. Quoi qu’il en soit, voici la culture basque revigorée par l’instinct collectif.
Et, au beau milieu de ce groupe, Maika Etxekopar. Oiseau solitaire, dont l’avenir se dessine en pointillés flous. « Le théâtre exige, prend beaucoup de place. Physiquement, ainsi que psychologiquement. Etre dans la peau des autres, les intérioriser. En résidence, être toujours en groupe. Tout cela m’est usant, même si j’aime vraiment ce métier, et évolue avec des personnes remarquables. Mais cela m’est difficile d’y trouver un équilibre de vie. C’est d’ailleurs pour cela que je ne participerai pas à la prochaine création du PTDP ». Elle est récemment apparue seule, sur internet, chantant contrebasse à la main. Voit-elle les prochaines années zirtzil, bouffon, ou barde ? « J’ignore quelle est ma route. Un peu de tout ? A moins que je n’éprouve l’envie de me taire ». Peut-être prononce-t-elle ces mots pour se rassurer. A moins qu’elle ne dise vrai. Qui sait ? Après tout, le théâtre n’est que mensonge, n’est-ce pas ? Mais qui a dit qu’un Hamlet sommeillait en chacun de nous ?