Maiana Aguerre

Maiana Aguerre

"Grâce à la cavalcade les relations se créent, les jeunes se bougent, les aînés encore plus"

  • LaukitikAt
  • 21-08-2019
  • Langue : Basque

Maiana Aguerre (Bayonne, 1997) n'a que dix ans quand sa professeure de violon lui propose de jouer pour la première fois à la cavalcade à l'occasion des fêtes d'Itxassou, en 2007. Consciente de l'impact de cette première expérience, elle a repris maintenant le flambeau et organise avec un groupe d'ami(e)s du village la cavalcade 2019. Elle nous parle de son village, des jeunes, des traditions et en profite pour tordre le coup à certains préjugés.

On vous croise souvent lors des fêtes à Itxassou en tant qu'organisatrice. S'impliquer, c'est important ? 

Oui c'est très important pour moi. J'ai débuté très jeune la danse basque au groupe Ataitze et j'ai très vite appris la musique aussi, au sein du groupe de danse et aussi auprès d'autres musiciens d'Itxassou. J'ai par la suite intégré le Comité des fêtes à seize ans ; au début je servais au bar et j'aidais dans d'autres activités pendant les fêtes. Depuis trois ans, je m'occupe de la programmation musicale et de l'accueil des groupes. Je suis très contente car j'aime la musique et grâce à ça, je suis l'actualité des groupes, je vais voir différents spectacles pour ensuite offrir un programme varié pendant les fêtes. 

Vidéo de l'entretien (en basque)

Quelle est votre recette pour des fêtes réussies ? 

Il n'y pas vraiment de règles. Mais ici, nous respectons certains codes ; il y a toujours des concerts le samedi soir et nous essayons de faire venir des groupes d'ici, de styles différents, basques. Le dimanche la fête est populaire avec un spectacle de danse, cela peut être une création ou un groupe de danse basques invité, suivi d'un kantaldi (festival de chant), d'un concert ou d'un petit bal. Les fêtes se finissent toujours par le traditionnel zikiro (repas à base de mouton). Chaque jour a son rendez-vous, et nous essayons de garder une ambiance basque, pour les gens d'ici. 

Les fêtes du village sont importantes pour les villageois ? 

Les villageois sortent tous pendant les fêtes, pas tous le même jour, chacun fait son programme, mais ils viennent tous.

Je ne peux pas répondre pour tout le monde mais je dirais que oui ; pour les jeunes en tous les cas, elles sont très importantes. Nous sommes déjà une quarantaine au sein du Comité des fêtes et idem au gaztetxe (maison des jeunes). Beaucoup d'anciens du Comité viennent aussi nous prêter main forte. Nous nous réunissons entre jeunes d'univers différents, chacun avec ses idées. Par exemple moi je m'implique beaucoup dans la vie du village et d'autres pas du tout. Mais cela n'empêche pas que l'on puisse se retrouver à certains moments ou dans certains contextes pour s'écouter et organiser des choses ensemble. Moi je m'occupe de la programmation musicale mais il arrive que d'autres viennent avec des propositions différentes et nous organisons cela ensemble. Par exemple cette année, nous avons un DJ le mardi soir qu'un jeune du comité a rencontré à Toulouse où il suit ses études. Il nous a proposé de le faire venir et nous l'avons ajouté au programme.

En général tous les villageois sortent pendant les fêtes, pas tous le même jour, chacun fait son programme, mais il apparaissent tous. 

Pour l'édition 2019 vous avez concocté un programme spécial. 

Oui, cette année nous organisons la cavalcade le dimanche des fêtes. Cela fait un an et demi que l'idée a germé au sein d'un petit groupe de quatre jeunes de la danse et nous avons réussi à mener le projet au bout. À Itxassou, la cavalcade est réapparue dans les années quatre-vingt dix. Elle avait aussi été organisée à une époque plus ancienne encore, puis plus rien pendant un siècle environ. Depuis 1990, les jeunes ont repris le flambeau et depuis trois cavalcades ont été organisées. La dernière a eu lieu il y a sept ans. En ce qui nous concerne, jusqu'à maintenant nous étions trop jeunes pour prendre la relève et nous nous sentions incapable d'assumer une organisation de cette envergure. Aujourd'hui, nos relations se sont fortifiées et, par conséquent, l'idée est réapparue, pour créer une dynamique au sein du groupe de danse d'abord, mais aussi pour faire renaître l'ambiance de la cavalcade dans tout le village.

Nous avons donc commencé à créer les danses et à organiser le programme. Dès que la nouvelle a été annoncée, le village a répondu présent, de nombreuses personnes sont venues nous proposer leur aide. Puis les répétitions ont commencé, le théâtre, etc. Les chants aussi ont été écrits par un ami du village et les musiciens qui ont participé aux créations sont aussi d'ici. 

Quels ingrédients faut-il pour créer une cavalcade ? 

Étant donné le nombre de personnes qui participent à un tel projet, il faut d'abord un petit groupe de travail qui se réunisse régulièrement. Nous sommes quatre à composer ce noyau, puis nous avons distribué différentes responsabilités à plusieurs personnes du village. Il y a, par exemple, une personne responsable de la musique et c'est elle qui gère le travail d'une dizaine de musiciens. Ils écrivent leur morceaux et c'est ensuite la personne responsable qui vient nous informer ou nous demander quelle autre danse ou quelle musique nous souhaitons. C'est la même chose pour le théâtre ; un de nous quatre suit de près les répétitions et ensuite nous en parlons ensemble, nous voyons le matériel nécessaire etc.

Nous avons démontré que même en étant jeunes, nous étions capables de gérer un tel projet et ensuite les gens nous ont soutenu avec leur motivation.

En ce qui concerne la danse, c'est nous qui avons tout décidé, tout imaginé et nous organisons les répétitions ; ensuite mon père, mon oncle et d'autre proches ont pris le relais car il faut savoir qu'environ cent trente danseurs participent à la cavalcade et une trentaine de personnes au théâtre. C'est beaucoup de monde à gérer mais heureusement, nous avons de l'aide et tout se passe dans une très bonne ambiance.

Il est vrai que lorsque nous avons annoncé le projet d'organiser la cavalcade, certains ce sont inquiétés à cause de notre jeune âge. Les organisateurs de la cavalcade précédente nous ont dit que c'était beaucoup de travail, qu'il fallait être très organisé et que eux ne se voyaient pas prendre cette responsabilité car cela avait été trop lourd lors de l'édition antérieure. 

Beaucoup de jeunes se sont bougés et nous avons aussi fait bouger le village, avec nos moyens.

Ces premières réactions nous ont fait un peu peur. Puis nous avons beaucoup parlé avec ceux de la génération de nos parents. Eux étaient danseurs et non organisateurs lors de cette cavalcade. Ils nous ont motivé. 

Enfin, nous avons pris notre courage à deux mains et nous avons décidé d'organiser une nouvelle cavalcade. La chose la plus importante à mes yeux pour démarrer un tel projet était la bonne entente entre nous. Ensuite nous avons montré aux gens que le programme était ficelé et que malgré notre jeune âge, nous avons su nous organiser, que ce n'était pas une idée en l'air, que nous étions conscients de la responsabilité que cela impliquait autant financièrement qu'au niveau de l'organisation. Nous avons montré que nous étions capables de gérer un tel projet et ensuite les gens nous ont soutenu avec leur motivation. 

Par ailleurs, la danse prend beaucoup de place dans la cavalcade. Il faut créer beaucoup de danses nouvelles, même si à Ataitze, nous proposons la danse basque de façon traditionnelle. Pour nous il est important de respecter la tradition basque ; par exemple nous dansons "les mutxikos" longs et de tête avec les pas anciens. Nous gardons les codes pour offrir les danses de façon traditionnelle. Puis le "fandango" et "l'arin arin" sont des créations, et nous avons un peu modifié "gabota" mais nous essayons là-aussi de préserver les pas traditionnels. 

© LaukitikAt (ICB | cc-by-sa-nc)
© LaukitikAt (ICB | cc-by-sa-nc)

Enfin, c'est dans la section théâtre, pour les "toberak" où la créativité est la plus importante. Nous sommes partis de rien, l'objectif étant de mettre en scène des histoires, des événements qui se sont déroulés à Itxassou, des sujets sensibles, pas toujours facile à aborder. Quatre comédiens du village ont écrit tous les textes ensemble, ils ont vraiment fourni un travail incroyable. 

Pour finir, il y a l'écriture de la musique. Proposer de nouvelles danses implique de créer de nouvelles musiques. Nous avons aussi essayé d'enrichir les musiques traditionnelles. Pour les costumes nous avons apporté de la nouveauté avec des costumes que d'autres groupes nous ont prêtés et nous avons rafraîchit les nôtres. 

Vous jouez aussi de la musique pour l'occasion ?

Pour la précédente cavalcade j'avais joué du début à la fin c'est vrai, mais pas cette fois-ci. Étant donnée la masse de travail pour l'organisation de cette édition, j'ai décidé de ne pas intégrer le groupe de musique, ni de participer au groupe de travail pour la création musicale ; les autres membres du groupe s'en sont chargés.

J'ai participé à ma première cavalcade à dix ans seulement. C'est à ce moment qu'est née ma passion pour la musique et l'envie de m'impliquer à Itxassou.

En 2007, j'ai participé à ma première cavalcade en tant que violoniste, à dix ans seulement. J'avais commencé le violon cette même année et ma professeure m'avait proposé de participer. C'était génial. D'ailleurs, c'est peut être à ce moment qu'est née ma passion pour la musique ainsi que mon envie de m'impliquer au village. Par ailleurs, c'est vrai que j'aime avant tout jouer de la musique traditionnelle, la musique basque et tout particulièrement les musiques de danses. Je pense que c'est ma professeure qui m'a attiré vers tout ça, en m’amenant jouer du violon à la cavalcade. 

Vous jouez aussi ailleurs qu'à Itxassou. 

Oui, j'ai débuté avec le groupe Zarena Zarelako il y a un an de cela. Nous sommes quinze filles dans le groupe. Nous composons toutes nos musiques. C'est un joli projet qui m'apporte beaucoup car je n'avais jusqu'à présent jamais composé et je n'avais jamais joué autre chose que de la musique traditionnelle. Là, les musiques ne sont pas toujours basques, elles n'ont pas le même timbre. Nous composons la musique que nous voulons, selon le moment. J'ai vraiment aimé ce projet car musicalement, chacune de nous apportait ce qu'elle pouvait et nous nous complétions entres toutes. C'était très enrichissant. 

Que pensez-vous du patrimoine immatériel ? 

D'après moi, en ce qui concerne la danse et la musique, il faut préserver la tradition, en respectant certains codes. Mais, la nouveauté est aussi nécessaire car c'est elle qui fera la tradition de demain. Nous évoluons en tant que société, nos idées avancent aussi ; il faut donc garder les choses du passé tout en proposant nos propres contributions.

Nous évoluons en tant que société, nos idées avancent aussi ; il faut donc garder les choses du passé tout en proposant nos propres contributions.

Ainsi nous apportons quelques chose sans rompre la tradition, juste en la modelant, et je pense que c'est nécessaire, pour avancer mais aussi pour transmettre. 

Vous trouvez que les jeunes s'impliquent dans la culture populaire ?

Je trouve que les jeunes d'Itxassou se sont vraiment impliqués pour la cavalcade. Les jeunes du groupe de danse ont trouvé l'idée géniale, même les très jeunes qui n'ont que quinze et seize ans ont de suite souhaité participer.

© LaukitikAt (ICB | cc-by-sa-nc)
© LaukitikAt (ICB | cc-by-sa-nc)

Ceux qui ont une vingtaine d'années n'étaient pas très enthousiastes au début, mais dès que les répétitions ont commencé, une dynamique s'est créée et ils ont réalisé que tout le village bougeait et que cela permettait de renouer les relations entre les habitants. Nous connaissons les villageois mais nous n'avons pas forcément de relations avec eux. Grâce à la cavalcade, les relations se créent entre tout le monde, les jeunes se bougent et les gens plus âgés encore plus. C'est vrai que l'on entend souvent que la jeunesse ne bouge pas, ne s'implique pas dans des projets de nos jours ; nous, à Itxassou, nous avons montré que beaucoup de jeunes se sont bougés et que nous avons aussi fait bouger le village, avec nos moyens. 

Quel est votre répertoire musical ? 

J'ai appris le violon à la maison auprès d'une professeure d'ici. Dès le début je savais que je voulais jouer les "mutxiko", et autres danses et chansons basques. Je ne suis pas sortie de ce répertoire, je n'ai jamais joué de musique classique, je n'ai jamais essayé. Par ailleurs, j'aime bien la musique irlandaise et je joue aussi de la musique traditionnelle d'ailleurs. J'aime bien ce style de musique et j'aime jouer ces répertoires.

Il faut savoir que le violon est très présent dans la musique traditionnelle basque. Les "mutxiko" et autres sauts se jouaient au violon accompagné du "ttunttun" (tambour traditionnel) à l'époque. Même si nous sommes peu nombreux, les violonistes avons notre place et notre style propre. De nos jours, les joueurs de "trikititxa" sont plus présents dans la culture basque, mais si l'on reprend les vieilles partitions et les vieux morceaux, les violonistes ont de quoi bien s'amuser. 

Vous traversez souvent la frontière ? 

Pas vraiment non, je ne sors pas beaucoup d'Iparralde. J'ai joué récemment avec Arkaitz Miner, musicien qui joue surtout de la musique traditionnelle basque. J'ai eu d'autres occasions parfois, mais en général, je ne traverse pas beaucoup la frontière. 

Vous gardez de bon souvenirs de vos études à Bordeaux ? 

Je suis restée trois ans à Bordeaux. Pour tout dire, cela n'a pas été évident pour moi, c'était difficile de m'éloigner, de laisser mes racines. Mais je trouve aussi que partir est une bonne expérience pour tout le monde, pour connaître d'autres ambiances, d'autres manières de vivre. Grâce à cela j'ai réalisé que nous avons ici vraiment de vraies richesses avec nos danses, la musique, la pelote, le théâtre et beaucoup d'autres choses que je n'ai pas vues à Bordeaux. À mon retour, j'étais motivée comme jamais pour faire des choses ici, pour participer à des projets ; en fait partir m'a donné envie de rester ici pour créer ici.

Ce qui m'a manqué le plus à Bordeaux c'est de ne pas parler en basque, cette langue grâce à laquelle nous communiquons au quotidien.

 

Ce qui m'a manqué le plus à Bordeaux c'est de ne pas parler en basque, cette langue grâce à laquelle nous communiquons au quotidien. Je trouve aussi que le chant ou la musique apportent une certaine vivacité entre nous, que nous avons notre personnalité quand nous commençons à chanter ou à évoquer un chant ou une musique. J'ai le sentiment que dans nos petits villages, chacun de nous a son identité, son rôle. Dans les grandes villes je trouve que l'on perd cette personnalité. C'est pourquoi je dis souvent que nous ne sommes pas grand chose dans ce monde mais quand on s'implique chez nous, dans notre village, nous avons une manière de faire qui nous est propre, et ça fait du bien. 

Vous parlez en basque au travail ? 

Je suis infirmière à Cambo-les-Bains. Nous sommes très peu de bascophones au travail et je parle en effet régulièrement en basque avec les patients âgés. Ils savent le français mais le basque est leur langue maternelle et dès qu'ils voient que je m'appelle Maiana, ils me demandent immédiatement si je sais le basque. Grâce à ça, je noue une relation particulière avec ces patients, ils parlent plus facilement de leurs difficultés ou de leurs besoins, et c'est important aussi au moment des soins. Avoir cette relation en langue basque au travail est quelque chose de très enrichissant. 

D'autres projets en tête ? 

Les idées ne manquent pas mais aujourd'hui je n'ai pas d'autre projet défini. Je jouerais avec plaisir dans un groupe de musique irlandaise et j'aimerais travailler différents styles de musique. Mais pour l'heure je ne me projette pas, j'ai assez de travail pour l'instant. De plus je suis vraiment contente avec les projets que j'ai entre les mains, je ne laisserai jamais la musique, j'aime aussi beaucoup Zarena Zarelako. À ce jour, ces projets m'enrichissent, je suis ravie ainsi. Demain sera un autre jour.

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