Luzien Etxezaharreta (1946, Urcuray, Labourd), ancien journaliste de la fédération des radios basques Euskal Irratiak, est depuis toujours coordinateur de la revue et maison d’édition Maiatz. Il sera présent avec sept nouveautés au Salon de Durango, garant de la création littéraire écrite du Pays Basque nord.
Lors de votre enfance, quel moyen aviez-vous de lire en basque ?
Il n’y avait aucun moyen. Mais je me souviens comment l’hebdomadaire Gure Herria était distribué aux représentants des familles à l’église d’Urcuray, le dimanche après la messe. Puis il y avait le catéchisme, dans les années 1950, pour s’alphabétiser en euskara. De nos jours, on dit que les euskaldun étaient analphabètes dans leur propre langue, mais je crois que les gens d’un certain âge lisaient en basque par ce mouvement gravitant autour de l’église. Je me souviens pour ma part comment nous devions apprendre, en lisant, bon nombre de prières et d’actes... Qui étaient majoritairement en latin, mais aussi en basque, surtout lorsque l’on était enfant de chœur. Cet euskara de l’église a eu son influence : une sorte de formation pour ceux qui l’ont utilisé, une langue basque classique, qui trouvait sa source vers les XVIe et XVIIe siècles, et qui constituait une base de l’écriture à notre époque.
Nous avons-là un sacré débat, qui a dû vous toucher : savoir si l’église a beaucoup œuvré ou non en faveur de l’euskara...
Notre génération soixante-huitarde envoyait balader toute forme de pouvoir ! J’avais vingt ans à l’époque, et m’étais rendu compte de la relation entre église et pouvoir... Notamment en Espagne, en voyant ce que les abertzale de l’époque devaient subir. En même temps, il y avait aussi des curés qui œuvraient pour la libération de l’Amérique du Sud, ou l’attitude droite et honnête du mouvement Témoignage Chrétien lors de la guerre d’Algérie : il s’agissait-là d’exceptions, puisque l’église suivait généralement le conservatisme ambiant. Le jansénisme a traversé le XIXe siècle jusqu’à l’époque de notre enfance, mais cela a été suivi ou non suivant les curés. A Hasparren, nous avions droit à Idieder, qui était très rude, contre la gauche, alors qu’à Urcuray, il y avait Bayle, qui était très agréable et ouvert. Si je devais généraliser notre situation, je dirais que les curés bascophiles ont construit une église respectable, en tenant compte qu’il s’agissait d’un lieu important pour la communauté basque. L’une de ses principales branches a été la gazette Escualduna, qui a néanmoins eu ses mauvais côtés, en soutenant un nationalisme français et un monde conservateur en faveur des notables.
Y-avait-il à l’époque des sujets sensibles autour de tout cela ?
Je sais qu’aux tous débuts de Maiatz, vers la fin des années 1970, il ne fallait pas trop évoquer l’église entre nous. Mais nous avions tous envie de choses nouvelles. L’église œuvrait contre l’espoir... et donc en faveur du renoncement ! A l’époque, nous n’avions guère besoin de cela... Eñaut Etxamendi raconte aussi que l’église n’a rien fait alors que les villages de l’intérieur se vidaient : elle admettait que les filles aillent faire les bonnes à Paris, et que les garçons partent bergers en Amérique ! Il y avait beaucoup de suicides dans le monde paysan, tout comme d’autres symptômes plus collectifs : la disparition de l’euskara, la dissolution de notre pays. C’est aussi pour cela que nous nous étions réunis autour d’une nouvelle urbanité, des chocs enrichissants apportés par les cultures extérieures : nous voulions inclure tout cela dans notre littérature. Nous étions une nouvelle génération, ayant étudié à l’université, ayant appris l’anglais et l’espagnol, tout en optant pour une posture anticolonialiste : il me semble que sans saisir cela, il est difficile de comprendre le mouvement basque de la seconde moitié du XXe siècle. Je me souviens aussi comment le mépris subi par les peuples Quechua et Mapuche m’avait profondément marqué : il n’était pas dur d’établir un parallèle avec nous.
Pourtant, aujourd’hui encore...
Il suffit de contempler les récents évènements de Paris : il y a encore un mépris entre les cultures, une humiliation réciproque. Les Français ne comprennent pas comment ils négligent les autres, ce qui peut engendrer des réactions violentes. Je sais que tout cela est complexe, mais dans les débats actuels, personne n’évoque cette uniformisation. Il y a pourtant un monde artificiellement construit, qui produit un mépris de la singularité de chacun sans pour autant l’afficher : les gens en ont beaucoup souffert, je suis persuadé du lien avec les suicides de notre époque, et j’affirme que la violence actuelle y trouve aussi de quoi se nourrir. Je suis aussi convaincu que le monde a besoin de graviter autour de certaines valeurs, mais j’ignore où elles en sont.
Au sein de l’influence soixante-huitarde, la place de l’euskara était-elle claire parmi vous ?
L’influence de 1968 s’est fait sentir dans beaucoup de domaines, et a peu-à-peu gagné le Pays Basque. Prouver à nous-même que nous étions capables de construire nos propres outils, comme les ikastola, a été fondamental. Et utile pour défaire le mythe qui nous faisait face : il fallait voir quelle France avait dessinée De Gaulle, tissée de mensonges ! Comme quoi tout le monde était résistant lors de la Seconde Guerre Mondiale, alors qu’en réalité, la majorité était passive et à genoux... Face à cela, notre objectif était d’ouvrir les yeux au monde en construisant un contre-pouvoir en euskara. Même si chacun a accompli son propre chemin depuis, c’est du domaine de l’euskara que nous est apparu l’idée du Pays Basque : les jeunes abertzale d’aujourd’hui ne peuvent pas le comprendre, mais pour nous, il n’y avait que l’Espagne, un terrain vierge, de l’autre côté de la Bidassoa. Nous avons été élevés par l’empire français, nous avions ses lunettes au bout du nez. Lorsque j’ai saisi que les dominants et dominés continuaient à être parmi nous, beaucoup de remparts sont tombés en moi, pour laisser place à de nouvelles voies. Même si une dialectique constituée de “facho” et “stal” dominait l’ambiance de l’époque, j’ai pour ma part été attiré par les différences entre les cultures, dans toute leur complexité. Lorsque nous ne connaissons pas l’autre, ou que l’on ne veut pas parcourir ce chemin vers l’autre, nous devenons vite un ennemi à ses yeux... Et l’inverse est aussi vrai !
Il faut aussi tenir compte de la connaissance de sa propre culture... Antton Luku critique précisément le mépris de la tradition de la part du mouvement progressiste de l’époque...
Et cette remarque me semble très intéressante. Je n’ai malheureusement pas connu cette culture populaire, et je ne me sens pas légitime à la commenter. J’ai certes vu Xalbador chantant des bertso à Urcuray, mais dans mes souvenirs, je vois plutôt des hommes buvant pas mal de tasses de vin, et chanter après une partie de pelote. Ces souvenirs sont certainement conditionnés par le chemin que j’ai parcouru depuis, puisqu’il faut également tenir compte de ce facteur. J’ai travaillé la culture basque au sein des associations Enbata, Amaia, Lau Buru, mais il est vrai que je ne suis pas allé vers les rituels plus traditionnels comme les mascarades. A l’époque, on n’allait pas en Soule en un claquement de doigts, sans voiture, des vieilles routes, et, je dois l’avouer, sans être attiré par ce monde-là. Je ne ressens pas du mépris, mais de la méconnaissance. Puis nos parents ont démontré tellement de passivité face au pouvoir, que nous avons peut-être identifié à cela leur mode de vie et de divertissement. C’est peut-être le ressenti que doivent avoir ceux de l’intérieur, puisque pour ma part, je n’ai pas baigné dans cette ambiance-là.
Vous avez rapidement atterri à Bayonne ?
Oui, et dans cet environnement-là, au lycée, la culture basque représentait faire la fête, se saouler, et chanter : telle était la perception de l’époque, certains la transmettaient ainsi également, et pour nous, il n’y avait pas là de moyen d’émancipation ! Mes premiers pas vers la culture populaire basque ont été à Enbata, avec des personnes comme Eñaut Etxamendi ou Jean-Louis Maitia, qui m’ont fait découvrir le chant d’une autre manière. Eugène Goienetxe donnait également des cours à l’université de Bordeaux, dans le cadre du certificat d’études de langue et civilisation basques en 1969 : je ressentais le besoin d’un diplôme concernant la culture basque, et j’y ai appris par cœur des chants et bertso en basque. J’y ai pu découvrir les formes les plus belles, subtiles de l’euskara, et comprendre que notre langue nous permettait évidemment de regarder le monde. Mais nous ne disposions que de quatre livres : Les fables d’Otxobi, Les pensées de Kattalin, L’histoire de la littérature basque (premier tome) de Piarres Lafitte, et le Lexique Français-Basque Tournier-Lafitte. Nous n’avions rien d’autre ! Cela m’a toutefois suffi pour me poser dans le monde basque, dont je me sentais beaucoup plus proche que du mouvement étudiant parisien, à la fin des années 1960.
Une douzaine d’années plus tard, quel rêve culturel aviez-vous, en créant Maiatz en 1982 ?
La première idée était de se rendre compte d’un grand nombre de plumes éparpillés en Iparralde, et qu’en les réunissant, nous pourrions franchir quelque cap au sein de notre littérature. Itxaro Borda et moi-même avons été le noyau de ce mouvement : nous avions établi une liste, en relevant qui écrivait dans l’hebdomadaire Herria, par exemple, ou bien qui était dans l’attente de nouveautés. Nous voulions aussi aller vers de jeunes talents. Je dois également rappeler que vers 1977, Piarres Xarriton organisa une journée de réflexion dans l’abbaye de Belloc, réunissant ainsi celles et ceux qui écrivaient en euskara. Seulement voilà, nous nous rendîmes vite compte de deux mondes au sein de cette sphère basque : je pourrais dire les jeunes et les vieux, mais il serait plus pertinent de fixer la frontière que nous ressentions entre les classiques et les novateurs. Nous avions côtoyé plusieurs revues, mais ce n’est que dans la poudrière des années 1980 que quelque chose a pris : nous avons vu naître Pott banda en Pays Basque sud, et avons créé Maiatz au nord. L’idée d’une revue nous parut naturelle, puisque cela permettait de réunir des écrivains très différents. Pour ma part, je connaissais à peine le monde de l’imprimerie, assez pour nous lancer avec des machines à moitié en panne, mais bien conscients de l’importance de l’écrit. Notre premier exemplaire avait connu un certain succès, puisque la Députation du Guipuzcoa nous aida à le rééditer, grâce à Isabel Axuriagerra.
Quelle caractéristique de Maiatz relèveriez-vous ?
Quelque chose d’atypique... Cela me rappelle un curé qui s’appelait Etienne Salaberri : il était particulier au milieu des classiques, s’était suicidé au tout début des années 1980, et nous avions choisi un de ses poèmes pour premier texte de notre premier exemplaire. Une langue basque très belle, il puisait dans une certaine espérance, dans ses sentiments, critiquant le colonialisme, décrivant remarquablement comment sa pensée était nouée. J’ignore comment il avait fait pour recevoir la bénédiction du père Lafitte, mais il publiait ses textes, qui étaient généralement des poèmes, dans Herria. La poésie a également été l’une des caractéristiques de Maiatz, ou peut-être celle des personnes et peuples dominés : le chant du cœur, d’une grande force, brutal, presque immaitrisable. Nous avons également été un lieu important pour les femmes : Itxaro Borda, Aurelia Arkotxa, Maddi Pelot, Henriette Aire... ont été les premières à oser écrire. Même si nous accueillons de nos jours en toute normalité les auteures, il fallait vraiment oser à l’époque. Enfin, je dirais que Maiatz a aussi hébergé l’œuvre littéraire d’écrivains tels qu’Eñaut Etxamendi.
Au vu de la normalisation de beaucoup de choses, ou du moins de leur évolution, Maiatz aurait-elle perdu une certaine fonction ?
Nous avons perdu de notre côté satirique : je ne sais pas si c’est lié à nous, ou à l’ambiance sociale générale. Puis l’explosion d’internet a également déstabilisé beaucoup de choses : le papier en est le plus clair exemple. J’ignore la place qu’occupe une revue comme Maiatz aujourd’hui, mais je reste persuadé qu’elle en garde encore une. En ne paraissant que deux fois par an, on évolue dans un autre rythme, ce qui n’est pas négligeable dans les conditions actuelles. Quoi qu’il en soit, en plus de notre apport à cette illusion de changer le monde de l’époque, il y a encore aujourd’hui des écrivains timides qui n’osent pas publier, et c’est notre rôle d’être là, tout près d’eux, pour les soutenir. Afin de leur expliquer que les écrits actuels restent les sources de pensée de demain. Sans oublier qu’ils font plus qu’utiliser une langue : ils la font vivre, l’embellissent, l’enrichissent. Et le monde basque a besoin de fixer dignement l’euskara dans un environnement multilingue.
Natxo de Felipe, lors de l’inauguration de la bibliothèque de Mauléon, a désapprouvé que l’on n’enseigne pas le français dans les établissements d’Hegoalde...
Et je lui donne raison. Je crois que nous devons d’abord tenir compte de nos langues les plus proches, que nous devons savoir comment fixer l’euskara entre le français et l’espagnol, tout en maîtrisant ces deux langues. Les géantes comme l’anglais entreront plus qu’on ne le croit dans notre monde à l’avenir. Si les choses sont claires envers l’euskara, je crois que ce multilinguisme nous sera utile. Et je constate que les acteurs officiels de la culture française ne s’en sont toujours pas rendus compte : je reste bouche-bée face à leur mépris de l’euskara et des autres langues, face à cette attitude aveuglément suffisante et monolingue qui reste incompréhensible de nos jours. Je reste convaincu que ce sont les choses construites de notre propre chef qui vivront. Il suffit de constater que jusqu’à présent, c’est le fruit de notre volonté collective qui dure et fait avancer les choses, même en étant modeste.
Si les gens d’Hegoalde maîtrisaient mieux le français, la littérature basque d’Iparralde aurait-elle plus d’écho en Pays Basque ?
N’oublions pas le principal : associer la langue et le pays. Pour le bertsolari Txirrita, nous étions des Français, et pour nous, aller chercher de l’alcool à Dantxaria, c’était aller en Espagne. Savoir l’euskara, connaître la culture basque et avoir la conscience du pays sont nos pierres angulaires. Une fois cela consolidé, notre curiosité peut être plus profonde pour aller voir comment vivent nos voisins, afin de voyager telle une semence. Même si la langue française a été utilisé comme un outil colonisateur, nous y avons puisé pas mal de choses, afin d’enrichir la nôtre. En suivant la même idée, je dirais qu’à commencer par nos classiques, nous avons eu des esprits plus libres en Iparralde qu’en Hegoalde. Là-bas, entre les carlistes fanatiques de Navarre d’un côté, et les sabinistes amateurs du Vatican de l’autre, je ne sais pas quelle opportunité ils ont eu pour développer un esprit critique. La culture, l’école, l’université françaises nous ont bien aidés à aiguiser nos esprits. A rester ouverts à la nouveauté, et tournés vers l’Europe. Il suffit de voir les œuvres de classiques comme Arnaud d’Oihenart, Bernat Etxepare, Jean Etxepare. Et même aujourd’hui, nous n’avons pas à rougir de ce que nous faisons en Iparralde : nous avons une grande qualité. Pour résumer, je ne sais pas quel incidence aurait sur nous que les habitants d’Hegoalde sachent le français, mais je dirais juste que cela ne leur ferait pas de mal.
Dans quel état d’esprit allez-vous à la foire de Durango ?
J’y vais depuis longtemps, cela a toujours été un grand rassemblement entre les auteurs et le public. Même lorsque la foire était encore modeste, les échanges étaient très enrichissants, tout comme le fait d’être ouvert aux nouveautés en euskara. Actuellement, la foire reste indispensable à Maiatz afin de publier et faire connaître sa singularité : nous avons notre lot d’amateurs, et aussi de surprises année après année. Je m’étonne encore de voir des jeunes venir à notre rencontre. La foire nous permet également d’échanger avec les autres maisons d’édition, et de faire la fête : peut-être que les relations étaient plus chaleureuses à une époque, oui. Je ne vais pas cacher que le côté commercial a pris le dessus, et que nous nous y sentons tout petits, mais ils acceptent toutes nos propositions de présentations de livres : cette année encore, chacune de nos nouveautés aura droit à sa propre présentation. J’éprouve une certaine fierté à y exposer nos créations, et ressors revigoré de Durango.
Cela n’est pas toujours simple d’évoluer au sein de Maiatz ?
Il y a toujours des doutes, ou la fatigue qui frappe parfois à la porte. On peut également penser que nous ne créons pas d’œuvres majeures, que les gens ne nous font pas attention... Mais on ressort de Durango avec la perception contraire. Cela nous permet de couvrir les frais de deux livres, et d’avancer petit-à-petit au sein de notre philosophie : dans l’auto-construction, et en basque. La force de la foire de Durango est aussi de mettre en avant l’union que nous procure l’euskara, par-delà les crises.
En euskara certes, mais tout de même, au lendemain du Biltzar des écrivains de Sare, Nora Arbelbide publiait un article sur Berria qui traitait de la tendance à publier des livres en bilingue. Cela a aussi été le cas de Maiatz...
Il s’agit plus d’une volonté des auteurs, plutôt que de celle de Maiatz ou des maisons d’édition. En vivant dans un monde majoritairement francophone, les auteurs souhaitent étendre leur création aux personnes (ou généralement aux amis) ne comprenant pas le basque. Evidemment, un écrivain tel que Bernardo Atxaga a des traductions assurées, mais à notre niveau, c’est bien plus difficile. De ce fait, publier un livre en bilingue reste le moyen qui offre le moins d’obstacle économique.
Mais est-ce vraiment plus rentable de publier un livre bilingue ?
Pas dans notre cas. Sauf lorsqu’il s’agit d’Itxaro Borda : elle est connue, et je dirais que cela constitue un facteur clé. Des publications bilingues sont des exceptions pour nous, et je crois que cela doit rester clair. Mais il arrive aussi que des auteurs francophones souhaitent également publier en basque, et ils se tournent vers nous : c’est le cas du poète Fred Fort. La réalité peut être compliquée. Et je ne parle pas des choix des politiques publiques : la tendance actuelle est de traduire les classiques du monde en euskara. Pourtant, des classiques en basque auraient une qualité suffisante pour être traduite dans d’autres langues. A moins que l’on ne choisisse de soutenir d’avantage la création en euskara...
Les grosses maisons d’édition, certains instituts, offrent des bourses à cet effet...
Oui, et cela a une influence. Comme je l’ai déjà dit, je ne place pas Maiatz dans ce terrain-là : nous n’avons pas les moyens pour cela, et ce n’est pas non plus notre philosophie. Nous sommes apparus pour créer une ambiance socio-culturelle : nous faisons attention à la qualité, mais aussi à la disponibilité et à la proximité. Une sorte d’humus, où les gens peuvent comme se libérer de leurs complexes. Mais cela m’étonne encore de voir aussi peu de gens oser écrire. Nous sommes tous témoins du monde, d’autant plus en écrivant en basque : nous apportons une singularité collective. Si le monde se renouvelle, c’est par les pensées, les mots, les sentiments et les cultures de chacun. Si nous souhaitons faire vivre le monde basque, ce sont là des éléments à ne pas négliger.
N’est-ce pas également à cause de ces complexes que les écrivains euskaldun du Pays Basque nord continuent d’écrire en français ?
Cela se pourrait bien. En tout cas, c’est une tendance que l’on retrouve dans les autres langues minoritaires : breton, occitan... Bernard Manciet publie systématiquement en bilingue. James Joyce a écrit en anglais, bien qu’étant Irlandais. Si nous croyons qu’écrire en basque ne vaut pas grand-chose, nous devons faire attention. Il y a pourtant bon nombre de gens d’Iparralde capables d’écrire en basque : si seulement ils savaient à côté de quoi ils passent ! J’entends bien que notre génération s’est développée intellectuellement en français, mais le chemin ouvert par le fait d’écrire en basque me semble très enrichissant : faire jaillir, travailler, fleurir, enrichir cette langue qui est en nous... Cette lutte ou cette bataille... Et la conséquence collective qu’il y a au bout : construire une expression euskaldun... C’est de là que l’on va ensuite mettre à jour et moderniser nos dictionnaires : nous huilons-là tout le mécanisme de notre langue écrite. Celui qui souhaite écrire en basque aujourd’hui dispose de tous les outils nécessaires. Mais n’oublions pas que nos complexes ne sont pas tombés du ciel : il s’agit de l’œuvre de ceux qui ont souhaité uniformiser le monde. Il est incroyable de voir comment certains Français, qui étaient peu mais puissants, se sont moqué de nos modes de vie : avant, on ne disait par exemple pas “egun on”, et on ne partait pas immédiatement après, mais on commençait par: “Bazaudea?” (“Tiens, tu es là ?”), auquel l’autre répliquait “Bai, zu ere heldu?” (“Tiens, tu es aussi dans les parages ?”)... Des dialogues extrêmement riches en ressortaient, c’était tout un art : jouer avec les expressions, les railleries, parler à demi-mot... Il fallait avoir une densité très profonde pour pouvoir le faire ainsi. Et voilà que les Français arrivent, en affublant ces précieux dialogues d’un qualificatif péjoratif : les voilà devenus “palabres”, soient des outils complètement désuets... Alors qu’il s’agissait de chemins très riches permettant d’entrer dans le monde de l’autre en prenant son temps. Même si cela paraît dérisoire, je reste convaincu que le mépris de la différence commence par ce genre d’attitude, et que cela peut conduire à des proportions assez conséquentes. Et je dirais que cette prise de parole en euskara, c’est un chemin vers la liberté, c’est trouver notre place dans le monde.
C’est grâce à cette prise de parole que Maiatz a une place dans notre paysage ?
La revue Maiatz prouve, au fil des exemplaires, qu’il est possible de construire une prise de parole collective et de donner un regard singulier au monde, tout en tenant compte des différences de chacun.
Etes-vous à l’aise dans ce rôle de travailleur de l’ombre ?
J’aime unir les gens. C’est aussi ce que je préférais – ou que j’aime encore – dans les radios Euskal Irratiak : faire parler n’importe qui, l’écouter, et percer un chemin de réflexion. Moi, je me vante juste d’être “un bosseur” : peut-être parce que je ne sais pas faire convenablement travailler les autres, il paraît que je prends trop de choses sur moi. Mais j’aimerais que d’autres associations comme la nôtre voient encore le jour actuellement. Je ne perds pas espoir : une nouvelle époque qui permettra de faire avancer des nouveautés en euskara est en train de s’ouvrir, et il me tarde de voir ce qu’il va en ressortir, quels seront nos nouveaux compagnons de route.