C'est à Bidarray, au pied de l'Iparla où elle habite que l'on a rencontré Kattalin Sallaberry. Après avoir fini sa carrière professionnelle à Seaska, l'institutrice récemment retraitée a un agenda bien rempli, entre répétitions, dates de représentations, cours de basque et autres rendez-vous qui l'occupent à plein temps. Nous avons parlé théâtre et langue basque avec la comédienne mais aussi conteuse d'histoires.
Vous êtes à l'aise face à tous les publics ; de l'ikastola au théâtre, racontez-nous votre parcours.
Je veux d'abord corriger un détail : je ne suis pas du tout à l'aise face au public. Je souffre beaucoup ! Je n'ai pas de talent particulier et je dois beaucoup travailler ! Ceci étant dit, j'ai fait toute ma carrière professionnelle à Seaska (la fédération des ikastola du Pays Basque nord), d'abord à l'ikastola de Cambo-les-Bains puis à Ustaritz, où j'ai enseigné pendant trente ans. Le théâtre, c'est une vieille histoire. Toute petite déjà, j'avais participé à une pièce de théâtre populaire à Mouguerre, mon village. Puis à vingt ans, la troupe Bordaxuri d'Hasparren cherchait quelqu'un pour créer une pièce. Ils m'ont proposé le rôle que j'ai accepté. J'ai continué à jouer la comédie avec Bordaxuri pendant plusieurs années. A l'époque, on suivait beaucoup de formations d'expressions corporelles avec une troupe d'Oiartzun, entre autres. On se croisait beaucoup entre gens du Pays Basque nord et sud.
Vidéo de l'entretien (en basque)
Depuis je ne me suis jamais arrêtée. Il faut dire que ma mère aimait beaucoup le théâtre et à l'époque, un tas de pièces de théâtre voyaient le jour dans les petits villages pour offrir deux ou trois représentations au villageois.
Vous avez aussi été présidente d'EATB ?
Oui en effet, j'ai été membre d'EATB, la Fédération des Troupes de Théâtre du Pays Basque et sa présidente aussi à une certaine époque. Cela fonctionnait très bien, on y croisait beaucoup de monde.
La Fédération des Troupes de Théâtre du Pays Basque fonctionnait très bien. Il faut dire que le monde du théâtre était très dynamique au Pays Basque nord à cette époque.
Il faut dire que le monde du théâtre était très dynamique au Pays Basque nord à cette époque. Aujourd'hui je dirais que cela a diminué, ou du moins ça a changé. Il n'y a plus ce théâtre des petits villages. Maintenant les jeunes se dirigent plutôt vers le théâtre de rue et organisent des mascarades ou des libertimenduak. Cela n'existait pas à mon époque. Par contre, il y avait des troupes amateurs dans les villages qui proposaient les pièces de Monzon, Landart ou Larzabal. Nous allions aussi au Pays Basque sud, mais c'était très compliqué de passer la frontière avec tout notre bazar, dans notre vieille camionnette. C'était aussi très intéressant d'échanger nos points de vues et cela a donné naissance à de belles amitiés.
Seaska et le théâtre, c'est la profession d'un côté et la passion de l'autre ?
Il est évident que le lien entre les deux, c'est l'euskara. Le choix de travailler à Seaska était avant tout politique. Bien sûr, je voulais enseigner et j'aimais sincèrement le théâtre, mais l'objectif commun était de faire vivre la langue basque. Aujourd'hui aussi je pense qu'il est très important de proposer des spectacles en basque, car, pour beaucoup, notre langue n'est utilisée qu'en salle de classe. À la maison, dans les activités quotidiennes, il faut des espaces pour écouter et parler notre langue.
La langue basque est aussi le socle de votre nouveau spectacle ?
Il y a une quinzaine d'années déjà, j'ai constaté que l'on racontait des histoires aux enfants en bas âge mais que passé l'apprentissage de la lecture, on ne leur proposait plus ce genre de moments. Pourtant, à cet âge, ils ont encore du mal à lire et continuent d'apprécier les histoires. C'est ce constat qui m'a décidé à imaginer quelque chose à leur proposer. À l'ikastola, je racontais souvent des histoires à mes élèves et ils écoutaient avec beaucoup d'attention. Ici, pendant longtemps, il n'y avait personne pour raconter des histoires aux enfants. Il y avait bien le conteur Koldo Amestoy, mais il se dirigeait plutôt à un public adulte. J'ai alors abordé ce sujet avec Daniel Landart, qui à son tour en a parlé avec Jokin, qui est par ailleurs un de mes anciens élèves, et c'est ainsi que l'on a démarré un projet ensemble. Daniel Landart nous a écrit deux histoires, nous en avons trouvé deux autres par ailleurs et c’était parti !
Dans le spectacle, on a travaillé sur l'expression orale, les contes et le côté théâtral aussi car nous jouons en même temps que nous racontons nos histoires, même si cela reste un exercice particulier. En effet, le jeu est plus limité quand on est conteuse, il n'y a pas de vrais échanges entres comédiens comme au théâtre. C'est autre chose. La plupart du temps, nos représentations sont programmées dans les médiathèques. J'ai remarqué aussi que même si nos spectacles sont « tous publics », les adultes croient très souvent que nous nous adressons exclusivement au jeune public. Souvent les parents viennent amener leurs tout-petits puis ce sont eux qui restent bouche bée durant toute la représentation. Malgré cela, il est difficile d'effacer ce préjugé, de faire venir le grand public. C'est dommage, mais c'est comme ça.
Le lien entre Seaska et le théâtre, c'est l'euskara. Bien sûr je voulais enseigner et j'aimais sincèrement le théâtre, mais l'objectif commun était de faire vivre la langue basque.
Nous allons chaque année au collège Piarres Larzabal de Ciboure jouer devant des élèves de sixième. A chaque fois, on voit que nos histoires les touchent sincèrement. Ils restent sans bouger et ça se passe vraiment bien. Beaucoup de paramètres rentrent en jeu dans une représentation : la préparation des enfants, les conditions de la salle, les histoires en elles-mêmes, car il est vrai qu'avec Jokin, on a souhaité utiliser un niveau de langage assez élevé, ce qui fait que les plus petits ne comprennent peut-être pas tout. Ils regardent nos gestes et comme c'est souvent une première expérience, c'est facile de retenir leur attention. Les élèves du collège ont une meilleure compréhension des histoires. La durée de l'histoire est aussi à prendre en compte. Trente minutes maximum pour les plus petits et on peut aller jusqu'à cinquante minutes pour les plus grands. La salle aussi est importante ; on a joué récemment à la Luna Negra à Bayonne et ça a été une superbe expérience pour moi. Une belle salle, de beaux sièges bien confortables, avec ce côté sacré qu'ont les théâtres.
On a pu aussi vous applaudir à la place du village à Bidarray…
C'était la première fois que je participais à un tel spectacle et je crois que c'était la première fois qu'une cavalcade était organisée à Bidarray, du moins une cavalcade complète. Il y a quelques années, on avait pu assister à une cavalcade dans son aspect dédié à la danse mais sans théâtre. Lorsque l'idée d'une cavalcade est apparue dans notre association, c'était un nouveau défi pour tout le monde. On a vécu une formidable expérience, très stressante, lourde mais aussi très enrichissante. On a beaucoup travaillé. Le groupe était divisé en deux : la danse d'un côté, le théâtre de l'autre et lorsqu'on a uni les deux c'était magique. J'en garde un bon souvenir. Je suis sûre que tous les participants s'en souviennent encore aujourd'hui. Le fait d'avoir monté ce spectacle ensemble nous a apporté une grande fierté dont on garde un superbe souvenir.
La comédie c'est avant tout prendre du plaisir, dans la salle comme sur scène.
Je pense aussi que participer à un tel événement est important mais il ne faut pas le faire artificiellement. Il faut qu'il y ait un lien avec la culture. Par exemple dans notre projet, toute les réunions se déroulaient en basque, avec un service de traduction et aujourd'hui ce n'est pas si facile que ça. Il faut donner un sens aux choses. Certes une cavalcade peut rassembler tout un village, mais il ne faut pas faire n'importe quoi, sinon on fait autre chose.
On a pu voir des cavalcades, des libertimenduak dans différents villages ces dernières années. On pourrait parler d'une renaissance du théâtre populaire ?
Je ne crois pas que ce soit une renaissance, du moins je ne le vois pas ainsi. Il est vrai que ces représentations rencontrent un beau succès, mais pour ma part, je regrette la disparition du théâtre populaire classique.
Il n'y a pas de dramaturges basques, personne n'écrit de pièces de théâtre.
À Bidarray, à la fin des mesures de la Covid, on a proposé la pièce classique Xirristi Mirristi de Piarres Larzabal et on a donné quatre représentations dans la petite salle communale. Le public a répondu présent. C'est ce genre de spectacle qui a un peu disparu, ce théâtre fait par et pour les habitants du village. Il y a certes quelques exceptions comme à Macaye avec les pièces de Pantzo Irigarai. Aujourd'hui on fait surtout des spectacles de rue comme les cavalcades, qui sont très bien travaillées et très appréciées par les jeunes, mais l'autre théâtre a disparu.
Je vois aussi un autre problème : celui des salles de spectacle. Avant, dans la plupart des villages, souvent pas très loin de l'église, il y avait des jolies petites salles que l'on nommait Salles du patronage. Il y en avait à Ossès, Itxassou, Arrosa et ailleurs. C'était de vrais petits théâtres, désormais à l'abandon, du moins pour la plupart. Mais aujourd'hui, il pourrait y avoir un manque de salles pour proposer des pièces. Certes, il y a des lieux comme Harri Xuri à Louhoussoa, mais c'est une grande salle et les gens des villages ne vont pas s'y rendre pour voir un spectacle de leurs voisins. Je trouve dommage car certaines de ces petites salles existent encore, mais elles sont en train de tomber en ruine.
Vous pensez que le théâtre basque s'est professionnalisé ?
C'est une bonne chose qu'il y ait des troupes professionnelles. Cela apporte un niveau supérieur et cela devrait induire une montée en puissance du théâtre, sauf que ce n'est pas le cas. Personnellement, je suis les troupes professionnelles et j'apprécie leur travail. Elles font de belles choses, mais je trouve dommage qu'il n'y ait plus de troupes dans les villages. Je ne saurais dire pourquoi elles ont disparu, mais c'est une grande perte.
À l'ikastola, je racontais souvent des histoires à mes élèves et ils écoutaient avec beaucoup d'attention.
Par ailleurs, il n'y a pas de dramaturges en basque. Personne n'écrit de pièces de théâtre de boulevard. La comédie c'est avant tout prendre du plaisir, dans la salle comme sur scène. Ce théâtre-là devrait avoir sa place. Un théâtre populaire, qui ne fait pas trop travailler les neurones. Il manque un théâtre qui fait passer un bon moment et provoque quelques éclats de rires. La troupe amateur Eguzki Lore par exemple a produit des pièces classiques superbes pendant quelques années. Avec Maika Etxekopar, ils ont rafraîchi et rajeuni des pièces anciennes et le résultat était génial.
Vous êtes attachée au patrimoine immatériel.
Ici nous avons de la chance car nous avons une culture incroyable et bien vivante, qu'il faut bien évidemment préserver. Il faut aussi la faire évoluer mais en gardant les formes, en respectant le socle de chacune des formes d'expression. C'est à dire qu'une pastorale doit rester une pastorale. On peut y apporter quelques changements certes, mais lorsqu'on décide de faire une pastorale, il faut que les gens sachent que ce n'est pas une comédie musicale. Sinon, nous avons une culture très riche et vivante. L'archivage est aussi un aspect important bien sûr. Il y a des gens compétents qui y travaillent et c'est une bonne chose.
Vous avez fait votre carrière comme enseignante à Seaska. Que pensez-vous de la situation de la langue basque ? Et l'éducation ?
Je dis souvent qu'avoir été enseignante à Seaska a été une des grandes chances de ma vie, même si à mes débuts, mes parents ne comprenaient pas mon choix. Car à l'époque, rentrer à Seaska c'était comme rentrer dans l' ETA (organisation indépendantiste basque armée).
Seaska a été avant-gardiste. À l'époque, nous avions des formations que d'autres ne connaissaient pas, comme la méthode de Freinet par exemple. Notre éducation à nous a été très sévère, serrée, avec beaucoup de modèles. Par conséquent, nous en tant qu'enseignantes, nous faisions le contraire, nous refusions l'autorité des parents, de l’État ou de la religion.
Puis la société a évolué. Je trouve que les choses se sont dissipées et nous avons alors senti le besoin de recadrer les choses, d'imposer des limites aux enfants, pour les rassurer. J'ai connu ces étapes à Seaska.
Aujourd'hui, je ne sais pas comment cela se passe. Il faut aussi dire que j'ai eu des collègues fantastiques. Nous avons grandi ensemble et vieilli aussi. Nous avons mené un tas de projets ensemble. Nous étions d'accord à chaque étape, nous avons progressé ensemble, c'était génial.
Et comment voyez-vous la situation de la langue basque ?
Je suis très inquiète. Lorsque je vois que des gens qui savent l'euskara, ne le parlent pas, je suis très inquiète. Ce serait génial si ceux qui le savaient l'utilisaient. Je constate autour de moi que des personnes bascophones ne parlent pas en basque.
Lorsque je vois que des gens qui savent l'euskara ne le parlent pas, je suis très inquiète.
Qui plus est, ce sont souvent des personnes militantes qui savent par conséquent pourquoi elles font les choses, pourquoi elles inscrivent leur enfant à l'ikastola. Cela me fait peur.
Je ne suis pas triste lorsqu'une personne qui ne sait pas l'euskara ne l'apprend pas : je suis très triste que les euskaldun ne l'utilisent pas.
J'imagine que vous avez du temps libre maintenant que vous êtes à la retraite.
C'est rigolo car tout le monde vous répète maintenant que tu es à la retraite, tu as du temps pour faire des choses et du coup comme vous avez du temps, il ne vous reste plus de temps pour faire quoi que ce soit ! Sinon, j'aime aller marcher et j'en ai besoin. C'est un peu mon échappatoire. J'aime retrouver mes amis. Je donne aussi des cours de basque à AEK. J'aime le cinéma, lire et je fais pas mal de travaux manuels ; je pourrais faire un kilomètre de tricot ! Je peins des tableaux… en fait j'aime bien avoir les mains occupées.
Un rêve ?
Je crois que je n'ai plus de rêves. La vie m'a donné beaucoup de bonheur ; maintenant j'ai un petit fils et je veux profiter de ce moment. Sinon de façon plus générale, je rêverais que toutes les personnes qui le savent parlent en euskara. C'est ça mon rêve. Ce serait vraiment bien.