Jurgi Ekiza (1980, Bayonne, Labourd) est chanteur et musicien. Lui et son groupe Willis Drummond vont à la conquête de la foire de Durango, parés de leur dernier disque "Tabula Rasa". Ekiza le soliste paraît moins serein, mais la maison de disque collective Ipar Orratza semble lui ouvrir une brèche intéressante.
Quelle était la présence de la langue basque dans votre Bayonne des années 80?
Une présence moindre, à vrai dire. Même si j’étais à l’ikastola en maternelle, j’ai poursuivi mon cursus en français. Ama parlait euskara, aita non : étant le plus jeune des frères et sœurs, je les ai vus perdre la langue basque, substituée par le français au sein de la famille. Puis dans la rue, dans notre monde d’enfant et d’ado, il n’y avait aucune référence en euskara. Par contre, le lycée fut une époque particulière : à Cassin, j’ai fait la connaissance de Xan Bidegain (avec lequel j’ai partagé presque tous mes projets musicaux depuis le début), et découvert le groupe Negu Gorriak. J’ai alors décidé de récupérer l’euskara, à seize-dix-sept ans : des cours du soir à AEK, jusqu’à un master des études universitaires en basque.
Voilà ce qui s’appelle une récupération totale…
J’en étais vraiment soucieux ! Néanmoins, il me semble que l’euskara ne m’est pas aussi naturelle que le français. Sauf en chantant : là, le basque est une évidence, même au moment de créer, ou fabriquer.
Vous avez évoqué Negu Gorriak : pour notre génération, il ne s’agissait pas d’un groupe quelconque… Par son influence, certains jeunes ont appris le basque, et d’autres ne l’ont pas perdu…
C’est incroyable. Au bout de quelques années, avec moins de romantisme et d’illusion, je constate qu’ils maîtrisaient une chose par rapport aux autres groupes de leur époque : ils étaient maîtres en communication, ont monté un univers tout autour d’eux. Leurs revendications étaient très importantes, et ils ont atteint une réputation internationale en chantant en basque. Au lycée, dans un établissement immense comme Cassin, on peut se perdre facilement à un âge où l’on se cherche une identité : l’univers de Negu Gorriak a été une raison de se lier au monde, en euskara. En Pays Basque nord, on voyait certainement ce groupe plus grand qu’il ne l’était : il ne faut pas oublier que dans les années 90, la ferveur des concerts était immense. Lorsque Negu venait ici, c’était l’événement de l’année ! Ils remplissaient la salle Lauga, trois mille personne… Leur succès a été exponentiel.
Ils vous semblaient bons, musicalement parlant ?
Oui, ils étaient très puissants, et c’est aussi ce qui les rendaient attirants. Puis il y avait la figure de Fermin Muguruza… J’ai passé dix, quinze ans à penser et croire qu’il chantait très bien ! Je l’aimais tellement… Quelle présence, surtout sur scène… Je les ai finalement peu vus en concert, mais d’un point de vue d’un petit jeune, c’était extraordinaire d’y être.
Avez-vous débuté en euskara, avec Xan Bidegain ?
Notre premier groupe s’appelait Berri Beltzak, de style ska/punk : Xan chantait en euskara, je ne jouais que de la guitare. Puis nous sommes passés au métal/hardcore, et après deux années sans projet musical, nous avons décidé d’être colocataires à Macaye, ce qui nous offrait l’opportunité de répéter ensemble. C’est ainsi qu’est né le groupe Willis Drummond…
Mais où avez-vous appris à jouer de la musique ?
Je suis autodidacte. La musique m’a toujours plu, ainsi que chanter. J’étais le plus grand fan de Michael Jackson étant petit, puis amateur de rap et hiphop, avec les groupes américains et français de l’époque… Mais Nirvana a été décisif… C’est lorsque Kurt Cobain s’est suicidé que j’ai réellement connu l’œuvre de ce groupe, qui m’a donné envie d’être musicien. Un oncle m’a donné une guitare, et j’ai commencé à en jouer. Je n’ai pas appris les partitions des autres : deux accords, puis une chanson, même si elle était mauvaise. Comprendre le système, puis fabriquer. J’ai néanmoins appris à réellement jouer en groupe, en même temps que tous les autres.
Et vous n’aviez pas peur de monter sur scène…
Non, mais nous étions très mauvais ! Je contemple les jeunes actuels : ils sont capables d’offrir un savoir et une qualité de base. Puis un groupe comme Negu Gorriak pouvait vous transmettre cette illusion : l’important était de revendiquer, les messages, monter un groupe, des paroles, deux accords, et en avant ! Nous n’étions pas à l’époque des films et photos… Les concerts étaient primordiaux : on jouait quelque part, et on se diffusait par la suite, ou pas du tout !
Avons-nous perdu en spontanéité ?
Je l’ignore : il faudrait en parler avec les jeunes actuels. Nous devons surtout admettre que nous sommes sortis de leur monde ! [rires] Je suis sûr qu’ils n’ont pas perdu en spontanéité. Nous étions avec nos jeux vidéos comme ils sont aujourd’hui avec leurs téléphones.
Les réseaux sociaux sont différents ?
Oui, mais lorsque ces réseaux sociaux virtuels sont apparus, on les a beaucoup utilisés pour créer des communautés, surtout autour de centres d’intérêts : les trash-métalleux se réunissaient, par exemple, autour d’un monde idéal. Ou alors, cela nous paraissait extraordinaire de communiquer avec un Argentin ! Mais il me semble que ces tendances disparaissent, et que l’on utilise les réseaux sociaux pour communiquer avec les personnes environnantes, afin de maintenir un lien. Ce sont nos outils qui ont changé, finalement. Et cela ne me surprend pas que les communautés ayant préservé une identité, comme les euskaldun, soient actives dans ces espaces ; ce n’est d’ailleurs pas mauvais signe : ce n’est pas forcément l’identité que nous gardions de manière plutôt radicale il y a un temps… Avec les réseaux sociaux, on remarque une identité basque pas si définie, mais réellement présente en euskara.
Cette organisation a-t-elle aidé à la diffusion de Willis Drummond ? D’où vient votre succès ?
Le succès est relatif : si l’on parcourt la rue voisine, et que l’on demande une chose à propos de Willis Drummond, personne ne saura de quoi on parle ! Nous avons du succès au sein d’une communauté, ce qui est vraiment bien… Ce mot ne veut pas dire grand-chose, finalement… J’espère d’abord que notre musique et nos paroles leur plaisent ! Puis le fait de durer devient rare de nos jours : je crois que nous sommes l’un des rares groupes de rock d’Iparralde qui existait déjà il y a dix ans. Cela aide aussi à amplifier l’audience. Surtout quand on a commencé à utiliser tardivement les réseaux sociaux, ce qui est notre cas ! Nous ne voulions pas vendre notre âme au diable ; mais on ne peut pas éternellement durer dans cette posture négative d’artiste maudit… Nous nous sommes mis à utiliser ces outils avec la société de management Panda, ce qui implique d’accepter l’idée d’une “fan base”… Avec l’âge, nous nous sommes rendu compte d’un autre fait : si les groupes antisystème n’ont pas directement accompli ce travail commercial, c’est parce qu’une structure dominante l’a fait pour eux ! Pour Nirvana, c’est une grosse maison de disques qui a investi des millions afin d’atteindre toutes les adresses-clé ! Dans la réalité actuelle, ces maisons ne sont plus ce qu’elles étaient : on ne vend plus de disque, personne ne va donc se lancer dans un tel investissement ! En plus, nous chantons en euskara : c’est à nous-même d’effectuer ces travaux et de manier ces outils. On aimerait être uniquement artiste, déléguer ce côté commercial, mais cela nous est impossible.
Vous avez donc accepté un système…
Je ne crois pas que cela soit un drame ! J’ai pour ma part pris goût à ce travail, puisque le seul fait de parler de son œuvre procure un certain plaisir. Des débats peuvent jaillir, ce qui aide à s’affiner. Je ne comprends pas les artistes refusant les interviews : la personne d’en face veut uniquement évoquer ton œuvre, cela peut s’avérer intéressant ! Nous avons aussi longtemps refusé de dédicacer nos disques ! Mais au bout du compte, cela fait encore plus “star” de dire non à une personne qui aime et achète notre travail… Néanmoins, les derniers temps, la musique est redevenue un lien direct entre les musiciens et leur public.
Il vous a fallu une reconnaissance en Pays Basque sud, pour être perçus d’une autre manière en Iparralde, et vous ouvrir les portes de l’Europe ?
Avant de publier notre premier disque, “Antology”, nous avons beaucoup joué en Iparralde, notamment dans les gaztetxe : une cinquantaine de concerts par an, tout-de-même ! Puis nous avions pris toutes les adresses du site web entzun.com, et envoyé notre disque partout, avec une fiche-promo décalée d’un vieux bluesman qui se décidait à publier une anthologie… Cela avait fait son petit effet, notamment à Irun, mais surtout à Gasteiz, puisque la radio locale Hala Bedi nous avait placé dans son Top 10… Nous avons touché de plus en plus de gens en Hegoalde, d’abord concert après concert, puis disque après disque. Je crois qu’il nous est arrivé la même chose qu’à d’autres groupes : on commence à jouer dans de plus grosses structures en Hegoalde, ce qui ouvre les portes d’un autre circuit qui mène à de plus grosses villes. Il me semble toutefois que cela nous est arrivé plutôt tardivement. S’agissant du Pays Basque nord, je ne crois pas que l’on nous voit plus important qu’avant, puisque de toutes petites organisations continuent à nous demander. Si nous avons dû faire appel à une maison de management, c’est surtout pour maintenir un nombre suffisant de concerts.
Vous avez coutume de dire que le disque “A ala B” a été un tournant…
Cette œuvre a eu du succès, nous travaillions alors avec la maison Panda, et c’est effectivement à partir de là que nous avons administré nos concerts de cette manière. Nous ne pouvions plus gérer tout cela par nous-mêmes. Cette collaboration a duré un temps, mais à un moment donné, nous n’avons pas réussi à travailler ensemble. Je crois que c’était aussi dû à nos conflits intimes : nous souhaitions grandir, mais n’arrivions pas à accepter certaines choses. Il fallait fixer des objectifs, des délais. Nous n’étions plus dans le même rythme, et avons donc décidé de rompre-là notre partenariat. A partir de là, nous avons travaillé avec la maison Black Star, jusqu’aujourd’hui : ils ont eu réellement foi en nous, puisqu’après trois mois de collaboration, nous avons décidé de faire une pause ! Le groupe était presque fini…
Vous avez vraiment failli disparaître ?
Ah vraiment, oui : nous avions donné notre dernier concert à Fontarabie, je voulais laisser la musique de côté. J’ai personnellement vécu une phase très difficile à la fin de notre tournée A ala B. Cela faisait quelques mois que nous étions éreintés ; avant l’été 2014, nous évoquions déjà le disque que nous venons d’enregistrer en septembre dernier. C’était trop rapide. Et devenu trop compliqué, humainement, au sein du groupe : il nous fallait une pause, mais nous n’y arrivions pas ! Nous avions peur qu’en nous arrêtant, tout ce que nous avions construit jusque là allait s’écrouler… Nous étions enfermés dans une espèce de cercle vicieux. Le groupe était fondé sur une fusion, et c’était ce qui était en train de disparaître… Nous continuions juste parce que nous vivions de cela : on ne gagnait pas grand-chose, mais il était important que le projet professionnel poursuive. Nous avons donc parlé avec Xan lors de l’été 2014, et c’est lui qui a suggéré l’idée de faire une pause : cela m’a été très difficile d’entendre cela, puisque j’avais également des difficultés au plan personnel. C’était pourtant la meilleure chose à faire : nous avons décidé de ne pas faire de disque, mais c’est à ce moment-là que la proposition du groupe Detroit nous est parvenu… Nous avions fait la première partie d’un de leurs concerts à Vienne, et ils nous ont proposé un tour des Zénith, ainsi que l’Olympia : nous avons donc reporté notre pause !
Willis Drummond à l’Olympia, Kalakan avec Madonna : est-ce une réussite pour nous ?
Je crois vraiment que oui, même si Kalakan a laissé une image plus folklorique… Mais ce thème est assez compliqué : nous avons une culture dans laquelle le folklore a une grande importance. On peut s’en moquer, mais le seul fait d’écouter une gaita procure énormément de plaisir… Tout comme la txalaparta… Cela prend aux tripes ! Je crois que pour celles et ceux qui vivons une identité basque, il nous est important d’exister aux yeux des autres : cela nous apporte une certaine force. Dans le cas de Willis Drummond, c’est quelque peu différent, mais pas totalement… Notre groupe a vraiment plu à Bertrand Cantat, lorsqu’il a séjourné au Pays Basque : je lui avais envoyé un exemplaire de notre disque “A ala B”. Il l’a montré aux membres de Detroit, qui nous ont appelés par la suite. Lors de ces concerts, nous avons été surpris par l’adhésion du public, alors que nous chantions en euskara. Dans un tel environnement, on croise évidemment beaucoup de personnes, dont la plupart nous demandaient par la suite dans quelle langue nous évoluions : ils étaient ahuris de constater que la langue basque sonnait aussi bien dans une telle musique. Ils nous prenaient des disques, et souhaitaient comprendre nos paroles grâce aux traductions. Lors de cette tournée, nous nous sommes rendus compte d’une chose : les gens sont à la recherche d’identité. Ils ont été tellement dilués, perdus, qu’ils ont besoin de repères solides. Cela rejoint le problème des réseaux sociaux : on ne peut pas durer en se retrouvant seulement autour d’un centre d’intérêt… On est juste là parce que l’on en a envie…
En même temps, nous avons un groupe comme Belako : des locuteurs bascophones complets chantant en anglais…
C’est quelque chose de bizarre du point de vue d’une société bascophone… Nous évoluons, depuis la Transition, au sein d’un processus de normalisation, qui s’avère finalement être très long. Certains acteurs de la culture basque font comme si nous avions obtenu cette normalisation… Dans un tel cas, il serait d’ailleurs normal que certains chantent en anglais, comme dans d’autres pays du monde. Sauf que nous savons que c’est faux : nous ne sommes pas normalisés, et le seul fait de chanter en euskara nous lie à un certain militantisme. On peut donc se poser la question : Belako est probablement le groupe de musique actuel avec le plus potentiel du Pays Basque ; s’il n’évolue pas en euskara, qui le fera ? Mais il me semble que s’ils avaient évolué en basque, ils n’auraient pas connu un tel succès.
Vraiment ?
La base du succès de Belako est leur qualité musicale. En plus de cela, ils sont en phase avec la société actuelle, et nous nous en étions rendus compte dès le départ : lorsqu’ils avaient 17 ans, ils avaient ouvert une soirée de concerts à Ondarrua, et vivaient déjà une fusion incroyable avec les jeunes ! Il y a certaines inconsciences collectives, qui sont assez éphémères, mais très importantes : la société aime une certaine esthétique et attitude à un moment précis, et parallèlement, quelques créateurs dénichent ce que les gens attendaient, presque sans le vouloir... C’est la porte ouverte à un énorme succès... C’est ce qui est arrivé à Nirvana, ou à Manu Chao, avec le disque “Clandestino” : même la maison de disques Virgin n’avait pas prévu le succès de cette œuvre, puisqu’ils n’avaient initialement édité que 30 000 exemplaires, et en ont finalement vendu un million. Les gens attendaient cela à ce moment précis, et c’est ce qui arrive à Belako aujourd’hui. Sauf que cela semble bizarre dans la situation de notre langue : c’est incroyable de voir à quel point nous nous sommes habitués à certaines choses. On n’a plus grand chose uniquement en euskara : même en Hegoalde, tout est en bilingue, alors que cela devait être une transition, sans parler du prestige de l’anglais. Nous sommes comme bloqués, et il est plus que logique qu’un groupe comme Belako ressorte de ce contexte, en chantant en anglais tout en étant parfaitement bascophone.
Croyez-vous avoir plus d’écho auprès des gens en tant que soliste, plutôt qu’avec Willis Drummond ?
Non. Ce projet-là a vraiment été solitaire, qui plus est dans un parcours chaotique : lorsque je travaillais ma maquette, j’ignorais en faire un disque ; après cette phase, la question des concerts s’est posée ; puis je voulais jouer, mais n’avais pas de force ni l’envie de monter un groupe... J’ai voulu faire ce que je souhaitais, et non pas prendre la place de Willis Drummond tandis qu’il n’était pas là. Je crois être allé cherché un autre public, et j’ai d’ailleurs moins d’amis sur mon facebook ! [rires]
Willis Drummond a donc une certaine ombre…
Lors de cette phase délicate évoquée précédemment, je m’identifiais uniquement à ce groupe. C’était trop : je passais seize heures par jour à communiquer sur Willis, et j’ai trop pensé que mon image était en jeu. Je n’étais pas le groupe, mais prenais tout ce qui lui arrivait pour moi ! On ne peut qu’en souffrir... J’ai donc débuté quelques enregistrements dans mon coin, et en deux ans, j’ai énormément appris sur moi-même. Ce n’était pas une époque très joyeuse, mais cela m’a fait du bien de m’exposer en solo, dans un disque comme en concert. Durant ce temps, ma relation avec Willis Drummond a beaucoup changé : dans ce nouveau départ, nous nous sommes bien senti de nouveau dans le groupe, chacun ayant consolidé sa propre identité.
Quelle est la fonction de la maison de disque Ipar Orratza, au sein de votre écosystème ?
Cela n’est pas très clair, à vrai dire ! C’est un projet qui a jailli de ma phase d’altérations, et je me suis lancé avant de changer d’avis, pour ne pas subir le regret de n’avoir pas essayé. Jusqu’alors, nous avions publié les œuvres de Willis Drummond avec la maison de disque collective Bide Huts, et lorsque mon tour est arrivé, je ne savais pas trop quel chemin prendre : c’est ainsi qu’est née l’idée d’Ipar Orratza. Pendant ce temps, j’avais suivi une formation de management et promotion durant un mois à Paris... Mais au moment de sortir le disque d’Ekiza, je n’avais pas le temps ni la force de faire bouger tout cela, et cela s’est finalement réalisé avec Bide Huts !
Mais la création-même d’une maison de disques, en pleine période de changement, suppose une batterie de questions interminable, non ?
Il est clair que l’époque du disque est terminée. Mais d’un autre côté, dans cette phase de fausse normalisation, on manque d’outils de qualité pour exposer les groupes bascophones d’Iparralde ; on a besoin d’une identité commune. En plus, il y aurait de quoi faire autour de la diffusion vidéo, des sorte de live sessions bien ficelées, pour ensuite les déployer sur les réseaux sociaux : c’est une chose qui peut aisément remplacer une maquette. Quoi qu’il en soit, le groupe Torii est venu me demander de l’aide, et c’est ainsi que s’est concrétisée l’association Ipar Orratza. Puis le groupe Bob Xatar souhaitait republier son disque, et nous avons entamé une collaboration. Tristan Mourguy s’est aussi approché de moi : on sent une occasion de réaliser une chose collective, autour d’Ipar Orratza...
Comme Bide Huts…
Oui, sauf qu’à mon avis, il vaut mieux fixer les règles dès le départ. Nous avons décidé que chaque formation disposerait d’une voix pour prendre les décisions. Pour l’instant, nous sommes Torii, Bob Xatar, Tristan Mourguy et moi-même en tant qu’Ekiza, puisque je souhaiterais publier une œuvre acoustique les prochains mois. Nous sommes donc quatre personnes dans le domaine décisionnel, et si un cinquième doit y entrer, nous le déciderons entre nous quatre. Puis si un sixième souhaite nous rejoindre, nous trancherons entre les cinq. Ce sont des règles de base qui manquaient à Bide Huts, ce qui donnait lieu à des réunions interminables, pour ne pas forcément décider d’une chose au bout. Ipar Orratza est en train de devenir quelque chose de collectif, afin de partager des outils, et ne pas subir le poids de la communication. Nous devrons fixer une régularité au niveau de nos réunions, même en vue de rendez-vous intéressants : rien que pour voir si nous serons présents lors de la petite foire organisée par Atabal, par exemple. Nous n’irons pas à la foire de Durango, faute d’argent, mais tous les catalogues seront présents par le biais de Musikazuzenean. Il s’agit là du côté négatif de l’autoproduction : chacun travaille de son côté, en oubliant quelque peu le collectif.
La visibilité lors de la foire de Durango est finalement restreinte ?
Je crois qu’il est important d’y être présent, même si ce n’est que symboliquement. De toute manière, nous y tiendrons un stand avec Willis Drummond, ayant créé une association probablement éphémère pour notre dernier disque : Tabula Rasa records. En pénétrant pour la première fois au sein de la foire de Durango, l’aspect commercial paraît incroyable, comme les stands interminables d’Elkar, par exemple... C’est un événement bourré de contradictions, tout comme le Pays Basque : d’un côté, un hypermarché, où l’on publie des œuvres uniquement pour les vendre là, et d’un autre, une vitrine sans égal pour les groupes. Beaucoup de gens s’y rendent parce qu’ils préfèrent dépenser 100 euros là plutôt que dans une autre boutique, en sachant qu’ils vont ainsi directement aider les artistes. Pour notre part, nous avons un lien direct avec notre public, et cette année, l’opportunité de jouer en plus au Kafe Antzokia local, Platerunea.
Mais vendez-vous des disques ?
N’importe quel groupe d’Europe reste bouche bée lorsqu’on lui évoque la foire de Durango ! Alors que nous débutions à peine, nous avions vendu 400 cd et 100 vinyles de notre œuvre “A ala B“... C’est très difficile d’en arriver là en Europe. Si l’on veut vivre de sa propre musique, il faut vendre : des années sont nécessaires pour l’accepter. Il faut vendre des disques, des concerts, sans que cela ne revienne trop cher au public.
En même temps, un seul et imposant rendez-vous centralise le tout... Les écrivains ont coutume de dire que lorsqu’Atxaga ou Sarrionandia publient un roman pour la foire de Durango, il est très difficile d’y exister...
Je crois que dans le domaine de la musique, les choses sont un peu différentes, puisque c’est déjà incroyable de disposer d’un lieu où l’on vend des disques : on en est réellement là, de nos jours ! Nous avons récemment voulu offrir un cd de “Tabula Rasa“ à Nestor, notre régisseur-son : il l’a refusé, en nous disant qu’il n’utilisait plus ce support pour écouter de la musique ! Celui ou celle qui n’a pas recours aux cd à dix-sept ans, ne va pas s’y mettre à vingt-cinq. Par contre, il est vrai que nous arrivons, avec Durango, à une saturation, et que de plus en plus d’artistes préfèrent attendre mi-décembre ou janvier pour publier une œuvre. Peut-être que nous avons besoin de cette situation-là pour mieux équilibrer à l’avenir notre calendrier, et semer des rendez-vous plus modestes par-ci par-là, en recherchant un agenda plus durable de la production en basque.