Josette Dacosta (1944, Bordeaux) est artiste-peintre. Plutôt solitaire, elle n’oublie pourtant pas ce lien, tantôt subliminal, tantôt engagé, qui l’unit à la société environnante. Plutôt réservée, elle ouvre les portes de l’association Itzal Aktiboa, installée à St Jean Pied de Port depuis 2004, qui organise pour la troisième fois un prix éponyme visant à promouvoir les jeunes artistes contemporains du Pays Basque.
Comment votre mère vous racontait-elle son Pays Basque natal ?
Plus que des mots, j’ai vécu le Pays Basque. Notre mère, qui était originaire d’Ahaxe (Basse Navarre), nous emmenait souvent dans les environs de Garazi et Oztibarre. Elle ne nous a pas transmis la langue, parce que notre père ne parlait pas basque, et qu’à l’époque, la volonté de s’intégrer à Bordeaux était totale. Nous venions en vacances régulièrement dans le coin, et faisions le tour de toute la famille, de Larceveau jusqu’à St Michel : c’était sacré. Comme cela ne parlait que basque, je me sentais un peu exclue oralement, mais m’imbibais de tout, à tel point que je pense le faire aujourd’hui apparaître dans mes peintures. Je me sens malgré tout peintre basque.
« Malgré tout » ?
Je ne parle pas la langue, ne suis pas née ici, mais ressens des racines très fortes. Je comprends très bien les gens, j’ai vécu de l’intérieur leurs manières locales, que ce soient leurs travaux agricoles ou leurs coutumes culturelles. Je me sens intégrée. Ce sont juste les jeunes d’aujourd’hui qui ne comprennent pas forcément comment je peux me sentir basque. On les a encouragés à parler la langue, et grâce à cela, ils ont développé d’autres facteurs.
La différence entre être Euskaldun et Basque…
Tout-à-fait : la langue et le pays. Pour ma part, ne pas parler euskara ne m’a pas empêchée de ressentir le besoin irrésistible de vivre ici. Mon mari étant journaliste, il a été muté un peu partout en Europe, et nous aurions pu vivre à Rome, par exemple. Mais j’avais besoin de vivre ici, entre Garazi et Oztibarre, et donner à mes enfants des racines. Je pense que c’est très important pour pouvoir se développer, se construire. Même si on peut s’en défaire par la suite, en toute conscience.
C’est à Madrid que vous vous êtes développée en tant qu’artiste ?
Oui. Avant cela, j’étais éducatrice au sein de l’art avec les enfants, à Bruxelles. Je m’intéressais de plus en plus à la peinture, mais Madrid a été une étape décisive, au Circulo de Bellas Artes, puis à l’atelier de l’artiste abstraite Teresa Muñiz. J’y ai appris à décomposer toute la technique que j’avais étudiée. La plupart des gens qui se mettent à peindre ne savent pas dessiner, ce que je trouve dommage. C’est essentiel, par exemple, de maîtriser la couleur, de jouer avec la lumière, même si on détient la capacité de savoir regarder. L’école rassure dans le fait que peindre peut s’apprendre. Le reste vient avec le temps.
« Le reste » ?
Son propre style, qui apparaît au bout de la constance. Il faut travailler tous les jours, avoir de la ténacité, de la volonté. Puis, un beau jour, on ose se montrer en même temps que d’autres artistes. On écoute les commentaires, et on y retourne. Pour ma part, j’ai besoin d’être seule en atelier. D’autres aiment être tout le temps en collectif. La solitude m’est nécessaire pour pouvoir me retrouver, me développer, et surtout saisir la continuité de mon travail. Les séries m’aidant beaucoup à suivre une évolution.
Pas de rupture, donc ?
J’ai eu une rupture lorsque j’ai commencé à faire des collages à partir d’affiches lacérées : je ne peignais pratiquement pas. C’était l’époque du fameux projet d’autoroute qui menaçait tout le Pays Basque intérieur. J’ai fait partie de l’association Leia : j’ai fait le tour des maisons à parler avec les gens, et faire signer des pétitions. Il y avait aussi beaucoup de manifestations. Certains disaient alors que l’autoroute aurait été bonne pour l’économie locale. Mais elle aurait fait place à des non-lieux, et lacéré l’âme du pays : d’où ces affiches qui m’ont permis d’exprimer ce sentiment.
Vous peignez donc votre ressenti ?
Essentiellement, oui. Mais la peinture ne m’est pas pour autant une thérapie : je ne suis pas une personne torturée. J’ai besoin de cette manière de m’exprimer, donner des couleurs à un ressenti. Mais je sais aussi aller au-delà de moi-même, en dialoguant avec le sujet peint, ou en essayant de puiser son essence.
C’est le cas avec les maisons ?
Celles d’Ostabat m’ont beaucoup inspirée, tout comme le village, les rues, le paysage. La lumière d’automne et de printemps, l’été restant plus flou. Les façades de maisons m’ont fascinée. Elles prennent très bien la lumière, jouent avec l’ombre, ont une profondeur. Elles ont une âme, telles des personnes. Il y en a qui sont délabrées, qui n’ont plus de peinture. Elles ont l’air figées, mais bougent constamment, laissent apparaître la pierre, qui à son tour joue avec la lumière, les couleurs. L’expressionisme abstrait permet de jouer avec toute cette densité. A tel point que les habitants arrivent à reconnaître les maisons peintes, même quand elles leur apparaissent sous une forme des plus abstraites. Ce qui est aussi étonnant que flatteur. Pour ma part, je n’ai plus forcément besoin d’aller dehors, face au sujet, pour peindre. C’est aussi comme cela que vient l’abstrait.
Quand décidez-vous de l’aboutissement d’une toile ?
C’est peut-être la chose la plus difficile. Cela peut prendre plusieurs années. J’ai récemment repris mes affiches lacérées afin d’en faire un projet de peinture. Au fur et à mesure, j’y ai rajouté des pigments, de la paille, de la laine, et autres matières présentes dans nos fermes, qui m’ont apporté la profondeur ou le relief qui me manquaient. Encore une évolution qui vient patiemment, mais qui reste nécessaire au sentiment d’aboutissement… qui, à son tour, reste relatif, puisque je peux très bien reprendre un vieux projet jadis considéré comme terminé, et lui donner une nouvelle vie, un autre sens. Le plus dur étant de trouver le temps nécessaire à une continuité.
Les résidences sont donc les bienvenues ?
Oui, même si j’aime m’adapter au décor du lieu de résidence. J’étais récemment à Lanzarote, aux Canaries, où les volcans prennent une place considérable dans le paysage. J’en ai profité pour jouer avec les couleurs, qui sont très différentes d’ici. La dynamique locale n’a non plus rien à voir : je me trouvais dans un hôtel tenu par un monsieur de Bilbao qui aime faire venir les artistes basques. J’étais entourée de touristes, de gens de passage. Je ne sais pas si les locaux viennent voir la collection d’œuvres qui se trouvent dans cet hôtel.
Vous n’êtes pas dans cette philosophie-là, avec Itzal Aktiboa ?
Nous essayons d’initier les gens locaux à la peinture contemporaine, notamment les enfants. Il s’agit de leur faire regarder les choses différemment, leur faire saisir les nuances, les points de vue. Certains enfants sont immédiatement absorbés par l’exercice, et c’est dommage qu’on ne leur donne pas l’opportunité d’une continuité.
La place de l’art contemporain en Pays Basque intérieur est-elle évidente ?
L’art contemporain y a sa place comme partout ailleurs. Et ce n’est pas plus difficile de lui faire une place ici plutôt que dans un environnement plus urbain. Nous nous sommes d’ailleurs inscrits dans une certaine continuité de l’association Haize Berri, qui a malheureusement disparu depuis. Notre but était de créer un lieu de rencontres et d’expositions entre artistes, si possibles locaux. Avec le temps et de l’imagination, les gens viennent petit-à-petit. Nous avons récemment terminé la neuvième édition de l’Art au Féminin, qui consiste à exposer des artistes femmes dans différents lieux de St Jean Pied de Port, ainsi qu’organiser une conférence relative au sujet de la femme. Cela nous a aussi permis de rencontrer des peintres femmes de tout le Pays Basque, ainsi que d’avoir l’opportunité d’échanges durables.
Le Prix Itzal Aktiboa s’inscrit aussi dans cette dynamique ?
Tout-à-fait. Il s’agit de donner un premier écho à de jeunes artistes contemporains, avec un prix de 2000 euros pour le lauréat du concours, ainsi qu’une exposition pour les cinq premiers. Les candidats sont invités à présenter leurs œuvres avant le 15 juillet. Il y a aussi l’importance du jury, composé de personnes conséquentes dans le monde de l’art et de la culture, et qui peuvent être intéressées par ces jeunes artistes. Le concours reste au final une sorte de prétexte pour tisser un réseau entre les jeunes artistes de tout le Pays Basque. Nous avons d’ailleurs fait le tour des principales écoles d’art, de Bayonne à Bilbao, afin de motiver les élèves à se présenter au concours. Cette année, Javier Manzanos, directeur du musée d’art contemporain de Huarte (Navarre), fera partie de notre jury pour la première fois.
Cela peut-être une relation intéressante pour vous ?
Oui, même si tout reste à faire, et je ne sais pas si nous avons assez de poids, parce qu’il s’agit-là d’une grosse institution. Ils disposent d’un endroit très intéressant, vaste et disposé à l’entrée de Pampelune, mais que je trouve, pour ma part, plutôt vide. Cela peut donner lieu à un échange intéressant au niveau de la Navarre. Malgré tout, il serait tout aussi adéquat de renforcer le lien entre les différentes écoles d’art du Pays Basque, même si certains échanges commencent à émerger. Il est sûr qu’une langue commune faciliterait les choses…
Histoire de prestige, donc…
Oui, et de curiosité. On sent que St Jean Pied de Port n’évoque pas grand-chose aux jeunes des écoles d’art. Mais une fois ici, ils sont enchantés par les lieux, et notamment lorsque l’on expose dans différents endroits du centre historique, qui regorge de lieux idéaux. Je pense surtout à la Prison des Evêques. Puis avec le Prix Itzal Aktiboa, nous avons aussi l’occasion de rendre l’art accessible à tous, surtout au public, puisque les artistes seront là pour expliquer subtilement leurs œuvres.
« Subtilement » ?
Oui, je suis pour laisser les gens regarder : ils n’ont pas besoin de comprendre. Ils peuvent se laisser aller à leur sensibilité, leur interprétation, leur envie. On peut leur donner des références de peintres plus connus, pour les guider un peu, parce que nous sommes dans une influence permanente entre artistes, vagues et courants. La dynamique collective est une chose à ne pas perdre de vue : c’est un gage de durabilité, d’enseignement, et d’humilité.