Joseba Manterola (1968, Hendaye, Labourd) est chanteur et musicien, actuellement au sein des groupes If Renaud Was a Punk et Don’t Save the Queen. Amateur assumé d’underground, nous l’avons particulièrement interrogé à propos du rock basque et de sa scène, dont il fait partie depuis la fin des années 80.
Dans quelle ambiance musicale avez-vous été élevé ?
J’ai vécu dans un monde culturel depuis toujours : aita était txistulari, s’occupait de groupes de danse, et nous avons appris la musique à l’école d’Hendaye, qui était reliée au conservatoire. C’est d’ailleurs là que nous avons pris les cours de txistu...
Contraints-forcés ?
Oui ! (rires) Nous n’avions pas le choix ! Mais cela m’a au moins amené à avoir un lien étroit avec la musique... Même si j’ai poursuivi en écoutant des musiques autres que celles de la culture basque...
Comment vous paraissait un instrument comme le txistu ?
Il s’agissait d’un instrument d’un certain contexte... Grâce au txistu, j’ai fait la fête étant jeune... Mais c’est le rock’n’roll qui m’a intéressé dès la petite enfance. Un des frères ainés avait un disque du duo Errobi, et j’adorais ce son ! Tout comme les Rolling Stones, les Beatles, AC-DC... Puis j’ai aussi débuté dans un groupe à 21 ans, à la fin des années 80.
Y avait-il une ambiance particulière, pour débuter ainsi dans un groupe ?
Avant toute autre chose, une envie particulière. Mais il est vrai qu’à l’époque, cela faisait une dizaine d’années que nous écoutions et regardions de la musique localement. Rien qu’à Irun : nous avions des groupes tels que Kortatu, Baldin Bada, Vomito... à portée de main. J’ai cramé mes nuits à la place Mosku ! Auparavant, j’avais également Itoiz à l’oreille, grâce aux grands frères.
Est-ce que les groupes locaux représentaient quelque chose de particulier, en comparaison aux géants anglo-saxons ?
De toute manière, il me suffisait de voir un type sur scène, avec sa guitare, pour m’en émerveiller ! Mais les groupes locaux me semblent très importants pour apporter une ambiance de concerts : nous en avons vu des centaines, et cette immersion peut être décisive pour des jeunes désireux de jouer de la musique. Puis naissent des phénomènes tels que Kortatu : leur succès a été spectaculaire, les gens ont immédiatement adhéré. C’est un groupe que j’ai vu dans des concerts structurés : nous autres, devions jouer dans d’autres conditions, presque sans sono, ou une sécurité limitée. Mais l’ambiance était comme cela : on le faisait, en étant heureux.
Mixel Ducau n’avait pas forcément bien vécu l’émergence de Kortatu et du punk : il espérait la qualité musicale d’Itoiz pour l’avenir du rock basque...
Oui, mais nous ne sommes pas de la même génération ! La réaction de Mixel Ducau me paraît logique, puisqu’il était déjà un musicien accompli à l’époque... Néanmoins, ce point de vue me semble assez fermé (sans vouloir manquer de respect) : Fermin Muguruza a raconté plus d’une fois comment eux se rendaient à Londres, et y ramenaient des disques. Ces gars-là parcouraient l’Europe, juste pour écouter de la musique ! Rien qu’au niveau du rock, la naissance et le développement de nombreux styles ont été spectaculaire. Par conséquent, et avec un minimum d’ouverture, il ne me semble pas possible de se cantonner à un seul style... Et le Pays Basque a eu cette ouverture.
Il souhaitait plutôt souligner la qualité technique...
Il est vrai que certains groupes ont revendiqué d’avoir commencé à jouer en public en connaissant à peine deux accords... C’est aussi important : la musique, ce n’est pas que de la technique ! J’ai déjà vu des musiciens techniquement superbes, mais ce qu’ils faisaient me semblait de la merde. Après que personne ne me dise qu’un Iñigo Muguruza ne propose pas de la qualité : en regardant son parcours, et en sachant qu’il est professeur de guitare, ce n’est pas quiconque.
Il y a aussi l’ambiance sociale...
C’est vrai, c’est important... L’ambiance urbaine d’Irun a été fondamentale, et le punk y trouvait un écho. Mais il n’y a jamais eu rien de tel à Hendaye, et le punk nous parvenait tout-de-même jusqu’à la moelle ! Il y a même eu du punk à Uhart-Cize, d’ailleurs...
Quel était le style de votre premier groupe ?
Cela a toujours été difficile de définir notre musique : je laisse cela aux autres ! Il s’agissait de quelque chose entre punk et hardcore...
Pourquoi commencer à jouer en public ?
Pour prendre du plaisir ! Sans cela, cela n’en valait pas la peine... J’espère que cela est vrai pour tout le monde ! Le groupe s’appelait Beltzez, et a duré neuf ans.
Ce qui n’est pas mal !
Pas mal du tout : nous avons passé de très bons moments ! En parcourant d’abord le Pays Basque nord, puis le Guipuzcoa... Nous avons énormément joué en Navarre. Moins dans les autres provinces, mais nous avons eu des occasions de jouer au-delà du Pays Basque : Pau, Bordeaux, dans des concerts organisés par des étudiants basques ; nous étions dans un circuit, en croisant d’autres groupes, et nous avons même organisé des petites tournées en Suisse, Italie, Catalogne... toujours dans des maisons occupées. On ne jouait pas pour de l’argent !
Vous ne vouliez pas en faire votre gagne-pain ?
Si l’occasion s’était présentée, pourquoi pas ? Mais nous n’avons pas bien fait nos devoirs... Et le monde de la musique n’était pas aussi structuré que de nos jours. Nous avons donc fait la fête grâce à la musique, puisque nous n’avions pas assez d’argent pour payer le loyer et sortir en même temps !
Mais vous n’avez jamais senti que cette histoire pouvait aller plus loin ?
On était des punks... On vivait le moment présent, même si nous avions une trentaine de concerts par an... Mais pour nous, il s’agissait de trente fêtes assurées dans l’année ! Nous en avons profité, sans le moindre regret : personne ne nous l’enlèvera.
Dans cet état d’esprit, comment regardiez-vous ceux qui vivaient de la musique ?
Pas forcément d’un mauvais œil ! Nous étions payés en bière, eux en argent... S’il nous arrivait de gagner un peu d’argent, nous achetions des bières ! Mais il n’y avait pas la moindre jalousie, on en profitait trop.
Pourquoi ce premier groupe s’est-il arrêté ?
Le temps a fait son travail... Malgré tout, nous nous sommes usés au sein du même circuit : lorsque l’on vous appelle pour la trentième fois dans la même salle, pour jouer sans sono, et en échange de bières... Bon, c’est là que l’on constate que si un pallier n’est pas franchi au bout d’un moment donné, les choses tournent en rond, et que l’envie de concerts n’est plus là : sans cela, pas la peine de poursuivre. Puis d’autres projets avaient touché chacun d’entre nous, ce qui était agréable ! Des cinq membres de Beltzez, nous sommes quatre à continuer la musique...
Quelle évolution avez-vous contemplé, dans votre parcours de musicien ?
Je suis resté quatre ans sans concerts : cela me suffisait de me réunir une fois par semaine avec les copains, pour jouer entre nous. En remontant sur scène, je me suis vite aperçu de l’importance prise par l’informatique, que ce soit pour créer de la musique, ou l’enregistrer. Nos vieux magnétophones, avec leurs cassettes usées mille fois, avaient disparu ! L’évolution technique a été immense de la fin des années 90 à nos jours. La situation des groupes de musique a été autre : je ne crois pas que cela soit facile pour la plupart... Il y a des centaines de formations en Pays Basque, et combien vivent de la musique ? Dans le rock, une dizaine ?
Dans le pop, cela doit être plus...
Peut-être, mais je ne les connais pas... Ce n’est pas le style que j’apprécie le plus, et je n’ai pas tellement de temps pour écouter de la musique : si j’ai un moment de libre en dehors du travail, c’est pour jouer de la musique. Cela me semble plus intéressant, et je prends plus de plaisir. Je ne suis pas là pour donner du plaisir aux autres, ou ne recherche pas un style qui sera tendance : je vois tellement de musiciens qui s’ennuient, même si leur groupe a du succès... En plus de cela, je crois que peu de formations musicales créent réellement quelque chose de nouveau, moi y compris ! Mais cela me semble important d’avoir un large panel musical.
Vos deux groupes sont plutôt différents l’un de l’autre...
Oui : If Renaud Was a Punk, c’est des versions punks de chansons de Renaud ; Don’t Save The Queen, nos créations dans un style plus hardcore. Nous sommes six dans l’un, trois dans l’autre : ce n’est pas la même manière de faire de la musique. Les deux groupes me sont personnellement complémentaires, puisqu’il s’agit de travaux différents, mais aussi de plaisirs différents. En créant une chanson, et si le résultat est plaisant, on a une émotion particulière au bout. Dans le cas des chants de Renaud, le gros du travail est déjà effectué, mais c’est quelque chose d’en faire du punk : je n’y ai pas participé, mais sur scène, on pose la voix d’une manière singulière.
Des ambiances différentes, entre les deux groupes ?
Les deux projets me sont liés, et ce sont aussi les copains qui acheminent cela : le batteur est le même dans les deux groupes, et j’ai trois membres de mon ancien groupe dans If Renaud Was a Punk. Il s’agit de personnes et de groupes ayant parcouru le même monde. Après, ce n’est que récemment que nous avons reformé Don’t Save the Queen en mode trio : je n’ai pas encore assez de recul pour en parler.
Vous avez l’habitude d’écrire vous-mêmes vos textes : quelle est la place de la revendication ?
Avec Beltzez, les textes étaient tissés de revendications. A présent, cela me semble un peu facile, pas profond, et j’essaie d’évoquer la complexité de la vie. Il s’agit d’opinions et de sentiments, je ne veux convaincre personne, mais les membres du groupes sont attentifs aux textes : c’est quelque chose de montrer cet intérêt, même si je n’aime pas forcément expliquer le sens des paroles. Chacun dispose des clés : c’est l’échange d’idées qui me semble le plus intéressant. Puis la musique que je produis aujourd’hui n’est pas du tout brutale.
Mais elle est plus virulente que ce qui s’écoute à la radio...
Je n’écoute pas les radios ! Pas pour la musique, du moins. Je veux choisir moi-même la musique que j’écoute.
Même Berri Txarrak a proposé quelque chose de plus sucré, dans sa dernière œuvre...
Attendez : leur producteur a suivi les groupes de métal les plus durs ! Après, certes : une partie de leur triptyque est plus pop, mais je les ai vu sur scène depuis, et ils ne se sont pas du tout ramolli ! Ils intègrent plus de mélodies, mais même un groupe comme Slipknot le fait aujourd’hui... J’espère juste qu’ils aiment cela, et qu’ils ne le font pas pour faire plaisir aux gens. De toute manière, si cela ne me plaît pas, je n’écoute pas, point barre !
Avez-vous écouté le dernier disque de Sutagar ?
Non ! J’ai décroché... Mais ils ont assumé dès le début que ce disque serait différent.
Cela fait quelque chose, quand-même...
Oui, mais je ne peux pas donner d’opinion, puisque je ne l’ai pas écouté ! Peut-être qu’ils se sont lassés de toujours produire la même musique, et ils ont souhaité ouvrir une nouvelle voie... Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne rejoindront plus leur axe principal. A l’époque, La Polla avait sorti un disque, "Los Jubilados" : rien à voir avec leur musique habituelle, mais qui est considéré parmi leurs disques mythiques aujourd’hui. Ils ont fait ce qu’ils souhaitaient, et heureusement ! Puis le public est là pour dire qu’il ne souhaite pas écouter cela : c’est une chose qui se ressent vite...
Que pensez-vous des groupes qui reviennent ?
Quelques fois, je me laisse aller à un certain enthousiasme, mais en constatant le résultat après... Bon... Puis je ne sais pas s’ils le font pour des raisons très saines, ou pour de l’argent, par exemple. J’ai tout-de-même une exception : Faith No More. Je n’avais jamais pu les voir, et ils avaient organisé une tournée : je les ai vu à Bilbao, et j’ai vraiment comblé un vide dans mon curriculum d’amateur de musique ! J’ai aussi vu Police au même endroit, en 2008, lorsqu’ils ont organisé une tournée en mode trio, sans artifice : aucun regret, là non-plus !
Pi.L.T. sera au festival EHZ...
Je n’aimais pas forcément leurs disques, mais adorais leurs concerts : je leur fais confiance. Eux aussi ont dit qu’ils ne revenaient que pour une poignée de concerts : cela me semble plus sain.
Après, certains groupes savent s’arrêter à temps, alors que d’autres...
Attendez : beaucoup sont contraints de s’arrêter... Tous les groupes célèbres des années 80 se sont dissous, mais tous leurs musiciens continuent dans différents projets... s’ils ne sont pas morts ! (rires) Ils continuent à être actifs, regardez Fermin Muguruza : entre ce qu’il faisait avec Kortatu, et sa musique actuelle, cela n’a rien à voir. Il a plus de fans aujourd’hui, un public plus large, dont certains qui le suivent dès le début. Mais le type a toujours fait ce qu’il souhaitait.
Vous l’écoutez ?
Je le préfère sur scène... Pourtant, je l’ai vu au festival EHZ il y a deux ans, et son concert ne m’avait pas du tout plu. Mais deux mois plus tard, il a offert une énorme prestation à l’Atabal ! La salle aussi y est pour beaucoup...
C’est-à-dire ?
Plutôt que l’ambiance des festivals, je préfère la sueur des salles... L’odeur, tous serrés, collés, la bière qui se renverse sur les fringues... (rires) L’ambiance des festivals ne me convainc pas... Les affiches sont très éclectiques, certains y vont pour des groupes précis, et s'en fichent du reste, mais sont tout-de-même là, dans le public... Et je ne me sens pas forcément à l’aise dans l’ambiance que cela suppose. Le public n’est pas homogène. Je préfère être dans une salle, parce qu’il y a quelque chose de commun qui lie tout le public : on s’échauffe ensemble, au même moment, et c’est tellement bon ! Même en tant que musicien...
Une salle est plus facile à chauffer ?
Sans aucun doute ! Lors d’un festival, quand j’ai vingt pelés devant, et vingt autres à côté, qui discutent entre eux en attendant un groupe... Je peux m’accrocher pour chauffer le public !
Les salles composent-elles principalement votre circuit de musicien ?
Cela dépend. Puis je ne fais pas beaucoup de concerts ! Une dizaine/quinzaine, avec If Renaud Was a Punk... Il y a deux semaines, nous étions à l’Atabal, nous allons bientôt au Hell Fest ; en juillet, nous serons dans les Landes, dans un bar que je ne connais pas... On regarde plus si les conditions sont bonnes : nous sommes peut-être plus exigeants qu’il y a trente ans... Cela nous est arrivé, après un concert, que le public nous dise qu’on entendait rien, surtout la voix ! Mais on prend chaque concert de la même manière : passer un bon moment. Après, avec ce groupe, le public peut être particulier : il y a des amateurs de Renaud, et des amateurs de punk... Avec Don’t Save the Queen, c’est plus difficile de se faire connaître. Mais on s’entend bien entre nous, et je pense que cela se communique au public, qui nous le rend avec bonheur. Puis s’il s’ennuie, cela se voit vite !
Qu’apporte l’Atabal au Pays Basque nord ?
L’outil qu’il nous manquait, depuis que je suis dans le monde de la musique : des concerts dans de bonnes conditions, pour les musiciens comme le public. Au départ, on y voyait des groupes locaux, mais désormais, en plus de ces derniers, des formations de niveau international viennent aussi... Sans parler de tout ce qui se fait autour, pour travailler, apprendre la musique...
Est-ce que cette salle ne ronge pas une ambiance plus populaire des alentours ?
Ce débat avait eu lieu lors de sa création... Mais cela fait onze ans que l’Atabal est là, et je dirais que le nombre de concerts a décliné depuis bien avant en Pays Basque nord. De la Soule au Labourd, il y avait des concerts tous les week-ends, dans n’importe quelle salle, sous n’importe quelle condition... Je veux dire que les concerts modestes se faisaient dans des conditions équivalentes... Et que cela dure encore aujourd’hui, même si le nombre a vraiment diminué. Le Gaztetxe de Donibane, par exemple, continue toujours d’organiser des concerts, dans des conditions plus modestes qu’à l’Atabal, et le public est présent !
Ce sont plus les comités de fêtes qui ont “lâché” les concerts ?
Sans aucun doute ! Avant, il y avait une sorte de compétition entre les fêtes de village, pour voir qui ferait venir le plus gros groupe ! Arcangues, Irissarry, Bidarray, St-Michel... Mais cela avait un coût, et au bout d’un moment, les comités se sont retrouvés en difficulté. Pourtant, c’est bien dans les fêtes de village que l’on peut retrouver cette ambiance plus populaire, si on laisse cette compétition de côté... Même si en tant que musicien, je n’affectionne pas forcément de jouer là... Le public y est vraiment divers, avec ceux qui sont cloués au bar, à l’autre bout de la place, ou bien ceux qui n’ont pas encore fini leur repas... On peut en arriver à jouer devant personne ! C’est aussi pour cela que je préfère les salles.
Le chercheur Josu Larrinaga évoquait, lors d’une interview au journal Berria, qu’au bout du compte, la musique metal est restée sous-culturelle...
Qu’il croit ce qu’il veut ! Toutes les musiques ont vécu avant lui, et vivront sans lui à l’avenir. On a toujours entendu que le rock, le punk étaient morts, mais il y a toujours eu des hauts et des bas, des cycles, des résurrections. Cela me semble un manque de respect, puisque des millions de gens écoutent ce genre de musique, à travers le monde. Je ne comprends pas ce genre de classement, tout comme je refuse toute forme de compétition musicale.
Vous êtes plus à l’aise dans une ambiance underground...
Oui, on est forcément underground : nous avons enregistré nos disques nous-mêmes, nous sommes partants de la philosophie du do it yourself. Les circuits de concerts aussi étaient comme cela : parfois même, under-underground ! Mais je m’y sens bien (comme je me sens bien dans plus de confort) : si cela ne me plaît pas, je ne juge pas. Je n’y vais pas. Qu’on nous laisse en paix !