Johañe Etxebest (1980, Licq-Atherey, Soule) est enseignant de métier, mais est connu au sein du monde de la danse dans le panorama culturel basque. Travailleur de l’ombre, on pourra l’apercevoir sur scène les 7 et 8 novembre 2014 à Mauléon, lors des premières du spectacle Baküna Show. L’occasion était trop belle pour évoquer avec lui la danse souletine dans son ensemble, et connaître ses projets.
Pour quelle raison vivez-vous aujourd’hui à Louhossoa, en terre manex ?
Ma femme Kattalin étant manex, et travaillant sur la côte, nous avons fait le choix de nous poser ici. Etant pour ma part enseignant, j’ai plus de flexibilité de ce côté-là. Et la Soule n’est pas si loin, d’ici...
Quel attachement avez-vous gardé avec votre terre natale ?
Grand, profond, et c’est surtout la danse qui a été le vecteur de cet attachement. Cela fait longtemps que je suis immergé dans ce monde. Pour m’amuser, je dis souvent que je suis le plus vieux danseur en activité de Soule ! Ayant débuté à six ans à Licq, puis continué à huit ans dans le groupe de danse et chant de Larrau. J’ai également participé aux Mascarades et Pastorales, même en tant qu’errejent... Le lien avec le pays et le territoire a été très fort. C’est la base, de toute manière. Les participations aux spectacles sont venues plus tard, emmené par Etxekopar et Berzaitz, le secteur de la danse m’étant confié. Aujourd’hui, il m’arrive encore d’être en Soule trois fois par semaine...
Il paraît que vous avez des projets particuliers...
Oui, je compte laisser l’enseignement pour me dédier davantage à la danse. J’ai des projets de spectacles en route, et aussi un objectif de coordination des troupes de danse souletines. Il me semble que nous avons besoin de voir ensemble une pédagogie, de tisser un réseau, de travailler avec les enfants... En partant de la danse, donner un point-de-vue plus global de la culture, en incluant évidemment la langue basque. J’ai le soutien de la Communautés des Communes de Soule, et nous sommes en train d’acheminer des subventions. D’autre part, étant en Labourd, j’ai aussi un projet avec la compagnie Elirale, à partir de décembre.
Dans vos priorités demeure toutefois Baküna Show...
C’est cela, oui ! Baküna, dans le sens de la simplicité, et Show, révélateur d’un monde plus étincelant. C’est dans ce contraste que nous avons basé notre spectacle.
Dans quel esprit, philosophie l’avez-vous monté ?
Dans une philosophie diversifiée, d’abord. Nous sommes issus de divers groupes de danse, avons des idées différentes, sur lesquelles nous avons construit le spectacle. En faisant des compromis, et mélangeant les influences et volontés de chacun. Puis nous avons notre tradition, populaire, d’un côté, et le monde consommateur et globalisé qui nous est inévitable de l’autre. Ils sont en confrontation, mais ma question est de savoir comment notre culture, notre singularité, notre identité peut aider à nous retrouver dans ce vaste monde.
Et, concrètement, qu’en est-il du spectacle : c’est une tentative de greffer ces deux mondes ?
Oui et non. C’est plus complexe que cela. Dans le même temps, en Soule, comme dans tout le Pays Basque intérieur, il y a eu beaucoup de changements : la perte de l’euskara, la honte d’être euskaldun, des départs douloureux du pays, l’effondrement d’une industrie... D’ailleurs, la place de la tradition a également été écartée, tout en endurant beaucoup de choses socialement. Néanmoins, une minorité a préservé le sens de vivre en Soule, et de cette influence est née l’envie de construire quelque chose au sein de la terre natale, chez les nouvelles générations, dans chaque secteur : être ouvert mais en nous basant sur notre identité. Ce sont tous ces va-et-vient qui ont constitué la trame du spectacle.
Comment s’écrit un scénario de danse ?
Ce n’est pas une tâche facile ! Nous avons hésité à inclure le chant, le théâtre, le bertsu, mais n’avons finalement gardé que la danse. Ce qui nous a amené à la considérer dans sa totalité : pas seulement les pas ou la technique, mais en insérant aussi nos codes. Cela sera particulier pour les Souletins : ils ont déjà commencé à dire qu’ils ne comprendront pas, mais je crois que cela en vaut la peine. Il y aura juste un livret minimaliste pour aider, mais les gens devront ouvrir leurs sens à ce qu’ils verront.
Vous avez effectué des propositions, pour que chacun les interprète à sa manière ?
Dans la danse, soit on est dans l’illustration, avec le risque de tomber dans la décoration, soit dans la suggestion, à la recherche de l’interprétation du spectateur. Nous offrons un chemin, et chacun voit à quel point il désire s’y engager. Dans ce cas, que chacun voie ce que nous avons perdu en route en Soule, et, en vue de l’avenir, quels choix nous ferons. Il y a également des clins d’œil à la solidarité...
N’y-a-t-il pas un risque d’étouffer la tradition ?
Nous ne sommes pas issus de la danse classique, ni contemporaine : nous sommes Souletins. Nos danses sont liées à cela. Où les trouve-t-on ? Au sein des Mascarades et Pastorales. Nous les avons toujours connues là, et les donnerons toujours là. Il serait dommage de ne garder que la technique de nos danses pour le spectacle. Nous avons voulu tenir compte des codes, métaphores qui sont autour, parce que notre culture est aussi là-dedans. J’ai particulièrement préservé ce côté-là. Et le chorégraphe Edu Muruamendiaraz n’étant pas Souletin, une confrontation très intéressante est sortie de notre travail.
Par rapport aux Mascarades, quelles différences avez-vous notées lors de la préparation, des répétitions ?
Dans les mascarades, le cadre est fixé. Il y a une recherche pour la création, mais qui est assez minime. Pour Baküna Show, ce travail a pris beaucoup plus de place : nous avons créé douze danses, ce qui est une tâche énorme ! Nous y avons laissé beaucoup d’énergie. Ce n’est pas du tout la même démarche. Puis nous avons des danseurs de villages différents, par exemple.
Avez-vous organisé des castings de danseurs, dans l’esprit du “show” ?
Non, pas du tout ! Nous étions quelques danseurs issus du spectacle Amaiur et de Kauteren Baleta à être intéressés pour monter un projet. C’est un montage entre volontaires et connaissances. Mais l’inquiétude que nous avons dans les groupes de danse reste le manque de but. Certains aiment beaucoup la danse, mais n’ont pas l’occasion de l’exercer davantage, ou de connaître de nouvelles choses. Puis il y a aussi le phénomène de laisser la troupe de danse à vingt ans, parce que les buts n’y sont pas clairs. Pourtant, c’est à partir de cet âge-là que l’on prend vraiment plaisir à danser, à avoir un point-de-vue plus global. A Baküna Show, nous sommes des danseurs accomplis, avec une moyenne d’âge de 28 ans, et nous en profitons beaucoup.
Approfondissons les inquiétudes des écoles de danse...
Comme je l’ai évoqué précédemment, ce sont généralement des inquiétudes au niveau de la transmission. C’est un monde de bénévoles, avec ses bons et laborieux côtés, mais ceux qui ont appris la danse ne l’enseignent pas forcément. En plus, ils ne savent pas comme enseigner, par où commencer : je dirais qu’il y a des manques au niveau pédagogiques. Puis il y a le sujet des enfants et des jeunes. Comment voient-ils la danse ? Comme un autre sport. Vu comme cela, on n’a aucun poids face au rugby et autres sports de ballons. Beaucoup de garçons délaissent la danse pour un autre sport, ce qui est révélateur.
Le lien entre les générations s’est perdu et, en même temps que cela, le sens aussi ?
C’est également une affaire de société. Mais c’est le sens qui s’est le plus perdu, oui : le but. Et les prochaines années, j’aimerais me consacrer à réapproprier cela. En reliant la culture basque, l’euskara évidemment, il y aurait là un monde à reconstruire. Par exemple, monter une Mascarade avec les enfants d’une troupe de danse, et la donner dans la commune voisine. Fixer des buts par rapports aux âges, dans un chemin allant du jeu vers la danse. Garantir une communication en euskara, pour mener tout le processus en basque. Et transmettre plus de choses de la culture. De nos jours, il arrive trop souvent qu’un danseur de dix-sept ans ignore à quoi est liée sa danse.
Mais cela a-t-il un sens de travailler les Mascarades, passage rituel vers le monde adulte, avec les enfants ?
Le but serait de faire goûter la mascarade. Qu’ils lient le plus tôt possible la danse à quelque chose qui nous appartient. Profiter de cela pour garantir l’avenir. La Mascarade peut être un exemple, ou la Pastorale, ou une autre création liée à notre environnement. On peut aussi mélanger les côtés motricité et culture. Les liens seront aussi fondamentaux, les échanges entre écoles. De toute manière, tout cela reste à réfléchir entre tous. Mais je prendrais volontiers le travail de coordination, puisque le chemin parcouru nous offrira davantage de pistes.
Dans la situation actuelle, cela vous semble vraiment possible de mener tout cela en euskara ?
Lorsque j’enseigne la danse, je ne peux pas concevoir de ne pas le faire en basque. Ce n’est pas le cas de tous, et il y a là beaucoup de préjugés à briser. Dans la danse, les choses fondamentales sont assez répétitives et, au bout d’un moment, commencent bien à entrer... En partant de là, je crois que l’on peut créer des espaces en euskara et, avec le temps et un travail durable, apaiser les gens par rapport à ce sujet-là. En plus, il me semble que les enfants et les jeunes comprennent plus le basque qu’on ne le croit : cela permettra également de mener un travail en euskara.
Comment le développement des écoles de danses laissera-t-il la dynamique d’un village, le mélange entre les générations pour, par exemple, préparer les Mascarades ?
Il faut voir où en sont nos moyens. Idaux préparera les prochaines Mascarades, et ils ont fait appel à moi pour les travaux d’errejent. Voilà : ils font venir quelqu’un de l’extérieur. Parce qu’une dynamique s’est perdue. Certains codes aussi se sont perdus, n’étant plus dans la mémoire des danseurs ou des professeurs. Les dernières Mascarades données par Idaux dataient de 1999. J’ai voulu que les participants d’alors soient avec nous lors de la préparation de celles de cette année. Les prochains jours, nous distribuerons les rôles, et ils seront là. Rien que leur présence apporte quelque chose à la dynamique, si ce n’est que du respect. Lors des jeux théâtraux, pour l’écriture et montrer d’autres choses, ils seront là. Mais ce qu’il manquait, à mon avis, était toute la symbolique des Mascarades, du carnaval. Nous avons pris un moment pour l’évoquer, pour préciser les personnages, etc... J’aimerais aussi travailler le Brale dantza le plus profondément possible, étant une danse rituelle, avec des codes vraiment précis : il s’agit là de littérature, on y croit ou non, mais ce sont des choses à travailler. Les codes donnent du sens, et de la force.
Cette transmission sera donc à la charge des écoles de danse ?
Pas totalement, mais le but serait d’acheminer les enfants et les jeunes vers cette transmission. Il faut aussi savoir que l’école de danse est du village-même : cela a son importance. La tâche principale de l’école a été, jusqu’à présent, de montrer la technique. Ce sont des garanties importantes, que l’on peut exploiter davantage en renforçant le point de vue culturel. En ayant cette base, je verrais bien la dynamique des villages, la transmission intergénérationnelle... facilitées. Avec les enfants et les jeunes, il ne faudrait pas des écoles de danse, mais bien des écoles de culture. En plus, on pourrait établir des ponts avec les écoles de bertsu et de musique, autour de certains projets. Nous aurions besoin de récupérer une certaine globalité.
Quelle est la place de Baküna Show, au sein de cette dynamique ?
Nous évoluons dans de la danse de haut niveau. Que ce soit du côté technique, ou qualitatif...
Ce qui n’est pas le cas des Mascarades ?
Au fil des années, nous avons connu trop de problèmes pour atteindre une telle qualité, pour faire durer les choses et les gens. Par exemple, l’âge moyen des danseurs des Mascarades sera de seize ans cette année. Comme évoqué précédemment, le danseur atteint une plénitude à partir de vingt ans. Quoi qu’il en soit, en montant des spectacles comme Baküna Show, nous voulons être des références, même si ce n’est que techniquement, vis-à-vis des jeunes. Lorsque nous les aurons entre nos mains, qu’ils constatent qu’ils sont avec des personnes parées culturellement et techniquement, et qu’ils auront un jour la possibilité de faire de même à un certain âge. Travailler ce genre de spectacle nous ouvre d’autres portes, en ayant l’intention d’agrémenter notre culture, et sans mépriser ce que nous sommes.
C’est dans cet esprit-là que vous avez constitué un pack touristique autour du spectacle ?
Nous ne le voyons pas comme un pack touristique. Vu que nous irons en Labourd et en Guipuzcoa, avec notre spectacle, il nous a semblé intéressant d’inviter des entreprises de Soule qui s’inscrivent dans notre démarche, afin qu’ils montrent ce qu’ils produisent. En Guipuzcoa, par exemple, les gens ont une image bucolique, mythique, idyllique de la Soule. Nous voulons briser cela aussi. Montrer que nous vivons. Et tisser des liens entre euskaldun. En Soule, on pense peu au Pays Basque sud, même dans le monde économique. Nous avons des ponts à établir. Et si nous nous fixons dans cette démarche-là, cela me semble sain.