En choisissant les montagnes de Sare plutôt que la belle place du village pour décor, Joanes Garcia-Basurko (Bayonne, 1982) et toute l'équipe du festival Usopop ont fait évoluer les habitudes de consommation de la scène musicale Basque. Guidé par sa passion pour la musique et par l'envie de partager de bons moments, c'est grâce à l'expérience acquise dans différents projets que lui est venue l'idée d'un festival au col de Lizarrieta. Aujourd'hui, Joanes nous parle de ses passions, de son parcours et il nous révèle quelques informations sur le mystérieux projet qui couve du côté de Sare...
En tapant votre nom dans le moteur de recherche, des photos de danseurs, de musiciens et de Sare apparaissent à l'écran...
En effet, cela résume assez bien mon parcours, la danse, Sare et l'acteur culturel, de la scène musicale en particulier. J'ai baigné dans la culture depuis tout petit car mon père chantait dans le groupe Eltzegor. Puis de projets en projets, j'ai aimé travailler en équipe, d'abord au Gaztetxe, puis j'ai continué mon parcours, auprès de gens différents à imaginer des projets différents.
Vidéo de l'entretien (en basque)
Je ne suis pas un grand danseur mais en effet, après avoir quitté le club de football, j'ai fait mes premiers pas de danse avec Patxi Perez. Là, j'ai rencontré de bons amis et j'ai passé des moments incroyables. À dix huit ans, notre groupe était consolidé et nous avons décidé de créer Zpeiz Mukaki qui mélangeait danse et musique. Cette aventure nous a permis de beaucoup voyager, mais aussi de bien connaître le Pays Basque. Le groupe avait aussi fait le buzz sur les réseaux sociaux avec une vidéo pas très belle d'ailleurs, mais qui a connu un beau succès. Elle a été partagée en masse et ils en ont même parlé au journal d'ETB ! Cela nous a bien fait rire ! Personnellement, ce que je retiens de cette époque de danseur, c'est d'abord les superbes expériences vécues et l'occasion donnée de découvrir notre pays.
Votre passion pour la musique est inscrite dans vos gènes ?
C'est fort possible. Ma mère écoute beaucoup de musique et mon père chante. C'était un membre du groupe Eltzegor. Très tôt la musique a éveillé quelque chose en moi. J'ai essayé d'en jouer, mais on dirait que ce n'est pas pour moi. Par contre, je suis un vrai passionné avec des critères qui me sont personnels et mes goûts musicaux ne sont pas ceux de mon père. Cependant, j'écoute encore les disques d'Eltzegor. Je crois sincèrement que c'est un groupe qui n'est pas apprécié à sa juste valeur. Musicalement, je trouve ça très bon. C'est peut être aussi parce qu'il me va droit au cœur, il me rappelle les concerts de mon enfance.
Vous avec démarré l'aventure Usopop avec vos ami.e.s ... Quelles étaient vos principales motivations ?
J'ai organisé mes premiers concerts au Gaztetxe de Sare, puis je suis rentré dans la commission programmation du festival EHZ où je suis resté au moins pendant six années. C'était vraiment une super expérience, très enrichissante. Mon ami Patxi Dutournier a toujours été à mes côtés. C'est en rentrant des réunions de préparation du festival que, conscients de tout ce que l'on était en train d'apprendre, nous est venue l'idée et l'envie d'organiser quelque chose de différent à Sare, plus près des modèles de concerts qui nous inspiraient par ailleurs. Nous voulions offrir de la musique, mais différemment.
Avec les paysages sublimes que nous avons ici, nous avons décidé d'organiser le festival en pleine montagne.
On a commencé à parler de notre idée à des amis que l'on croisait dans des concerts. C'est ainsi qu'est née l'équipe d'Usopop, il y a maintenant douze ans de cela. Il faut dire qu'à l'époque, on écoutait beaucoup de punk, de ska ou de métal par ici. La musique pop était assez marginale et nous, nous voulions proposer ça à Sare, tout simplement.
Votre proposition, c'est donc d'écouter de la musique atypique, dans un lieu atypique ?
Cette idée nous est venue un dimanche après-midi pluvieux, alors que nous étions affalés sur le canapé en regardant une vidéo d'un concert. C'était un groupe Islandais qui, à la fin de sa tournée mondiale, avait offert une mini-tournée dans différentes îles Islandaises. Mais au lieu de jouer dans des salles, ils ont proposé des concerts en pleine nature. Cette idée nous a totalement inspiré, étant donnés les paysages sublimes et les trésors que nous avons ici. Nous avons donc décidé d'organiser le festival en pleine montagne. Nous avions déjà un coin de prévu près des palombières de Sare. C'est ainsi que tout a commencé, humblement, avec, comme toujours, l'envie de partager ce que j'aime avec les autres.
Usopop a réuni quelques 800 personnes, un samedi soir pluvieux au fin fond de la montagne, c'est pas mal, non ?
Dès la première année, le public a répondu présent et Usopop n'a cessé de grandir les années suivantes. On a juste arrêté avant de trop grandir. Le premier principe de notre festival était de faire venir les groupes que nous aimions. Puis nous voulions également mélanger les musiques d'ici et celles d'ailleurs, c'est à dire préserver nos racines tout en s'ouvrant au monde.
Enfin, donner sa place à notre langue était une évidence... Nous avons aussi réussi à créer une ambiance chaleureuse, familiale. Je crois que les groupes invités ont vraiment apprécié cet état d'esprit. D'ailleurs, on a gardé de très bonnes relations avec certains d’entre eux. Les artistes savaient qu'ici le public venait pour les écouter, pour apprécier leur musique et passer un bon moment.
Le rendez-vous de Lizarrieta est vite devenu un incontournable.
Oui, Usopop a su se faire une place dans le calendrier des festivals. Je crois que c'était en lien avec le contexte du moment. À l'époque, le journaliste Gorka Bereziartua de l'hebdomadaire Argia avait parlé d'Eusnob pour évoquer le mouvement qui proposait de nouvelles formules musicales au Pays Basque. Il intégrait notre festival dans ce mouvement. Pour notre part, nous n'avons jamais eu l'intention de devenir un festival "important", donc pour nous, il s'agit surtout d'un succès d'estime. Nous avons quand même réuni quelques 800 personnes, un samedi soir pluvieux au fin fond de la montagne, c'est pas mal, non ?
Malgré cela, nous avons décidé d'arrêter avant de devenir trop important. Il faut aussi dire que même si ce n'était pas évident à première vue, l'organisation d'Usopop était assez punk, totalement dans l'esprit Do it yourself. C'était une volonté de notre part de créer la décoration avec de la récupération et de tout faire pour que le public se sente comme à la maison pour se régaler devant un bon concert.
On dirait que l'âge d'or du rock basque est derrière nous pour laisser la place à la mode Eusnob ?
C'est un sujet que l'on a souvent évoqué entres amis. Personnellement, je n'ai connu que les dernières années de cette fameuse époque, avec des groupes que j'ai aimés et que j'écoute encore aujourd'hui. Mais la musique ne s'est pas arrêtée là. Beaucoup de groupes ont émergé depuis et j'ai l'impression qu'on ne leur fait pas beaucoup de place. Pourtant, je pense que c'est plus intéressant pour les jeunes d'aujourd'hui d'écouter Tatxers plutôt que Kortatu.
Il faut aller de l'avant. La créativité est là et les jeunes ont besoin de nous. Sans public, les groupes meurent.
Il faut connaître des groupes comme Kortatu ou Zarama pour avoir la base, mais Tatxers est un groupe jeune qui parle mieux des préoccupations des jeunes d'aujourd'hui. Je crois qu'il y a une belle offre pour les fans de musique sans tomber dans la nostalgie. Il faut aller de l'avant. La créativité est là et les jeunes ont besoin de nous pour évoluer et exister. Sans public, les jeunes groupes meurent, et donner leur place aux nouveaux venus n'enlève rien au travail génial des artistes des générations précédentes.
Plutôt que de vous saper le moral, le Covid vous a donné des ailes pour de nouveaux projets.
En effet, notre dernier projet n'avait pas pu voir le jour à cause de la pandémie. L'été dernier par contre, nous avons commencé à avoir des fourmis dans les doigts et à vouloir proposer quelque chose; nous avons donc organisé une série de concerts d’août à novembre et nous avons constaté que le public répondait présent, que l'envie était bien là. Nous nous sommes donc lancés dans un projet qui verra le jour cette année. Ce qui m'a le plus manqué ces deux dernières années, ceux sont les relations naturelles et sincères avec les gens, pouvoir se voir à nouveau, faire la fête. Je crois que c'est un sentiment partagé par beaucoup.
Nous avons donc calé les dates du 29 et 30 octobre pour commencer à préparer notre projet. Il y aura des concerts secrets à Sare et deux soirées, le vendredi et le dimanche avec des concerts plus classiques. Nous voulons proposer une programmation variée, une nouvelle façon de consommer la musique. Les gens arriveront à Sare sans savoir ce qui les attend ni où aller. L'idée est de distribuer une carte au public avec des indices qu'il devra déchiffrer pour trouver le concert, qui aura lieu dans un espace caché. Nous voulons aussi organiser une résidence d'artistes au sommet de La Rhune, pour une sortie de résidence partagée avec le public le dimanche. Nous pensons faire venir des artistes de Catalogne, de France et d'ici bien évidemment. Je ne vais pas tout dévoiler ici mais c'est le concept sur lequel on travaille.
Il y aura des concerts secrets à Sare et une résidence d'artistes au sommet de La Rhune, le nouveau rendez-vous s’appellera Mapa galduak...
Le rendez-vous s’appellera Mapa galduak, (les cartes perdues), en référence au festival Lost Map qui existe déjà en Écosse.
En ce qui concerne la résidence, on l'a baptisée Mugarri 26. Le village de Sare est quasiment sur les terres navarraises et même si la frontière n'existe pas, il y a là-haut une borne 26 qui est située tout près de la Venta d'un ami. Celui-ci a réalisé de gros travaux dans son magasin pour transformer le lieu. Il a dégagé toutes les poupées espagnoles et autres souvenirs pour touristes et à la place, il a créé des espaces bar, expositions, concerts et d'autres petites salles. C'est en discutant avec lui que l'on a pensé à accueillir une dizaine d'artistes là-haut, en autarcie pendant une semaine, pour travailler ensemble et proposer ensuite le fruit de leur travail sous forme de Folk circus, c'est à dire en formant une ronde, avec les artistes au milieu, en mouvement et qui se partagent les instruments. Nous voulons faire venir des artistes de notre label Usopop mais pas que. Aitor Etxeberria, Gartxot et d'autres artistes du Canada et d'ailleurs sont prévus pour l'instant.
Vous avez aussi créé une maison de disque.
Là aussi, c'est l'esprit Do it Yourself qui nous a poussé à démarrer Usopop diskak. Le musicien et ami Aguxtin Alkhat était venu jouer au festival après avoir quitté son groupe. En voyant son concert, je lui ai dit qu'il y avait matière à sortir un disque. Au début il n'osait pas trop, mais nous l'avons motivé. C'est ainsi que nous avons réussi à sortir le premier album.
Nous ne sommes pas Eusnob ! Notre spécificité, c'est d'être curieux. Pour moi, la curiosité est la plus belle des qualité.
Puis nous avons continué à élargir le cercle avec d'autres artistes comme Paxkal Irigoyen, pour arriver aujourd'hui à un total de dix disques proposés sous le label Usopop. L'an dernier, nous avons restructuré l'organisation et c'est Patxi et Alan qui gèrent le label désormais. Bientôt, on devrait voir sortir les nouveautés de Lumi, Orbel et peut être Rüdiger. Nous essayons d'aider les groupes locaux. En fait, nous les aidons avec l'argent récolté grâce à eux durant le festival.
On peut dire que Usopop est le label Eusnob ?
Tout d'abord, nous ne sommes pas Eusnob ! On nous a collé cette étiquette, et peut être que certains, vu de l'extérieur, trouvent des similitudes, mais ce n'est pas notre réalité. D’ailleurs, je ne crois pas qu'il y ait un réseau Eusnob. Nous sommes des gens plutôt modestes et notre culture est essentielle à nos yeux, mais nous sommes aussi ouverts et nous nous intéressons à ce qui se fait. En fait si nous avons une spécificité, c'est celle d'être curieux et pour moi, la curiosité est la plus belle des qualités.
Le réseau Usopop parvient à traverser les frontières ?
Nous sommes basques et nous voulons être acteurs de l'histoire de Sare. Pour nous c'est une évidence d'être en contact avec des gens de Navarre ou du Gipuzkoa, mais on s'est aussi rendu compte que plus de la moitié de notre public venait de l'autre côté de la frontière. C'est donc évident pour nous qu'il faut entretenir ces relations et que c'est aussi un enrichissement. Nous avons trois langues et nous connaissons aussi bien les cultures de France et d'Espagne. Nous devons profiter de cela. Au lieu d'y voir des frontières, nous devons nous nourrir de cette richesse.
Le village de Sare est une belle vitrine de notre patrimoine matériel. Qu'en est-il de l'immatériel ?
C'est vrai que Sare sait préserver son patrimoine matériel. En ce qui concerne l'immatériel, comme la langue basque par exemple, je crois que nous devons faire attention car il peut être fragile. Par ailleurs, je crois qu'il ne faut pas toujours regarder derrière soi. On devrait davantage regarder le présent et le futur, penser à ce que l'on va créer pour nos enfants, ce qu' eux-mêmes pourront vivre.
À Sare, nous avons trois langues et nous connaissons bien trois cultures. Plutôt que de voir des frontières, nous devons nous nourrir de cette richesse.
Pour moi la création est importante et la folklorisation est un risque permanent dans un endroit comme Sare. Notre village est basque, il vit en basque, mais je pense qu'il en faut peu pour que la situation change. Prendre soin de cela est un combat quotidien. Un joyeux combat mais un combat quand même. Heureusement, nous avons le soutien du village. Les habitants sont conscients de cela et la mairie aussi. Nous avons cette chance et nous devons continuer notre travail. Le patrimoine immatériel nous construit, comme la langue basque qui s'est toujours transmise par voie orale et que nous devons à notre tour nous assurer de transmettre.
Avez-vous d'autres passions que la musique ?
Je dois vraiment dire la vérité ? Bon je l'avoue, j'ai un défaut, j'aime le football ! Je suis fan de la Real Sociedad. À part cela, j'aime passer du temps en famille, avec les amis et j'aime la culture en général, le cinéma, la lecture, aller à la montagne et la musique, non stop. Rien d'extraordinaire en fait.
La création est importante et la folklorisation est un risque permanent dans un endroit comme Sare.
Avec le Covid, j'ai pris davantage conscience des choses essentielles de la vie et qu'en fait, c'est la famille et les petits plaisirs de tous les jours qui nous enrichissent vraiment.
Pour le concert de quel groupe seriez-vous capable de traverser le monde ?
J'en aurais deux : le premier est Sigur Rós, groupe Islandais et je dois dire qu'Usopop a presque été créé pour pouvoir écouter ce groupe; le second, Lankum que j'ai vu en Irlande juste avant la pandémie et que je garde dans un coin de mon cœur.
Un groupe du Pays Basque ?
Il y a beaucoup de bons groupes en ce moment, mais je dirais Tatxers de Pampelune, qui est venu cet été et qui est vraiment super.
Quelles-sont les bases pour faire un bon festival ?
Je dirais que les organisateurs doivent tout d'abord aimer ce qu'ils font. S'ils croient en leur projet, ils arriveront à transmettre leur envie au public.
Un rêve ?
Je rêve d'une société solidaire, de partage. Je n'ai pas assez parlé de mes amis ici, mais je crois au pouvoir du collectif. Il est évident que je ne serais rien sans le cuisinier ou tout autre bénévole d'Usopop.
Un sujet que nous n'avons pas évoqué ?
Ce serait bien si comme Usopop à Sare, on voyait fleurir un peu partout au Pays Basque des petits festivals différents, locaux, pour permettre au public comme nous de mieux connaître nos paysages.