Jean-Christian Irigoyen (1963, Gamarthe, Basse Navarre) n’est pas seulement le fils de Beñat Galtxetaburu. Comme son père, il est accordéoniste. Un musicien de l’ombre, à mi-temps, lorsque son "vrai" métier le lui permet. Après avoir ardemment participé à des projets et des orchestres aux alentours de Saint-Jean-Pied-de-Port, il a récemment fait le choix d’une nouvelle voie : celle de la poésie.
Xan Aire: Vous, vous êtes tombé dans la musique étant petit...
Jean-Christian Irigoyen : Oui ! Mon père étant un sacré accordéoniste, il a accompli, et bien accompli son travail durant une quarantaine d’années. Quand j’étais petit, la musique était une activité importante de la maison. A onze ans, c’est avec un sourire aux lèvres qu’il m’a proposé d’apprendre à jouer de l’accordéon... J’étais un brave garçon, et je lui ai dit "mais oui, Aita" ! Je me souviens que nous étions allés acheter un accordéon, sur la côte je crois, mon père avait marchandé et moi j’avais investis l’argent reçu à ma communion !
Galtxetaburu est un nom connu, populaire, mais peu de gens savent aujourd’hui qui était votre père...
J.-Ch. I.: D’abord, c’était mon père. Partant de là, c’était un homme, un Basque, qui avait ses valeurs et ses principes. Il savait ce qu’était la vie, il connaissait le Pays Basque de l’intérieur. Ce n’était pas un intellectuel, mais il savait beaucoup de choses. Puis il liait fondamentalement la musique à la danse. C’est un travail de l’ombre qu’il a mené toute sa vie. Je n’ai pas encore fini de le découvrir. C’était un homme bon, un excellent musicien. Si les gens ne chantaient ni ne dansaient, il n’était pas content ! Les choses ne sont plus comme cela aujourd’hui. A ce propos, deux citations me viennent à l’esprit. L’une est d’un trompettiste d’une fanfare roumaine : "Toutes les musiques sont faites pour la danse". La seconde est d’un musicien berbère : "Si nous ne les faisons pas danser, je ne sais pas pourquoi nous existons". Cela m’a évidemment rappelé mon père. La danse est une expression primordiale. J’espère que nous la sauvegarderons au Pays Basque.
En quoi est-elle importante ?
J.-Ch. I.: Vous vous liez dans l’espace à votre pays, dans la place publique ou n’importe où ailleurs. Vous créez une relation avec votre environnement. Moi je ne danse pas, mais chacun est danseur, avec l’autre. Par la danse on communique beaucoup de choses, plus facilement que par la parole, par exemple. De nos jours, la parole a beaucoup d’importance ! Les corps communiquent entre eux, ce n’est pas seulement une affaire d’intimité. Nous ressentons comme une vibration, même si nous ne savons pas exactement ce que c’est, nous devons vivre avec... Et ce n’est pas toujours facile !
De plus en plus difficile, peut-être ?
J.-Ch. I.:Oui. Nous évoquions avec un ami la situation dans les grandes villes qui, en trente ans, s’est dégradée. Il y a peu de choses dans la rue, l’espace public a perdu de sa convivialité, à cause de la mécanisation. Pourtant, parfois nous prenons une vieille veste et nous nous évadons au fin fond de la montagne... Il faut toujours garder espoir. Dans une ville même terne, il y a de jolis jardins, où les oiseaux chantent !
Mais vous avez dit que vous ne dansiez pas...
J.-Ch. I.: Il m’est arrivé de danser, oui ! J’étais récemment invité à un mariage. Une Algérienne se mariait à un Basque, loin d’ici. C’était de la musique Raï, et j’ai dansé toute la nuit ! Si ça avait été des fandangos, je ne me serais pas autant lâché : c’est une danse incroyable. Et il y a, au Pays Basque, des danses incroyables, pourvu que ça dure. J’aime jouer dans les bals. Nous avons un projet dont le thème sera : Guérir le mal par le bal. Si les danseurs sont inspirés...
Est-ce au musicien d'impulser cette envie ?
J.-Ch. I.: A mon avis, oui. Le public vient... Que lui demander de plus ? C’est aux musiciens de réfléchir. Il faut créer un lien avec le public. Sans cela, on peut tout arrêter. Les comédiens de théâtre ont eux le concept du quatrième mur. Si ce mur se dresse entre eux et le public, c’est mauvais signe.
Mais les acteurs de théâtre ont la parole, ce que les musiciens n’ont pas...
J.-Ch. I.: C’est vrai. C’est un avantage, la parole est à tous. Elle facilite la compréhension. La musique est une vibration, particulière, qui tient un peu de la sorcellerie. Mais dans un bal, la musique doit donner le premier souffle. La première note de la soirée. Et ça, c’est très agréable...
Vous, vous pouvez compter sur l’alcool, qui fait danser les gens...
J.-Ch. I.: Mon père disait toujours "une limite à toute chose". C’est la même chose avec l’alcool. Jusqu’à une certaine limite... Et c’est aussi valable pour les musiciens ! Ceux de l’orchestre Ramuntxo buvaient du vin lorsqu’ils avaient soif... Puisque nous parlons du passé, je dois dire que les années 1970-1980 ont apporté une certaine amnésie. L’orchestre Ramuntxo a existé de 1934 à 1974. Y a-t-il beaucoup de groupes qui durent autant ? Oui, Oskorri, par exemple. Mais sur Garazi ou Baigorri, qui se souvient que l’orchestre Ramuntxo a joué pendant quarante ans ?
Comment expliquer cette amnésie ?
J.-Ch. I.: La vie a brutalement changé. Le progrès est important, nous profitons tous de ses effets. Mais je ne sais pas ce que vaut ce progrès, si c’est pour oublier ce que nous avons été.
Comment se fait-il qu’un instrument comme l’accordéon vive encore aujourd’hui ?
J.-Ch. I.: L’accordéon, comme le saxophone, est un instrument jeune. Ils vont bientôt fêter 200 ans. L’accordéon offre une polyphonie, et il est facile à transporter. Il a une bonne réputation, un certain charme, pour danser... Dans la culture Chti, on dit que l’accordéoniste est toujours joyeux. Ca, c’est indispensable dans une société ou une culture. Mais lorsque l’on parle de l’accordéoniste comme faiseur de mélodie, il ne m’intéresse pas. A part Piazzola, qui chante avec sa musique. La musique de mon père aussi était profonde. Mais pour arriver à cela, il faut une vie intérieure riche. Etre musicien, c’est plus qu’un métier. L’art, c’est le fond des choses. C’est la même chose en politique ! Est-ce un métier ? Il y a des professionnels comme les ministres, puis les maires de petits villages...
Dans la musique, êtes-vous plutôt ministre ou élu d’un petit village ?
J.-Ch. I.: Moi... Conseiller ! Dans l’ombre...
Est-ce que vous recherchez cette place, ou voudriez-vous en sortir ?
J.-Ch. I.: Je veux être considéré en tant qu’humain. Après, si mon nom est célèbre... Je n’entre pas dans le marketing.
Vous pourriez vous servir du nom de votre père...
J.-Ch. I.: Cela me poursuit, mais je fais quand même attention. Je connais un peu l’histoire de ce nom, et je fais attention à ce qu’il ne soit pas mêlé à plusieurs sauces. Mais finalement, les choses sont simples, être musicien, c’est un travail de l’ombre.
Mais dans l’ombre, avez-vous besoin d’être écouté ?
J.-Ch. I.: Cela m’est indispensable, j’aime cela. De plus en plus !
Si vous jouez avec un chanteur, vous veillez à ce que votre musique soit prise en compte ?
J.-Ch. I.: Dans une belle chanson, je n’ai pas besoin de me mettre en avant. En revanche, en dehors de la scène, je veux être considéré autant que les autres. Les chanteurs ont un charme particulier. C’est pour cela qu’il est agréable d’être en relation avec eux.
Et avec les autres musiciens ?
J.-Ch. I.: C’est plus compliqué. C’est d’ailleurs à cela que je réfléchis, et que je travaille. Les relations entre musiciens, c’est un monde ! J’ai connu le meilleur et le pire avec les musiciens.
Cela a-t-il une influence sur votre actualité ?
J.-Ch. I.: J’ai commencé à penser que je devais cesser d’être un "zicos". Cela apporte certes de la liberté. Mais cette liberté est semblable à une feuille en automne : elle va dans tous les sens, mais pour aller où, au final ? J’ai donc tout changé. Cela fait trois-quatre ans que je collabore avec une jeune acrobate, et avec une créatrice de jeux de mains ; nous avons également le groupe Mateo, de style swing manouche, avec lequel je jouerai cet été. Je joue aussi avec un chanteur lyrique soprano ainsi qu’avec Michel Etxekopar, et l’association Hebentik. Je suis également présent à Errobiko Festibala, qui d’année en année se bonifie. On y passe vraiment de beaux moments.
C’est pour vivre ces beaux moments que vous avez changé les choses ?
J.-Ch. I.: Je ne cherche pas les bons moments, je veux fuir les mauvais. Pour ne pas être trop blessé.
Qu’est-ce qui vous a blessé ?
J.-Ch. I.: C’est le manque de qualité relationnelle qui me blesse dans ce métier. Nous passons des jours et des nuits ensemble, dehors... Là, je veux vivre de bons moments, dans le respect de tous. Le monde de "zicos" est trop brutal pour moi, j’ai besoin de poésie dans mes relations.
Ce sont des choses plus intimistes ?
J.-Ch. I.: Elles sont sérieuses. Des choses fondamentales. La musique, c’est une affaire sérieuse ! Il faut se présenter devant les gens, travailler. La poésie aide en ce sens, parce qu’elle est universelle. Victor Hugo disait : la poésie, c’est l’intimité dans toutes les choses.
Pourquoi ne pas vivre seulement de la musique ?
J.-Ch. I.: Concours de circonstances. J’ai commencé à apprendre à onze ans certes, mais j’ai ensuite cessé avant de m’y remettre, à vingt et quelques années. C’est un peu tard. Maintenant, je n’ai pas toujours assez de temps pour jouer... En vérité, ce n’est pas si important, et cela ne fait pas longtemps que je l’ai compris. A vingt ans, j’ai eu une rupture avec le Pays Basque, et cela m’a été néfaste. Je ne veux pas le revivre.