Henri Errandonea (1961, Sare, Labourd) est responsable de l’association Sarako Ondarea, ainsi que nouveau salarié du Biltzar des écrivains. Ce monument du lundi de Pâques nous parviendra rafraîchi le 28 mars prochain, puisque les associations et institutions du village et des alentours ont garanti leur participation dès son organisation.
D'où vous vient cette passion pour le patrimoine ?
Lorsque j’avais une douzaine d’années, ma mère m’a offert un livre sur l’archéologie : j’ai pris littéralement feu, comme quoi je devais être archéologue en étant grand ! La vie ne m’a pas mené vers cette voie professionnelle, mais j’ai toujours préservé cet amour pour l’histoire et les vieilles choses. Les personnes âgées avaient aussi une grande présence chez nous, ce qui a dû alimenter une certaine ambiance. Par exemple, mon grand-père, qui était de Lesaka, ne parlait que basque. Nous qui étions à l’école en français, je me demandais sans cesse comment on pouvait vivre uniquement en euskara. Il avait une vision du monde très singulière, n’avait pas besoin d’argent pour vivre, sachant tout faire lui-même, comme ses outils, et ayant une grande connaissance de la nature.
Savait-il lire et écrire ?
Oui, même si les revues et documents de l’époque étaient majoritairement en français. Je me souviens cependant m’être retrouvé dans une maison où l’on venait de recevoir la lettre d’un de leurs enfants parti travailler loin d’ici : seul un membre de cette famille savait lire, tous les autres restèrent à l’écouter autour de la table de la cuisine. Cela m’avait ébahi ! Il y avait vraiment un monde entre eux et nous. Ils avaient également des superstitions spéciales en plus des croyances catholiques : on ne leur a jamais entendu les noms d’Olentzero ou Mari, mais ils avaient leurs esprits et craintes du monde sauvage. Qu’il fallait faire attention au grand serpent de la montagne, par exemple : nous étions évidemment apeurés !
Ils employaient donc leurs croyances pour votre éducation...
Mine de rien, ils nous ont transmis beaucoup de choses par cette culture, même si je ne crois pas qu’eux-mêmes leur accordaient une grande importance. Elle n’a en tout cas pas beaucoup perduré. Pourtant, Barandiaran a travaillé avec notre grand-père, lorsqu’il a séjourné à Sare. Je pense qu’il a vraiment enrichi son recueil mythologique avec nos villageois de cette génération. Ces croyances étaient liées à leur vie, comme des repères. Lorsque notre grand-mère décéda, ma mère enleva les miroirs de la chambre, et en recouvra les murs de draps. L’église ne demandait pas de telles choses...
Tout en perdant tout cela, le monde de l’euskara s’est néanmoins développé au sein de l’académie...
Une sœur de mon père a été institutrice des premières écoles bilingues, et a ainsi connu des gens importants : Eugène Goihenetxe parmi d’autres. Elle m’avait motivé à m’abonner à sa revue Pays Basque: je n’avais pas saisi grand-chose, mais bien perçu une singularité. De par mes études et mon métier, je me suis ensuite éloigné de Sare, mais en contemplant mon village natal d’une manière particulière : en récupérant l’euskara grâce à mes amis de Sare, je me suis mis à gratter nos racines de plus en plus profondément, en continuant jusqu’à ce jour !
Jusqu’à créer l’association Sarako Ondarea (Le Patrimoine de Sare)...
Cela fut suite à une longue réflexion, en 2009. En commençant à lister les points de recherches sur Sare... presque 80 sujets avaient été répertoriés ! Parmi lesquels les études sur les maisons ou les palombières ont été les plus importantes, avec livres et expositions à la clé. La divulgation de nos recherches a toujours été notre objectif. Cela paraît évident, mais il est impressionnant comment beaucoup de gens gardent de véritables trésors pour eux.
En plus d’expositions, un travail de transmission plus direct avec les écoles du village ne serait-il pas envisageable ?
Rien qu’étudier, répertorier et divulguer aux villageois représentent un travail considérable. Pour travailler avec les écoles, je crois qu’il faut à un moment donné, rémunérer quelqu’un afin de mener les choses jusqu’au bout et durablement. Mais au Pays Basque, on ne considère pas assez notre culture pour lui conférer un jour une voie professionnelle. Après avoir effectué un travail incroyable durant des années, nous avons réussi à avoir le soutien de la mairie de Sare (qui a su acheminer les subventions du département), et créer un emploi pour à la fois faciliter la gestion du Biltzar des écrivains, ainsi que les travaux culturels et patrimoniaux du village. Depuis que je suis à ce poste depuis janvier dernier, je peux envisager un autre avenir au domaine culturel local. L’ouverture de la mairie a été fondamentale, et j’espère que cet état d’esprit s’élargira à tout le Pays Basque nord avec le nouvel EPCI.
Il n’y a plus d’esprit collectif pour faire vivre notre culture et patrimoine ?
Sans le collectif de notre association, je ne crois pas que nous aurions pu ouvrir ce poste. C’est le travail collectif qui nous a donné cette légitimité. Et si la professionnalisation à l’échelle du Pays Basque nord est importante, elle me paraît tout aussi fondamentale plus localement. Ce que nous accomplissons à Sare peut être aussi incité ailleurs : il y a de grandes richesses un peu partout.
En plus d’une organisation insuffisante, il y a également un état d’esprit évoqué précédemment : garder ses trouvailles pour soi...
Concernant ce sujet-là, je crois que deux idées principales se détachent : ou bien les gens ne se rendent pas compte de l’importance de leur recherche, patrimoine pour le collectif ; ou bien, à l’inverse, ils ont conscience de la grande valeur de leur trésor, et ne souhaitent pas le perdre. Il y a une dizaine d’années, à la mairie de Sare, se trouvaient, juste derrière le bureau du secrétariat, les registres de naissances des villageois du XVIIe siècle jusqu’à notre époque, même ceux écrits par Axular. Il suffisait de demander, et vous vous rendiez à une pièce adjacente pour consulter votre document. Un jour, un livre d’Axular a disparu. Je suis persuadé que celui qui l’a emporté voulait le protéger : que le document lui serait en meilleure sécurité chez lui, plutôt qu’accessible au public. Je suis également sûr que ce livre est encore à Sare, et je n’aurais aucun mal à trouver dans quelle maison ! Avec cet exemple, j’affirme que beaucoup préfèrent garder leurs trouvailles pour eux-mêmes...
Pourtant, c’est le meilleur moyen de perdre collectivement le patrimoine...
C’est en cela qu’un travail local du patrimoine est important : il faut une relation proche des gens, durable, pour créer petit-à-petit une confiance, et révéler ces trésors au domaine collectif. Sans oublier le phénomène opposé : on m’a un jour appelé dans une maison de Sare, afin de consulter de vieux livres. Parmi ceux-là, une édition originale de “Gero”, écrit par Axular. Lorsque je leur ai expliqué ce qu’ils avaient entre les mains, les habitants de la maison en sont restés ahuris ! Pour notre association, il s’agissait-là du graal. D’après ce que m’a dit Barandiaran, l’exemplaire qu’il a lui-même légué au musée San Telmo de Donostia provient également de Sare.
Mais quelle est la fonction des trésors et autres graals, dans notre société numérique ?
Leur fonction actuelle n’apparaît pas comme une évidence. Je crois pour ma part qu’ils constituent des repères, que des valeurs sont également en jeu, et que cela influe sur l’attachement à un pays, une langue, et une culture. C’est une chose abstraite, mais qui donne à réfléchir à la fois sur notre singularité et notre ouverture. Cela dit que nous sommes la suite de quelque chose d’ancien, et que pour avoir la cohérence de poursuivre sa construction, nous devons connaître ce que nous avons entre les mains. Cela vaut en agriculture, par exemple : les paysans sont toujours présents à Sare, et c’est une chance au sein de la Côte Basque. Ou bien l’utilité des plantes encore aujourd’hui... On touche-là beaucoup de domaines sociaux, et je dirais même que nous pouvons aller jusqu’à travailler un tourisme plus honnête.
Le processus de recueil patrimonial a-t-il aussi son importance ?
On fait participer les villageois. Ce qui me plaît le plus, c’est de mélanger nos habitants : un savant comme Mikel Duvert avec un jeune artisan. Si l’on atteint cette complémentarité, le travail s’effectue tout seul.
Mais il ne se fait pas toujours en basque...
Non, mais il est important de donner une place importante à l’euskara au moment de le divulguer. Nous n’allons pas transmettre leur patrimoine aux enfants de l’ikastola en français. Je veux également préciser que ces trois dernières années, le linguiste Koldo Zuazo effectue des séjours à Sare, s’exaltant de notre dialecte : ses travaux auront une importance considérable vis-à-vis de l’avenir de l’euskara à Sare.
La participation a-t-elle aussi été la clé du changement du Biltzar des écrivains ?
Je tiens d’abord à souligner le lien entre Sare et la littérature. En étant conscient de cela, lorsque Jean-Mixel Garat a créé le Biltzar, il souhaitait établir un lien entre écrivains et lecteurs. C’était primordial, en priorisant en plus les auteurs plutôt que les maisons d’édition. Trente années se sont écoulées depuis, et nous avons débuté une réflexion, d’abord au sein de Sarako Ondarea, afin de voir ce que notre association pouvait apporter au Biltzar. Il nous est apparu fondamental de renforcer deux facettes : accorder plus de place à la langue basque, et attirer plus de jeunes. Une fois ces deux conditions établies, nous sommes allés vers Jean-Mixel Garat, qui n’a pas hésité une seconde à donner son accord. Il nous paraissait néanmoins intéressant de poursuivre la réflexion avec les associations du village, et d’y atteler également la mairie.
Comment se sont déroulés les débats ?
Il s’agissait de séances de réflexion ouvertes, à partir de janvier 2015. Nous nous sommes tous mis d’accord sur trois points : l’amoindrissement du public lors des dernières éditions, la préservation du lien entre écrivains et lecteurs, et donner plus de place à l’euskara ainsi qu’aux jeunes. Certains disaient qu’il y avait assez de choses en basque, mais nous avons soutenu que nous pouvions faire plus, notamment lors des présentations et conférences. Nous avons donc présenté un dossier en septembre dernier à la mairie, qui nous a accordé tout son soutien. Ils sont conscients de l’importance de cet événement qui se trouve entre leurs mains.
Quelle sera l’influence physique de ce processus sur le Biltzar du 28 mars prochain ?
Nous sommes d’abord entrés en contact avec les écoles bilingues et ikastola du village et des alentours. Après avoir réuni les enseignants en mai dernier, nous nous sommes mis d’accord sur un travail entièrement en basque, à accomplir entre septembre et décembre, avec pour sujet la transmission : les travaux des neuf écoles, qui sont vraiment diversifiés, seront présentés au Biltzar, ainsi que recueillis dans un livret. Nous attendons les enfants avec leurs parents le 28 mars prochain, afin que les familles s’immergent dans notre littérature. Un coin pour les enfants sera donc dédié à ces présentations, ainsi qu’à la lecture de contes, et l’exposition d’œuvres littéraires pour enfants. Trois autres lieux spéciaux seront aussi mis en place. L’un sera consacré aux lauréats de cette édition du Biltzar, sous forme d’exposition : l’auteure Itxaro Borda et le dessinateur Michel Ithurria. Un autre lieu mettra en avant les nouveautés de cette année : les livres seront en consultation libre, sans créer ce sentiment d’être obligé de les acheter. Il s’agit-là d’un sujet évoqué lors de nos réflexions : un lien proche existe entre vendeurs et acheteurs, mais il reste délicat de discuter ensemble sans acheter quelque chose. On sort avec une pile de livres dont on ne lira pas la moitié ! Nous recherchons donc une ambiance plus honnête, agréable et saine. Le dernier coin sera à part, afin d’effectuer conférences et présentations sans vacarme, et offrir également un lien plus direct avec les médias. Le tout avec l’habituelle foire, mais dans un espace plus grand, puisqu’un grand chapiteau chauffé sera installé dehors.
Mais tout cela réclame plus de travail d’organisation, n’est-ce pas ?
Cet événement était organisé jusqu’à présent par l’Office de Tourisme, qui lui consacrait trois mois. Désormais, puisque six mois d’organisation sont nécessaires, nous avons créé une association, qui sera présidé par Jean-Mixel Garat, et dont je serai l’employé. Cela n’enlève rien, encore une fois, à l’importance de la participation des gens. Nous avons également demandé une plus grande implication, notamment financière, des institutions locales. En plus de tout cela, faire entrer les villageois dans le monde de la littérature est une belle aventure, surtout lorsque cela se fait par la voie participative.
Tout comme donner envie aux nouvelles générations...
Sans aucun doute. Le Biltzar est un événement fixé dans le temps, et un carrefour où enfants, artistes et politiques se croisent, attirés par le même lieu. Je crois qu’il faudra aussi prendre en compte l’autre face de la littérature, en envisageant le futur : le domaine oral. Nous avons de considérables richesses, notamment en Iparralde, des trésors patrimoniaux comme des créations contemporaines, tous populaires. En leur accordant aussi une place, et en développant des domaines comme la bande-dessinée, nous aimerions atteindre une plénitude, qui est à la fois réelle, mais pas forcément présentée ainsi. Et cette intégralité est importante au niveau de la perception des gens vis-à-vis de la culture basque.
Le sujet des locuteurs bascophones complets est également en jeu ?
Evidemment. Nos grands-parents, même s’ils évoluaient dans un domaine oral très riche, n’avaient pas cette intégralité pour pouvoir faire perdurer les futures générations en euskara. Nous avons l’occasion de rendre naturelle cette plénitude grâce, entre autres, au Biltzar.