Graxiana Castillon (Esquiule, 1994) a grandi à Esquiule où elle y a aussi appris la langue basque, les chants souletins et la maîtrise des entrechats auprès des siens. Depuis, elle a participé à un grand nombre de projets culturels, comme organisatrice mais aussi sur scène. Elle nous ouvre aujourd'hui les portes de sa fromagerie "Xirikota" à Mauléon pour nous parler de danse, de culture, de transmission, mais aussi pour évoquer son caractère souletin.
Il paraît que vous saviez faire des entrechats avant même de savoir marcher.
Je suis d'Esquiule et il est vrai que j'ai appris à danser dès mon plus jeune âge avec mon grand-père. Il a toujours dansé, tout comme mon oncle. J'ai grandi en baignant dans la danse et la culture, car mes parents sont aussi chanteurs. Mais j'ai toujours eu une relation spéciale avec mon grand-père et avec la danse ; il me disait toujours : "Si tu ne fais pas tes entrechats en sautant, ce n'est même pas la peine de continuer!" . Il y a toujours eu une grande complicité entre nous et encore aujourd’hui, il suit de près tout ce que je fais.
Vidéo de l'entretien (en basque)
Vous savez aussi le basque depuis votre enfance ?
Aujourd'hui mon frère et moi sommes les seuls jeunes bascophones à Esquiule, telle est la réalité.
Oui je l'ai appris à la maison ; l'ikastola étant assez loin d'Esquiule, j'ai été scolarisée à l'école du village d'abord, puis à Oloron, en Béarn, étant donné la proximité d'Esquiule avec la frontière. J'ai su le basque toute petite, mais à une époque je refusais de le parler, je répétais : "Moi pas de euskara", car à l'école je ne comprenais pas bien mes camarades qui parlaient en français. J'ai donc appris le français et pendant une longue période je n'ai pas dit un mot en basque. Puis, plus tard, j'ai senti que ma langue me manquait et cela s'est accentué à la naissance de mon petit frère, mais aussi lorsque je croisais certaines personnes en Soule. Depuis ce temps-là, nous parlons toujours tous en basque à la maison.
Je crois que vous montez aussi sur scène pour chanter ?
Je danse et je chante depuis que je suis toute petite en effet. Ma mère donnait des cours de chant tous les samedis matins, une heure de chant et une heure de danse. Mais parents ont par ailleurs formé le groupe Laguna, ils offraient des concerts un peu partout en Soule tous les week-end. Moi je les suivais, je m'installais au premier rang, j'écoutais mes parents et j'apprenais en même temps.
En Soule il y a une école de danse avec un tas d'enseignants et d'élèves dans presque tous les villages.
À 18 ans, j'ai participé à la mascarade organisée à Esquiule et j'ai commencé à prendre part dans différents spectacles, d'abord dans mon village puis un peu partout en Soule. J'ai dansé avec la Compagnie Berritza dans les spectacles Baküna Show et Üda batez, deux créations où en plus des pas souletins, on a intégré un style de danse contemporain, avec la participation du chorégraphe Fábio Lopez. Je crois que nous nous sommes un peu perdu aussi, il y a eu un moment de questionnement, à savoir jusqu'où voulait-on aller dans la création contemporaine, qu'en était-il de nos pas dans tout cela, de nous ? Pour ma part, j'ai réalisé que nos danses souletines perdaient quelque chose en se noyant dans trop de style contemporain. Personnellement j'aime la danse contemporaine mais pour préserver notre culture et pour la faire évoluer, je ne sais pas jusqu'où on peut aller, où est la limite, ce n'est pas facile.
Le patrimoine immatériel est important pour vous ?
Si les femmes n'avaient pas été là, aujourd'hui, il n'y aurait peut-être plus de danse souletine du tout.
Sans patrimoine immatériel, il n'y a pas de culture et nous serions des personnes physiques, rien de plus. C'est tellement important pour moi, cela vient peut-être du fait qu'ici en Soule tout tourne autour de l'activité culturelle, toute ma vie se déroule autour de la danse, du chant, de la langue, c'est ainsi que je vois ma vie et aussi celle de mes amis. Je crois qu'ailleurs aussi, en France par exemple, la culture est fondamentale pour beaucoup de monde. Sans cela que serions-nous ? Un ordinateur ? À Esquiule, j'ai l'impression qu'il n'y aura plus de mascarade, ou de pastorale et j'ai cette sensation que le patrimoine immatériel est en train de se perdre peu à peu. Sans spectacles à venir, la danse, la musique et le théâtre se perdent, plus besoin de cours de danse ou de chant pour les enfants.
Votre ton devient triste lorsque vous parlez d'Esquiule.
Il y a toujours eu une dynamique à Esquiule mais il est vrai que le confinement a bouleversé beaucoup de choses, c'est peut-être la raison de ce sentiment étrange, de mon état d'esprit assez négatif. Peut-être que lorsque le monde tournera à nouveau normalement, lorsque les projets redémarreront, je serai plus tranquille. Puis, du fait qu'Esquiule se situe à la frontière du Béarn, certains habitants sont attachés à la culture basque mais d'autres ne le sont pas du tout. Certes, c'est une réalité un peu partout au Pays Basque, mais je crois que le fait d'être à la frontière amplifie les influences à différents niveaux. Alors, peut être qu'un jour on reverra une mascarade ou une pastorale à Esquiule, mais il faudra travailler dur pour cela. Après, il faut dire que je vais moins souvent à Esquiule aujourd'hui ; mon magasin est à Mauléon, je vis ici et je bouge beaucoup dans toute la Soule. Peut-être qu'en étant sur place il serait possible de faire quelque chose, culturellement et pour le basque aussi ; aujourd'hui mon frère et moi sommes les seuls jeunes bascophones du village, telle est la réalité.
Trouvez-vous que les jeunes s'impliquent dans les actions culturelles de nos jours ?
Sans patrimoine immatériel, il n'y a pas de culture. Et sans elle que serions-nous ? Un ordinateur ?
Je ne vais pas dire le contraire, j'y suis en plein ! En Soule il y a une école de danse avec un tas d'enseignants et d'élèves dans presque tous les villages, il y a aussi beaucoup de créations et tout cela a motivé les jeunes ces dernières années. Ils ont envie de voir ce qu'ils peuvent proposer à leur tour, tant dans un style traditionnel que dans des créations plus contemporaines, entre amis ou dans un projet plus ambitieux. Il y a aussi chaque année une pastorale et une mascarade, avec à chaque fois un village au complet qui s'implique dans l'organisation de ce rendez-vous, certains dansent, d'autres chantent, préparent les costumes, ... cela crée toujours une dynamique. Il y a toujours quelqu'un qui débarque avec une bonne idée et hop ! on l'organise entre amis. Nous sommes beaucoup ici à vouloir organiser des choses pour notre territoire.
Au travail, vous avez troqué la blouse d'infirmière pour celle de fromagère.
Au début, je ne m'attendais pas à parler aussi régulièrement en basque avec les clients.
Au début, j'ai suivi des études de basque à la faculté, puis j'ai décidé de devenir infirmière, mais au fond de moi j'ai toujours eu envie de tenir un bar. Après, il est vrai que c'est un travail exigeant, alors j'ai observé ce qui pouvait bien manquer à Mauléon, et j'ai ouvert une fromagerie. Il faut dire que c'est un domaine que je connais et que j'aime bien car mes parents sont agriculteurs ; et puis travailler ici était une évidence pour moi, car je n'imagine absolument pas aller ailleurs !
J'ai demandé conseil à mon père pour choisir le nom du magasin, car il a l'habitude d'écrire des paroles de chansons ; et c'est lui qui m'a proposé "Xirikota", car c'est un mot qui sonne bien, même si ce n'est pas la meilleure partie du fromage ! Puis, il y a cette expression "jin, jan, jun", (venir, manger, partir) que j'ai reprise pour mon magasin car mes parents me la répétaient sans cesse quand j'étais plus jeune et que je passais en coup de vent chez eux entre deux escapades. Je crois que cette jolie expression reflète très bien mon caractère !
C'est important d'être bascophone pour ouvrir un magasin à Mauléon ?
Bien sûr, pour moi c'est important et je dois avouer qu'au début, je ne m'attendais pas à parler aussi régulièrement en basque avec les clients. En effet, du fait que je parle basque, la majorité me salue avec un egün hon et je suis ravie ! Par ailleurs il faut dire que s'occuper de la communication et des réseaux sociaux systématiquement en bilingue n'est pas toujours facile, et cela prend beaucoup de temps.
Vous êtes danseuse, chanteuse, entrepreneuse ... le vent féministe a touché en Soule ?
J'ai grandi en baignant dans la danse et la culture, car mes parents sont aussi chanteurs.
Pour ma part, je ne revendique rien, c'est juste mon caractère, ma façon d'être, je ne cherche rien en particulier, je fais les choses comme elles viennent. C'est avec le projet Topa Noka que l'on a évoqué pour la première fois la place de la femme dans une création ; la femme dans le monde de la danse, au sein de la société. Et il est vrai que le fait d'évoquer le sujet et de le présenter au public a été quelque chose d'important, surtout lorsque l'on voit qu'il n'y avait pas de place pour les femmes au sein de la danse souletine et que si elles n'avaient pas été là, aujourd'hui, il n'y aurait peut-être plus de danse souletine du tout. Par ailleurs, le fait de travailler sur ce spectacle, de voir des photos ou d'écouter des interviews, nous a ouverts les yeux sur ce sujet. Parmi le public, beaucoup de femmes ont vraiment aimé le spectacle et nous ont remercié pour cette initiative. Parmi les hommes, je ne me rappelle pas de réactions particulières, sauf celle de mon grand-père qui était très content. Alors il est vrai que d'avoir évoqué ce sujet en public a été important, mais pour moi ce n'était pas revendicatif, je fais les choses comme je les sent.
Avez-vous un projet particulier en tête ?
Nous avons beaucoup de projets en cours, nous sommes par exemple en train de monter un nouveau spectacle avec Topa Noka, où nous allons placer une autre frustration au centre de la scène, le rythme. Le rythme, le pas, le rythme de la vie, celui des sentiments, le rythme imposé au monde par la globalisation, ce rythme qui a soudainement stoppé durant le confinement et tout ce que cet arrêt a déclenché. On se rend compte que le monde et la mondialisation nous imposent un rythme, il y a beaucoup de choses à dire sur ce sujet ; de cette frustration nous est venu l'idée d'une création.
J'ai réalisé que nos danses souletines perdaient quelque chose en se noyant dans trop de style contemporain.
Par ailleurs, avec une amie, nous avons décidé de prendre en charge l'association Berritza. Nous voulons travailler auprès des jeunes et leur donner envie de s'impliquer dans les projets culturels. Pour commencer nous travaillons sur le développement et la structuration de l'enseignement et de la pratique de la danse, de la musique et du chant. Ensuite, nous voulons expliquer aux jeunes le travail de production ou de co-production d'un spectacle en amateur, nous voulons aussi montrer comment organiser le travail dans des petits groupes, c'est-à-dire comment on crée un spectacle, comment l'écrire, comment obtenir des subventions, créer la musique, comment monter le spectacle, ... Nous voulons aider les jeunes qui ont envie de s'impliquer dans la vie culturelle. En quelque sorte, nous voulons donner maintenant ce que tant de personnes nous ont apporté il y a quelques temps, nous voulons faire ce travail de transmission à tout prix, afin qu'il n'y ai pas de chaînon manquant. C'est très important pour moi de rendre tout ce que l'on a reçu.
Comment s'est passée cette période Covid ?
Nous voulons aider les jeunes qui ont envie de s'impliquer dans la vie culturelle, nous voulons rendre ce que tant de personnes nous ont apporté.
Je dois dire que ça a été assez dur, heureusement que nous avions une création en tête et que nous avons pu profiter de ce calme pour travailler sur le projet. Nous avons aussi eu du temps pour bien repenser le travail que nous voulions mener avec l'association Berritza et je crois que cela nous a été utile. Mis à part cela, je dirais que tous les autres aspects de cette crise ont été difficiles, on était tous un peu perdu. En ce qui me concerne j'en suis arrivée à réfléchir sur qui j'étais vraiment, ce que je faisais, sur la vie en général au-delà du travail. J'ai vraiment réalisé l'importance du patrimoine immatériel, et que sans toutes ces choses qui font de nous des personnes, sans le chant, sans la danse, nous ne serions pas grand-chose. J'étais vraiment perdue. Puis peu à peu, on a repris des forces, il y a même eu une mascarade clandestine et doucement, lorsque nous avons eu à nouveau l'occasion de chanter, et de constater que nous n'avions rien perdu, nous nous sommes calmés.
Avez-vous un rêve à réaliser ?
Nous sommes beaucoup ici à vouloir organiser des choses pour notre territoire.
À mes dix-huit ans, je rêvais de devenir danseuse professionnelle, mais j'ai vite réalisé qu'ici, cela n'allait pas être une chose facile, c'était loin de ma vie. Maintenant je dois dire que je ne regrette rien, j'ai trouvé mon chemin et j'ai l'occasion de danser tous les jours ici. Mais c'est un aspect que l'on veut travailler avec l'association Berritza, à savoir proposer de l'aide aux jeunes qui seraient éventuellement intéressés par un avenir dans la danse.
À part cela, mon rêve serait que la culture soit bien vivante et l'euskara aussi bien sûr !
Il y a-t-il un autre sujet que vous voudriez aborder ?
Non je crois que nous avons fait le tour.