Gonzalo Etxebarria

Gonzalo Etxebarria

"En ces temps de crises, l’art remplit une fonction essentielle au service de l’humanité"

  • LaukitikAt
  • 05-03-2018
  • Langue : Basque

Gonzalo Etxebarria (Bilbao, 1954) est un artiste-peintre installé en Soule. Il a d’abord étudié l’architecture à Madrid avant de se passionner pour la peinture sous l’égide de Jorge Oteiza à l’école d’art de Deba. Aujourd’hui, il explore et partage les différents horizons de la création dans l’atelier Uztaro à Menditte.

Un artiste peintre peut-il vivre de son art aujourd’hui au Pays Basque ?

C’est difficile, mais en ce qui me concerne j’ai trouvé un équilibre en donnant des cours dans des collèges et en organisant des ateliers, ici à Uztaro. De cette façon, je peux vivre de mon art et cela me donne aussi une certaine liberté dans mon travail car je ne dépends pas exclusivement des galeristes. Je travaille aussi pour des galeristes mais je garde une liberté pour exprimer mon art, si du moins on peut encore parler de liberté de nos jours. J’ai de la chance car les galeristes sont venus à moi lorsqu'ils ont connu mon travail. Nous n’avons pas eu à discuter du style qu’ils auraient souhaité. Mon travail est ce qu’il est et c’est parce qu'ils ont apprécié ce que je fais qu’ils sont venus à ma rencontre. Mais cela reste compliqué car il y a toujours un intérêt économique dans notre relation.
Cependant, je crois que la relation peintre galeriste peut être très intéressante si l’on a à faire à de bons professionnels. Cela peut être très enrichissant et peut permettre d’élargir le travail de l’artiste, c’est intéressant quelque part. Cela entraîne aussi des situations délicates, des délais à respecter, des obligations économiques, la vente etc… Tu vends ou tu ne vends pas, c’est comme ça. Mais ceux qui vivent exclusivement de l’art ne sont pas nombreux, je ne crois pas. Au Pays Basque, ils ne sont pas nombreux.

Vidéo de l'entretien (en basque)

Vous trouvez que la société sait apprécier l’art aujourd'hui ?

Je trouve que l’art est de moins en moins considéré dans notre société, pour des questions de rentabilité. On peut le constater autant dans les grands centres contemporains que dans les plus modestes, avec les grands artistes comme avec les artistes moins connus. A côté, il y a les artistes qui évoluent dans des circuits majeurs, mais c'est un autre monde, un autre univers.
D’une façon générale, je crois que ce n'est pas un bon moment pour l’art. Mais par ailleurs, il me semble qu’il y a une certaine contradiction car pour moi, les gens ont un besoin de plus en plus évident d’extérioriser leurs sentiments. Je crois que l’art est un bon moyen pour exprimer sa personnalité, c’est un outil efficace qui répond aux besoins des gens d’extérioriser leur identité. Dans cette société, il est vrai que l’individualisme est omniprésent; de plus en plus, nous vivons dans un anonymat collectif et par conséquent les gens ont un besoin croissant d’exprimer leur personnalité. En ce sens je crois que je suis optimiste.

Je trouve que l’art est de moins en moins considéré dans notre société, pour des questions de rentabilité. 

Au Pays Basque nord par exemple, il y a des espaces pour exposer mais les institutions n’ont d’yeux que pour les artistes de renoms; pour les gens plus "normaux", les artistes plus modestes, il est difficile de trouver une salle d’exposition; en ce qui me concerne, j’ai encore des demandes pour le moment. Par ailleurs, beaucoup de gens pratiquent la peinture, c’est bien mais cela ne signifie pas que tout ce qui se fait soit de bonne qualité.

Il y a donc peu d’espaces dédiés et beaucoup de pratiquants. Tant mieux ! Cela veut dire que l’art se développe, c’est bien. On peut aussi parler des grosses structures comme le musée Guggenheim à Bilbao ou le centre culturel Tabakalera à Saint Sébastien et bien d’autres structures existantes dans les agglomérations importantes du Pays Basque; on y organise de très bonnes expositions mais ayant généralement peu de lien avec les gens du peuple, c’est en tout cas mon sentiment, il y a un belle offre artistique et de bonnes galeries mais pour un public restreint.

Il serait intéressant de réfléchir aussi à l’art populaire. C’est facile à dire et cela reste une idée philosophique; la concrétiser est autre chose. Mais ma conclusion est la suivante: beaucoup de personnes ont besoin d’art, peu de gens vivent de l’art dans de bonnes conditions, les circuits sont de plus en plus rares et fermés et les financements des projets artistiques sont aussi entre les mains du pouvoir, comme beaucoup d’autres choses d’ailleurs.

© LaukitikAt (ICB | cc-by-sa-nc)
© LaukitikAt (ICB | cc-by-sa-nc)

Les artistes du Pays Basque ressentent-ils les effets de la frontière dans le monde de l’art ?

Personnellement, ici au Pays Basque nord, j’ai toujours eu l’occasion de pratiquer mon art. En Soule par exemple, les gens sont curieux, ceux qui visitent les expositions ont une sensibilité, une curiosité, ils ont envie de découvrir, qu’ils aiment les œuvres ou pas d’ailleurs, ça c’est un autre débat, mais ils viennent voir, ils s’intéressent. Il y a de facto une certaine transversalité, avec l’aide des institutions ou sans elles, subventionné ou pas, dans des espaces dédiés ou ailleurs… Je suis sincèrement optimiste parce que les gens créent, ils pratiquent l’art et ce malgré l’absence de structures. C’est la réalité que je connais, à Bilbao comme en Soule.

D’une façon générale, je crois que ce n'est pas un bon moment pour l’art. Mais par ailleurs, il me semble qu’il y a une certaine contradiction car pour moi, les gens ont un besoin de plus en plus évident d’extérioriser leurs sentiments.

A Bilbao, la foule se presse pour aller au Guggenheim tandis que quelques rues plus loin, on retrouve des galeries vides. Tout est très sélectif, il y a la vitrine que l’on voit mais à côté, il y a une réalité plus marginale…. En Soule, par contre, il y a peu de lieux dédiés à l’art mais dans ces lieux il y a un public qui vient aux expositions avec enthousiasme, ou qui pratique l’art. Les comparaisons sont difficiles, mais je constate qu’il y a des espaces pour la pratique de l’art.

Vous dites que la Soule est un endroit qui n’a pas son pareil pour peindre. Peut-on trouver l’inspiration n’importe où ?

J’ai lu dans une interview d’un artiste qui travaille entre l’Allemagne et Séville et dont j’ai oublié le nom que l’on peint dans la solitude. Ici en Soule, la situation est idéale, l’énergie y est très positive; on peut peindre dans la solitude et en parallèle trouver des synergies, des projets à mener avec d’autres, à partager. La Soule est un lieu très riche pour la créativité et je ne bougerai jamais d’ici.

Vous trouvez qu’il faut croiser la peinture avec d’autres modes d’expressions artistiques ?

Bien sûr. Il est important de voir et de montrer ce que l’on fait mais il est aussi crucial de voir ce qui se fait ailleurs, il faut créer des liens même si ce n’est pas toujours évident. Avec mon fils, j’ai réalisé qu’il y a d’autres manières de voir l’art, de créer et je me suis adapté, cela n’a pas été difficile…

La Soule est un lieu très riche pour la créativité et je ne bougerai jamais d’ici. 

 

Depuis l’époque classique à nos jours, dans le fond, l’art s’est toujours exprimé de la même manière, rien n’a changé dans l’essence, il n’y a pas eu de cassure, l’art a toujours été présent. L’art est apparu avant l’économie et avant l’agriculture, il ne faut pas oublier cela. On dirait parfois que l’art est quelque chose de superficiel mais ce n’est pas vrai. Certains disent que l’art n’est pas indispensable mais je ne suis pas d’accord, l’art est essentiel, du moins pour certains.

Qu’est-ce qui pousse les artistes à la création ?

Je ne sais absolument pas. Je ne sais pas pourquoi, je n’ai pas de réponse, cela fait partie de la façon d’être de l’être humain. Ce dont je suis sûr, par contre, c’est qu’en ce qui me concerne, c’est quelque chose de vital. Ça l’est pour certaines personnes et pas uniquement pour les artistes, l’art est indispensable pour beaucoup de gens. De plus, en ces temps de crise, où les références, les valeurs les illusions de vivre disparaissent, je crois que l’art rempli une fonction essentielle pour servir l’humanité, pour la rendre visible.

On constate une augmentation des cas de censures dans le milieu de l’art. Qu’en est-il au Pays Basque ?

Oui, il y a plusieurs exemples, ici même au Pays Basque nord, un artiste a connu des difficultés pour exposer parce que ses œuvres étaient soi-disant trop pornographiques. Par ailleurs, au musée Moma de New York, une femme a porté plainte contre une œuvre de Balthus parce que, là aussi, trop pornographique, trop explicite d’un point de vue sexuel. Le musée Moma a de suite réagi en disant qu’il n’avait jamais pratiqué la censure et qu’il n’avait pas l’intention de commencer. A Londres aussi des œuvres d’Egon Schiele avaient été exposées représentant des personnages nus et il me semble qu’on leur avait mis une sorte de bandeau pour cacher le sexe. C’est assez inquiétant, c’est vrai, il y a de plus en plus de censure. Personnellement, je n’ai jamais eu de difficultés à ce niveau. Mais c’est un phénomène, c’est vrai.

© LaukitikAt (ICB | cc-by-sa-nc)
© LaukitikAt (ICB | cc-by-sa-nc)

Les artistes pratiquent-ils l’autocensure?

J’en suis convaincu, c’est sûr. L’autocensure est ce qui peut arriver de pire par ailleurs. Cependant, il y a de tout. Certains artistes pratiquent l’art en toute liberté. Beaucoup de femmes par exemple font un travail contestataire, un travail artistique très audacieux et cela se voit. La société actuelle est très complexe; d’un côté, le fascisme augmente et d’un autre côté, les gens ont de plus en plus soif de liberté. Nous vivons une époque bizarre...

La société basque a la réputation d’être traditionnelle. Selon vous elle regarde plutôt devant ou derrière elle ?

Je pense que la société est dynamique, en Iparralde que dans tout le Pays Basque. Les jeunes proposent, montrent des manières de faire nouvelles et celles-ci sont naturellement acceptées. Ici, en Soule par exemple, les jeunes participent aux spectacles en y apportant leur point de vue; il y a beaucoup d’exemples, lors des pastorales ou de nouveaux spectacles, ils montrent les choses à leur manière, ils bougent et je crois qu’ils sont acceptés.

L’autocensure est ce qui peut arriver de pire pour un artiste.

En parallèle, les "clichés" sont inévitables, le système en a besoin et il continuera à les utiliser encore et encore. Au Pays Basque, les clichés autour de la danse, du folklore existent mais ici aussi il y a des gens ouverts, qui vont montrer leur travail à l’étranger ce qui provoque aussi un effet inverse et sans limites. C’est vrai, les préjugés existeront toujours, c’est difficile d’y remédier, le système en a besoin.

Comment vous définissez-vous ? Vous êtes un artiste ? Un artiste basque ?

Moi je suis basque et je peins mais je ne sais pas si mes tableaux sont exclusivement du Pays Basque, je ne pense pas, c’est un sujet très complexe. Surtout en ce qui concerne l’art. Il y a toujours eu des connexions et je ne crois pas que l’on puisse parler d’une esthétique typiquement basque; à une époque lointaine peut-être, si l’on étudie les peintures des grottes préhistoriques peut-être… A vrai dire, pour moi, l’esthétique aujourd'hui est universelle. Ici, on travaille avec un contexte qui nous est spécifique, et par conséquent l’on crée des œuvres que l’on ne pourrait créer ailleurs, mais en ce qui concerne l’expression, on peut voir le même type d’œuvre ailleurs, au Japon ou à New York par exemple, car l’art est communication visuelle et donc universelle d’après moi. Au 19ème siècle il est vrai que l’on parlait du style basque mais en fait on retrouvait ce fameux style basque partout en Europe, c’était le néo-expressionnisme. Le sujet identitaire est très complexe, nous savons en notre sein qui nous sommes mais quand il s’agit d’exprimer ce que nous avons en nous, cette essence, il y a autre chose, et dans l’art, les images sont partout dans ce monde.

Peut-on dire que vous laissez voir une partie de vous dans vos tableaux ?

Oui, il y a une manière de la voir, ce n’est pas facile à détecter, mais il y a quelque chose, quelque chose à nous, c’est difficile à expliquer. Il y a cette anecdote sur Jorge Oteiza; Lorsque Richard Serra, le célèbre et très bon sculpteur américain est venu au Guggenheim à l’occasion d’une exposition, il est resté ahuri devant une œuvre d’Oteiza et il a dit : "Mais c’est ce que je fais, c’est moi qui fait ça !". Il était ébahi car au fond de lui c’était vraiment ce qu’il ressentait. Il existe des interconnexions. Un basque pourrait parfaitement avoir cette connexion avec un japonais par exemple; je ne sais pas si c’est dans la manière de prendre le crayon, ou une expression de l’âme peut être…

Que pensez-vous de l’aide proposée aux artistes par les différents organismes culturels du Pays Basque ?

Je suis assez critique sur le sujet. Je pense depuis toujours qu'il faudrait des actions pour réunir les artistes, pour faire quelque chose en commun par exemple, travailler avec les artistes d'ici pour ensuite trouver des connexions avec des artistes à l'étranger. Je crois qu'il y a déjà eu des relations avec l'Irlande par exemple.

L'art n'est pas une obligation pour vivre mais une fois que vous y avez goûté, il ne vous abandonnera jamais.

Il manque des actions communes pour ensuite aller à l'étranger ou au contraire recevoir des œuvres étrangères pour tisser des liens... Oui je trouve que ce genre de manifestations fait défaut.

Enfin, vous voulez peut être répondre à une question qui n'a pas été posée ?

Non, je n'ai rien à rajouter, j'ai déjà trop parlé... On pourrait peut-être approfondir la thématique de l'essence même de l'art, sur sa nécessité. Je me rends compte que même au cours des moments délicats de ma vie, j'ai besoin de l'art. Cela n'a rien de folklorique ou de superficiel, l'art remplit une fonction essentielle, l'humanité a besoin de l'art. Un jour, Zigor (Kepa Akixo) m'a dit que sculpter n'était pas une obligation pour le sculpteur, mais qu'une fois qu'il a commencé, il ne s'arrêtera jamais. Vous n’êtes pas obligé de sculpter. L'art n'est pas une obligation pour vivre mais une fois que vous y avez goûté, il ne vous abandonnera jamais.

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