Eneko Bidegain

Eneko Bidegain

''Il faut savoir donner le goût de lire aux jeunes''

  • ICB - Xan Aire
  • 17-10-2011
  • Langue : Basque

Eneko Bidegain (1975, Bayonne) est journaliste, professeur, juge de joutes de bertsolari et écrivain. En publiant son dernier livre Zorionak Marko (Elkar), il étend sa palette à la littérature pour enfants. Il présente ici cet ouvrage, tout en brossant l'actualité du journalisme, de la littérature et du bertsolarisme. Il y souligne une frontière encore évidente entre le Pays Basque nord et sud.

Quelle occasion aviez-vous de lire en basque, durant votre enfance ?

J'ai eu, depuis tout petit, une attirance pour les choses écrites. Concrètement, je faisais lire à voix haute les titres du livre Odolaren Mintzoa à ma mère, et j'ai commencé à les lire moi-même à l'âge de cinq ans. C'est ainsi que j'ai appris à lire. Le lendemain, ma mère m'achetait mes premiers livres, il me semble qu'ils étaient en basque. Quoi qu'il en soit, nous avions des livres en basque à l'ikastola. Toutefois, le fait d'avoir appris très tôt à lire n'implique pas un amour de la lecture. Comme les autres enfants, cela ne me plaisait pas plus que cela de lire. J'aimais écrire, mais pas lire.

Qu'écriviez-vous ?

Il y avait toutes sortes de travaux à l'ikastola, des histoires à conter, ou des recueils entre élèves des ikastola, et je sais que j'y écrivais beaucoup. Il y avait de tout, des choses un peu bêtes aussi, mais j'aimais cela. Nous devions aussi lire des livres au collège pour les étudier, et je ne m'y attelais pas de bon cœur, même si je les terminais toujours. Lorsque le premier quotidien en langue basque Egunkaria est né, j'avais quatorze ans. Nous l'avons reçu dès le premier numéro, et moi je le lisais tous les jours. Il me semble que j'ai commencé à apprécier la littérature vers vingt ans.

Assez tardivement, en somme.

Certes, mais il faut mettre les choses à leur place. Je me souviens que notre professeur de français nous donna, lorsque j'avais quinze ans, des livres à lire durant l'été. Parmi les ouvrages, il y avait Le Rouge et le Noir de Stendhal. À quinze ans, un livre de la sorte, bon... Dix années plus tard, j'ai relu ce livre, en saisissant très bien son sens. Ce que je veux dire, c'est que parfois, en donnant un livre à lire à un jeune de quinze ans, on ne fait pas forcément attention à la mentalité qu'il peut avoir à son âge. Nous avions aimé Germinal de Zola, mais Le Rouge et le Noir... Il faut savoir donner le goût de lire aux jeunes. C'est pour cela que je ne m'en fais pas si on ne s'intéresse pas aux livres à vingt ans.

Que trouviez-vous dans Egunkaria, pour le lire tous les jours à quatorze ans ?

Je m'intéressais à l'actualité, je la suivais, je l'aimais. Ma vie, depuis, a été liée à l'actualité et au journalisme, d'ailleurs. Il faut lire la littérature à tête reposée. J'aime lire durant les vacances, et non feuilleter cinq pages de temps en temps, et laisser de côté le livre. Mais il me semble que je lisais la littérature de mon âge, oui.

Qu'avez-vous ressenti en lisant votre signature pour la première fois dans Egunkaria ?

Je ne m'en souviens pas... Du plaisir et de la gêne à la fois... Avant cela, j'avais déjà participé à la revue de notre collège Xalbador Ikastegia, c'étaient mes premiers pas de journaliste. Mais je sais aussi que je suis une personne introvertie, je ne maîtrise pas l'oral, dans une conversation, par exemple. Je communique plus facilement par écrit. Je me sens à l'aise dans l'écriture.

Pourquoi avoir quitté le monde de la presse quotidienne ?

Je dirais que je l'ai laissé de côté pour le moment. Je voulais mener à bien des projets, comme reprendre mes études. J'avais en tête une thèse de doctorat, sauf que pour l'accomplir, je devais laisser la presse quotidienne. D'autres portes se sont ouvertes à moi, puisque je suis aujourd'hui professeur d'université. Personnellement, je sais que j'arrivais à une fin de cycle. Les dernières élections communales, il y a deux ou trois ans, ont été un déclic : je me suis rendu compte du caractère cyclique et répétitif de mon travail. Ma motivation baissait également... Dans le journalisme, je me suis senti en perpétuel apprentissage. Mais à partir d'un certain point, une inertie se crée, due notamment aux facteurs extérieurs, et il faut savoir passer un cap. Il y a mille manières de faire du journalisme. Je me plaisais plus dans l'urgence, dans les événements qui sortaient de l'ordinaire, ce qui est difficile à faire concorder avec la vie privée. En plus de cela, par manque de faits urgents, on entre dans une routine. À présent, je vis en liant l'enseignement, la recherche et le journalisme, et c'est très intéressant ! Je continue dans cette recherche de l'information. La plupart de mes livres sont d'ailleurs des œuvres journalistiques... À un moment donné, la profondeur du livre m'a plus intéressé, plutôt que la légèreté du quotidien. De nouvelles envies apparaissent, ainsi que l'idée d'un autre rythme. Si je devais revenir à la presse quotidienne, ce serait sans la routine. Pour rester au bureau plus que sur le terrain, cela ne m'intéresse pas. Au Pays Basque, il y a peu de moyens pour pratiquer le journalisme de terrain. Même si avec les nouvelles technologies, nous ne devrions pratiquement pas rester dans un bureau.

Le format d'un livre correspond mieux à votre profil actuel, ou à vos envies ?

L'article d'un quotidien a une espérance de vie de vingt-quatre heures. On peut passer des journées sur des reportages qui ne seront peut-être pas lus... Et le lendemain, c'est un autre quotidien qui paraît. Un journal doit être lié le plus étroitement possible à l'actualité. Libération a toujours été un exemple pour moi. S'il faut toutefois approfondir un sujet, le livre est le mieux adapté. Et il y a encore beaucoup à traiter !

Qu'est-ce qu'il vous a pris de publier un livre pour enfants ?

Je ne suis pas toujours le concepteur de mon ouvrage. La plupart de mes livres ont été des commandes. Ce n'est pas le cas de Zorionak Marko, où des enseignants m'ont un jour demandé pourquoi je ne publiais pas de livres pour enfants, que cela manquait en Pays Basque nord... Je m'y suis essayé, et pourquoi pas ? J'ai toujours aimé travailler l'imagination.

Même si vous avez surtout travaillé la froide réalité.

Cela reste mon but d'inventer, d'écrire tout en restant proche de la réalité. Ou bien de dénoncer, de critiquer. La littérature est une excuse pour parler de la réalité. Si j'écrivais une pure fiction, comme en littérature pour enfants, elle aurait un but par rapport à la réalité. Je n'écris pas seulement pour divertir.

Que montre le crabe Marko de la réalité ?

Il s'agit ici d'évoquer les méfaits commis par l'humain sur la nature. On traite de la pollution, les personnages sont ici des animaux qui sont les victimes collatérales des humains. Cela reste de la littérature infantile, d'accord, mais j'ai voulu sensibiliser les enfants à ce sujet.

En quoi l'enfant est-il un public important ?

Dans la littérature basque, c'est le public le plus vaste. Ils peuvent être les lecteurs de demain, même si, en grandissant, ils créent de nouveaux centres d'intérêt.

On a commenté qu'il y avait peu ou pas du tout d'écrivains pour enfants en Pays Basque nord.

Il y avait Gexan Lantziri quand j'étais petit. Depuis, je ne crois pas qu'il y ait eu quelqu'un d'autre dans ce domaine, jusqu'à aujourd'hui, avec moi-même. Mais c'est un fait qui s'étend à la littérature basque en général. Hormis Itxaro Borda et d'autres, ou les ouvrages de Maiatz, ou encore certains jeunes, qui n'ont toutefois publié qu'un seul livre... Il y a peu d'écrivains dans la continuité en Pays Basque nord.

Comment expliquer cette misère ?

Les lecteurs aussi sont peu nombreux. Il y en a plus au Sud, c'est vrai... Mais là, il y a un réel problème. La frontière marque tristement la littérature basque, et je ne sais pas comment y faire face. Si je publie un livre en Pays Basque nord, il aura un degré de diffusion moindre au Sud, même s'il y sera commercialisé. L'histoire de Marko le crabe a été d'abord présenté au Pays Basque sud, mais si nous n'avions pas fait de conférence de presse à Bayonne, personne n'aurait su que ce livre existait. Cela ne me semble pas normal, mais les maisons de diffusion sont ainsi, divisées au niveau de la parution, de la promotion, du développement en général... Nous sommes un seul territoire, certes, mais à chaque livre son territoire. Cela me fait mal. Cela m'est égal de savoir dans quelle collection paraîtra un livre. Sauf que ce n'est pas le même résultat : dans une collection, le livre sera diffusé au Nord, et dans une autre collection, au Sud. Il n'y a pourtant aucune raison de marquer une frontière.

Est-ce que c'est le cas chez les bertsulari ?

Moins, il me semble. Amets (Arzallus) et Sustrai (Colina) ont été des facteurs importants. Ils sont entrés parmi les meilleurs bertsularsi du Pays Basque, et cela, qu'on le veuille ou non, a donné un certain écho au bertsularisme du Nord. Chez les jeunes, dans les compétitions entre écoles, les bertsularis du Nord ont été plutôt bons. Le fonctionnement des différentes associations a également son influence, elles sont bien confédérées.

Xalbador, votre grand-père, n'avait-il pas lancé un premier pont ?

Xalbador et Mattin étaient également des moteurs importants. Mais c'était une autre époque. Étant un bertsulari d'exception, la réputation de Xalbador s'est beaucoup étendue au Pays Basque sud, l'épisode des sifflets a renforcé cette réputation, et la manière dont il est mort durant son propre hommage aussi, encore plus. Puis il y a la chanson de Xabier Lete... Il est devenu un mythe. Mais je reste persuadé que nous ne connaitrions pas une bonne situation au Nord si nous n'avions pas un bertsulari de la trempe d'Amets Arzallus aujourd'hui.

Quel effet a eu le personnage, ou le mythe Xalbador dans votre parcours ?

Je ne sais pas à quel point on peut porter cela dans le sang. Je n'ai jamais été un bertsulari, n'ayant pas travaillé ce point-là, et parce que je ne serais pas à l'aise sur une scène. Je préfère rester dans l'ombre. Il me semble pourtant que dans la famille, nous avons cette attirance pour la création. Que ce soit dans la chanson, les bertso, poèmes, dessins, écrits... Est-ce que cela vient d'une seule et même source ? Est-ce que c'est héréditaire ? Je n'en sais rien. C'est surtout culturel, puisque nous avons reçu cette transmission dès le départ. Mais tout cela a un autre côté plus lourd à gérer. Nous voulons creuser notre propre chemin... Je me souviens d'une anecdote, où quelqu'un dit à un de ses amis, en me désignant : "Tu sais qui était son grand-père ?", et l'autre de rétorquer "cela m'est égal, dis-moi d'abord qui il est, lui !". Cela résume bien des situations que l'on peut parfois vivre.

Est-il naturel d'écrire en basque pour vous ?

C'est naturel, mais cela aurait très bien pu ne pas l'être. Notre chance a été que nos parents nous aient transmis la langue basque depuis tout petit. Beaucoup de gens de notre génération n'ont pas eu cette opportunité, même si leurs parents parlaient parfaitement basque. C'est une génération qui a coupé la chaîne de transmission du basque. Je dois mon niveau de basque aux parents, à la famille. L'ikastola, les enseignants, mes travaux l'ont enrichi. La langue basque est une grande richesse, elle ouvre beaucoup de portes.

Même si le fait d'écrire en basque réduit considérablement le public ?

Oui, et en plus de cela, les lecteurs du Sud développe une certaine méfiance à notre égard, de peur de ne pas nous comprendre... Il y a des gens ouverts, mais renfermés aussi. Ce qui fait que le public est encore plus restreint pour l'écrivain du Nord. Si j’écrivais en anglais, aurais-je un public plus vaste ? Je ne prétends pas écrire des choses qui puissent être susceptibles d'intéresser autant de gens.

Est-ce que Zorionak Marko est votre dernier livre publié en format papier ?

Il me semble que les livres que je pourrais publier les prochaines années seront encore en format papier. Je ne crois pas à la disparition du papier dans un délai de dix, vingt ans. Les gens y sont attachés. C'est quelque part un matérialisme. Nous voulons le tenir entre nos mains, sentir son odeur, le toucher... Les livres électroniques vont débarquer, mais ils offriront des opportunités intéressantes. Des formats différents, en n'incluant pas des photos seulement, mais aussi des vidéos. Ce sera une toute autre forme de littérature. De nouveaux modes de diffusion également. Tout reste à faire.

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