Tout juste rentrée de Paris, ses valises encore remplies de bons souvenirs, la cinéaste Elsa Oliarj-Inès (Lavaur - Occitanie, 1988) nous a reçu au cœur de Tardets-Sorholus, le village souletin qui l'a vu grandir. Nous avons parlé de ses centres d’intérêts, de ses projets et de son besoin vital de contempler les étoiles aux cotés de sa fille.
Vous êtes de retour en Soule, pour écrire un nouveau chapitre de votre vie ?
J'ai réalisé tous mes projets ici. Tous mes films se sont déroulés autour de Basaburua et je crois qu'il y a toujours eu une partie de moi ici. Il y a quatre ans, à Paris, j'ai commencé à penser au retour, mais je ne savais pas vraiment de quelle manière. Puis nous avons vu cet entrepôt. Avec des amis, nous avons de-suite pensé qu'il y avait quelque chose à faire à Tardets, en lien avec l'art. C'est ce qui nous a décidé. C'était le bon moment pour revenir. Nous sommes donc de retour à Tardets depuis tout juste deux semaines et nous commençons notre nouvelle vie ici. Je ne sais pas jusqu'à quand, peut-être pour toujours. Qui sait.
Où sommes-nous, ici ?
Ici, c'était la coopérative paysanne de Tardets. Jusqu'à son déménagement il y a quelques années. À l'époque, je venais y chercher des outils pour le jardin. Puis un jour, ma mère m'a envoyé des photos de ce hangar abandonné. Quand nous avons vu ça avec mes amis, nous avons de-suite pensé que nous pourrions y démarrer quelque chose. À Paris, durant sept ans, nous avons organisé des expositions dans le salon de neuf mètres carrés de notre appartement. Nous aimerions continuer à organiser des expos, mais aujourd’hui, dans cet espace de six cents mètres carrés. Nous souhaiterions proposer un espace d'art contemporain et montrer aux habitants de Soule, qu'ici aussi il est possible de créer et de montrer de l'art contemporain. Nous voudrions que cet entrepôt devienne un véritable espace qui vit.
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Racontez-nous votre parcours avant ce retour aux sources.
Je suis née à Lavaur en 1988, mais je n'y suis jamais retournée. J'étais âgée de six mois quand mes parents sont venus vivre en Soule. Mon père était vétérinaire et voulait s'occuper de "vrais" animaux, des vaches, des chevaux, des moutons et pas seulement des chats et des chiens. C'est ainsi que nous sommes venus vivre à Tardets. Très vite, ils ont appris le basque et nous ont inscrits à l'ikastola. Passionnée par la littérature et le cinéma, je me suis inscrite au lycée de Bayonne qui proposait une option cinéma. Ensuite, direction Paris pour un master de littérature et de cinéma à la Sorbonne où j’ai découvert le documentaire. C'est en voyant le film Chronique d'un été de Jean Rouch et Edgar Morin, avec ce format documentaire si libre, si beau, si poétique que j'ai compris ce que je voulais faire de ma vie. J’ai complété ma formation avec un master de création de documentaire à Lussas. C'est là-bas que j'ai écrit mon premier documentaire intitulé Dans leur jeunesse, il y a du passé. Plus tard, mon frère m'a proposé de poursuivre un de ses projets. Ceci a donné lieu à un second film intitulé Les airs sauvages-Basahaideak.
Ce n'est pas facile de faire comprendre aux gens que la langue basque n'est pas le sujet de mon travail, la langue basque est un outil.
Cette œuvre met en avant la manière dont les chants anciens pourraient être mélangés à de la musique jazz ou rock, mais sans perdre pour autant les fondements de ses airs anciens. J'ai donc travaillé sur ce projet avec mon frère et en parallèle, j'en ai démarré un second autour du thème de l'identité, Nortasuna. Mon père est décédé en mai 2014, et en septembre de la même année, j’ai commencé à filmer les enfants de l'ikastola de Chéraute. Je crois qu'il y avait là une sorte de prétexte pour me permettre de revenir ici assez souvent. Ce travail parle de la personnalité, de la façon dont elle se développe et pour cela j’avais besoin de filmer ces écoliers de façon régulière. C'est un travail sur la durée. La classe est composée de dix-neuf enfants et ils apparaissent tous dans le film. Il s'agit d'une sorte d'encyclopédie. Je ne sais pas encore quand et comment se terminera ce projet, mais je travaille toujours dessus.
Ces projets sont-ils faciles à réaliser au Pays Basque ?
Il n'est pas simple de réaliser un film sur la langue basque et de ne pas le limiter au public du Pays Basque, d'aller le proposer, à Paris ou ailleurs. Mon travail est fait pour que tout le monde puisse le voir. Cependant, je note un changement. Pour mon premier film, la chaîne France 3 Aquitaine qui faisait partie du projet voulait tout doubler. J’ai répondu catégoriquement non. Nous avons dû nous battre pour obtenir les sous-titres. Pour mon nouveau projet, tout est en basque et ma voix-off l'est également. Mais aujourd’hui, les réglementations et les quotas européens ont changé concernant les langues minoritaires comme le basque.
Cela ne fait pas de doute, il y a un truc ici, en Soule et surtout à Basaburu.
Par conséquent, je pense qu'il sera plus facile de passer des films en basque. Par ailleurs, le film est en basque mais ce n'est pas un documentaire sur la langue, mais plutôt sur le développement de la personnalité. Ce n'est pas facile de faire comprendre aux gens que la langue basque n'est pas le sujet de mon travail, que la langue basque est un outil, comme tout autre outil. Si les diffuseurs etc.. en Aquitaine, comprennent que l’on peut réaliser des films en basque, sans pour autant aborder le thème de la langue, nous sortirons du sujet des langues minoritaires, et c'est là que réside mon combat. Mais cette attitude n'est pas facile à comprendre pour tout le monde. J'ai grandi en basque et en français et tous les jours, je vis dans les deux langues. Mes films sont bilingues et je pense que c'est ce qui est intéressant.
L'air, la terre, le paysage Souletins sont, dit-on, une source d'inspiration pour beaucoup de créateurs. C'est aussi votre cas ?
Cela ne fait pas de doute. Il y a un truc ici, en Soule, au Pays Basque et surtout à Basaburu. J'ai toujours aimé dormir en forêt, à la montagne. J’ai pris conscience de ça lorsque j'ai séjourné dans un petit village afin de poursuivre mes études. Quand on est à Paris, la vie est complètement différente. En vivant dans un petit village, j'ai découvert qu'ici, il y a une vie entre les cours d'eau et les forêts, qu'il y a aussi ces chants, danses et toute cette culture. J'ai beaucoup aimé vivre à Paris. J'y ai rencontré beaucoup de gens, nous avons fait énormément de choses. C'était un vrai combat d'y vivre, mais cela me donnait beaucoup de force.
Lorsqu'on est serein avec les traditions, on peut alors s'attaquer à la création.
Puis nous avons eu notre fille, la période de Covid est arrivée, la guerre etc... Au milieu de tout ça je me suis mise à penser : Je n'ai pas un centime pour vivre ici, je bataille tous les jours, mais qu'est-ce que je fais ici ? J'ai réalisé qu'au lieu d'acheter des légumes dans les magasins bio de Paris, ce serait mieux d'avoir mon propre jardin. J'avais cette sensation que quelque chose ne tournait pas rond, que je devais retrouver ce contact avec la nature. Lorsque ma fille est née, nous l'avons appelée Kosma. Je lui ai écrit une chanson sur les étoiles (en référence à son prénom) mais en même temps je notais qu'on ne voyait pas les étoiles à Paris ! J'ai à ce moment là réalisé qu’il était impossible de vivre sans les étoiles.
Que pensez-vous du patrimoine immatériel ?
Dans le film Les airs sauvages-Basahaideak, se posait justement la question : Où commence la tradition ?
Avec Mixel Etxekopar, nous avons beaucoup ri au jeu de mots Tradition-trahison. Nous avons également beaucoup discuté du sujet avec Jean-Mixel Bedaxagar voire débattu, car il est favorable à la préservation des traditions, par exemple à ce que les filles ne dansent pas certaines danses, etc. Une des conclusions que j’en tire, c'est que les traditions finissent par se perdre à un moment donné. Tout simplement parce que les gens meurent et c'est ainsi. Mais ce qui est important, c'est ce qui subsiste en nous. Avec mes amis, nous évoquons souvent ce thème lorsqu'on parle de notre projet d'art contemporain. Comment amener l'art contemporain (que l'on voit généralement dans les grandes villes) ici, dans une région où les danses, la pastorale et le chant ont une grande importance. Comment s'ouvrir à l'art contemporain ?
Je voudrais parvenir à une certaine cohérence entre mon travail, ma vie et mon environnement.
Je pense que lorsqu'on est serein avec les traditions, on peut alors s'attaquer à la création. Ce sera notre objectif, notre travail, trouver le bon espace entre tradition et création. Beaucoup de gens ont ce même objectif, mais ici, en Soule, la tradition prend beaucoup de place. Moi aussi j'aime beaucoup les mascarades, les chants, la langue d'ici, etc... et c'est aussi cela qui m'a donné envie de revenir. Beaucoup de gens se battent pour préserver tout ça et c'est très bien, mais ce n'est pas mon combat.
Vous êtes attirée par la fiction ?
J'ai toujours pensé que la fiction est une histoire de mecs, que les hommes ont besoin de montrer aux autres qu'ils peuvent inventer un autre monde, je ne sais pas pourquoi. En tant que femme, je suis plus intéressée par la compréhension du monde réel, comment sont les choses, comment évoquer certains sujets, comment les amener sur un autre terrain. Bien sûr, il y a des femmes qui font de la fiction, mais personnellement je ne ressens pas le besoin de créer un autre monde. Si j'arrive à comprendre un peu celui-ci, je serai déjà contente.
En tant que femme, je suis plus intéressée par la compréhension du monde réel, comment sont les choses, comment évoquer certains sujets.
Cependant, j'aime bien voir des films de fictions, mais je préfère ceux qui explorent d'autres manières de faire, sinon je m'ennuie assez vite. Ce que j'apprécie aussi dans les documentaires, c'est que je peux travailler assez librement, prendre mon matériel quand je veux et aller filmer sans avoir besoin de quarante personnes autour de moi ou d'une somme d'argent énorme. Bref, j'aime les petites choses simples. Si je pouvais faire ce genre de choses, je serais déjà bien contente.
Comment voyez-vous le cinéma au Pays Basque ?
Pour être honnête, je ne le connais pas bien car je ne vivais pas au Pays Basque et que ces films n’étaient pas programmés à Paris. Il y a deux ans, nous avons créé l'association Zukugailua, qui regroupe des personnes du Pays Basque travaillant dans le secteur du cinéma. Malgré l'éloignement, j'ai suivi le travail mené par l’association. Il est bon de savoir qu'il y a des gens, une énergie, une envie de travailler ensemble pour améliorer la qualité des productions locales.
Beaucoup de gens se battent pour préserver la culture et c'est très bien, mais ce n'est pas mon combat.
J'ai également travaillé avec Kanaldude. Ils m'ont vu grandir et aujourd'hui, j'aime toujours travailler avec eux. C'est simple et nous sommes heureux d’évoluer ensemble. J'essaie de créer des ponts entre ici et là, et j'espère pouvoir continuer à le faire aujourd’hui, au Pays Basque.
Le dernier film que vous avez aimé ?
Il y a quelques mois, j'ai vu le film El agua (d'Elena López Riera). Cela se passe en Andalousie, dans un village où l'on cultive des citrons et des oranges, où rien ne passe, où les jeunes s’ennuient. En parallèle, un groupe de femmes âgées apparaît à l’écran. Elles racontent une histoire ou un mythe lié à l'eau et aux femmes. Le film est une fiction, mais ces vieilles femmes sont filmées à la manière du documentaire. J'ai apprécié ce film car il aborde un peu tous les sujets que j'aime. A savoir, la mythologie, la jeunesse, et comment faire pour que les jeunes restent au village. J'ai aussi apprécié la manière dont tous ces thèmes se sont entrecroisés dans le film.
Avez-vous un projet ?
J'ai plusieurs projets en tête. Il y en a un que j'ai commencé il y a longtemps et qui n'est toujours pas terminé, intitulé Ce qui ne nous transforme pas ne nous laisse pas de souvenirs. C'est un documentaire expérimental sur la mémoire. J'ai commencé à filmer une famille durant un pique-nique et j'ai ensuite demandé à chaque membre quel était son premier souvenir. La première chose dont la mère s'est rappelée, c'est qu'à cinq heures du matin, elle a réalisé qu'elle n'avait pas sorti le poulet du congélateur.
L’association Zukugailua, regroupe les personnes d'ici qui évoluent dans le cinéma.
Pour le jeune frère, il s'agissait du moment où il est arrivé à la montagne et plus précisément le moment avant d'entrer dans la forêt. En fait, j'ai remarqué qu'il y avait de nombreux films sur la mémoire traumatique, mais peu de films sur les beaux souvenirs que nous gardons. Je souhaiterais réaliser un film sur ce thème : comment naît la mémoire, comment se construisent nos souvenirs, et comment se construit la personnalité.
Il y a énormément de films sur la mémoire traumatique, mais il n'y a pas de films sur les beaux souvenirs et je voudrais réaliser un film sur ce thème.
Un rêve ?
Je voudrais parvenir à une certaine cohérence entre mon travail, ma vie et mon environnement. C'est un rêve que je pense réalisable. J'ai d'autres rêves aussi, mais c'est celui que je voudrais voir se réaliser en revenant à Tardets.
Pour terminer, une question que l'on n'a pas abordée ?
Je voudrais parler d'un sujet très important pour ma mère, à savoir comment faire pour faciliter les déplacements des habitants de Soule et comment faire venir les gens jusqu’à nous ? Il y a vraiment un travail à mettre en place sur le thème de la mobilité. Souvent, les gens d'ailleurs ne viennent pas ici et les gens d'ici ne quittent pas leur région. Comment faire pour faciliter les déplacements ? Je crois qu'il y a là matière à creuser, et ce serait bien, pour aller de l'avant dans ma vie.