De retour de vacances, après une saison bien chargée, la jeune chanteuse du groupe Bost Axola Elena Clerc-Charriez (1996, Saint-Jean-de-Luz) nous a accueilli à Urrugne, en pleine préparation de la rentrée. Son diplôme DUMI en poche, elle va dorénavant écumer les salles de classes pour préparer des projets autour du chant choral avec les élèves. Elle nous évoque sa passion pour la musique, le chant et les chorales pour enfants qu'elle connaît si bien.
D'où vous vient cette passion pour le chant ?
Je viens d'une famille de musiciens. Ma mère dirige des chœurs et chante. Mon grand-père dirige aussi un chœur, ma grand-mère joue du piano et chante et mon oncle joue du piano et compose. Moi, j'ai commencé à chanter au sein d'une chorale à l’âge de six ans, et j'ai toujours aimé chanter. Que ce soit au sein d’une chorale ou en famille. J'ai été membre de la chorale Tximi-Txama dès le début, et je ne l'ai jamais quittée.
Chanter a toujours été un plaisir pour moi mais je ne me voyais pas particulièrement en faire mon métier. D'ailleurs, dans un premier temps, j'ai étudié et enseigné l'anglais, mais j'ai vite senti qu'il me manquait quelque chose. Ma mère m'a parlé du diplôme universitaire de musicien intervenant (DUMI) qui permet d'enseigner la musique dans les écoles. Je me suis renseignée et j'ai réalisé que cette formation était faite pour moi. J'ai alors laissé tomber l'anglais et je suis allée à Poitiers. J'ai eu mon diplôme en juin dernier et je suis ravie. Je commence au mois de septembre à travailler dans les écoles du Pays Basque nord pour créer des projets de chorales et enseigner le chant aux élèves. Par la même occasion, je souhaite aussi transmettre aux enfants ma passion pour le chant et la polyphonie.
Vidéo de l'entretien (en basque)
La transmission est aussi importante que le chant à vos yeux ?
En règle générale, ce sont des artistes qui préparent ce diplôme pour trouver des sources de revenus complémentaires à leur activité artistique. Ce n'est pas mon cas. J'ai voulu suivre cette formation pour enseigner. Même si j'aime bien chanter et monter sur scène, ce n’est pas ma priorité. Du moins pas pour l'instant. Ce que je souhaite avant tout, c'est travailler avec des enfants et partager avec eux le plaisir de chanter.
J'ai commencé à l’âge de six ans et j'ai toujours aimé chanter au sein d’une chorale ou en famille.
J'aime chanter au sein d’une chorale et nous constatons qu'aujourd'hui au Pays Basque nord, les chorales d'enfants disparaissent. Il y a des groupes certes, mais ils sont vieillissants. Ce travail de transmission est à la fois du plaisir mais aussi une nécessité. Je veux initier ces enfants au chant. J'apprécie également monter sur scène et chanter avec mon groupe, mais aujourd'hui ce n'est pas ma priorité.
Vous trouvez que les chorales ne sont pas dans leurs meilleurs jours ?
Au Pays Basque sud les enfants chantent beaucoup. Il y a des écoles pour tous les âges. Ils ont cette culture du chant choral. Au nord en revanche, il n'y en a pas autant. J'ai eu la chance d’intégrer la chorale Tximi-Txama avec ma mère, mais aujourd’hui, il en existe peu et je dirais que leur nombre diminue. Ici, le chant choral a une mauvaise image auprès des jeunes. C'est trop classique, traditionnel et les jeunes n’aiment pas vraiment ça. Le chant rencontre plus de succès en solo. Il y a bien le groupe Haurrock ou la chorale Haize Hegoa Ttiki dirigée par Maialen Errotabehere, mais pas beaucoup plus. Les chœurs d'adultes sont plus nombreux et c'est pourquoi il est important à nos yeux de transmettre aux enfants le plaisir que l'on peut avoir en chantant.
Nous nous sommes aussi rendu compte que lorsque nous démarrons un projet dans une école, les enfants y adhèrent, même lorsqu’il s’agit de créer une chorale. Lorsque nous leur demandons s'ils souhaiteraient intégrer un chœur, ils nous demandent d'abord si c'est avec nous. Ils ont besoin de ce lien affectif.
Si ça se passe bien à l’école, ils auront davantage envie de venir chanter après les cours.
Au Pays Basque nord il n'y a pas beaucoup de chorales d'enfants et leur nombre diminue petit à petit.
Nous sommes aussi actifs sur les réseaux sociaux. Nous postons des vidéos pour communiquer sur la bonne ambiance qui règne et les bons moments que nous passons ensemble.
Concernant les aspects psychologiques et cognitifs, on y apprend des choses essentielles comme le fait que tous les membres sont importants dans une chorale, et que s’il manque un membre, le groupe avance malgré tout. Transmettre ces valeurs, c'est important pour moi. Ce n'est pas toujours facile, mais c’est une passion.
Quelle place occupe la langue basque au sein des chœurs ?
Il est très important pour nous que le chœur soit bascophone. À Tximi-Txama par exemple 80% du répertoire est constitué de chants basques.
Mais il faut malgré tout des morceaux dans d'autres langues car il y a encore des gens allergiques au basque malheureusement. Comme ils ne le parlent pas, ils pensent ne pas pouvoir chanter en basque. Ce n'est pas vrai. Le basque n'est peut-être pas évident à apprendre mais il est facile à lire. Nombreux sont les enfants qui chantent avec nous et qui ne sont pas bascophones. Nous effectuons aussi un travail de sensibilisation dans ce sens.
Nous initions les enfants à la culture basque. Mais nous chantons aussi des morceaux venus d'Afrique, de France, d'Espagne, etc… parce que nous ne voulons pas d'un répertoire restreint ou trop classique. Nous aimons varier les styles.
Ici, le chant choral a une mauvaise image auprès des jeunes, c'est trop classique, traditionnel.
Mais en effet, il y a un lien étroit entre la langue basque et les chœurs. Nous proposons une immersion dans la culture basque à des enfants qui n'en auraient pas l'occasion via leur entourage.
Le patrimoine immatériel est important à vos yeux ?
C'est difficile à expliquer, mais je crois que nous, les basques, nous avons cela en nous, une capacité à accueillir nos traditions et à les transmettre aux autres. Il est évident que le patrimoine immatériel est important.
Nous effectuons un travail de sensibilisation, nous initions les enfants à la culture basque.
Par exemple, c'est surprenant de voir comment un enfant qui a appris une chanson avec moi est capable de me la rechanter des années après. C'est incroyable de voir comment on peut marquer un jeune par ce biais-là. Il s'en rappelle et il aura également peut-être envie de transmettre cette chanson à d'autres, ou bien plus tard, à ses propres enfants.
Nous avons tous un souvenir lié à un moment vécu en compagnie d'un danseur, d'un chanteur… et les émotions se ressentent particulièrement avec la musique, le chant et la tradition orale.
Lors de ma formation, j'ai appris à enseigner le chant oralement seulement, sans écrire une ligne, en chantant encore et encore le texte. Je crois que l'on retient beaucoup mieux de cette manière. En fait, c'est ce que nous vivons ici naturellement. Nous connaissons beaucoup de chants populaires parce que nous les avons souvent entendus. La transmission orale est très répandue ici.
Le répertoire basque est-il riche pour le chant choral ?
Le répertoire est très vaste certes, mais tous les chants ne sont pas adaptés au public jeune. Parfois les paroles peuvent êtres dures...
C'est surprenant de voir comment un enfant qui a appris une chanson avec moi est capable de la chanter bien plus tard.
Cela dépend également de la façon d'enseigner.
Ma mère, par exemple, a besoin des partitions pour travailler un chant et on ne les trouve pas systématiquement. Beaucoup d'organismes, comme l'Institut culturel basque, font un gros travail de collecte de partitions et d’audios. Cela permet de laisser une empreinte et de continuer à entendre ces chants.
Cependant, lorsqu'on travaille sans partitions, il y a un très grand choix de morceaux. À nous ensuite de les arranger et de les adapter pour le travail.
En Iparralde, nous comptons aussi sur une grande variété de chants enrichie par le basque propre à chaque province. Mais ce n'est pas toujours évident de les travailler.
En musique, nous apprenons tous les jours !
Vous êtes en relation avec les chorales du Pays Basque sud ?
Pas assez malheureusement. Il existe un réel souhait de rapprocher les deux côtés, mais la frontière est bien là.
Nous n'avons pas la même culture et les mêmes façons de travailler. Tximi-Txama a fêté ses vingt ans cette année et en tout et pour tout nous sommes allés quatre fois au Pays Basque sud. C'est surprenant, mais ce n'est la faute à personne. Nos méthodes sont différentes, mais des ponts commencent à voir le jour. Ce n'est pas simple mais on y travaille.
Comment est né Bost Axola ?
J'ai commencé à chanter avec Tximi-Txama à l’âge de six ans, puis les années ont passées. Des plus jeunes sont rentrés et le répertoire commençait à être un peu trop enfantin pour moi et les membres de ma génération. Comme nous voulions continuer à chanter, nous avons décidé de monter un autre groupe au sein même de Tximi-Txama.
Je crois que nous, les basques, nous avons en nous une capacité à accueillir nos traditions et à les transmettre aux autres.
Les débuts ont été difficiles car nous étions une douzaine de jeunes entre seize et vingt ans, avec chacun un agenda chargé (entre les études, le travail, les activités) et par conséquent de grosses difficultés à nous réunir pour mener un travail suivi. En 2018, nous avons donc pris la décision de continuer avec les personnes les plus régulières. Nous n'étions plus que cinq. C'est ainsi qu'est né Bost Axola.
Au début, nous ne savions pas vraiment si nous allions continuer car nous n'étions plus une chorale. Nous ne savions pas vraiment quelle direction prendre. Nous avons quand même préparé deux ou trois morceaux que nous avons fait écouter à notre directrice de chorale. Ça lui a beaucoup plu. Nous avons donc continué à travailler sur plusieurs titres. Puis le Covid est arrivé…
Le groupe a bien fonctionné dès qu'il a commencé à se produire. Je crois qu'il n'y a pas beaucoup de groupe comme le nôtre. Nous sommes cinq jeunes femmes et nous avons un style issu du chant traditionnel auquel nous rajoutons une touche plus moderne avec des arrangements en basque. Sincèrement, nous prenons énormément de plaisir. Nous n'avons plus personne pour nous diriger. Nous choisissons ensemble les morceaux à interpréter et nous les arrangeons nous-même.
Tout est fait de manière orale. Exclusivement. Nous avons profité de la crise Covid pour travailler à la préparation d’un disque que nous avons enregistré dans la foulée. Nous possédions un joli répertoire et nous voulions laisser une trace de notre travail. Nous avons enregistré avec mon frère et avons passé des jours et des semaines afin de tout réaliser par nous-mêmes. Cette année, à nouveau, nous avons vécu une belle saison, avec de nouveaux concerts et de nouvelles scènes. Les gens étaient contents d'être là et nous aussi ! L'aventure se déroule à merveille. Voyons jusqu'où elle nous mènera !
Aimeriez-vous vous produire en solo sur scène ou sous un autre format ?
J'aime chanter. Par conséquent, je mentirais si je disais que je n'aimerais pas faire un projet en solo un jour. Chanter à cinq offre une bonne qualité pour l'harmonie, pour les polyphonies, mais cela implique aussi de travailler avec cinq personnalités différentes et parfois de ne pas être d'accord. Si un jour j'envisage de travailler seule, ça serait pour réaliser les choses à ma manière. En revanche, me retrouver seule sur scène ne me fait pas envie. Nous allons peut-être préparer un projet dans ce sens avec des amis, mais juste pour le plaisir. Personnellement je préfère être accompagnée de mes acolytes de Bost Axola. Il est vrai que se produire en solo est le souhait de beaucoup d’artistes. Je ne dis pas que cela ne m'arrivera jamais, mais pour l’instant cela ne fait pas partie de mes projets.
Vous êtes fan d’un. e artiste en particulier ?
La transmission orale est très répandue au Pays Basque.
Je n'ai pas de préférence pour un artiste en particulier et j'apprécie le travail de nombreux chanteurs et chanteuses. J'écoute beaucoup de musique et il m’est difficile de n’en choisir qu’un seul. Bien sûr, il y a des artistes comme Benito Lertxundi ou Mikel Laboa qui ont une place particulière dans mon cœur comme dans celui de tout habitant de ce pays, mais je n'écoute pas que cela. En ce moment par exemple, j'écoute le groupe Izarrak qui évolue un peu dans le même répertoire que nous et j'ai récemment découvert Xiberotarrak.
À vrai dire, j'écoute un peu de tout.
Une chanson en particulier ?
Nous nous sommes rendu compte avec ma mère que parmi les musiques que nous écoutons souvent dans la voiture, il y en a une en particulier que l'on ne zappe jamais et que l'on écoute du début à la fin. C'est Hiltzori, Hiltzori I et Hiltzori II du groupe Itoiz. Musicalement par lant ces deux morceaux sont des pépites et je les redécouvre à chaque écoute. Quel travail et quels musiciens ! J'aime tout ce qu'a fait Itoiz, et particulièrement ces deux titres là.
Comment occupez-vous votre temps libre ?
En Iparralde, nous comptons aussi sur une grande variété de chants enrichie par le basque propre à chaque province.
Je regarde beaucoup de séries télévisées et j'aime les travaux manuels, dessiner ou encore l’origami… mais la musique me laisse peu de temps. J’ai un rythme de vie relativement tranquille. Je me suis peut-être un peu calmée avec le Covid. Mes amis sont aussi très importants pour moi et nous nous retrouvons pour boire un verre dès que nous en avons l’occasion. Je passe aussi beaucoup de temps avec ma famille, avec mon compagnon.
Un rêve ?
Je suis une personne très rationnelle, je n'ai pas de grand rêve. Cette année nous avons vécu des moments magiques, comme chanter avec Benito Lertxundi à Bayonne et je ne pensais pas vivre ça un jour.
Au risque de me répéter, mon rêve serait de voir les gens dans les rues chantant ensemble des polyphonies. Ou du moins j'aimerais qu'ils ressentent le bonheur et la joie de chanter en chœur. Ce n'est pas toujours évident.
Voulez-vous rajouter quelque chose ?
Chez moi, la musique est très liée à ma famille, c'est quelque chose qui vient du cœur…
Je souhaite rajouter qu'en ce qui me concerne, la musique est très liée à ma famille.
Lorsque je fais de la musique, je pense à ma mère, mon grand-père, ma grand-mère... Mon grand-père dirige encore aujourd'hui le chœur Goraki de Saint-Jean-de-Luz et je sais qu'ils sont tous ravis de voir qu'ils m'ont transmis leur passion. C'est important pour moi qu'ils sachent que si je chante, c'est grâce à eux. C'est quelque chose qui vient du cœur. Sans eux je ne serais pas là. Mon père n'est pas musicien mais il adore la musique et en écoute beaucoup, il m'a toujours soutenu et je sais qu'il est fier de moi et du chemin que j'ai choisi.
Ils m'ont toujours tous soutenu et je leur dois tout.