Beñat Chassevent (1956, Biarritz), est président de l’association Eusko Arkeologia, qui regroupe des férus d’archéologie. Ces travailleurs de l’ombre mènent un travail de fouilles important sur le Pays Basque nord, avec la volonté d’attirer des chercheurs dans le secteur, et sensibiliser les gens sur leur patrimoine proche. Nous les avons rencontrés sur les hauteurs de Banca, aux abords d’une mine encore loin d’avoir révélé tous ses secrets.
Nombreux sont les gens à longer régulièrement le col de Mehatze, à cheval entre Banca et Valcarlos. Mais entre les randonneurs qui visent des sommets plus hauts, et les chasseurs à l’affût de palombes qui ne viendront pas, la particularité des lieux échappe souvent à ces visiteurs éphémères. En ce matin de juillet, une drôle de troupe entre en scène, affublée de lourdes valises et casques de chantier, mais dont le moindre pas conscient les rapproche d’un but qui ne s’essouffle jamais : une mine plantée là depuis l’éternité, à flanc de montagne, que seul un œil avisé saurait déceler.
« Et pourtant, les trois caractéristiques classiques d’une telle mine sont bien visibles : le filon, les boursouflures, et les terrasses ». Gilles Parent, universitaire et membre de l’association Eusko Arkeologia, se rend régulièrement sur ces lieux qui semblent l’attirer inexorablement. « Nous nous sommes approché du site en 2002, pour commencer des sondages en 2005, notre intérêt étant une supposition très ancienne, bien antérieure à l’époque romaine. La mine étant elle-même sur une voie de passage potentiellement très ancienne, au vu de la découverte d’une hache polie au col voisin d’Ehuntzarroi, au XIXème, ainsi que des cromlechs fouillés par Blot dans l’autre col de Mehatze, et l’impossibilité apparente que les gens qui transitaient par ici n’aient pas remarqué ce filon ».
A bien y regarder, la veine de minerai qui lacère le pan de montagne est une évidence ; les boursouflures à sa gauche révèlent une activité sous-terraine jadis importante, et les terrasses à sa droite, un travail humain bien précis. « La plupart des filons découverts sont polymétalliques : fer, cuivre, éventuellement argent. Comme souvent, le fer domine le filon, mais parfois le cuivre est assez important pour être exploité. Pour l’instant, on suppose une exploitation de cuivre concernant l’Antiquité, avec la présence de personnes dignitaires, comme l’attestent les débris de verres fins découverts ici ». Malgré tout, Gilles Parent n’hésite pas à évoquer un site « mystérieux », puisque les archives pourtant fournies du XVIIIème siècle ne le mentionnent absolument pas…
Plus bas, dans la vallée, les mines de Banca, toujours bien visibles et désormais accompagnées d’un centre d’interprétation ouvert au public, ont connu une dernière activité frénétique lors de ce même XVIIIème siècle. Mais le site de Mehatze n’a apparemment pas été exploité à l’époque. « Malgré nos premiers sondages totalement infructueux, nous avons fini par ouvrir, en 2012, la galerie la plus basse et donc la plus récente, sachant que ces exploitations se faisaient chronologiquement du haut vers le bas. Mais c’était également la plus facile à explorer pour nous, les autres étant potentiellement très dangereuses ». La partie la plus récente a rendu des éléments relatifs… à l’Antiquité. La typologie-même de la galerie, la présence d’encoches de lampes, probablement de l’époque romaine (mais pas attestées), céramiques du premier siècle après JC, analysées et certifiées par un laboratoire de Pau.
Le plus grand « trésor » déniché dans la galerie étant une échelle en bois, également datée du premier siècle. « Elle aurait été totalement détruite si on avait eu une reprise minière au Moyen-Âge ou au XVIIIème », précise Gilles Parent. « Il n’y aurait donc eu que de simples visites à ces époques-là, hypothèse appuyée par des textes qui relatent les travaux de prospecteurs allemands du XIIIème siècle ». L’importance économique du site est donc à relever d’abord du premier au quatrième siècle après JC. « Ce qui entre en concordance avec trois monnaies des mêmes siècles, découvertes au XVIIIème à Banca ». Une présence évidente des Romains. « Il s’agit d’une mine à rendement différé : il fallait beaucoup de ressources financières et humaines pour investir un site qui ne serait rentable que bien plus tard ».
Mais le point le plus intéressant pour les archéologues va plus loin : les Romains ont attaqué peu de sites vierges, et ont souvent eu des indicateurs afin de dénicher des filons tels que celui de Mehatze. De mystérieux objets métalliques ont été récemment découverts, « assez inhabituels » selon Gilles Parent. « Il s’agit probablement de lampes, mais on ne sait pas si elles sont de l’Antiquité ». Le style topographique aussi peut laisser supposer une exploitation antérieure aux Romains. « Cela peut dater de la fin de l’âge du fer, voire de l’âge du bronze… Les premiers travaux peuvent avoir 2000 ans avant JC : cela ne serait pas surprenant, mais le plus difficile sera de le prouver ».
Pédagogie
Beñat Chassevent, quant à lui, se réjouit d’un site « pédagogique ». Il n’a guère oublié son initiation à la géologie, et cette enseignante qui lui affirmait, alors qu’il était en sixième, que les fossiles présents sur les rochers biarrots étaient issus de millions d’années. Même si cela lui sembla « suspect » à l’époque, les livres lus par la suite le menèrent à écumer les riches falaises labourdines avec deux compères, Jean-François Déridet, et Christian Normand. « Roger Duperrier, un vieil érudit de Biarritz, nous a également beaucoup aidés… C’est lui qui avait trouvé et rapporté beaucoup d’éléments à exposer au Musée de la Mer ».
Mais c’est bien l’archéologue Claude Chauchat, alors qu’il entrait au CNRS, qui leur a définitivement mis le pied à l’étrier dans un domaine particulier. « C’est d’abord en lien avec la Préhistoire que nous avons créé, en 1983, l’association Eusko Arkeologia. Nous étions dans un contexte où il n’y avait pas de préhistorien officiel : seulement des érudits comme Jacques Blot. Claude Chauchat était le seul. Pendant nos premiers boulots, on a pris des cours à l’université de Bordeaux, période qui a vraiment confirmé cet engouement pour la préhistoire : Christian Normand a étudié les silex, et moi la faune ».
Mais le retour au pays les a mis face à une cruelle évidence : un manque de culture archéologique qui mettait à mal le patrimoine local. « La période de modernité a beaucoup détruit ». L’association Eusko Arkeologia, d’abord créée pour développer, faire connaître, et officialiser l’étude de la Préhistoire en Pays Basque nord, s’est donc diversifiée au fil des années. « Nous avons développé d’autres branches : spéléologie, archéologie minière, archéologie du bâtiment. Pour le moment, on travaille sur les châteaux et maisons fortes, mais il y aurait un beau travail à mener sur l’habitat ici. En plus, il y a le travail de Mikel Duvert qui peut constituer une base solide, et qui ne demande qu’à être déployé ». Une collaboration avec une association telle que Lauburu serait enrichissante, selon Beñat Chassevent : « Nous sommes portés vers l’archéologie, eux surtout vers l’ethnologie, ce qui fait que nos travaux pourraient être tout-à-fait complémentaires. On se rencontre souvent, mais de manière plutôt informelle. Malgré nos excellents rapports, nous n’avons fait qu’une seule collaboration ensemble, sur Larceveau, quand une maison fut détruite dans les années 1980 ».
Manque universitaire
Eusko Arkeologia est une petite structure, ce qui limite les différentes collaborations locales. « La différence avec le Pays Basque sud est flagrante ! Lorsqu’une structure comme Aranzadi pose un budget sur la table, nous ne pouvons pas suivre. Eux peuvent se lancer, par exemple, dans des gros chantiers tels qu’Amaiur. Mais nous avons un travail de collaboration assez intéressant ». La place occupée par l’association en Pays Basque nord reste malgré tout primordiale, selon Beñat Chassevent. « Nous comblons tout-de-même un manque universitaire du territoire. Notre appui académique, avec notamment le Service Régional Archéologique, nous permet de travailler dans un cadre officiel, où l’on peut diffuser. Cela nous donne aussi accès à du financement pour notamment du matériel lourd. Puis nous avons un dépôt de fouilles local, ce qui est très important : on a plus besoin d’aller sur Pau ou Bordeaux, mais simplement à Hasparren. C’est un outil de recherche indispensable ».
Une crédibilité qui attire de jeunes étudiants chaque année, notamment ceux qui recherchent des projets liés à leur terre natale. « Le patrimoine du Pays Basque nord est riche mais diffus, ce qui ne le rend pas très visible. Il n’y a plus véritablement de chercheurs qui s’intéressent de manière officielle à notre secteur. C’est aussi important d’accompagner des jeunes qui peuvent se fixer dans le coin. Mais le problème reste le manque de postes, avec pour conséquence le départ des jeunes vers de grosses structures, qui ne sont certainement pas basées ici ». Le pari d’Eusko Arkeologia reste collectif avant tout, basé sur la transmission. Avec des sites comme Arancou, où une préhistorienne a repris officiellement les fouilles suite au premier travail de l’association.
Travail qui reste encore méconnu de nos jours. « Nous sommes très mauvais en divulgation ! Nous publions des articles, des rapports sont faits… Mais notre association n’a pas de membre qui pourrait s’atteler principalement à cette tâche. Au-delà de cela, nous devons faire face à un gros problème : lorsque nous diffusons sur des sites non-protégés, ils peuvent être pillés. C’est aussi pour cela que nous avons toujours été frileux à répandre largement nos informations ». Beñat Chassevent se souvient avoir découvert des fouilles sur Urkulu complètement saccagés, transformés en cratères. « Il y a un commerce de l’objet archéologique, pour notamment des collections privées… Cela doit faire joli, un os préhistorique sur un bureau… ».
La divulgation prônée par Eusko Arkeologia reste donc avant tout locale : « En fin de fouilles, nous effectuons une présentation de l'opération aux gens du village. Puis nous organisons des conférences, avec des associations partenaires comme les Amis du Musée Basque, Amis de la Vieille Navarre, Musée de St Palais, etc... Ainsi que des articles dans leurs revues respectives. Tout cela pour informer et sensibiliser les gens sur leur patrimoine proche ».
L’enjeu étant aussi de mieux préserver le patrimoine. « Trop de fours à pain sont devenus des garages… C’est aussi pour cela qu’une fois par an, nous faisons du pain avec les enfants de l’ikastola d’Oztibarre dans l’un de ces vieux fours… C’est un moment très important, et une manière particulière de les sensibiliser. Cela peut aussi ouvrir leur perception vis-à-vis de leur village natal, et ne pas perdre le sens actuel de pouvoir y vivre. Comme ici, à Banca, où cela doit tout-de-même leur faire bizarre de savoir que les Romains sont passés par là, y ont trouvé de la richesse, et influencé une industrie… Malgré le sentiment actuel d’isolement dans des lieux comme la vallée des Aldudes, il ne faut pas oublier que ce secteur a plus souvent été un endroit de passage, au cours de l’Histoire ! C’est une sorte de fixisme, l’idée selon laquelle tout a toujours été tel qu’on le connaît actuellement, alors qu’il s’est passé tellement de choses à travers le temps ! Comme quoi, on peut apprendre du passé à choisir notre avenir».