C’est en écoutant la discographie de ses parents que, très jeune, Antton Larrandaburu (Saint-Jean-de-Luz, 1994) s’est passionné pour la musique. Par ailleurs, les occasions de pousser la chansonnette n'ont pas manqué au chanteur de Bitxiloreak au sein de sa famille mélomane. Aujourd’hui, lorsqu’il n’enseigne pas la langue basque à ses élèves, le jeune Hazpandar qui revendique le droit de vivre joyeusement passe la plupart de son temps à créer et à écouter de la musique.
Vous faites partie des nouveaux visages de la musique basque. Racontez-nous votre parcours.
Je suis issu d’une famille de chanteurs souletins et j’ai par conséquent été bercé par les chants traditionnels. Dès mon plus jeune âge j’ai aussi écouté les groupes de rock favoris de mon père comme Led Zeppelin ou Boston. Puis, j’ai commencé à jouer de la guitare à quinze ans pour ensuite créer un an plus tard mon premier groupe avec des copains d’Hasparren. Nous faisions des reprises de différents groupes avant de commencer à faire nos propres compositions. Deux ans plus tard naissait le groupe Tumatx composé de mes amis Ximun, Bastien et Adrien avec lequel nous avons fait nos premiers concerts. Nous avons eu l’occasion de faire la première partie d’un groupe assez connu d’Hegoalde où l’on a présenté nos premières compositions. Puis, Adrien est parti travailler en Nouvelle-Zélande et l'aventure du groupe s’est arrêté. Il y a deux/trois ans, j’ai démarré le projet Antton Larrandaburu eta Bitxiloreak avec Antton, Benjamin et Miguel dans lequel nous jouons exclusivement nos propres compositions. Nous avons enregistré deux disques en 2018 et 2019 et nous jouons un peu partout. Nous proposons un style assez folk-rock et nous prenons beaucoup de plaisir.
Vidéo de l'entretien (en basque)
Vous préférez jouer en groupe plutôt qu’en solo ?
Niko Etxart que je connais bien m’a dit un jour : « Antton tu es comme moi, quand tu prends ta guitare et que tu commences à chanter, les gens s’ennuient au bout de cinq minutes ; c’est pourquoi j’ai créé le groupe Hapa-Hapa et toi Bitxiloreak ! ». C’est vrai que j’aime le travail en équipe, avec Bitxiloreak, je propose des compositions et des bases pour ensuite créer les chansons avec les membres du groupe. Et puis, c’est un plaisir d’aller aux répétitions pour ensuite finir en grande discussion ou en chantant ensemble autour d’un bon repas. J’aime cette façon de fonctionner, on fait des choses plus profondes en groupe, chacun vient avec ses influences et le résultat est généralement meilleur d’après moi.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Toutes les chansons du disque Ibilbide Terapeutikoa ont été pensées ou écrites lors de mes ballades en montagne.
Je crois que je ne crée pas grand-chose, je recompose juste à ma façon les choses que j’écoute. Il est vrai que je passe mes journées à écouter de la musique, pour ensuite créer mon propre puzzle musical avec ce que j’aime. Pour les paroles, j’ai la chance d’aimer lire. Je ne sais plus si c’est Bashung ou Thiéfaine qui a dit : « Tu prends un livre et tu choisis un des mots que tu lis, puis un autre mot dans autre livre et ensuite tu colles les mots et les idées ensemble... C’est comme ça que naissent les chansons ». Du moins c’est ainsi que je procède, je raconte des choses humbles, simples dans mes chansons, j’aime bien cela. Pour moi la musique c’est un peu la rencontre entre l’âme et le cœur, et moi j’aime dire des choses simples, tout simplement.
Aujourd’hui, vous avez un nouveau projet entre les mains ?
Je crois que je ne crée pas grand-chose, je recompose juste à ma façon les choses que j’écoute.
J’ai réalisé que peu à peu, Antton Larrandaburu eta Bitxiloreak, est devenu Bitxiloreak eta Antton Larrandaburu... C’était vraiment un travail d’équipe où chacun apportait son propre style. Mais je me suis aussi rendu compte que ce n’était pas évident car à l’origine, comme son nom l’indique, j’étais supposé être le leader du groupe. Mais ma façon d’être n’est pas très compatible avec ce rôle. Je laissais une grande liberté d’expression aux membres du groupe et au bout du processus, je n’étais pas très à l’aise avec le résultat obtenu, ou il s’éloignait vraiment trop de mon idée initiale. J’ai donc décidé de monter un nouveau groupe où je vais être à nouveau le leader, mais cette fois-ci j’ai clairement exprimé aux autres musiciens que je savais où je voulais aller musicalement. Je n’oblige personne mais ceux qui adhèrent au projet suivront ce que j’ai envie de faire. Je vais écrire les partitions pour chaque instrument, exprimer ce que j’ai en tête aux autres membres et de cette façon, je n’aurai plus de frustrations et je serai maître de mon projet. Je souhaite aller vers un son plus simple et plus direct, des chansons de style indie-rock, post-punk. J’ai envie de dire des choses humbles sur de la musique post-punk, ce qui se faisait il y a une vingtaine d’années.
Vous travaillez aussi en dehors de la musique.
Je préfère gagner ma vie en travaillant par ailleurs et pouvoir créer sans contraintes.
J’enseigne la langue basque à mi-temps et je suis surveillant le reste du temps à l’internat du lycée de Saint-Jean-Pied-de-Port. À vrai dire, j’aime beaucoup ces deux boulots qui par ailleurs me laissent beaucoup de temps libre pour la musique, c’est juste parfait pour moi. J’aime bien partager mon temps entre le travail et la musique. Certes, pouvoir vivre de la musique serait une bonne chose, mais c’est vraiment difficile d’y arriver. Tes chansons n’ont pas toujours le succès espéré et je tiens vraiment à créer en toute liberté, par conséquent, je préfère gagner ma vie en travaillant par ailleurs et pouvoir créer sans contraintes, sans devoir plaire à un public à tout prix, sans conditions particulières.
Vous prenez soin de l’image et des clips que vous réalisez, c’est important ?
Un ami à moi a lu que seulement un quart du temps de travail d’un musicien était dédié à la création des chansons. De nos jours, le travail de l’image, la gestion des réseaux sociaux et autres tâches en lien avec la communication sont essentiels. Personnellement, je ne suis pas très présent sur les réseaux sociaux et les vidéos ne sont pas une priorité. Les réseaux sociaux demandent une participation importante, ce n’est pas mon truc. Moi, je m’en sers pour annoncer les dates de concerts, ou donner des nouvelles, c’est tout. Pour moi, ce n’est pas le travail d’un musicien. Par contre, pour les vidéoclips, il y a eu un vrai travail d’équipe, et à chaque fois, nous avons passé une bonne journée. Je ne considère pas cela comme un travail de communication à proprement parlé.
Avec cette multiplication des tâches, le travail des maisons de disques est important aujourd’hui ?
Nos deux premiers disques ont été autoproduits, ce qui nous a permis de faire la musique que l’on voulait sans aucune contrainte. Nous avons aussi pu enregistrer en toute liberté avec Jérémy Garat, sans pression. Travailler avec une maison de disques apporte certes une aide d’un côté, mais cela implique aussi des contraintes et des délais à respecter, et moi j’aime bien faire les choses tranquillement et joyeusement.
Pour la vente des disques, je ne suis pas très bon non plus. Souvent la vente s’organise à la fin des concerts, mais en général on va plutôt boire un verre ou voir les copains, et par conséquent, on ne vend rien du tout. Ce n’est pas évident car le marché du disque est en net recul, ou même en voie de disparition.
Travailler avec une maison de disques apporte certes une aide d’un côté, mais cela implique aussi des contraintes et des délais à respecter.
Les maisons de disques peuvent aussi être d’une grande aide pour trouver des dates de concerts ou des lieux pour pouvoir jouer ; aujourd’hui, c’est sur nous que retombe ce travail de recherche de salles, mais aussi la distribution, la vente de disques. Heureusement que nous avons pu compter sur les gaztetxe et sur certains bars pour proposer nos CD. Ce n’est pas évident, moi ce que j’aime c’est créer des chansons, prendre ma guitare et balancer deux accords. Les autres compétences nécessaires à la promotion de notre travail, ce n’est pas vraiment mon truc, je ne suis pas fait pour cela, mais on peut toujours mieux faire. Peut-être qu’un jour je travaillerai avec une maison de disques, pourquoi pas.
La musique est-elle thérapeutique ?
Elle pourrait l’être en effet. En fait, toutes les chansons du disque Ibilbide Terapeutikoa (Promenades Thérapeutiques) ont été pensées ou écrites lors de mes ballades en montagne ; j’ai ainsi constaté le bienfait de marcher en montagne. On fait dix pas et hop, une idée vient à l’esprit, dix autres pas et hop, une autre idée. C’est ce que je voulais montrer dans ce disque, penser différentes choses peut avoir un effet thérapeutique. Il y a des styles de musique très différents dans ces deux disques, ainsi que des sujets très variés ; j’aime lorsque mes réflexions voyagent, c’est le pourquoi du titre Ibilbide Terapeutikoa, car la musique est une vraie thérapie pour moi.
Que pensez-vous du patrimoine immatériel ? C’est important pour vous ?
Face à l’écran, la culture perd toute son âme, la culture doit être vécue.
Bien sûr, c’est important ; il faut savoir que l’écrit est apparu tardivement au Pays Basque, la transmission du patrimoine immatériel a donc été primordiale et c’est quelque chose que l’on perpétue d’une certaine façon. Ce que j’aime dans l’art c’est qu’il fait partie de la vie, il y a toujours quelque chose à dire, à critiquer, et c’est ainsi que la transmission se fait. Heureusement que nos ancêtres étaient là, et que nous aussi, en tant que musiciens, nous continuons ce travail de transmission auprès des générations futures. À mon humble niveau, je crois que je participe à ce travail de transmission du patrimoine. Le groupe de danse Bilaka a créé le spectacle Saio zero autour de cette idée : « Iturri beretik, beti ur berria » (C’est toujours de l’eau nouvelle qui sort de la vieille fontaine), j’aime cette idée de cycle sans fin.
Vous chantez en basque, par choix ou naturellement ?
Le basque n’est pas ma langue maternelle mais c’est ma langue musicale.
À vrai dire, ma langue maternelle est le français, j’ai toujours parlé en français avec mes parents, et par conséquent, j’ai grandi dans un environnement francophone. Par contre, chanter en basque a toujours été une évidence pour moi. J’ai dit tout à l’heure que nous écoutions du Led Zeppelin et autres groupes de ce genre à la maison, mais avec mon père, nous écoutions aussi du Errobi, Niko Etxart, Hertzainak, Negu Gorriak, ...Et quand j’ai eu une guitare entre les mains, chanter en basque est venu naturellement. Le basque n’est pas ma langue maternelle mais c’est ma langue musicale.
Par ailleurs, le fait de chanter en basque ferme peut être certaines portes, mais pas toujours, si l’on en croit le parcours de Willis Drumond, mon groupe favori du moment. Il est vrai que cela peut rendre plus difficile le fait de se faire connaître à l’international, mais c’est notre identité, et elle fait partie à part entière de la musique, c’est-à-dire promouvoir notre langue et prouver que l’on peut vivre en basque. Je crois que je chanterai toujours en basque. Cela ne m’empêche pas de rajouter quelques mots en français ou en anglais de temps à autres, je ne suis pas fermé, pour moi, on peut parfaitement être un groupe basque et chanter parfois en anglais… Chacun est libre de faire ce qui lui plaît.
Comment se porte la musique du Pays Basque ?
La façon de consommer la musique a changé ces dernières années.
Grâce au portail Badok où l’on trouve des groupes de tout le Pays Basque, d’hier et d’aujourd’hui, on peut se rendre compte du grand nombre d’artistes ainsi que de la diversité musicale chez nous, de sa capacité à se rénover, bref que notre musique est bien vivante. En Iparralde aussi on fait vraiment de belles choses, je vais me répéter mais cela fait vraiment du bien de voir le succès de Willis Drumond dans tout le Pays Basque et hors de nos frontières, cela prouve que l’on peut faire de belles choses en basque. Et on fait de belles choses partout au Pays Basque. Je suis allé dans les Alpes cet été et j’ai rencontré une personne du cru qui connaissait Berri Txarrak. C’est là que l’on se rend compte que même en chantant dans une langue « minoritaire », notre musique voyage et peut arriver aux oreilles des gens des Alpes. La musique possède ce pouvoir.
Parlons concerts. Aujourd’hui les soirées DJ ont-elles détrôné les concerts bondés d’hier ?
La façon de consommer la musique a changé ces dernières années. Je suis membre du comité des fêtes d’Hasparren, et lorsqu’on a fait venir de très bons groupes pour les fêtes, il n’y avait personne pour les écouter. Les gens préfèrent peut-être écouter les musiques de leur choix sur Spotify. Dans un concert, on ne peut pas zapper pour choisir le prochain morceau. Les jeunes ont pris l’habitude de tout gérer, de faire ce qu’ils veulent quand ils veulent. Mais il y a toujours un public qui aime aller aux concerts. J’étais au dernier concert de Berri Txarrak à Pampelune et ça fait vraiment du bien de voir cette ambiance et de savoir qu’ils ont rempli cette immense salle deux ou trois fois. En tant que musicien, j’aime l’ambiance du direct. On ne peut pas comparer le fait de jouer tout seul avec ce que l’on ressent devant un public, quand on fait chanter les gens, qu’on échange des regards, j’aime cette ambiance. Malgré des occasions plus rares, on a toujours l’occasion de jouer dans les gaztetxe, il faut les remercier pour tout leur travail. Moi je suis toujours motivé pour offrir des concerts.
Jouez-vous souvent outre-Bidassoa ?
Même si la frontière est artificielle au Pays Basque, elle n’en est pas moins influente au sein du milieu musical.
Percer dans le marché au sud n’est pas chose facile. Je n’ai peut-être pas utilisé la meilleure méthode en envoyant des messages à différentes salles de concert, mais sans maison de disques ou manager, c’est difficile. Avec le groupe Tumatx, on a offert deux ou trois concerts en deux ans. Ce n’est pas évident de faire écouter sa musique, et même si la frontière est artificielle au Pays Basque, elle n’en est pas moins influente. Je crois qu’en Iparralde on écoute plus la musique du sud qu’eux n'écoutent la nôtre, même s’il y a quelques exceptions, comme Willis Drumond. Pourtant, il y a vraiment de bons artistes ici. Mais un jour, cette frontière disparaîtra du paysage musical et on fera des tournées monstres partout.
L’année 2020 est très particulière. Comment vivez-vous les conséquences de la crise Covid ?
J’ai la chance de ne pas être intermittent du spectacle, mais j’ai beaucoup d’amis qui le sont et c’est vraiment dur pour eux. En ce qui me concerne, j’ai passé le confinement à créer pour mon nouveau projet, à essayer de nouveaux sons avec ma guitare. Les gens se sont aussi rendus compte qu’ils ont besoin des concerts, de les vivre en direct. Des médias comme Kanaldude ont fait un vrai travail de diffusion de la culture, mais face à l’écran, la culture perd toute son âme, la culture doit être vécue. Ce sont des temps difficiles pour la culture basque, mais une fois tout cela révolu, cela va repartir et peut-être encore plus fort !
À l’instar de nombreux artistes, avez-vous été actif sur les réseaux sociaux pendant cette période ?
J’ai juste proposé une reprise de la chanson Zuentzat de Deabruak Teilatuetan, pour rappeler qu’en ce temps de confinement il y a d’autre personnes confinées, en prison. J’ai dédié cette chanson aux prisonniers basques pour rappeler que même si la situation n’était pas confortable pour nous, il y a des personnes qui subissent des conditions bien pires encore. Durant ce confinement, j’ai voulu rappeler les conditions de nos amis, les vrais confinés.
Avez-vous tiré d’autres conclusions de cette période si particulière ?
Pour moi la musique c’est un peu la rencontre entre l’âme et le cœur.
Je crois que pendant le confinement, nous avons réalisé toute les capacités que nous avons localement. À Hasparren par exemple, cela a revigoré le commerce de proximité, et d’une façon plus générale, les gens ont réalisé que l’on peut faire de belles choses avec la musique d’ici, avec la culture, avec la vie.
On s’est aussi rendu compte que c’est un vrai privilège de vivre ici. Je connais des gens qui habitent à Paris et confinement ou pas, ils vivent un peu comme des rats. Je crois que l’on va profiter de notre liberté encore plus pleinement, on vit vraiment dans un pays incroyable.
Que faites-vous sans votre guitare ?
Je lis, je pêche, je joue au basket à Hasparren, à la pelote, je marche, je vois mes amis, je fais la fête. J’ai vraiment une vie tranquille et comme on dit avec mes copains, on mène une vie joyeuse. Entre nous, face à quelque chose de surprenant ou devant un bon plat, nous avons un genre de cri de guerre « Alaiii ». Au dernier Libertimendua (théâtre populaire) de Saint-Jean-Pied-de-Port, ils se sont gentiment moqués de mon côté « joyeux » lors d’un sympathique clin d’œil. Mais le fait que mes textes ne soient pas vraiment engagés ne signifie pas que je suis quelqu’un qui ne s’implique pas. Je serai toujours prêt à participer à un concert militant, ou à soutenir une bonne cause, à ma façon, humble et un peu naïve, car ma vie est assez naïve en fait.
Quelle serait la collaboration de vos rêves ?
Je choisirais Kevin Morby, du groupe The babies. Je l’ai vu trois fois en concert, la dernière c’était à Biarritz, seul avec un trompettiste, ce serait vraiment très sympa. Sinon avec Niko Etxart, mais j’ai déjà eu le privilège de jouer avec lui. Niko Etxart est mon idole de toujours.
Et un rêve ?
J’aimerais vraiment pouvoir un jour jouer quelques chansons avec un orchestre. Ce serait quelque chose d’éphémère comme offrir des concerts dans des salles de cinéma ou ce genre de salle assez intime, dans les sept provinces. Je proposerais mes chansons avec pourquoi pas des danseurs ou des peintres sur scène. Cela pourrait être le projet de mes rêves.
Pour finir, voulez-vous répondre à une question que je n’ai pas posée ?
Non, je crois que nous avons fait le tour.