À l'occasion de la parution de sa nouvelle bande dessinée Lurbinttoko ohoinak (trad. Les voleurs de Lurbintto), nous avons rendu visite à l'artiste Adur Larrea (Bilbao, 1982). À Ciboure, sous les combles de sa maison qui ont vu passer la plupart des dessinateurs du Pays Basque, nous avons parlé d’histoire et d’aventures dans le Labourd du XVIIIe siècle, de B.D. mais également des motivations d’un dessinateur polyédrique.
Où se cachent donc les Voleurs de Lurbintto ?
Les Voleurs de Lurbintto (Lurbinttoko Ohoinak, projet lauréat de la bourse littéraire EKE - Elkar) se cachaient dans la maison d'Altzuieta, sur un terrain situé entre Itxassou, Espelette, Larressore et Cambo. Un terrain remplacé aujourd'hui par un supermarché et une zone artisanale. Ce projet de B.D. a commencé il y a plusieurs années, lorsque je collaborais à la revue Bertsolari. Nous prenions d'anciens bertsos et nous les transformions en bande dessinée. C'est ainsi que j'ai trouvé un texte qui s'appelait Lurbinttoko Ohoinak dans un article de Xabier Kaltzakorta qui étudiait les bertsos de personnes qui étaient en prison ou en attente de pendaison. Dans l'article, Kaltzakorta dit ne pas savoir si c'est une histoire inventée et il ne sait pas non plus la situer dans son contexte historique. Alors j'ai commencé des recherches sur le toponyme Lurbintto et étant donné le basque utilisé, je le situais à l'intérieur du Labourd. J'ai enfin trouvé cet endroit nommé Lurbintto à Itxassou. Et en effet, il s'y étaient déroulées des actions, relatées à l'époque et oubliées ensuite.
Vidéo de l'entretien (en basque)
On raconte qu'il y avait une bande de voleurs, qui n'étaient pas vraiment des voleurs d'ailleurs, c'était plutôt une bande qui avait soif de vengeance. La bande dessinée se situe donc dans les années 1795 à 1796, juste après la révolution française. Alors, la France avait déclaré la guerre à la monarchie espagnole comme à la moitié de l'Europe d'ailleurs. C’est ainsi qu’a commencé la guerre de la Convention. À l'époque, beaucoup de gens du Pays Basque nord combattirent contre la République Française, pour l'Espagne.
Lurbinttoko Ohoinak est vraiment un projet que j'avais à cœur, c'est une création personnelle.
Quand les Espagnols perdirent la guerre, ces habitants d'Iparralde qui avaient survécu au combat trouvèrent à leur retour leurs maisons occupées, brûlées, ou leurs terres confisquées par d'autres.
On pourrait presque dire que le Labourd fut vidé de ses habitants, ils furent tous déportés dans les Landes : enfants, femmes, jeunes, tous furent envoyés dans les Landes.
Puis la même situation se répétait à leur retour des Landes, maisons occupées etc....
C'est alors que parmi ces habitants, avec d'un côté, ceux qui revenaient de la guerre, armés, avides d'action et de vengeance, et de l'autre, des déportés et des voisins du Labourd, certains décidèrent de former une sorte de bande. Et c'est cette bande assez stable, qui, pendant un an et demi, à l'automne 1796, commit des actions tous les soirs.
Il est écrit qu'ils tirèrent sur la maison d'un homme, brûlèrent les vignes d'un autre, rentrèrent chez un autre pour voler ses vêtements. Bref, c'étaient des actions peu spectaculaires, certes, car ils n'avaient pas grand-chose à voler après une guerre. C'est donc l'histoire de ce groupe que je raconte dans la bande dessinée.
Le contexte est difficile, la situation de l'époque est complexe. Je ne suis pas historien et il y a des choses que moi-même j'ai eu du mal à comprendre. C'était d'autant plus difficile à exprimer en dessins. J'ai donc essayé de clarifier ces aventures en travaillant sur Les Voleurs de Lurbintto.
Quelle langue parlent ces bandits en 2022 ?
L'animation a quelque chose de magique, j'adore voir bouger le personnage créé dans un dessin.
La bande dessinée est en basque, la langue qu'ils utilisaient était le basque et ils étaient monolingues. Durant leurs procès, on voit qu'ils avaient tous besoin d'un traducteur. D'autres s'enfuirent en Navarre ou du côté français. Je les fais parler en Labourdin de l'intérieur. Je ne suis pas linguiste j'ai donc dû adapter et actualiser leur langage, mais je dirais que j'ai assez bien respecté la langue et les expressions en règle générale.
Racontez-nous les aventures de l'artiste Adur…
Je suis né à Bilbao, j'y ai fait mes études et j'ai travaillé à la télévision, dans le monde de l'illustration, avec différents éditeurs dans l’univers de la bande dessinée. Je travaille aussi en collaboration avec la revue Argia, avec Xabiroi, Kanaldude et d'autres...
En fait, le réseau de dessinateurs est petit au Pays Basque et la plupart d'entre nous nous connaissons et entretenons des relations assez étroites. Puis, à travers des connaissances j'ai rencontré des gens du Pays Basque nord et j'ai commencé à participer à différents projets locaux. Finalement, ce n'est pas le travail qui m'a attiré à Ciboure, mais ici je suis vraiment comme chez moi, je suis très content.
Au-delà du papier et des crayons, les dessinateurs doivent maîtriser une multitude d'outils aujourd'hui…
J'aime beaucoup l'animation, surtout l'animation traditionnelle, celle qui se fait à la main ou avec la technique du Stop-Motion, même si cela prend beaucoup de temps. L'animation a quelque chose de magique, j'adore voir bouger le personnage que je crée dans un dessin. Mais le temps de travail est si long que parfois vous avez envie d'en finir avec l'animation et de faire une bande dessinée. Et ensuite vous aimeriez finir la bande dessinée et faire une nouvelle animation, c'est ce qui arrive.
Le Pays Basque nord est l'oasis des dessinateurs basques ?
La réalité de la bande dessinée n'a rien à voir entre ce côté de la Bidassoa et l'autre rive. Pour les bascophones, la langue a plus d'effets que la frontière. Il y a ici beaucoup de dessinateurs bascophones qui travaillent avec des maisons d'éditions françaises ou espagnoles. Vivre ici ne nous limite en rien.
La preuve de qualité en B.D., c'est être publié et vendu ici.
Géographiquement les distances sont insignifiantes et aujourd'hui avec Internet et les technologies, vous pouvez envoyer des dessins de partout. Par ailleurs, au Pays Basque nord, il y a plus de bandes dessinées - de qualités diverses certes - mais il y en a beaucoup plus et souvent meilleures ou plus intéressantes. Et pas seulement dans les magasins : les médiathèques de n'importe quel village sont aussi très fournies en B.D. Il y a une culture de la bande dessinée ici et beaucoup plus de choix aussi.
Le milieu du dessin au Pays Basque est-il en bonne santé aujourd'hui ?
Au Pays Basque, ils y a de très bons dessinateurs et, en règle générale, ils ont choisi de travailler en langue basque. Cela ne ferme aucune porte. Les projets sont maintenant bien ficelés contrairement à d'autres époques. Aujourd'hui, il y a beaucoup de productions de bonne qualité. Par exemple, une revue comme Xabiroi fait un travail excellent et avec des dessinateurs d'ici. Certains collaborent aussi souvent avec d'autres éditeurs français.
Parfois les gens ont ici une grande méconnaissance de la bande dessinée. Avant, ils lisaient plus de B.D. mais au cours de la dernière décennie on a constaté une baisse du lectorat.
Par ailleurs, on applaudit parfois beaucoup les dessinateurs qui travaillent en France comme si c'était extraordinaire, mais ce n'est pas une preuve de qualité d'être publié en France. Un gage de qualité c'est d'être publié et vendu ici. Je pense que c'est important et il y a beaucoup de réalisations qui vont dans ce sens.
Comment vous traite le secteur culturel basque ?
Il nous « traite », ce n'est pas rien. Personnellement, je me sens bien traité comme dessinateur. En revanche économiquement parlant, c'est autre chose, surtout si vous comparez avec d'autres disciplines. La situation des dessinateurs est bonne, les gens sont motivés, on produit de très belles choses, mais il est vrai qu'on n'est pas très aidés, c'est peut-être là où le bât blesse.
La situation des dessinateurs est bonne : les gens sont motivés, on produit de très belles choses, mais on n'est pas très aidés.
Mais je crois que c'est une réalité assez généralisée dans la culture basque, du moins dans de nombreuses disciplines. Ensuite, il tient à chacun de s'organiser pour protester ou chercher de nouvelles voies.
Pour vous la « Mecque » est à Durango, à Angoulême ?
C'est la foire au livre de Ciboure ! Plus sérieusement, Durango et Angoulême sont juste incomparables. Pour moi, Durango est le rendez-vous idéal pour rencontrer des amis, de vieilles connaissances et aussi pour faire connaître mon travail. À Angoulême j'y vais pour voir tout ce qu'on fait dans le monde. Angoulême, c'est la plus grande foire d'Europe de bande dessinée. Avec des amis dessinateurs, on y fait un pèlerinage tous les ans et à chaque fois on revient soit hyper motivé soit totalement démoralisé !
La plupart de vos projets ont un lien avec l'histoire du Pays Basque...
En effet, un de mes albums récents réalisé avec Mikel Antza évoque le procès de Burgos. Avant cela j'ai fait Antzara eguna qui parlait de la vie de Santi Brouard, co-créé avec Harkaitz Cano. J'ai aussi fait une sorte de biographie de l'écrivain Gabriel Aresti. Ces trois projets sont des commandes qui nous renvoient dans le contexte du Pays Basque des années soixante-dix. Il y a donc ce point commun en effet, mais ce n'est pas un critère pour choisir mes projets.
Par ailleurs, il est vrai que je m'intéresse à l'histoire contemporaine : je veux toujours en savoir plus et puis je me rends compte que beaucoup de gens autour de moi ont le même intérêt. Nous avons ici de belles histoires ou de moins belles, parfois inconnues ou qui peuvent aussi être racontées autrement. Mais je ne refuserais pas un projet un peu plus "martien". Quant à Lurbinttoko Ohoinak c'est vraiment un projet que j'avais à cœur depuis longtemps, et c'est une création personnelle.
Vous avez d'autres passions ?
J'aime beaucoup le dessin technique, les illustrations scientifiques. Je n'en ai jamais fait et j'aimerais bien avoir ce genre de travail à faire, par exemple sur les animaux, la botanique ou les paysages. Ce sont des choses en lien avec mon métier mais qui s'en éloignent un peu. Travailler sur des sujets comme la mythologie ou sur les animaux, pas nécessairement une bande dessinée, pourquoi pas réaliser une planche avec vingt milles cranes différents ?
Ce genre de projet m'attire, j'admire le travail en lui-même, les heures innombrables passées par le dessinateur.
Je prends aussi un grand plaisir à me retrouver dans la nature.
Le patrimoine immatériel est important pour vous ?
Sans patrimoine immatériel, Lurbinttoko Ohoinak n'existerait pas par exemple. S'il n'y avait pas eu de bertsos, nous n'en saurions rien.
Pour la micro-histoire, la transmission orale est également très importante, non seulement les contes ou les bertsos mais aussi tout ce que qui raconte les petites choses du quotidien : quelqu'un qui apprend à tricoter à son fils, sa fille etc.
En Angleterre, ils ont l'habitude de recueillir des récits de la population dans les Universités. Ils collectent et analysent ces informations puis ils en font des statistiques et cela devient une source d'information.
Avez-vous un dessinateur ou un artiste que vous admirez particulièrement ?
J'en ai beaucoup, trop. Aller à Angoulême est un poil exaspérant, de ce point de vue ! Il y a tant de belles choses. J'aime beaucoup de dessinateurs, mais j'apprécie tout particulièrement quand le scénariste et le dessinateur sont une seule et même personne.
J’aime quand le scénariste et le dessinateur sont une seule et même personne.
Voir comment cette personne raconte et dessine une histoire aussi. Dans ce cas, vous pouvez vraiment voir cette personne, vous entrez dans son cerveau. Ici, j'admire particulièrement Asisko Urmeneta. Comme dessinateur j'adore son style depuis longtemps, mais sans l'utilisation du langage qui lui est propre, son travail ne serait qu'à moitié fait. Il le dit lui-même, il travaille énormément le langage.
J'apprécie aussi beaucoup le dessinateur et scénariste Christophe Blain, récemment honoré à Angoulême. Il est excellent : il fait des dessins animés dans des bandes dessinées. Son travail est très moderne, plastique et ses dialogues sont très naturels. Et il y a beaucoup d'autres personnes fantastiques.
Vous avez un projet qui vous ferait rêver ?
En faisant Lurbinttoko ohoinak, j'ai réalisé que ces aventures avaient un coté Western ou de Barry Lindon, du moins pour ce qui est de l'époque. Je trouverais sympathique de voir les aventures de la bande d'Itxassou dans un vrai film, ça pourrait être un beau projet.
Vous avez un rêve ?
J'ai des rêves très classiques en règle générale. Sinon, ce n'est pas un rêve mais j'aimerais bien travailler parfois en équipe pour avoir un peu plus de vie sociale. En effet, nous dessinateurs travaillons seuls très souvent : nous communiquons peu avec nos confrères et passons de nombreuses heures en solitaire.
Je trouve que la société divise ou catalogue systématiquement les gens dès le plus jeune âge.
L'animation, par exemple, permet un travail en équipe et j'apprécierais qu'il y ait un plus grand nombre de projets de ce style, c'est-à-dire que la bande dessinée soit associée à l'animation ou à d'autres projets différents. Ce serait bien.
Vous aimeriez aborder un autre sujet avant de conclure ?
J'aimerais parler des étiquettes que l'on met automatiquement aux gens : en règle générale, cette tendance qu'il y a à classer automatiquement les personnes et ce dès le plus jeune âge...
En effet, je trouve que la société divise ou catalogue systématiquement les gens. Vous étudiez soit la littérature soit les sciences, dès le début c'est l'un ou l’autre ; et si vous êtes dans une branche littéraire, vous ne pouvez pas vous intéresser aux mathématiques. Si vous êtes océanographe par exemple, vous ne pouvez pas écrire un roman. Il me semble qu'autrefois les gens faisaient un peu plus de tout. Moi, j'ai parfois du mal à me situer.
Quand une personne est polyédrique, j'aime bien qu'on s’intéresse à ses différents aspects, sans se limiter à un seul visage.