Adelaide Daraspe (1985, Urrugne, Labourd), présidente de l’Euskal Etxe de Montréal, est aussi créatrice de pâtisseries originales. En contemplant le monde de son jeune regard, cet infatigable globe-trotter tente d’apporter un vent de fraîcheur aux Euskal Etxe et à la diaspora, pour que la culture basque continue de briller aux quatre coins du globe.
Xan Aire : D’où vous vient cet attrait pour le voyage ?
Adelaïde Daraspe : Je ne sais pas, étant donné que mes parents n’ont jamais eu beaucoup d’argent, et que je n’ai pas voyagé étant petite. Un jour, nous sommes allés camper à Iraty, et c’est tout ! Pourtant, nos parents ont réussi à nous inculquer une certaine ouverture au monde, avec les moyens du bord, notamment par le biais de contes et de livres. Puis mon grand-père maternel était Arménien, les parents de ma grand-mère, du côté de la Suisse et de l’Italie : il y a donc un métissage culturel. Chez mes parents, on boit toujours du café arménien, par exemple. C’est un petit détail qui révèle ce côté exotique permanent chez nous. D’autre part, quant à l’ouverture au monde, l’ikastola a également eu son influence. J’ai toujours vu mes parents engagés, ce qui donne envie, étant adulte, de se bouger, de construire des choses. Pour eux, il était clair que leurs enfants apprendraient l’euskara, que nous serions Basques bascophones : je sais ce que je suis, qui je suis. Cela aussi donne envie d’aller voir ce qui se passe ailleurs, sans complexe.
Avez-vous fouillé vos racines arméniennes ?
J’ai commencé, il y a deux ans, à apprendre la langue. Mais j’ai laissé tout cela un peu de côté, avec tous les projets qui sont apparus entre-temps. Puis la situation est assez particulière, le génocide ayant décimé la famille de mon grand-père : sept des quatorze enfants sont morts, ainsi que leurs parents. Mais dans la famille, on dit qu’ils sont morts de maladie… C’est un sujet totalement tabou. Et comme mon grand-père est décédé depuis longtemps, je n’ai pas de relation directe pour approfondir mes racines. C’est pour cela que je souhaite d’abord maîtriser la langue, pour me rendre là-bas, et pas en tant que touriste. Je ne sais pas quand cela se réalisera, mais ce sera pour moi un voyage particulier, profond.
Vous avez mené une partie de votre vie complètement à l’opposé du monde…
Oui, au Québec ! J’avais envie pour mon master d’aller loin. L’Europe était trop accessible, trop proche. A l’université de Bordeaux, on m’a donné une liste d’établissements partenaires, et lorsque j’ai vu le Québec… Je ne saurais dire pourquoi, mais il était clair que j’irais là-bas. Je ne connaissais rien ni personne dans ce continent. Un de mes professeurs y avait des relations, ayant effectué sa thèse sur la chasse à la baleine. Il me proposa d’étudier la communauté basque du Québec par le biais de leurs objets usuels. L’objectif était de savoir comment ils vivaient leur identité basque. Il fallait donc que je pénètre dans leur foyer…
Qu’avez-vous trouvé ?
Beaucoup de choses ! Généralement, c’était impressionnant de voir comment de simples objets prenaient de l’importance là-bas. Ou bien des transferts effectués sur les objets… Par exemple, j’ai pu voir trois makila suspendus au mur, en rang, dans plusieurs maisons, chose que l’on ne voit pas ici. Et il y a aussi des dictons particuliers sculptés sur les makila : « Nahiz eta urrun, betiko lagun » (Même éloigné, ami pour toujours). Ou bien comment un simple autocollant, ici banal, devient un trésor là-bas : si on le déchire un peu, on a presque envie de pleurer ! Cela est surtout valable pour les anciennes générations. Pour les plus jeunes, cela n’est pas du tout la même chose. Nous avons une image très folklorisée de la diaspora basque… Ce qui est vrai, mais les jeunes sont partis pour les études ou pour le travail, et vivent leur identité basque d’une manière particulière. Pour eux, la culture basque ne se limite pas seulement aux danses traditionnelles. Il leur est évident que cela fait partie du patrimoine, mais que la culture basque est plus que cela. D’ailleurs, même les personnes qui ne sont pas Basques l’ont bien compris : elles ont créé les Euskal Etxe de Berlin ou de Tokyo ! Ce sont les Allemands qui ont créé l’Euskal Etxe de Berlin, autour de Gernika qu’ils voulaient faire connaître, et qui selon eux n’était pas suffisamment évoqué en Allemagne. Ces chercheurs ont publié des livres, organisé des événements culturels, et c’est ainsi qu’est né l’Euskal Etxe locale. Au Japon aussi, il y a un grand intérêt pour la culture basque. Mais ces lieux ne sont malheureusement pas si connus.
Il nous parvient toujours cette image folklorique des Basques éparpillés dans le monde…
Oui, parce que les plus grands Euskal Etxe sont encore folklorisés. Etant puissants, ils transmettent plus facilement l’image de la diaspora. Je crois que c’est aux Euskal Etxe plus petites, comme au Québec, d’apporter des choses nouvelles. Et pour cela, les partenariats avec l’Institut Etxepare et l’Institut culturel basque sont primordiaux, afin d’étendre une autre manière de vivre la culture basque à travers le monde.
Quelle place est accordée à l’euskara, au sein des Euskal Etxe ?
Peu de place. Il y a bien des cours de basque, mais qui ont une influence moindre. Nous aussi, nous essayons d’intégrer la langue basque dans nos écrits, ainsi que de la valoriser dans nos discours. Mais je ne sais pas quel en est l’impact. Faire tout en bilingue hors du Pays Basque, je ne sais pas si cela a beaucoup de sens, peu de personne parlant l’euskara. Il vaut peut-être mieux être précis dans le discours, même si on ne le fait pas en basque.
Pourtant, même au sein de la diaspora, certaines personnes, tout en étant fières de leur identité basque, n’ont pas transmis la langue à leurs enfants…
C’est un phénomène qui se remarque dans différentes diasporas. En vivant loin de chez soi, on recherche d’abord à s’intégrer. Ils ont donc cette identité en eux, mais ne voient pas en quoi savoir l’euskara aideraient leurs enfants à vivre et à s’intégrer. Pourtant, ils continuent à sortir ou à se marier entre Basques, particulièrement aux Etats Unis ! C’est un paradoxe…
Mais que ce soit au Pays Basque ou en Amérique, le même phénomène s'est produit…
Le fait de donner de la valeur à la langue basque est assez récent, à mon avis. Les gens d’une certaine génération n’associaient l’euskara qu’au monde paysan, et ne lui accordait pas de valeur sociale. C'est-à-dire que pour réussir sa vie, il n’y avait pas besoin de l’euskara. Une génération a malheureusement assimilé cette idée-là. La conscience de la langue est en train de s’étendre actuellement, même dans le monde entier.
Y-a-t-il une lutte au Québec, pour préserver la langue française ?
Oui, mais ils sont plus avancés que nous, quand même ! Au niveau juridique, c’est assez spectaculaire… Une personne qui immigre là-bas ne peut inscrire son enfant dans une école anglaise : la loi stipule qu’il doit apprendre le français. La loi 101, c’est quelque chose, et je ne sais pas s’ils s’en rendent bien compte ! Dans les commerces, les publicités, on ne peut pas utiliser l’anglais. On ne peut entrer dans une boutique en disant bonjour en anglais. La loi veut que l’on salue d’abord en français, puis, si on le souhaite, en anglais.
Cette loi est-elle perçue de manière positive ?
Par la grande majorité, oui. Avant la loi, de nombreuses réflexions et débats ont eu lieu. Cela a été primordial pour vivre l’application de cette loi dans la sérénité. Les anglophones sont quelque peu dérangés, et il peut y avoir des tensions… Mais je crois que la plupart se rend compte du besoin de cette langue. Malgré la loi, la langue anglaise peu à peu gagne du terrain à Montréal, par exemple… Mais dans le reste du territoire, ils ont un vrai blocage avec l’anglais.
Au Pays Basque, serions-nous prêts à avoir une telle loi ?
A mon avis, une loi semblable serait indispensable ici aussi. Je crois que nous sommes prêts, du moins pour une partie de cette loi. Après, je ne sais pas s’il y a de moment adéquat pour affronter une loi. Il faut savoir ce que nous voulons, ce que nous ne voulons pas. Mettre tout cela sur la table… Mais si nous voulons la loi, il faut bien un jour la mettre en pratique, même si toute la population n’est pas encore prête. Je crois que c’est la loi qui achemine la normalisation : au bout de cinq ans, une fois la loi passée, plus personne ne pose de question…
Qu’apporte l’Euskal Etxe au Québec ?
Il y a, sur place, un véritable intérêt pour la culture basque. Je pense qu’ils font un lien avec les cultures minoritaires, qu’une solidarité naturelle se crée. Ils savent donc où aller s’ils veulent nous connaître. Nous faisons aussi office de tourisme, en quelque sorte ! Si les Québécois souhaitent aller au Pays Basque, ou si les Basques veulent aller au Québec, nous sommes là pour les aider, les guider. Par contre, il n’y a pas de dortoir, le local étant vraiment petit. En tant que Basques, nous n’avons rien d’officiel, mais nous tissons quand même un réseau important.
Et qu’apportent les Euskal Etxe au Pays Basque ?
Une ouverture. Mais l’expression de huitième province ne me plaît pas tant que cela. Pour moi, ce n’est pas une province. Sinon, cela voudrait dire que notre territoire, nos sept provinces, n’ont aucune valeur, et que nous ne devrions pas lutter pour les préserver. Et l’idée que les Euskal Etxe forment un groupe… Je ne suis pas totalement d’accord, NABO et FEVA ne travaillant pas du tout dans le même état d’esprit. D’autre part, et j’ai commencé à l’évoquer tout à l’heure : pour sortir du folklorisme, les Euskal Etxe les plus modestes peuvent apporter autre chose. Nous devons apporter autre chose.
Par exemple ?
Des conférences, ou bien des événements qui sortent du blanc-rouge-vert ou de la croix basque. Je ne veux pas dire qu’il faut les renier, mais ces symboles ont perdu leur sens. Et nous, en tant que Euskal Etxe, ne devons pas oublier que nous sommes des vitrines de notre culture, à travers le monde. Pour prendre notre exemple, nous avons fait venir le groupe Kalakan en 2011. Cette année, nous avons réalisé le projet Zortzi : lors d’une performance publique, Christophe Pavia a réalisé en cinq minutes pour chacune des coiffes originales à plusieurs filles, à partir d’un chapeau de joaldun. Nous avons organisé cela au Québec, puis à New York, dans la rue, et les gens ont aimé.
C’est ce type d’événements qui se montrent le plus facilement, à travers le monde ?
Oui, ce sont les plus simples. Il est évident que ces événements-là ne sont pas suffisants pour expliquer ce qu’est notre culture, mais ils offrent un point d’accroche intéressant. Et ils démontrent la volonté que nous avons, nous les Basques, de durer, de nous renouveler, et surtout de créer. C’est la création qui a toujours maintenu notre culture en vie, et il en sera aussi ainsi dans le futur. Alors, à travers ces spectacles, nous devons expliquer cette profondeur à travers le monde.
Comment êtes-vous devenue présidente d’Euskal Etxe ?
Je suis arrivée là-bas toute seule, avec mes deux sacs… et j’ai connu un groupe super, ayant une bonne une ambiance, et cela a été facile de s’intégrer. Ils m’ont d’emblée considérablement aidé, même pour mes travaux de recherche. Tout en faisant de nouvelles connaissances, je me suis impliquée de plus en plus àl’Euskal Etxe, j’en ai connu et maîtrisé le fonctionnement… Puis il a également été important de comprendre la culture du Québec, les coutumes et les particularités. Lorsque j’ai proposé pour la première fois une soirée-conférence, les amis m’ont dit que personne ne viendrait… Mais cela a été un succès ! Là-bas, les gens n’ont pas l’habitude, comme ici, de s’asseoir à côté d’un inconnu lors d’un repas… Et on se rend compte de ces détails en vivant là-bas. J’ai été d’abord vice-présidente, puis comme notre président est tombé gravement malade, il m’a demandé de prendre la suite ; le groupe a approuvé, et voilà, je débute ma quatrième année! Mais je les ai averti que cela serait ma dernière année, souhaitant réaliser d’autres projets. J’ai appris beaucoup de choses à l’Euskal Etxe, cela a été une bonne université pour moi.
Quels sont vos projets ?
J’ai monté une petite entreprise de confection de gâteaux. Encore le métissage des cultures ! J’ai emprunté le mode de fabrication de la culture nord-américaine : ce sont des gâteaux décorés. Je les décore évidemment de particularités du Pays Basque. Je les confectionne aussi de manière personnalisée ; cela plaît beaucoup aux enfants. J’organise des ateliers dans ma cuisine, ou en allant directement chez l’habitant. En basque comme en français, la réalité étant là : je ne peux pas en vivre si j’organise mes ateliers seulement en euskara. Je souhaiterais par ailleurs travailler davantage avec Christophe Pavia, et rassembler autour de nous plus d’artistes. J’aimerais travailler dans le monde de la culture … Mais avant cela, je veux effectuer un tour du monde, à partir de janvier 2014.