La femme dans le bertsularisme
L'apparition en nombre de femmes dans les joutes et les compétitions est un phénomène récent, bien que quelques rares noms des siècles passés soient connus. Depuis 2009, le bertsulari sacré champion du Pays Basque est une femme.
Comme le souligne Koldo Mitxelena dans son livre l'"Histoire de la Littérature Basque" : "la tradition (des bertsularis) est ancienne et remonte au moins aux dames improvisatrices du XVème siècle". Ces femmes citées dans les documents du XVème sicle interprétaient des chants épiques. C'est à ce titre qu'elles furent réprimées et subirent l'interdiction de chanter par le For de Biscaye en 1452.
Bien qu'elles désertèrent le domaine public, elles continuèrent d'improviser en particulier dans le cercle familial. Certaines furent cependant connues pour leur prestation publiques.
Les femmes bertsularis d'Iparralde du XIXème siècle jusqu'aux années 1960
Toujours en nous référant au livre Neurtizlari, Bertsulari, Iparraldez de Beñat Soulé, jetons un coup d'oeil sur celles qui marquèrent l'histoire du bertsularisme à leur époque. On les compte sur les doigts d'une main, puisqu'elles sont au nombre de quatre ! Mari Luixa Erdozio (1846-1925), Mariana Hargain Etxepare (1860-1925), Mariana Etchegaray Baraziart surnommée "Aña debrua" (1873-1939), et Bernadeta Borda Charriton (1959-...) plus connue sous le nom d'"Itxaro Borda".
Mari Luixa Erdozio (1846-1925)
La plus ancienne improvisatrice connue en Pays Basque nord. Née en 1846 à Ascain (Labourd), mère de treize enfants, elle était agricultrice à "Patinenia" (Ascain). Elle est décédée à Saint-Jean-de-Luz en 1925.
C’est le linguiste Julien Vinson qui révéla qu’elle était bertsulari. Elle participa à trois reprises aux Jeux Floraux d'Antoine d'Abbadie, à Sare : en 1869 (gagnante ex-aequo avec D'Ibarrart), en 1875 (gagnante ex-aequo avec Etcheto) et en 1884 (troisième).
Lorsqu'en 1875 elle versifia avec Etcheto sur le sujet "les adieux d'un jeune mobilisé (Etcheto) à sa fiancée (M.-L. Erdocio)", Madame De Chambrun étant dans l'assistance lui remit un prix, preuve que sa prestation fut particulièrement bonne.
En 2021, la municipalité d’Ascain l’a mise en lumière grâce au travail mené avec un groupe de villageois dans le cadre de l’exposition organisée par l’association Les Bask’Elles.
En savoir plus
- Bulletin municipal d’Ascain, Mari-Luisa Erdocio Etcheverry, janvier 2022, pp. 14-15.
- VINSON, Julien, Concours de poésie basque à Sare en 1869, Extrait de la Revue de Linguistique de Philologie comparée, Editions Maisonneuve et Cie, Paris, 1870.
Mariana Hargain Etxepare (1860-1925)
Mariana ou Mari Hargain, native d'Espelette, improvisait spontanément et écrivait des bertsus. Agricultrice et fabricante d'espadrilles, elle vécut à Cambo, à "Hegontoinia". Mariée en 1891, elle eut un fils. Elle décéda en 1925 à Saint-Palais.
Elle parut pour la première fois publiquement à Cambo avec D'Ibarrart, Laztiri et Soule. Mais sa partenaire bertsulari fut surtout Mariana Etchegaray "Aña debrua". Les deux femmes rencontraient un franc succès et étaient beaucoup sollicitées.
Elle gagna aux jeux floraux d'A. d'Abbadie en 1888 à Cambo. Elle prit part aux "Fêtes Basques" de M. Guilbeau : en 1894 à Hasparren (4ème), en 1895 à Espelette (première) et en 1896 à Cambo (3ème), mais aussi au concours organisé par Euskaltzaleen Biltzarra en 1907 à Cambo (3ème). Outre ces concours, elle chantait beaucoup dans les rassemblements familiaux (mariage, baptême, communion).
Mariana Etchegaray Baraziart "Aña debrua" (1873-1939)
L'improvisatrice gagna le concours des "Fêtes Basques" de M. Guilbeau à Hasparren en 1894 et fut classée troisième en 1896 à Cambo. Elle écrivit également des bertsus, notamment Oraiko dama gaztiak.
Il est à souligner qu'"Aña debrua", comme Mari Hargain, improvisa beaucoup dans les rassemblements familiaux festifs.
En savoir plus :
Itxaro Borda (1959-...)
Elle commença à improviser dans les joutes, comme en 1978 en compagnie de Joanes Arrossagarai et Jean-Louis Hariñordoki (dont c'était la première prestation).
Mais vite, elle se mit à l'écriture. Elle est l'auteur de nombreux bertsus et livres.
Une ère nouvelle
Avec le souci prédominant de la transmission, les années 1980 apportèrent de nombreux changements avec notamment la création d'écoles de bertsus et la structuration organisationnelle du bertsularisme. La présence et la place de la femme se développèrent. Elles étaient bertsularis mais aussi meneurs de joutes, juges. Dans trois provinces, la présidence de l'association des bertsozale est occupée par une femme : Alaitz Rekondo en Navarre, Saroi Jauregi en Gipuzkoa et Joana Itzaina en Iparralde.
Si elles sont majoritaires dans les écoles de bertsus, cette proportion ne se retrouve pas lors des joutes. Pour beaucoup d'entre elles, le pas pour monter sur scène est encore difficile à franchir.
Mais comme Maialen Lujanbio l'avoue elle-même : "Kosta egiten da emakumeen lorpenak aitortzea, eta txapela irabaztea, sinbolikoki, pauso bat da" ("cela coûte d'avouer les résultats obtenues par les femmes, et gagner la txapela c'est symboliquement un pas de marqué").